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TOPINO, Libraire, rue Hernestale:
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De lImprimerie de BôcQuET, Libraire, sur la Places
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DES MEMBRES
COMPOSANT LA SOCIÉTÉ . :
Au ve pire 188
_ Président.
MM. |
Le Baron d'HERLINCOURT, Membre de Ja Chambre des’
Députés, Chevalier de’ l'Ordre royal de la Légion
_ d'Honneur. NC
Chancelier.
LALLART, Maire.de la ville d'Arras, |
Secrétaire perpétuel.
MARTIN, Ingénieur au corps royal des Ponts et Chaussées; ,
l'un des coopérateurs du grand ouvrage sur l'Égypte, ”
publié par le Gouvernement.
LA
ÆArchiviste. |
FERNINCK ; Membre du Conseil municipal de la ville:
: d'Arras. | Re ne
Honoraires.
Le Baron SIMÉON , Préfet du département du Pas-de-Calais,
Chevalier de l'Ordre royal de la: Légion d'Honneur ,:
Commandeur de l'Ordre Grand- Ducal de Hesse-
Darmstadt. | RE à
Charles DE LA Tour D'AUVERGNE, Évêque du Diocèse,
d'Arras , Chevalier de FOrdre royal de la Légion’
d'Honneur. er FRS CE
MM.
Le Marquis d'AVARAY, Maréchal de Camp, comman
dant lé Département du Pas-de-Calais, Chevalier de
l'Ordre royal de Saint Louis et de Malte.
DE FRANCOVILLE, Membre de la Chambre des Députés.
THIEULAINE-D'HAUTEVILLE, Chevalier de St. Louis,
à Arras. |
ANSART, Docteur en médecine, à Arras.
BuISSART, père, à Arras.
ENLART DE GRANDVAL, père, à Arras.
BLANQUART DES SEPT-FONTAINES , à Ardres:
Wissoce , Président de la société d'Agriculture , du Com-
merce et des Arts, à Boulogne.
Le Baron DE COURSET.
Le Baron MALOUFT, Maître des Requêtes, Préfet du
département de la Seine-inféri teure, Officier de l'Ordre
royal de la Lézion d'Honneur , à Rouen.
Le Comte DE GALAMETZ, à Lille.
. BLaNqQuART- BaiLLEUuL, Mernbre de la Chambre des
Députés; Prorureur du Roi en la Cour royale de Douay,
Chevalier de l'Ordre royal de la Légion d'Honneur.
DE St. Fan, Ingéuieur en chef au Corps royal des Ponts
et Chaussées., à Mantes.
JouLLIETON , Docteur en médecine, à Guéret, départe-
ment de la Creuse, |
Le Baron EURTO , Maréchal - de- Camp, Commandant
de l'Ord-e royal de la Légion d'Honneur et Chevalier de
Saint Louis, à Bordeaux,
TARANGET , Recteur de l’Université, a Douay.
Le Lieutenant - général MARESCOT, Grand Officier de:
: Ordre ro val de la Légion d'Honneur et Commandeur de
Saint Louis , à Paris.
Le Chevalier ALLENT , Conseiller d'état , Sous- secrétaire
d'état au ministère de la guerre, à Paris. |
MM. |
ScHILLEMANS, chef da bureau du Génie, ay anti
de la guerre, Chevalier de l'Ordre royal de la Légion
d'Honneur, à Paris.
HEURTIER , Membre de l’Institut, à Paris.
Csussey, Architecte du département de la Somme,
à Amiens.
RONDELET, Chevalier de l’Ordre
royal de la Légion d'Honneur, Inspecteurs-générauk
G1z0Rs des bâêtimens civils, &
4 pue Paris :
GAREZ, | À
ANTHELME CosTAZz, vice-secrétaire de: la Société d’en-
| couragement pour l’industrie nationale, à Paris.
LE PASQUIER, Chevalier de l'Ordre royal de la Légion
d'Honneur , à Rouen.
LenGLET, lun des Présidens de la Cour royale de Douay.
| Résidens.
Cozin, Négociant, Membre du Conseil de Préfecture.
Duqussrox, Membre du Conseil général du départe-
ment.
Leroux - DUCHAETLET, Membre du Conseil d’arrondis-
sement d'Arras.
CoURTALON, Ingénieur en chef au Corps rcyal des
Ponts et Chaussées.
LeTOM8E, Architecte du département , Chevalier de
l'Ordre royal de la Légion d'Honneur. .
GARNIER, Ingénieur au Corps royal des Mines.
Cd
De St. PAUL, Maréchal - de - Camp au Corps royal du
Génie, Officier de l'Ordre royal de la Légion d'honneur
Commandeur de l'Ordre royal de St. Lows. |
HALLETTE, Ingénieur-mécanicien.
MERCIER ; Docteur én médecine,
MM.
Darsnez, Professeur de Mathématiques au Golees
d'Arras.
SAUVAGE , Professeur de Rhétorique au Collège d'Arras.
Doxson, ( Népomucène. )
Auguste Cor. |
CRESPEL-D'ELLISSE, Fabricant,
BeRGÉ DE VASSENAU, chef de AVION à la Préfecture.
MoNEeL, Avocat.
Aimé BURDET Professeur de dessin au régiment du
Génie en garnison à Arras.
De Massy, Colonel , Directeur des fortifications, à
Arras, Chevalier de l'Ordre royal de Saïnt Eouis.
SALENTIN , Principal au Collège d'Arras.
DUCHATEAU, Chirurgien.
Lrvizz, Docteur en médecine, Directeur de l'Ecole de
chirurgie du département.
Le SuEeur, Ingénieur en chef, Vérificateur du Cadastre
da déparment , Membre de la Commission royale de là
carte de. France.
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Correspondans.
BALLART , ancien Médecin principal des armées,
Médecin en chef de l'hôpital militrre de St. Omer.
BurDgrT, aîné, Avocat près le Sénat de Savoye,. à
Chambéry. |
GoDpegFroO%x , Doeteur en méddne. à St. Omer.
DrsmArQUuOY, Docteur en médecine, Chevalier de
l'Ordre royal de la Légion d'Honneur, à St. Omer.
RGTY , Avocat en la Cour royale , à Bouay.
À
M M. eZ, LU
PÉTY, Sous-intendant militaire , à Cambray:
PEUvION, fils , Négociant , à Lille.
DeLEZENNE, Professeur de Mathématiques, à Lille.
MERCADIER, Ingénieur au Corps royal des Ponts et
Chaussées, Chevalier de l'Ordre royal de la Légion
. d'Honneur, à Châlons-sur-Saône. ï
CoRANCEZ, ancien Consul à Alep, Chevalier de l'Ordre
royal de la Légion d'Honneur, à Paris. _
DesBROCHETS , Capitaine au Corps royal du Génie,
, Chevalier de l’Ordre royal de la Légion d'Honneur, à
St. Omer.
ANTOINS , Professeur au Collège de Nancy.
PeLLET , Litlérateur, à Epinal. |
THIÉBAUT DE BERNÉAUD , l’un des Bibliothécaires de
Ja Bibliothèque Mazarine, Membre de plusieurs Aca-
démies nationales et étrangères , Rédacteur général de la
Biblivthèque RRJACO CORRE: à Paris,
DaBucNny, Littérateur, à Paris.
HURTREL-D'ARBOVAL ; Médecin Vétérinaire, amateur ;
Membre de plusieurs "Sociétés savantes , à Montreuil
sur-mer.
Demanze,, fils, Secrétaire Adjoint de la Socicté
d'Agriculture , du Commerce et des Arts, de Boulogne.
HENRY, Adjudant au Corps royal du Génie, Secrétaire
de la même Société, à Boulogne.
RouxeL , Docteur en médecine , à Boulogne.
CTÉSIPHON PÉQUEUR , chef d'atelier au Conservatoire
des Arts et Métiers , à Paris.
CARON DE FROMENTE®L, Procureur du Roi, à Boulogne.
Le Baron d'ORDRE , Inspecteur des Forêts , à Boulogne.
LErFEvRE-DurR$, Juge d'instruction au Tribunal de
Béthune.
SCiPION MoURGUES , Propriétaire de la Manufacture de
Rouval, près Douléns
MM. |
CounDENT , Docteur en médecine, à St. Venant.
BAxARD, Capitaine au Corps royal du Génie, Adjoint
au Directeur du dépôt des fortifications , Chevalier des.
Ordres royaux de la Légion d'Honneur et de St, Louis.
à St Omer.
CAvEnTOU , fils, Pharmacien à l'Hôpital St. Antoine,
à Paris. |
Czernc, chef de Bataillon au Corps royal du Génie,
Commandant de la brigade topographique, Chevalier des
Ordres royaux de la Légion d'Honneur et de St. Louis,
à Metz.
RAIMOND , Capitaine , Ingénieur géographe , à Paris.
Antoine DESPINE, Docteur en médecine, Membre de
plusieurs Sociétés savantes, à Aix en Provence.
VILLERMÉ, Docteur en médecine, à Paris.
EVRARD , Docteur en médecine, à St. Denis.
WILLIAUME, Chirurgien en chef, premier Professeur
de l'Hôpital militaire d'instruction, à Metz , Officier de.
l'Ordre royal de la Légion d'Honneur.
Murez, Chirurgien militaire, Membre de plusieurs
Sociétés savantes, à St. Omer.
JossE , Professeur d’Anatomie et de Physiologie, à Amiens.
LT
MÉMOIRES.
SÉANCE PUBLIQUE
DU LUNDI 24 AOUT 1818.
DISCOURS
D'OUVERTURE,
Par M. le Baron D'HERLINCOURT, Président.
MESSIEURS,
Ce au milieu des fêtes consacrées à la mémoire d’an
des plus grands Monarques qui aient régné sur notre pays,
du plus saint , du plus vertueux de nos Rois ; c’est au milieu
des fêtes qui rappellent un évènement si glorieux pour la
France , si heureux pour notre ville, que la Société royale
pour l’encouragement des Sciences, des Lettres et des Arts,
tient sa première séance publique; ‘c’est dans ces jours
d’allégresse générale, c’est à cette époque solennelle que
désormais elle viendra chaque année présenter à ses con-
citoyens le résultat de ses eforts, le tribut de ses recherches,
l'hommage des travaux de ses membres.
Les imposans souvenirs de l’ancienne Académie d'Arras
sont dans tous les cœurs : ils nous prescrivent de grandes
abligations ; animés d’une noble émulation nous tâcherons
2 MÉMOIRES.
de la suivre dans la carrière qu’elle a si dignement par-
courue ; l'expérience du passé soutiendra notre courage ;
elle nous apprend que la gloire peut s’éclipser quelques.
instans , et reparaître avec une nouvelle splendeur; que.
l'arbre de la Science après avoir vu ses rameaux desséchés,
après avoir perdu ses fleurs et ses fruils, peut se parer
d’une nouvelle verdure , et produire de nouvelles fleurs,
de nouveaux fruits. L’antique ville des Atrébates a éprouvé
toutes les vicissitudes d’une fortune brillante-et des plus
cruels revers , de la prospérité et des plus affreusescalamités;
tour à tour les Sciences, les Arts y ont fleuri, y ont jetté
Je plus vif éclat et ils ont disparu, ils ont fui de nos murs.
Nos jours ont été témoins de catastrophes semblables à celles
des temps anciens; notre ville ramenée dans le 17.° siècle
sous l'empire des lys, après en avoir été long-tems séparées.
et pour ne plus jamais l'être, jouissait sous le sceptre des
Bourbons des avantages d’une longue paix; les Arts se
perfectionnaient , le Commerce se livrait à ses utiles spécu«
tions, les Sciences étaient cultivées, une Société composée
d’un très-petit nombre d'hommes érudits et laborieux s'était
formée ; pénétrés du désir d’être utiles à teur pays, investis
de l'estime publique, leur exemple trouva des imitateurs ,
V'émulation enflamma les esprits, ce foyer de lumières
s'agrandit par la réunion de toutes les personnes distinguées’
par leurs talens et leurs connaissances, la protection Royale
donna sa sanction auguste à cette association , et l’Académie
royale d'Arras fut établie; elle remplit la noble tâche qu’elle
s'était imposée, elle se livrait sans relâche à d’utilestravaux,
lorsque des évènemens de sinistre mémoire vinrent paralyser
les esprits et les ames; un crêpe funèbre couvrit cette cité,
les Muscs ont mêlé leurs larmes aux nôtres, et, frappées*
d’épouvante et d'horreur, elles ont déserté notre sol en-
Pd
MÉMOIRES: ä
senglanté ; 1! peine ces jours de deuil ont-ils-fait place À des
jours plus tranquilles que le goût des beaux Arts s’est
ranimé parmi nous ; heureux de revoir, ma patrie après un
long exil, je me félicitai d’y retrouver cette ardeur pour
lnstruction qui l’a toujours distinguée ; bientôt un collège
doté avec.toute la. munificence que les circonstances per-
mettaient fut ouvert à une jeunesse avide de savoir ; bientôt
se forma dans une des villes du département une. Société
savante qui.dès les premières années de son existence acquit
des droits à notre estime et à notre reconnaissance ; des
vœux ardens pour l'établissement d’une Société semblable
dans le chef-lieu du département fermentaient, se propa-
geaient , s’accroissaient chaque jour ; enfin, le trône de nos
Rois s’est relevé; avec lui nous sont rendas les bienfaits de
la paix, compagne de l'Industrie , du Commerce, des
Sciences et des Arts, Le Monarque rendu à nos désirs nous
à donné a Charte, monument de la plus haute sagesse
qui, ouvrant à tous les Français la carrière des services et
des récompenses les a enflammés de cette heureuse émula-
tion, qui rend un peuple idolâtre de tous les sn de
gloire, capable de tous les prodiges. |
. Nous aussi, Messieurs, nous avons entendu la voix
auguste qui nous rappelle à la culture des Sciences, des
Lettres et des Arts ; nous avons entendu la voix de notre
pays qui nous invite à Jui consacrer nos veilles et nos tra-
vaux. Je sens ici le besoin de vous rappeller combien nous
avons été puissamment secondés par le magistrat distingué
que le départemeut vient de perdre ; de vous retracer le vif
intérêt, la part active qu'il n’a cessé de prendre à l’établis-
sement de cette: Société. Appellé par le Souverain , juste
appréciatéur de ses talens et:de son zèle pour le service du
trône , à l'administration d’une province importante , il ne
4 Mémoires.
saurait être insensible à nos regrets et à notre reton-
naissance.
Encouragés par de si respectables impalsions, nous né
cesserons de fixer le noble but que nous nous proposons
d'atteindre, et , si nos infatigables efforts n’obtiennent pas
tous les succès que nous ambitionnons , au moins aurons,
nous ouvert la carrière que pourront illustrer nos suc-
tesseurs. Le soleil, à l'aurore d’un beau jour, ne jette qu'uu
faible éclat, bientôt ses rayons écartent les nuages et
versent sur la terre des torrens de lumière. Le fleuve majes+
tueux qui féconde nos campagnes, enrichit nos villes, n’est
à sa source qu’un bien faible ruisseau dont les eaux
fimpides arrosent à peirie une riante prairie; espérons aussi
qu’un long avenir de paix et &e prospérité, promis à notre
heureux pays, que l'encouragement accordé par un
Monarque éclairé à nos utiles travaux, que l’émulation
excitée par notre exemple parmi nos concitoyens, dons
ñeront aux esprits un vigouréux essor, que vette Société
naissante deviendra la gloire de notre ville et méritera uxæ
jour de fixer les Fee et l'attention de la patrie recon<
int
* Pour arriver À un bat si honorable , il faut, sans doute ; j
dé grands , de constans efforts ; il fant cette volonté ferme
qui ne se rebute ni par Îes obstacles , ni par les difficultész
il faudrait, peut-être , cette réunion de talens dont je vais
entreprendre de tracer une faible esquisse ; réunion qui se
trouve rarement le partage d’un seul homme, quelque pri<
vilégié qu'il soit par la nature ; mais qui , répartie entre les
membres d’une Société en fait la force , en formant un
faisceau du tritut que chacun y apporte. Cet assemblage };
toutefois, n’a pas paru absolument indispensable à ung
Société naissante comme la nôtre et ce sentiment, joint à
MÉMOIRES, ÿ
on titre d'encouragement , a pu seul la rassurer surles véri-
tables intentions dont elle est animée ; maïs j'ai cru devoir,
pour l'utilité des jeunes gens que leurs dispositions heureuses
entraînent vers l'étude, leur rappeller que le bon goût et un
jugement sain doivent être exclusivement le partage de
celui qui se sent appellé à guider ses semblables dans la
route des Sciences naturelles. Le goût est le sentiment du
beau, du vrai, qu'aucun prestige, fût-il orné des plus
brillantes couleurs, ne peut séduire ni corrompre; c’est
une manière de voir si juste, si précise, que l'expression
employée rend seulement l’objet qu’elle e en vue, mais le
rend tout entier ; yne façon de parler si nette , si appropriée
au sujet que l’on traite, que la parole n’est que le peintre
fidèle de la pensée ; comme la pensée est le miroir fidèle de
l'objet qu'elle se représente. C’est cette sagesse , cette juste
mesure qui sait retrancher tout ornement frivole on
étranger , faire le sacrifice de ses ornemens lorsqu'ils sont
déplacés , astreindre l'imagination sans la captiver, modérer
l'enthousiasme du génie sans l’étouffer, châtier le luxe et
l'intempérance du style sans l’amaigrir ni le dessécher; être
plaisant sans bouffonnerie ; gravé sans austérité, agréable
sans nuire à l'instruction, instructif sans être dépourvu
d’agrérnent, Legot estce taèt délicat des bienséances qui sait
se plier aux circonstances des tems, des âges et des lieux ;
également attentif à ne pas blesser le caractère de celui qui
parle, ni choquer les opinions de ceux à qui l’on parle;
c'est enfin cette sage écanomie qui sait donner à chaque
partie du discours l'étendue et le degré de force dont elles
sont susceplibles, à établir entre elles. un tel-ordre et une
telle harmèimie qu'elles s’appuyent et se fortifient mutuelle-
ment , à les rémir ensemble par des transitions si fines , si
délicates qu'elles ne fassent qu’un même corps et un tout
6 MÉMOIRES.
continu, à rapprocher les couleurs par des huänces #
imperceptibles que l’œil le plus exercé se trompe agréables
ment dans le passage des unes aux autres. L'homme de
goût est toujours dans les limites des convenances ; s’il
‘s'élève , sa raison conserve toujours l’ascendant , il sait
‘s'arrêter à propos; s’il s’abaisse, c’est sans jamais descendre
au langage commun et trivial.
‘. L'homme de goût est doué de cetté pénétration , de cette
-sagacité qui déméle au premier coup-d’æil tous les rapports
entré les divers objets, de ce sentiment épuré qui saisit
naturellement ce qu’il y a de plus exquis dans chaque sujet,
de cette finesse de tact à laquelle rien n'échappe et
‘n’adopte rien qu'avec discernement.
Mais qui peut contribuer davantage à former le goût, si
ce n’est la connaissance des choses passées, des écrits où
sont consignés les observations , les travaux de rios devan-
ciers ? Qui peut donner le goût, si ce n’est l’érudition Ê
L'érudition que l’on peut appeller le trésor des siècles ; le
dépositaire de tous les âges! L'homme érudit possède cet
immense trésor ; à ses yeux se déroulent les révolutioris qui
ont agité l’univers ; l’origine , les progrès , la décadence , la.
chüûte des empires; il apperçoit cette succession rapide
d’évènemens qui ont partagé tour à tour la scène da
monde , il découvre le spectacle intéressant de tous les
peuples de la terre’, aussi différens les uns des autres par les
traits variés à l’infini. qui les caractèrisent , que différens
d'eux-mêmes, suivant les divers points de vue où ils se
trouvent placés ; les secrets et les merveilles de la nature
‘Jui sont dévoilés; il sait la nomenclature de tous ces
héros qui, après avoir illustré successivement les divers
: âges, semblent se rapprocher comme de concert pour offrir
des modèles dans tous les genres, et exciter l’émulation des
siècles
MÉMOIRES. r
srècles futurs, l’érudit a, pour ainsi dire à sa disposition, les
productions de la littérature, les opinions de la philosophie,
les trésors de la poésie, les chefs-d’œuvre de l’éloquence , les
faits, les pensées, les découvertes de tous les genres et de tous
les siècles, les coutumes, les usages, les mœurs et les tems.
L'érudition enrichit l'esprit , éclaire, lui offre les raison-
nemensappuyéssurles autorités, lès maximes confirmées pat
les exemples, les idées réalisées par les faits. Les plus beaux
ttaits de l’histoire ancienne et moderne lui présentent une
variété de spectacles qui l’amusent et qui l'occupent, qui
l'intéressent et qui l'instruisent. L’érudit possesseur de ces
immenses richesses en fait part à ses contemporains et leur
dispense le trésor des connaissances qu'il à acquises.
Après avoir développé les avantages du goût, après avoit
démontré les ressources que l’on puise dans l’éradition ,
oserai- je parler des prodiges que produit une brillante ima-
gination , qu’enfante le génie ? Oseraï-je peindre cette force
et cette énergie qui s'emparent d’un objet et l’agrandissent,
cette vivacité d'imagination qui communique à ses expres-
sions tout lefeu qui l’enflamme:; cette élévation de cœur et de
sentimens qui imprime à toutes ses productions ce caractère
d’héroïsme qui ravit et transporte? Il n’appaïtient qu’au
génie fort et sublime de démêler les rapports les plus intimes
de l’objet dont il s'empare , d’en sonder toutes les profon-
deurs, de le saisir tout entier, de le subjuguer, de s’en
rendre le maître ; son ardeur etson activité franchissent dans
un instant toutes les barrières qui en dérobent les beautés
aa vulgaire ; la nature a tout fait pour lui; elle l’a affranchi
des épines du travail, elle Lui a ménagé dans l'énergie et la
chaleur qui l’animent une ressource plus sûre et plus rapide;
les pensées fortes et hardies, les idées nobles et généreuses
sont moins les productions que les jeux de son esprit; la
2
8. MÉMOIRES,
magnificence de ses expressions égale la hauteur de ses idées:
la clarté, la vivacité de ses pensées communiquent à ses
paroles leur éclat et leur lumière. Il frappe, à la fois, par
cette richesse d’imagés, cés peintures animées, ces traits
sublimes qui saisissent, qui transportent l'auditeur, qui
l’enlèvent à lui-même et versent dans son esprit tout le feu
de l’orateur ; c’est le torrent qui franchit toutes ses digues ;,
c’est. l'éclair qui sillonne la nue.
Mais. je sens que j'affaiblis les traits qui distinguent ce
magnifique présent de la nature ; le génie seul peut peindre
le génie; et, notre Société qui n’a pour but que d’encou-
rager et de faciliter son développement , ne peut que mani-
fester le vœu qu’elle à formé en se réunissant ; ce vœu qui
n'est fondé sur aucune prétention académique ‘a, pour
unique base l’ardent amour que chacun de ses membres
porte à son pays et le vif désir de voir notre belle France,
déjà si favoriste de la nature, ne rester en arrière dans
aucune des connaissances humaines.
Propager le goût des bonnes études, répandre dans toutes
les classes le désir de l’instruction, dissiper les doutes,
étendre Îles lumières sur les découvertes avantageuses aux
Seiences et aux Arts; populariser, pour ainsi dire, celles
qui concernent l'Agriculture, source de richésses pour ce
Département ; célébrer les évènemens heureux pour notre
pavs, les hommes qui lui ont rendu d’éminens services ;
décerner des récompenses aux inventeurs, aux propagateurs
des méthodes utiles ; indiquer les remèdes éprouvés par
expérience contre les maladies qui attaquent ces animaux
fidèles auxiliaires du cultivateur et destinés à sa nourriture 5
parer aux divers accidens qui nuisent aux moïssons, aux
différens maux qui affligent l'humanité ; encourager les
diverses branches d'industrie, leur indiquer les moyens de
MÉMOIRES 9
perfectionnement , en introduire, s’il est possible, de nou
velles; nous montrer, surtout, toujours pénétrés d’un
respect profond pour la religion et la morale, partageant
amour qui anime tous les Français pour le meilleur des Rois
‘et son'auguste famille ; invariablement attachés à la Charte,
aux institutions qui en dérivent, au dogme tutélaire de la
légitimité, soumis aux lois et aux autorités qui en sont les
organes; c’est ainsi, Messieurs, que nous nous rendrons
dignes de l’augnste protection du souverain éclairé qui a
daigné encôurager notre Société naissante , de notre pays
qui réclame nos services et de nos concitoyens dont l'estime
sera notre plus douce récompense. :
AAA VULUVI BUT UM LL LUE LAN LULU UNE UUR VAL AVR VLU VA LAN
:. RAPPORT
SUR LES TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ,
Pda sante pablionuda ct Aoftie.
PAR M. MARTIN, SECRÉTAIRE ROUE
MESSIEURS,
Lx Société royale d'Arras doit voir dans cette nombreuse
et brillante réunion des citoyens et des habitans du départe-
ment, un empressement généreux à venir sanctionner par
leur présence le rétablissement d’une institution libérale
dont l’expérience d’un grand nombre d’années avait dé-
montré fes avantages, et cet empressement est pour elle
un présage heureux de ses succès, en marchant vers le but
qu'elle se propose d'atteindre. Quelque zèle, en effet, que
chacun de ses membres apporte dans les nouvelles et hono-
rables fonctions dont ils se sont chargés, on conçoit qu'ils
ont dû compter sur ke zèle encore plus puissant de leurs
concitoyeus, et surtout sur la pureté des motifs qui font la
base de leur association.
Un article du réglement de la Société impose à son Sééré.
taire l'obligation de présenter le tableau historique des
travaux de l’année écoulée. Cette tâche que je remplis au-
jourd’hui pour la première fois, suppose nécessairement
une grande indulgence. La Société, encore naissante, n’a
pu need ses travaux cette extension et cette utilité que
MÉMOIRES, FI
le public doit attendré de son institution ; mais, on verr#,
par les efforts qui ont été faits dans cette première année,
ce que l’on peut espérer si, comme fa Société n’en doute
pas, elle est secondée efficacement par cette affection natu-
relle dont chaque citoyen doit être animé pour le pays qui
Ja vu naître. , | |
Cet amour de la patrie commun à tous les hommes est
un mobile puissant qui ennoblit toutes les actions, tous les
sentimens lorsqu'il est bien dirigé ;. il est la source, peut-
être unique de la prospérité des Empires, si toutefois l’igno-
xance ne fournit aux passions aucun moyen de le dégrader.
Dire que l'ignorance est un fléau de l'humanité, c’est
répéter une vérité triviale, je le sais, mais il ne faut pas
cesser d'en fatiguer les oreilles et surtout d’en reproduire la
démonstration sous tous les points de vue qu’elle peut pré-
senter, afin de détruire les derniers argumens de ceux qui
eroient encore devoir nier celte vérité.
La nature a élevé l’homme au-dessus des animaux par un
grand bienfait, en lui donnant Pintelligence. C’est là son
véritable caractère distinctif et peut-être pourrait-on ne pas
décorer-du même titre et l’homme de génie et l'individu qui
n’a pas le sentiment de son existence ; j'appelle ici senti-
ment, non pas seulement cette faculté physique commune
aux hommes, aux animaux et peut-être aux végétaux de
fuir le mal ou la peine, et de rechercher le plaisir, mais
bien cette faculté morale et intellectuelle qui nous associe,
pour ainsi dire, à la divinité, en nous faisant trouver le
bonheur dans l'élévation de l'ame et la pratique des vertus.
En vain , des froids spéculateurs nous diront que ces seu-
fimens sont de pure convention, notre cœur et le leur
même est là qui les dément. Reconuaïssons plutôt qu'ils
sont un des plus beaux attributs de l'hrimanité et que nous
-ÿ2 MÉMOIRES.
me -saurions faire trop d'efforts pour connaître et perfec
tionner en nous ces sentimens, puisqu'ils nous mettent
sur la seule voie qui conduit au bonheur.
Si personne n'ose nier que l'intelligence est le prem'er
bien de l’homme, empêcher ou arrêter son développement
est donc un crime qui blesse la nature et outrage la divinité,
puisqu'il tend à attaquer et à détruire le chef-d'œuvre de la
création ; tandis qu’au contraire, tout ce qui tend à faciliter
ce développement, entre dans les vues de l’être suprême,
puisqu’en formant l’homme à son imige, il l’a doué d’un
ésprit qui se complait éminemment dans la recherche et la
contemplation des secrets de la nature , restés éternellement
cachés à tous les autres êtres animés.
Celte vérité, je dirai même ce besoin si vivement sent
par tous les hommes ; est le premier lien qui les a réunis,
Chacun a reconnu, dès l’origine, la nécessité d'agrandir le
domaine de son intelligence, parce que la puissance ou la
suprématie de l’homme sur tous les objets créés par la
pature est en raison directe du developpement de cette in-
telligence , et comme elle est bornée pour chaque individu
par la brièveté de sa vie et par l’espace que ses sens peuvent
embrasser, on a dù bientôt chercher a s'approprier les
résultats de l'intelligence de ses semblables , afin de rendre.
indéfinies la grandeur de l’espace et la durée de la vie. De-
k , l’origine de la parole, ou moyen de communiquer la
pensée par l'intermédiaire de l’un de nos sens qui est l’ouie ;
mais, ee moyen n’employant qu’un seul de nos sens, il
devint Lientôt insuflisant, et pour le mettre en contact
avec un autre sens, on imagina de donner à la parole une.
forme qui fut du ressort de la vue et l'écriture fut inventée.
Dès ce moment, l’intellisence de l’homme n'eut plus de.
MÉMOIRES. | t35
bornes, et l'esprit humain parvint en peu de tems au degxé
de perfection que le créateur lui avait assigné.
Il faut l'avouer, néanmoins, cetté activité de l'esprit
portait avec elle un germe de destruction, ou au moins de
ralentissement par lequel on dut apprécier l'intervalle qui
sépare l’homme de la divinité; les passions vinrent entraver
sa marche et l’on vit , à diverses époques, des siècles de bar-
barie et d'ignorance venir s’interposer pour arrêtèr cette
activité, et menacer même de la faire rétrograder jusqu’au
point de départ ; mais la nature veillait elle-même à la con-
servation de son ouvrage, et l’on a vu, dans tous les tems,
des hommes planant au-dessus des ténèbres de. ces époques.
désastreuses, conserver, conmme un dépôt, le feu sacré des
connaissances bumaines, leur imprimer même, dans le
silence et te secret ,un mouvement, qui, au moment où elles
pourraient reprendre leur liberté, devait sous l'apparence
d’un mouvement accéléré, les porter au point où elles
seraient parvenues , Si leur marche n'avait point été com
primée. d
Ces dépositaires , sur qui doit toujours se porter la recon-
naissance des hommes, quels que soient les moyens qu'ils
aient employés, se retrouvent à toutes les époques de l’his-
toire , chezles Prêtres de la savante Egypte, chezles Bramines
de l'Inde , dans les réunions du Gymnaze d’Athènes, et enfin
au milieu même de nos Moines modernes, C'est en effet,
dans les cloîtres que l'Europe a retrouvé la Science dans
toute sa pureté, lorsque l’on commença à bannir, il y a
trois siècles, l'ignorance qu’avaient traînée à leur suite
les irruptions des peuples du Nord et de l'Asie dans les pre-
miers tems de l’ère chrétienne. ’
Les hommes qui voulaient donner librement l’essor à
leur génie, avaient cru devoir le couvrir du bouclier de la
[2
34 MÉMOIRES.
religion, et le mettre, dans ces asyles sacrés, hors des
atteintes de la tyrannie qui pesait sur la Société civilisée ;
mais , aussitôt que des mœurs plus douces eurent banni ces.
cra'ules, les savans, liés entre-eux par cette confraternité
du génie, prirent pour unique motif de leurs réunions, cet
esprit de conservation et d'accroïssement des lumières, que
jusques-là ils n'avaient pas osé avouer, et l’on vit bientôt
se former des Sociétés lihres dont les travaux surpassèrent,
en peu de tems, les efforts des illustres Cénobites dont je
viens de parler.
D'un autre côté, les Gouvernemens, mieux éclairés sur
Jeurs véritables intérêts, avaient senti que, lorsqu'ils
veulent être justes et remplir le but de leur iustitution qui
‘est de rendre les peuples heureux, leur puissance et leur
action s’agrandissent par l'accroissement et la propagation
des lumières. Aussi, depuis cette heureuse époque de la
renaissance des Lettres , on les à vus constamment
entourer les savans de leur protection et faire tomber
presqu’exclusivement sur eux les honneurs qui élaient
auparavant l'apanage privilégié de l'ignorance.
C’est ainsi qu’en France, le Roi François L*", et sa sœur
1 Reine de Navarre, honoraient de leur amitié et comblaient
de leurs faveurs l'aimable auteur du roman de la Rose et
J'inimitahle curé de Meudon. Louis XIIT, ou pour mieux
dire Richelieu , élayait de toute sa puissance cette savante
réunion à laquelle le cardinal ministre ambitionnait d’ap-
partenir comme membre, lui qui porta l'ambition à un si
laut point. |
L'Académie, l’Université, la Sorbonne, devinrent , dès-
Irs des foyers de lumières, d’où les connaissances se répan-
dirent sur toute la surface du royaume et amenèrent
MÉMOIRES. 19
promptement une amélioration sensible dans toutes les
classes de la société. L'esprit éclairé des citoyens facilita la
marche du Gouvernement ; les institutions se perfection-
nèrent, et, malgré l’assertion de l'illustre citoyen deGénève,
les hommes virent en général, des jours plus heureux sous
V'influence des lumières.
Comparons, en effet, la condition des peuples en Europe
dans les trois derniers siècles qui viennent de s’écouler avec
celle des dix à onze siècles précédens. Ici, nous voyons la
nature absolument muette, et les hommes trainer dans l’escla-
vage et l’abrutissement une existence pénible, plus mal-
beureuse, peut-être, que celle des animaux, à cause des
désirs vagues, ou des craintes innées, dont l'ignorance la
plus profonde ne peut jamais nous délivrer. Là, nous
voyons des esprits supérieurs, des Montesquieu, des
Galilée, des Descartes, des Newton et une foule d’autres,
créér tous les genres de Sciences pour le bonheur cominun,
imprimer le caractère de leur génie aux hommes et aux
tems, les faire jouir de tous les bienfaits de la nature, et
leur assurer à jamais , l'usage des droits qu’elle leur a don-
nés. N'est-ce pas enfin à cette influence des lumières que
nous devons le système des monarchies constitutionnelles,
qui se ‘présente aujourd’hui comme le seul moyen de ter-
rasser pour jamais l’hydre de l’anarchie, soit qu’elle se
pare du manteau de la féodalité, soit qu’elle revête les
baïllons de la licence; comme le seul moyen aussi de
garantir aux hommes la liberté et légalité de leurs droits.
Riche de ces trésors , on voit surtout le 18.°siècle marcher“
d'un pas assuré dans la route que les deux siècles précédens
lui avaient tracée; appliquer aux Arts les brillantes théories
des Sciences naturelles, et mettre ainsi ces théories à la
portée de toutes Les classes de la Société.
_*
16 MÉMOIRES.
L'esprit de libéralité qui forme le caractère &stinctif de
cette époque, joint à l'exemple donné par les réunions
‘d'hommes à talens formées dans la Capitale, avaient depuis
longtems excité l’émulation des principales villes du
Royaume. Déjà , des Sociétés d’Arts , de Sciences et d’Agri:
culture s’élevaieut dans les provinces et devenaient entre les
mains de l’administration des instrumens utiles au succès
_ de ses vues. Plusieurs villes voisines se glorifiaient d’asso-
ciations semblables formées dans leur sein, lorsque quelques.
hommes recommandables conçurent le projet de faire jouir
Ja capitale de l’Artois des mêmes avantages, et l’on vit, pour.
la première fois, se former à Arras une Société littéraire.
composée des citeyens les plus distingués de la ville et de
la province. |
Je n’entreprendrai point de vous donner ici, Messieurs ,
Phistorique de celte Société et l'analyse de ses travaux ; ils.
font l’objet d’un mémoire spécial qui sera inséré dans Ja
collection destinée à être mise sous les yeux du public.
_ Je vous dirai seulement que, pendant les 55 années de son
existence , cette Société a été animée des intentions les plus
généreuses envers ses concitoyens, et que , sans aspirer à
remplir le monde savant de sa réputation littéraire , elle
n'en a pas moins acquis des droits à la reconnaissance.
publique par ses recherches et par les lumières qu'elle a
répandues sur l’histoire de son pays, par ses efforts pour
y naturaliser le goût des Belles - lettres, et enfin, par
l'extension qu’elle a donnée à l'Agriculture de l’Artois, en
provoquant la solution de diverses questions de la plus
haute importance pour le sol de cette province. |
La dernière biste de ses Membres vous rappellera, sans
doute avec plaisir, que cette Société a contribué , peut-être,
à développer le génie de deux hommes dont les noms appar-
MÉMOIRES. 37
tiennent à l'histoire ; je veux parler des généraux Carnot et
Marescot, qui habitaïent alors la ville d'Arras. Emules, tous
les deux des plus grands capitaines de leur arme , le premier
est reconnu, sans contredit, pour l’un des plus brillans
flambeaux des Sciences modernes, et l’autre, surnommé le
Vauban du ro.” siècle, jouit, en ce moment, de la confiance
entière de notre Movarque, et a bien voulu agréer le titre de
membre honoraire de la nouvelle compagnie,
La Société littéraire d'Arras , honorée par nos Rois dw
Utre d’Académie royale , subit, en 1793, le sort de toutes
les institutions ; engloutie dans le cahos qui menaçait la
société civilisée , elle dut cesser ses travaux et remettre,
dans les mains de l'Autorité, le dépôt de ses recherches ,
comme un germe destiné à fructifier sous un climat plus
propice ,; et dans un tems plus favorable à son développe-
ment.
Cette époque de nos désastres ne fut cependant point
perdue pour les Sciences et les'Arts ; leur marche prit »
au contraire , un accroissement rapide dont la cause ne se
trouve que dans l'excès même de nos maux.
D'un côté , les riches citoyens des villes, forcés de fuir
ka tyrannie qui pesait particulièrement sur eux , allèrent
habiter les campagnes, où apportant dans la culture de
leurs domaines, une industrie qui était le fruit de leur
éducation , ils firent sentir l'avantage des méthodes nou-
vellement découvertes, aux paysans qui les imitèrent,
et introduisirent ces méthodes dans leurs exploita-
tions. (1) C’est cette cause, qui jointe , peut-être , à Îa
(5). Anthe Costaz ; Essai sur l’adm. de l’Agric. p. 73 et 74.
18 MÉMOIRES.
suppression des maïn-mortes, a porté en France, depuis:
25 ans , l'Agriculture à un si haut point de perfection.
D'un autre côte, la nécessité de défendre notre indé-
pendance nationale , menacée par l’Europe entière , donna
un nouvel essor au génie des Français. qui enfanta des
prodiges. Animés par lé désir de rendre permanente cette
influence du génie , ils créèrent des institutions qui ont
amené les Arts au point de splendeur où nous les voyons
aujourd’hui. L'École Polytechnique, le Bureau des longi-
tudes, les Conservatoires et les éco!es des Arts et Métiers , les
Expositions de l'Industrie nationale , enfin la Société formée
à Paris pour l’encouragement de cette industrie, sont autant
de monumens que l’Europe nous envie, qu’elle s’efforce
d'imiter , et qui assurent à notre patrie une gloire aussi
imposante que celle qu’elle a acquise par ses armes.
Malgré cet élan donné à l'industrie française , la province
de PArtois était restée pour ainsïdire stationnaire, quelques
améliorations apportées à l'Agriculture et dues, en grande
partie, aux travaux de l’ancienne Académie, l'extension
donnée à la fabrication etau commercedes huiles, semblaient
satisfaire son ambition ; mais les citoyens éclairés sentaient
la nécessité de ramener leur pays au niveau des connais-
sances du siècle , et, pour atteindre ce but , ils concçurent
le projet de redonner l’existence à cette ancienne associa-
tion dont ils avaient déjà retiré de si grands avantages.
L'exemple venait de leur être donné par une ville voisine
qui , quoique ne faisant point partie de l’ancienne province
d'Artois , était liée d'intérêts avec sa capitale par son incor-
poration au mêine Département.
La ville de Boulogne possédait, depuis quelques années ,
une Société d'Agriculture dont les travaux étaient reconnus
MÉMOIRES, _ 19
infiniment uliles, et exerçant une grande influence sur la
prospérité de cet art dans cette partie du Département.
. L'époque de la restauration parut, aux citoyens de la
ville d'Arras, une circonstance favoralkle pour demander
le rétablissement de l’ancienne Académie et le vœu en fut
émis par le Conseil d'arrondissement , dans sa session de:1816.
Voussavez, Messieurs, avec quelle bienveillance toutes
les idées généreuses et libérales étaient reçues par le digne
magistrat qui présidait alors à l’administration de ce dépar-
tement. (1) Aussitôt que la pensée du rétablissement de
l'ancienne Académie lui fut soumise, il s’empressa de
l’adopter , rédigea le projet des statuts généraux qui devaient
fixer l’organisation de cette nouvelle compagnie et envoya
ce projet , le 22 mars 1817, à la sanction de Son Excellence
le Ministre de l’intérieur.
Le titre de Société royale d'encouragement pour les
Sciences, les Lettres et les Arts parut convenable à son insti-
tution dont le but était de contribuer au perfectionnement
de toutes les branches utiles des connaissances et principa-
lement de celles dont l'amélioration peut intéresser particu-
lièrement le Département du Pas-de-Calais,
La Société fut composée :
D'un nombre indéfini de Membres honoraires :
De trente Membres résidens ;
Et d'un nombre indéfini de Membres correspondans ;
domiciliés hors de l’arrondissement d'Arras. |
Son Excellence le Ministre de l’intérieur , par sa lettre
du 2 mai 1817, approuva le projet de statuts généraux ainsi
i
(1) M. le Baron Majouet,
20 MÉMOIRES.
qu’une liste de onze Membres qui lui avaient été présentés
et qui, adjoints aux cinq antiens accadémiciens encoré
existans à Arras, devaient former le noyau de la nouvellé
Société, et completter ensemble le nombre des résidens.
Monsieur le Préfet, par un nouvel arrêté du 7 mai;
ordonna l'installation de la nouvelle Société , et la nomina-
tion par ellé des 14 Membres qui devaient éompletter lé
nombre de trente résidens. L'installation fut faite le 15 du
même mois par M. Lallart, Maire de la ville d'Arras, et le
procès-verbal de cette cérémonie, dressé en sa présence , et
signé des Membres rassemblés , fut transmis à Monsieur lé
Préfet, :
Immédiatement après cette installation ; la Société se
constitua sous là présidence provisoire de M. Thieulaire
d'Hauteville, l’un des anciens académiciens , doyen d’ägé
patmi les Membres présens ; M. Garnier, le plus jeune, Fut
chargé des fonctions de Secrétaire. Ensuite, elle procéda ;
sans désemparer , à la nomination des Membres qui devaient
Ja completter.
. Les séances suivantes fürent consatrées à la formation
du bureau.
Un article des Statuts avait prescrit à la Société l’obli-
gation de déterminer , par ua règlement particulier , l’ordré
et la distribution de ses travaux , le nombré et la tenué
de ses séances , la régularisation de ses dépenses , et géné-
ralement tout ce qui devait concerner son régime intérieur.
On lui avait fixé le terme de six mois pour la rédaction
de ce réglement , et en conséquence , elle chargea , dans sa
séance du 27 juin 1817, une commission d’en préparer le
projet. Cette commission emplova tout le mois de juillet
à la confection de son travail , qu’elle présenta à la Société
dans sa séance du 2 août suivant , et la discussion en fut
MÉMOIRES, _ 24
ouverte aussitôt, mais elle était d’une si haute importance
que cinq séances consécutives lui furent consacrées pres-
qu’exclusivement , et ce ne fut que le 5 novembre que la
rédaction définitive en fut adoptée, transcrite sur le registre.
des délibérations et sizn'e de 26 Membres.
À peine la Société eut-elle completté par cet acte son,
oanisation définitive, qu’elle s’empressa d'inviter plusieurs -
hommes éminemment recommandables par leurs talens et.
leur mérite supérieur à partager les nobles travaux qu’elle
venait de s'imposer. |
Cet appel ne fat pas infructueux ; les uns sous le titre
de Membres honoraires ont bien voulu laisser refléchir
l'éclat de leur nom sur la Société, et les autres, sous le titre :
de Membres correspondans, lui ont assuré pour l'avenir une
ample moisson de matériaux littéraires dont la Société fera:
jouir ses concitoyens à mesure qu'ils lui parviendront.
La liste de tous ces Membres, ainsi que celle des résidens,.
sera insérée dans la première livraison des Mémoires qui
doivent être publiés.
Déjà, dans sa séance du 2 août 1817, la Société avait été
invitée par M. le Préfet , à prendre connaissance d’un projet
de Code rural rédigé par ordre du Gouvernement. M. le
Préfet priait la Société de lui transmettre les réflexions que la
lecture de ce projet pourrait lui faire naître, pour être
envoyées à Son Excellence le Ministre de l’intérieur. Une
commission spéciale fut chargée de présenter un travail
sur cet objet. Mais, l’immensité des détails que renferme ce
Code , et la variété des articles dont il se compose , ayant
obligé cette commission à mettre dans Jeur examen toute
l'importance que cette matière nécessite, ce n’est que dans
une des dernières séances qu’elle a pu présenter son rapport
à la Société qui le discute dans ce moment, et espère
22 | MÉMOIRES.
pouvoir soumettre le résultat de ses méditations À M. le
Préfet , assez à temps pour que ce résultat soit mis sous les
yeux du Gouvernement avant Îa prochaine session des
Chambres législatives. M
La Société considérée dans son institution, comme suc-
cesseur immédiat de l’ancienne Académie d'Arras , a regardé
comme un devoir sacré pour elle le besoin qu’elle a éprouvé
de manifester ses sentimens et d'adresser son hommage à la
mémoire de cette compagnie. ÉMe chargea, en conséquence,
une commission de faire les recherches nécessaires pour
parvenir à former l’historique de l’ancienne Académie et de
présenter une analyse raisonnée de ses travaux depuis san
origine jusqu’à sa dissolution. Le résultat de ces recherches
forme, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire,
l’objet d’un Mémoire qui sera inséré dans sa collection.
Mais, le plus important des devoirs de la Société, était
celui de fixer ses regards sur l’encouragement de l’industrie
dans la ville d'Arras ; elle n’ignorait pas qu’il y existe deux
nouveaux établissemens susceptibles par leur intérêt, de
fixer toute lattention des citoyens, et Ha protection de
l'Autorité. Déjà, dans les premières séances de sa formation,
elle avait donné un témoignage de sesintentions à cet égard,
en appellant dans son sein lés déux chefs de ces établisse-
mens; mais ce n'était pas tout , la Société voulant les
encourager d'une manière plus directement utile , résolut de
prendre une connaissance particulière de leur régime , et de
publier les résultats que cette connaisance lui aurait donnés.
Elle envoya , en conséquence, des commissaires dans chacun
des établissemens , et leur donna la mission spéciale d’en
étudier le mécanisme et les procédés , et de lui présenter un
rapport circonstancié sur chacun.
Le premier est la fabrique de sucre de betteraves élevée
par
#—-
Fe d
MÉMorres. 23
par M. Crespel d’Ellisse, dans la basse - ville, près les
promenades. Vous avez sous vos yeux, Messieurs, quelques
échantillons des produits de cette fabrique et vous serez
peut-être étonnés d'apprendre , maïs vous l’apprendrez
avec plaisir , que l’état de paix ne peut point , comme on
le pensait, porter atteinte à la prospérité de cet élablisse-
ment. Il est tellement perfectionné dans ce moment , qu’il
met dans le commerce une moscouade plus blanche et
plus sèche # celle provenant de la canne à sucre, au
prix de o ". go‘. à 1 ©. le demi-kilogramme , ou livre de
por tandis que la moscouade de canne se vend de 1 “:
20°. à 1 Fr, 40°. le demi-kilogramme. Les détails intéressans
que présente cet établissément sont consignés dans un
mémoire dont un membre de la Société va vous donner
lecture. Puisse-t-il contribuer à appeller l'intérêt et la
confiance du public sur cette fabrique , dont les succès
tendent à délivrer notre patrie d’un tribut onéreux envers
létranger , puisque la France ne possède, pour ainsi dire
plus, aucune des Colonies où croît la canne à sucre.
Le second établissement est celui des constructions de
machines formé à Blangy , par M. Hallette fils, Ingénieur-
mécanicien , pour le service des usines de tout genre , mais
plus spécialement de celles destinées à la fabrication des
huiles , dont le commerce est une des plus peine richesses
de l’Artois.
La réputation de M. Hallette comme habile conéléacteur
est aujourd’hui tellement étendue, non seulement dans le
Département, mais dans la France et même chez l'étranger,
que son nom seul deviendra bientôt le garant de la perfec-
tion des machines qui sortiront de ses ateliers ; ainsi, sous
ee rapport, peut-être, son établissement pourrait se passer
de l’encouragement .et de l'approbation de la Société ; mais
L 1. Livr, 3
t
54 MÉMOIRES.
si cet encouragement n’est plus utile à M. Halletie, fl est
du devoir de la Société de faire tous ses efforts pour déter+
miner les citoyens de la ville d’Arras et les habitans dû
Département à profiter, les premiers ; des avantages que
présentent les machines des ateliers de Blangy.
M. Mallette, fils, doué par la nature du génie de là
mécanique, ayant été frappé des vices innombrables que
présentent les moulins dans leuür construction , à conçu
divers projets de perfectionnement , qui tous ont reçu la
sanction de l’expérience , et les propriétaires ou fabricans
dont il a dirigé les travaux se félicitent aujourd’hui de leur
confiance et rendent hommage ä8es talens.
Je m’abstiens de vous donner une description des ateliers
de M. Hallette ; vous en verrez les détails dans le rapport
qui a été fait à la Société, et dont elle a jugé convenable
qu’il vous fut donné lecture dans cette séance.
Quelqu'attrait que présente l'étude des Sciences exactes
et leur application aux Arts utiles, ne croyez pas,
Messieurs, que la Société s’en soit fait une occupation
exclusive ; elle n’a point sacrifié aux Sciences l’étude des
Belles-lettres; elle sait trop combien celles-si influent
puissamment sur le bonheur des hommes; elle n’ignore
pas que les Belles-lettres excitent et récompensent , à la
fois, les vertus guerrières et civiques, en signalant à la
reconnaissance des nations, ceux qui se sont distingués
par la pratique de ces vertus. Aussi, a-t-elle accueilli avee
un véritable plaisir plusieurs mémoires et morceaux de
poésie qui lui ont été présentés et dont quelques-uns vont
vous être lus. Vous distinguerez surtout parmi ceux ci
l'ouvrage d’un des jeunes citoyens de cette ville, Membre
résident de la Société, et déjà avantageusement connu par
MÉMOIRES: | 25
Qrelques pièces fagitives, qui lui ont fait oblenit dessuccès
dans cette carrière si brillante, mais si difficile. |
La Société éprouve le regret de ne pouvoir faire connaître
en ce moment, tous les ouvragés que chacun de ses
Membres lui a remis; les bornes naturelles d'une séance
publique ont dû lui servir de régulateur dans le choix
qu’elle en a fait; mais elle se console par l’idée que tous
ces ouvrages seront mis sous les yeux du public dans les
Mémoires de la Société Cependant, elle croit ie C
d'avance, vous en donner la nomenclature.
M. Bergé de Vassenau, l'un des Membres résidens, est
l'auteur du mémoire dont j'ai eu l'honneur de vous parler
sar l’historique et les travaux de l’ancienne Académie
d'Arras. à
L'un de Messieurs les Professeurs du, Collège nous a
annoncé et promis un précis historique de l’enseignement.
. M. Pellet d'Epinal, lan de nos Membres correspondans ;
ous à envoyé plusieurs morceaux de poésie, dont deux
vont être lus dans cette séance. oo
M. Henry, de Boulogne, nous a transmis un mémoire
antéressant sur un monument Druidique dont on voit
encore les restes au village de Ferques, près Landrethun:
Û
M. Courdent de St. Vénant nous a adressé la relation dé
son voyage à Taäbago, en forme de lettres écrites en prose
mêlée de vers.
© M. Caventou, fils, de St Omér, Pharmacien à Pariss
après nous avoir envoyé un examen chimique de la Coche-
nille et de sa matière colorante, qui a été lu à l’institut le 20
avrildernier , s’est empressé dé nous annoncer la découverte
qu'il vient de faire, conjointement avec M. Pélletier, d’une
26 MÉMOIRES.
npuvelle substance alkaline qu’ils ont soumis, le 10 de te:
mois, à l’Académie des Sciences de Paris. M, Caventou
nous enverra son mémoire aussitôt qu'il sera rédigé ; il
nous annonce d'avance , que ce nouvel alkali, extrait de la
noix vomique et de la fève de St. Ignace , a reçu le nom
dela Vauqueline,commeunhommage au célèbre Vauquelin,
qui a le premier entrevu des propriétés alkalines dans les
substances végétales,
M. Mutel, de St. Die. a offert à la Société un essai
sur la nymphomanie, et il Jui a soumis un éloge, qu’il va
publier , du célèbre Parmentier.
M. Leviez, Directeur de l'école de médecine, a présenté
un essai sur les maladies particulières au Département du
Pas-de-Calais , et sur les causes qui les produisent.
M. Williaume, Médecin, a envoyé un mémoire sur les
sépultures des anciens ; son collègue, M. Mercier, a donné
un ouvrage qui a pour titre : Considérations sur les causes
de la phtisie pulmonaire, plus particulièrement be
chez les femmes.
__ Outre les deux rapports dont j'ai eu l'honneur de vous
parler sur les établissemens d'Arras, M. Aimé Burdet,
Membre résident de la Société, a lu un mémoire sur les:
distilleries de St. Omer ; une description de l’ile de Tino, dans
le golfe de la Spezzia , et il a annoncé un essai sur les pro-
priétés et le tracé des courbes horizontales équidistantes ,
suivi de la .comparaison de ces courbes avec les lignes de
plus grande pente et de leur emploi dans les reconnaissances
militaires; il a donné ensuite, au nom de son frère,
Membre correspondant, deux morceaux de poésie, dont
Jun est intitulé l'Avocat conscrit, et l’autre vers à une
MÉMOIRES, 27
Dame qui veut convertit son jardin —. ex an à jardin
anglais. | |
M. le Chevalier Allent, Conseiller détat, Pan des Mem-
‘bres honoraires , a envoyé à la Société nn mémoire sur les
surfaces d'équilibre des fluides imparfaits. |
M. Anthelme Costaz a donné l'essai qu’il vient de publier
sur l'administration de l’Agriculture, du Commerce, des
Manufactures et des Subsistances.
M. Godefroy, Membre correspondant, à st. —. a
fait remettre un traité sur la Mac quia ravagé la
Navarre en 1812. +. |
- M. Duchateau, Ehirurgien à Arras, a tu an mémoire sur
la topographie médicale de cette ville,
Enfin, M. Raymond, Ingénieur géographe, Fun des
Membres correspondans, a envoyé un exemplaire desa belle
carte physique et minéralogique du Mont-blanc et des
montagnes et vallées qui One: carte qu'il a pod.
dessinée et gravée lui-même: |
me énumération que je viens. de VOUS faire des ouvrages des
Membres de la Sociélé ne doit pas exclure ceux des ama-
teurs qui ont bien vouju prendre part à ses travaux.
‘M. Armand Fromentine, d'Arras , a donné une ode sur le
pouvoir de la musique, avec cette épigraphe : « Dos sen
=. sibilité fait tout notre génie, » —
M. Périnet, ancien professeur à l'hôpital militaire da.’
Val-de-grâce, a communiqué un mémoire sur les moyens de
préserver l'eau potable de la corruption dans les de de
long cours.
- La Société remercie ces.auteurs de leurs louahles efforts
28 MÉMOIRES.
et elle Îles réunira à ceux de ses propres Membres ue la
collection qu’elle doit publier. :
. Telle est jusqu’à ce jour, Messieurs, l'analyse que la
Société royale d'Arras peut vous présenter de ses premiers
travaux; elle ne se dissimule. pas qu'ils ne sont point eu
rapport avec l'importance de son institution; mais elle
attend de'puissans secours du tems et du zèle de ses. con-
citoyens, et elle ose se flatter que ces travaux offriront , dans
les années suivantes, des résultats plus étendus et une
influence plus marquée sur l'amélioration des Sciences, des
Æettres et des Arts daus le Département du Pas-de-Calais;
du moins elle ne néglisera rien pour atteindre ce but. Elle
provaquera, autant qu’il sera en son pouvoir, la propaga-
tion des méthodes d'Agriculture déjà reconnues générale
ment utiles et qui n'ont point encore été introduites dans
le Département ; elle s’effarcera de faire adopter l'emploi des
machines récemment inventées pour préparer, sans le
pernicieux concours des, eaux stagnantes, le chanvre et le
lin , qui font la richesse de l'arrondissement de Béthune. I]
entre dans ses vues de rechercher les moyens de fabriquer les
plus beaux fils à dentelle, pour élever, s’il se peut, dans
cette partie, Pindustrie des Han + Artois au niveau
de celle de leurs voisins. : . -
Elle attirera l'attention des bons citoyens, vers les objets
d'utilité publique, je dirais même ,-de première nécessité,
qui manquent à la ville d'Arras, Quelle opinion , en effet,
V'élranger prendrait-1 de la capitale de l’Artois, si dans la
descriplion, d’ailleurs intéressante, qu’on pourrait lui en
faire, on lui disail: que malgré une rivière et de belles
sources qui passent au pied du coteau sur lequel elle est
bâtie , il n’existe dans cette ville aucune fontaine publique,
et que 5es habitans sont réduits à l'usage de puits très-
MÉMOIRES, 29
profonds, dont une grande partie ne fournit que des eaux
séléniteuses, etqui , par conséquent, ne sont point potables;
sion lui disait : que la ville d'Arras, centre du plus beau
et du plus riche commerce du nord de la France , celui des
grains, ne possède pas une seule halle, tandis que toutes
Jes villes voisines, qui s'efforcent de lui enlever cette saurcg
de. rithesses, offrent aux négocians des halles sûres. et
<ommodes.
« Monintention n’est point de. dons: ici la nomenclature
. des: améliorations que réclame la ville d'Arras, car il ne
s'agit pas seulement de dérouler le tableau du bien que log
veut faire , mais d’entrenrendre. ce bien et de le mettre à
exécution avec cette sage lenteur qui commande la con:
fance publique et: qui assure son saccès.
Je terminerai ce compte rendu des travaux de la Société
par l’annonce. des sujets. d’un eençours qu’elle a résolu
S'ouvrir pour l’année.18r0,
La Société propose dans ce concours la solution de deu
questions d'économie rurale , ét elle invite les amateurs des
Belles-lettres à traiter deux sujets qui intéressent la gloire
de la ville d’Arras et du département du Pas-de-Calais.
Sur la première question , elle ofre.-une .midaille d’or de
da vileur de 360", à Pauteur du meilleur mémoire sur les
moyens d'introduire la culture en. grand de la pomme de
terre dans les divers systèmes d’assolemens. en usage dans
de Département. du. Pas-de-Calais, et sur les avantages
qui en résulteraient.
Depuis son' introduction en France , la pomme de terre
est cultivée dans ce Département; mais, jusqu’en 1816,
sa culture avait pris peu d'extension, et les produits qu’on
en retirait, n’augmentaient pas , sensiblement , la masse de
<baque récolte; les cultivateurs ne plantaient que ce qu’il
30 MÉMOIRES.
fallait pour leur propre consommation, et bien peu son-
geaient à en faire un objet de commerce. Il s’en consommait
encore moins dans les villes, dont les habitans étaient loin
de penser que la pomme de terre pouvait, sans aucun
inconvénient, et souvent encore, avec une grande éco=
nomie , être substituée au pain,
Les deux années qui viennent de s’écouler ont fait con-
naître tous les avantages que l’on peut retirerde ce tubercule;
aussi sa culture en est-elle considérablement augmentée,
et, pour beaucoup de cultivateurs, elle est devenue l’un des
objets les plus importans de leurs travaux.
: La Société, persuadée qu’il importe de donner le plus
dextension possible à cette culture, et surtout d’en assurer
la continuité , a cru devoir appeller l'attention des Agricul-
teurs sur les résultats que pourrait avoir la culture en grand
de la pomme de terre, en combinant cette culture avec les
divers systèmes d’assolemens suivis dans le DER RER
du Pas-de-Calais.
+ Elle désire que cette note soit examinée had
ment sous ces deux points de. vue : 1.° Relativement aug
terres qui sont laissées en jachères à des intervalles pério»
“ques plus ou moins rapprochés ;
2.° Relativement aux terres qui produisent chaqueannée.
+ Dans le 1. cas, il conviendrait de chercher si la culture
de la pomme de terre peut être substituée aux jachères;. où
si, du moins, elle peut être introduite dans la période de
l’assolement , de manière à augmenter cette période d'une
ou plusieurs années; et dans l'hypothèse où il faudrait se
borner à substituer la pomme de terre à un autre produit,
quels seraient les résultats de cette substitution ?
+ Dans le second cas, c’est-à-dire , relativement aux terres
qui produisent chaque année , il faudrait également déters
MÉMOIRES. st
miner quelles sont les plantes après et avant lésquelles
l'expérience a prouvé qu'il était plus convenable de planter
la pomme de terre , et quelle différence de valeur il pourrait
avoir entre le produit en pommes de terre et celui auquel |
il serait reconnu avantageux de le substituer.
Il est indispensable que les mémoires qui seront adressés
à la Société sur cette matière ne soient pas établis seulement
sur des calculs et des considérations bypothétiques ; ; ils
devront avoir pour base , soit des expériences faites dans le
Département même , soit au moins les résultats d’expérien-
ces faites hors du Département , , mais dont les conséquences
seront applicables à la nature de son sol et aux divers modes
de culture qui y sont en usage.
Seconde Question. L
Quels sont les moyens les plus bn de pole
L chaume dans les couvertures des habitations rurales , o1s
tout au moins, de faire disparaître les dangers et les i incons
æéniens de cette espèce de couverture ?
Tout le monde connaît les dangers et les inconvéniens
que présente l’usage malheureusement trop commun dans
ce pays, de couvrir les babitations rurales en chaume , et
chacun hâte de.ses vœux l’époque où cet usage, déjà pros-
crit par l'Autorité dans plusieurs Départemens , le sera dans
celui du Pas-de-Calais; mais cette proscription peut - elle
avoir lieu sans porter un grand préjudice aux habitans
pauvres des campagnes , dans l’état actuel de l’art du
couvreur ? |
Il est constant que le mode de couverture en chaume est
le plus économique , tant pour la charpente que pour la
toiture ; maïs on est fondé à croire qu'il ne présente que ce
seul avantage , car l'exemple des eultivateurs aisés qui se
5
Ba MÉMOIRES:
hâtent de couvrir leurs granges en tuiles ; ou -en ardoises.
peut ne pas laisser croire aux prétendus avantages qu’on
attribue exclusivement au chaume pour la conservation des
_ grains. . ss
L'économie, la légèreté jointe. à la solidité et l'incombustie
bilité; ou du moins l’impossibilité de propager les incendies,
telles sont les conditions essentielles du problème dont là
Société propose la solution-en demandant un nouveau mode.
de couverture pour les habitations rurales,
Déjà, plusieurs moyens ont été présentés aux Sociétés
dvanies pour remplir ce but. On a proposé d’enduire les
couvertures ,; les uns d’une composition de craie, de
goudron et de sable ; les autres, d’un mastic composé de
chaux vive, de rognures de peaux de gant, ou biea d’une
pâte formée par la macération des plantes qui ont un suc
laiteux ou visqueux tels que l’euphorbe, les racines de
chicorée, les menues branches de figuier. Un anglais, M.
Loudon, a imaginé de substituer aa chaume, des cartons
incombustibles dont il a donné fa composition. If assure
que les fermes en Ecosse, et plusieurs manufactures des
comtés d’Yorck et Herts' sont couvertes de cette manière
‘et'que cette méthode présente de grands avantages ; mais
Vincombustibilité n’a pas paru assez démontrée:
La Société désire que ce but soit rempli en France
avec des moyens analogues , et elle offre , à cet effet, une -
médaille d’or de la valeur de troïs cents francs.
Le sujet de poésie est : Re 1
__ Une ode sur la délivrance d’ Arras , par le maréchal de
Turenne, le 25 août 1634.
Le Roi St. Louis, ayant érigé le comté d'Artois en ces
de son frère Robert , les descendans de ce prince s’y succé-
dèrent jusqu’en 1369, que Marguerite de Flandres, Fun
MÉMOIRES, 33
d'eux ; épousa Philippe duc de Bourgogne ; dans la maison
duquel le comté d'Artois fut dès-lors transporté. .
Cependant Louis XI révendiqua cette possession et prit
la ville d'Arras le 3 mars 1477; mais une surprise de nuit
l fit rentrer le 5 novembre 1492 sous la domination des
ducs de Bourgogne, et c’est comme héritier de cette maison
que l'Empereur Charles-Quint , fils de Philippe archidue
Autriche , et de Jeanne FAURE la posséda et en fit
une province ER ;
Ce ne fut qu’en 1640, sous le _— de Louis XI que
Ja ville fut prise par les Français conduits par les maré-
chaux de Chatillon, La Meilleraye et de Chaulnes , à la
vue d’une armée Espagnole beaucoup plus nombreuse que
celle des assiégeans , et commandée par le Cardinal-Infant
‘Ferdinand, frère de Philippe IV.
Les Espagnols, quoique déjà humiliés et battus à Rocroÿ
et à Lens, voulurent reprendre Arras et en commencèrent
le siège en juillet 1654 ; mais déjà Turenne conduisait les
Français x ha victoire ; il accourt de: Stenay, bat complète-
ment l'armée Espagnole le 25 août suivant, délivre la ville
menacée dune domination étrangère , , et en assure la
possession à la France , à qui elle fut reconnue par le
traité des Pyrénées ‘de 1659. HE
La Société propose ces deux évènemens et surtout Île
dernier, pour sujet d’une Ode qui en ferait sentir l'impor-
tance , puisque c'est à ces événemens que les habitans de
PArtois doivent le titre glorieux Français qu ils avaient
perdu pendant 148 ans.
Le prix sera une médaille d’or de la valeur de 200 fr,
" Le'‘second sujet de littérature est : | .
7 L'éloge historique de Monsigny. ES :
Une galerie des hommes illustres du pays, doit êlre pour
34 MÉMOIRES.
æhaque ville, le plus beau monument dont elle à droit de
s’énorgueillir. Semblable à la mère des Gracques, elle montre
‘ses enfans à l'étranger, comme ses plus beaux titres à la
gloire , et elle les met sous les yeux des citoyens, comme
des modèles à suivre. |
Monsigny a acquis dans la carrière des beaux arts une
renommée européenne, et Monsigny est né à St. Omer,
l’une des principales villes du département du Pas-de-Calais.
La Société voulant rendre un hommage éclatant à son
génie, donnera une médaille d’or de la valeur de 200 fr. à
l'auteur qui aura le mieux traité l’éloge historique de ce.
célèbre musicien. |
Clauses et conditions du Concours.
Les morceaux de poésie, les mémoires , descriptions, ren-
geignemens , échantillons , seront adressés franc de port,
au Secrétaire perpétuel de la Société royale d'Arras pour
J’encouragement des Sciences, des Lettres et des Arts. Ils.
doivent étre remis avant le 15 juillet 1819. Ce terme est
de rigueur.
Les étrangers au Département , ainsi que les Membres
corréspondans de la Société, sont admis à concourir; les
Membres honoraires et les Membres résidens sont seuls
exclus du concours.
Les concurrens ne mettront pas leurs noms à leurs:
mémoires , mais seulemeut une devise, etils y joindront
un billet cacheté, renfermant la même devise, leur nom,
et l'indication de leur domicile.
Les prix seront décernés dans la séance pablique. du
mois d’août 1819 , etles médailles seront remises à ceux
qui auront obtenu ces prix , ou à leurs fondés de pouvoirs.
L :
‘Lo
ÉLÉGIE
SUR LA MORT D'UN A MI.
| Le sort L fait les parens, le choix fait les amis,
DeztLre,
EE
ADIEU gaîté, plaisirs, aimable ivresse : :
Doux sentimens qui faisies mon bonheur:
Mon cœur navré que flétrit la tristesse
Peut - il encor goûter votre douceur ?
Sourde à mes cris la mort inexorable,
O mon ami! viens donc nous séparer! Po
Tout m'est ravi dans mon sort déplorable
Hors la douceur , hélas ! de te pleurer.
Un doux penchant nous unit dès l'enfance:
Tout, entre nous, fut toujours de moitié.
. Tout est commun, et plaisir et souffrance,
Aux cœurs qu’anime une tendre amitié,
Éprouvait - il une secrète allarme ?
Mon cœur savait la lui faire oublier:
Et si mon œil répandait une larme,
C'était sa main qui venait l’essuyer,
Momens heureux ! délicieux délire !
Comme un éclair vous êtes disparus,
Je reste seul, seul je pleure et soupire;
Un tendre ami ne me console plus.
De ses beaux jours, pourquoi dans ta colère,
Destin cruel, éleins -tu le flambeau ?
Ne pouvais tu, sensible à ma misère,
En l'épargnant m'entraîner au tombeau ?
Mais non : ma mort eut obscurci sa vie;
Aurait- il pu s'en consoler jamais ?
LP
86
MÉMoIREs.
Fe l’ai perdu, mäis sa péine est finié #
Je souffre encor, mais il repose en paix:
Près de la tombe où j'ai placé ta cendre,
Je te viendrai raconter ma douleur.
Peut-être encor ton ombre peut m’entendre. ; à
Je jouirai de cette douce erreur.
Au sein du Dieu, père de la nature;
. Goûte la paix qui doit t’appartenir ;
Et plein d'espoir j’attendrai sans murmure, .
L'instant qui doit, ami, nous réunir.
: Auguste COT, Wembre résident.
Are ere eenmemmenammnmanauummav ie
LES ROSES, L'IMMORTELLE ET LE SCARABÉE.
FABLE,
DAXxS un parterre’ orné dè mille fleurs ,
Des Roses étalaient leurs brillantes couleurs;
Et tour-à-tour chacune d'elles
Rabaïissant Péclat de ‘sa:sœur,
Disait ‘en s’admirant : je suis bien a plus belle!
Mes feuilles ont plus de fraîcheur,
J'exhale une plus douce odeur, .
Peut-on nous mettre en parallèle ?
Elle a quelques attraits, j'en conviens, di par
Je dois avoir la préférence, -
. C’est aïnsi que la suffisance
Les aveuglait également.
Charmés d’un éclat éphémère,
Tous les papillons d’alentour
A chaque rose tour-à-tour ,
En voltigeant faisaient leur cour :
Et doucement de leur aile légère
MÉMOIRES 5ÿ
Caressait leur joli contour, |
Dans un éoin rétiré, la modeste Immortelle *
En soupirant écoutait leurs -discours; :
IL est donc vrai, se disait- elle,
‘ La beauté seule ‘plaît toujours ! :
Un Scarabée, qui sous l’ombrage, -
En réfléchissant reposait , :
Entend la fleur qui gémissait.
IL s’en approche et dit: que vous êtes peu sage!
» Sur votre sort pourquoi gémir ? ,
» Plus que vous la Rose est à plaindre.
» Des injures du temps vous n’avez rien à craindre,
» Tandis qu'un souffle va flétrir
», Cette fleur qu’on trouve si belle ;
» Un jour la voit naître et périr,
» Et l’âge ne saurait ternir .
L'éclat plus. doux dont brille l'Immortelle, |
» N’enviez donc pas le destin
» D'une Meur qui n’a qu’un matin:
» Qui plaît d’abord, mais qui passe si vite,
» Et plaignez-la plutôt de sa fragilité »
Les Roses peignent la beauté ;
L’'Immortelle, c’est le mérite.
Auguste Cor, Membre résident.
ELLE N'EST PLUS.
| ROMANCE.
ÿ
e,
DANS les langueurs de la mélancolie
Pourquoi vouloir consumer tous tes jours?
Ces pleurs que tu répands toujours
Ne te rendront pas ta Délie, :
58
MÉMOIRES.
Vain discours! efforts superflus! |
Inutile conseil que mon cœur ne peut suivre !
Quel charme encor puis-je trouver à vivre?
Elle n’est plus.
C’est vainement qu'’étalant tous leurs charmes
Mille beautés m'invitent à jouir.
Quel éclat pourrait éblouir
Des veux obscurcis par les larmes ?
_ Vain espoir! efforts superflus!
Du fond de son tombeau c’est sa voix qui m'appelle.
Quelle autre encor peut me paraître belle ?
Elle n’est plus. |
Riants berceaux que le printems décore
Soyez pour moi asile de la paix.
Souvent sous votre ombrage épais
L'infortuné sourit encore.
Vain espoir! efforts superflus!
Partout à mes regards la nature est la même.
Est-il encor un asile que j'aime? |
ù Elle n’est plus. |
Sur la montagne où s’égarait Pindare Ç
Cherchons la gloire et des sentiers nouveaux: |
Heureux d’éclipser mes rivaux
Triomphons d’un astre barbare.
Vain espoir! efforts superflus!
Que me font ces lauriers que l'éclat environne! |
Sur mes cheveux qui ceindrait la couronne ?
Elle n’est plus. |
PELLET D'ÉPINAL, Membre correspondant.
RAPPORT
SUR L'ANCIENNE ACADÉMIE D’ARRAS,
Par M. BERGÉ DE VASSENAU, Membre résident,
we
MESSIEURS,
Lonsque les institütions les plus utiles et les plus révérées
n'ont pu résister au torrent des révolutions, celles d’un
ordre moins élevé et qui prospéraient à l'ombre de la paix
devaient être naturellement emportées par ce torrent dé-
vastateur ; mais , lorsque la tempête est appaisée, lorsque
l'édifice social est replacé par une main habile sur des fon-
demens durables , lorsqu’enfin un Prince auguste, fort de
ses vertus et de notrè amour, nous ramène le bonheur,
les institutions renaissent , les Muses reviennent de leur
exil , et les Sciences, les Lettres et les Arts reprennent leur
empire. |
L'Académie royale d'Arras 8e livrait à ses nobles travaux
littéraires, el propageait le goût de l'étude dans la province
d'Artois, quand la révolution française éclata ; vous con-
naissez, Messieurs, tous les évènemens qui eurent lieu
depuis cette époque, et je dois me borner à vous rappeler
que l’Académie royale d'Arras fut supprimée, comme toutes
les autres Sociétés savantes, par un décret du 8 août 1793.
Sous un gouvernement réparateur, aussi soigneux de ce
qui peut contribuer à la gloire de la France que de ce qui
doit consolider notre bonheur, le culte des Muses devait
nécessairement être encouragé: par une conséquence de ce
principe, M. le Baron Malouet , alors Préfet de ce Départe-
ment et qui accorde uneproteclion éclairée aux vues d’utilité
L 2°" Livr, 4
40 sm & mOIRES,
publiqne, pui un arrêté le 22 mars 1017, pour rétablit
l’ancienne Académje, sous le titre de Société rovale d’en-
couragement pour les Sciences , les Lettres et les Arts.
Cet arrété a été approuvé le 2 mai suivant par le Ministre
Secrétaire-d'Étatde l'intérieur, et, par suite, la Société royale
d'Arras a été constituée : ainsi sa restauralion parlirulière se
lie à la restauration générale à laquelle nous devons tant
de bienfaits. |
_ À peine, Messieurs , 14 Société royale d'Arras a reçu son
organisation définitive que vous avez exprimé le désir de
connaître l'historique de l’ancienne Académie et d’avoir
J'analyse de ses travaux depuis son origine jusqu’à sa disso-
lution. Dans votre séance ordinaire du 4 février dernier vous
avez chargé une commission de faire à ce sujet les recherches
nécessaires. |
Organe de votre commission , je viens aujourd’hui mettre
sous vos yeux le rapport que vous avez demandé,
| La province d'Artois , incorporée au royaume de France
par la puissance de Louis XIV , était anciennement le pays
des Gaules le plus civilisé; la fertilité de son sol , le voisinage
de la meret le goût des habitans pour le commerce en firent
envier la conquête long-tems avant que Jules César rangeât
cette partie de l’Europe sous la domination romaine : pen-
daut plusieurs siècles cette province a continuellement été
le théâtre de la guerre et elle est devenue lapanage des.
puissances qui l'environnaient, Depuis la renaissance des,
Lettres elle appartint tantôt à la France , tantôt à l'Espagne,
tantôt à la maison de Bourgogne, en.surte qu'aucune langue
ue put s’y fixer : l'idiôme du pays fut un composé de ceux
des nations qui la possédèrent tour-à-tour et les Arts yfr ent
peu de progrès.
La tranquillité du règne de Louis XV, les fées
SAT
MÉMOIRES: … éi
députations à la cour et l'admission de plusieurs élèves
Boursiers au collège Mazarin, établirent des relations plus
immédiates avec la capitale-du royaume et firent naître ce
goût des Lettres que nous n’hésitons pas à regarder comme
l'une des principales causes auxquelles l'Académie royale
d'Arras dût son origine. |
Les commencemens de rette Aie remontent à
V'année 1737 ; il s'agissait seulement alors de fomer une
liste de.souscripteurs dont le nombre ne devait pas excéder
cinquante et dont le but était de se rassembler pour lire, à
frais communs, les écrits périodiques les plus intéressans
publiés dans les divers états de l’Europe.
Les souscripteurs, réunis en séance le 7 décembre 17375
choisirent pour protecteur M. le Prince d’Ysenghien, Gou-
verneur dé la province, et sollicitèrent ensuite, par son
intermédiaire, des lettres patentes du Roi; une lettre
ministérielle , du 13 mai 1738 , autorisa l’association , avec
promesse de l’érigér en Académie lorsque les associés auraient
fait des progrès dans les différens genres de littérature.
En vertu de cette autorisation ministérielle , la Société
prit une forme régulière : composée de quarante membres
qui choisissaient parmi eux un Directeur et un Chancelier
tous les ans et un Secrétaire perpétuel, elle se donna un
réglement qui reçut l'approbation de M. le Prince d'Ysen-
ghien , elle résolut de se livrer à des recherches sur l'histoire
de la province et à des discussions sur les principes, le
* génie, le goùt et la délicatesse de la langue française : le
sceau dont elle fit choix représentait de jeunes aïglons
essayant leurs aîles sur le bord de leur nid, avec cette
devise : Vecdum viatu audacr,
Le nombre des associés honoraires n’était point limité ; il
«'éleva même par la suite jusqu’à 68, parmi lesquels on
42 MÉMOIRES.
voit figurer Mesdemoïselles de Kéralio, Lemasson et
Ductaiellie.
‘ La Société s’assemblait tous les samedis, depuis 5 heures
du soir jusqu’à 7, dans un local loué à cet effet et situé sur
Ja grande place; en 1743, elle transféra le lieu de ses
réunions au palais du Gouverneur, où elle tint sa première
Assemblée le 6 juillet même année : elle avait au moins
tous les ans uhé séance publique; la première de ces
séances solennelles eut lieu le 14 juin 1738, sous là pré-
sidence de M. le Prince d'Ysenghien. _ |
Une bibliothèque fut formée aux dépens des sociétaires ;
chacun d'eux fut d’abord obligé de fournir quatre volumes,
én conservant la faculté de les retirer chaque année, pourvu
qu'il les remplacÂt par quatre autres.
Par une résolution du 14 mai 1540, la Société reconnut
que ce mode était sujet à trop d'inconvéniens ; elle décida
que les associés donneraient pour toujours à la bibliothèque
un petit nombre de volumes à leur choix. |
_ Par suile d’une autre résolntion, du 8 février 1749, € ces
mêmes livres furent marqués en lettres d'or des mots:
Soc. lit, d’ Arras. | |
_ Nous ferons remarquer en passant que M. le Prince
d'Ysenghien fit hommage de son portrait à la Société, qui le
placa dans la salle de ses séances. A la morte ce‘ protecteur,
M. je Maréchal Duc de Lévis lui succèda dans la même
qualité. Nous ajouterons que Îles Dames assistérent pour
la première fois aux réunions de la Société, le 25 mars
1748, et que ce fut en 1777 que le sceau actuel fut subs-
titué à celui qui avait été primitivement choisi. .
En 1760, M. le Comte de Conturelle , ancien Chancelier
de la Société mit sous les yeux de l’Electeur Palatin, dont .
il était Chamlellan, une pièce de vers dans laquelle
MÉMOIRES, 45
M. Harduin , Secrétaire perpétuel , faisait l'éloge de l'Elec-
teur et de son auguste “pous Leurs Altesses, flattées de
cet hommage, envoyèrent'à la Société une très- belle
mé‘aille d’or du Rhin, portant d’un côté l'effigie du Princes
de l'autre celle de la Princesse , avec cette inscription com-
posée par l’Electeur lui-même : 14 lœti Musis damus
dtrebatensibus ambo 1360: M. Harduin reçut une semblable
n:édaille avec cette autre inscription: Munificentié utriusque
tenet D. Harduinus 1760. |
Ce poëte Artésien s’empressa d'exprimer sa reconnais-
sance par des vers qui ne sont M SOL. ni de grâce ni
de facilité,
L'année suivante , la Société dùt encore à la munificence
de l’Electeur Palatin une suite de médailles d'argent qui
portent l'effigie de 29 Princes de sa maison et la sienne ;
sur celle-ci se trouve gravée cette inscription, composte
comme les précédentes, par l’Electeur : Aérebatum Musis
meque meosque dedi 1361 - | | |
Un Membre honoraire, M. le Comte de Riaucourt,
Ministre plénipotentiaire du feu Roi de Pologne à la Cour
palatine , adressa, en 1763, à la Société deux grands in-folio
contenant, outre les portraits de Leurs Majestés polonaises,
cent belles estampes d’après les plus célebres tableaux de la
galerie royale de Dresde,
Mais une faveur plus grande devait être enfin accordée à
la Société; des lettres patentes du Roi, du mois de juillet
1773, l’érigèrent en Académie royale des Belles - Lettres,
dans les termes les plus honorables. |
Ces lettres patentes fixaient à 30 le nombre des Acadé-
miciens ordinaires, permettaient à l’Acadéinie de recevoir :
le nombre qu’elle jugerait à propos d’associés exterues où .
Louoraires, coufirmaient les statuts etréglemens, laissaient
44 MÉMOIRES,
Je choïx d'un sceaa pour sceller les actes et accordaient À
ées Membres les honneurs, privilèges, franchises et libertés
dont jouissaient les Académiciens de Paris, à l'exception
héanmoins du droit de committimus. |
M. le Comte de Couturelle, célébra, dans une ode pleiné
de verve, cette faveur si vivement désirée depuis long-tems,
Ce n’était point assez du titre honorable conféré à
PAcadémie par les lettres patentes du Roi, l'utilité de son.
institution ne pouvait se développer tant que la compagnie.
n'aurait pas les moyens d'offrir des prix aux auteurs qui
traiteraient les questions dont la solution importe le plus à
la prospérité du pays. |
Dès l’année 1770, les Elats d'Artois avaient accordé À la
Société un logement et une somme de 300 fr. pour un prix
ânnuel, En 1779, ce prix avait été proposé à celui qui
résoudrait le mieux cette question: Quelle est la meilleure
méthode et la moins onéreuse de planer Les granie,
chemins ?.
: 1 parait que ces dispositions n'étaient que provisoires et
qu’elles n’eurent aucune suite; maïs les Etats d'Artois
comblèrent les vœux de l’Académie en décidant , dans leur.
àssemblée générale du mois de novembre 1782, qu'il serait
remis tous les ans , aux frais du trésor de la province , une
médaille d’or de la valeur de 500 fr. pour être décernée par
la compagnie aux meilleurs ouvrages qui lui seraient pré
sentés sur un sujet d'histoire, d'économie rurale ou de
_ commerce, sur les moyens de tirer un parti avantageux
des productions du pays, ou de le rendre plus florissant.
L'Académie , de concert avec les états, régla que le prix
serait adjugé pour la première fois dans la séance publique
de l’année 1784.
Aucun Membre ordinaire ou honoraire n’était admis à
ù MÉMOIRES, 49
bouncourir ; les auteuts ne devaient pas meffre leur nom à
Jeurs ouvrages, mais sealement une devise répétée dans un
billet cacheté contenant leur nom et leur adresse; cetrx qui
se seraient fait connaître auraient été exclus du concours;
les mémoires devaient être adressés, franc de port, au Setré-
taire perpétuel ;, ou sous le couvert de M. l'intendant de |
Flandre et d'Artois; l’auteur de l'ouvrage couronné avait
de choix de {a médaille d’or ou d’une somme de 500 fr. égale
à sa valeur.
La première question soumise au concours fut ceHe-ci :.
Toutes les terres de d'Artois sont-elles propres à être
ensemencées chaque année ; et quelle serait la méthode à
suivre pour faire duel des récoltes tous Les ans ‘avec
avantage à celles qu’on juderait utile de dessoler ?
Le prix annoncé par le programme publié en mars 17835
sur cette intéressante question , fut adjugé par l’Académie,
dans sa séance publique du 21 avril 1784, à un discours
ayant pour épigraphe ....... Mutatis requiescunt Fœtibus
arva. (Géorg., lib. 1.) ( La terre ainsi repose en chan-
geant de richesses. ) ( Traduction de Delille. ) |
M. Herman, Avocat à Arras, auteur de l’ouvrage cou-
ronné, soutient que toutes les terres de la province d'Artois
sont en effet susceptibles dun räpport ännuël: et il indique
les moyens d'y parvenir. Depuis, les progrès del Agricalture
ont confirrhé opinion de M. Herman: dans üne grande
partie dé nos cantons , l'usage èt le bon emploi des engrais
diminuent chaque année l'étendue des jachères.
Dans la même séance du 21 avril 1784, l'Académie pro-
posa au concours, pour l’année suivante, des questions noû
moins importantes , puisque c’est le Commerce qui mèt en
valeur les produits de l'Agriculture : Quelles furent autre=
Jois les différentes branches de Commerce 1/75 les contrees
46 MÉMOIRES.
qui forment présentement la province d” Artois , en remonn
tant méme au tems des Gaulois? Quelles ont été les causes
de leur décadence , et quels seraient les moyens de les rétablir,
notamment les manufactures de la ville d Arras?
L'Académie n'ayant reçu aucun mémoire satisfaisant sur
ces questions, proposa le même sujet pour l’année 1787,
et mit au concours pour la même année la question suivante :
Est-il avantageux de réduire le nombre des chemins dans
de territoire des villages de la province d” Artois, et de donner
à ceux que l’on conserverait, une largeur suffisante pour être
plantés? Indiquer , dans le cas de l’uffirmative, les moyens
d'opérer cette réduction.
En attendant, on devait décerner, dans la séance publique
” de 1786, le prix annoncé l’année précédente sur ce sujet
‘d'économie rurale : est il utile en Artois de diviser les fermes
‘ou exploitations des terres ;. et, dans le cas de l’affirmative ;
quelles bornes doit-on garder dans cette division ?
Le mémoire de M. Delegorgue, jeune , avocat au conseil
d'Artois, à Arras, obtint ce prix.
La question proposée pour l’année 1788, fut celle — ci :
_ quelle est la meilleure méthode à employer pout faire des
pâturages propres à multiplier les bestiaux en Artois ?
En même-tems, on mit d'avance au concours, pour l’année
1789, deux autres questions d'économie rurale, dont la
solution devait procurer un égal prix de 500 fr. , savoir :
1.” Quels sont les meilleurs moyens de multiplier les bêtes
à laine dans la province d’Artvis, et de procurer aux laines
une qualité plus parfaite ?
2.° Quelle est la meilleure manière de rendre invariables
Les bornes champêtres ?
Dans la séance publique de 1788, le mémoire de
MÉMOIRES. 47
“M, Gilbert, Professeur à l’école royale M obtint
Je prix proposé pour eette année.
Les autres questions ne furent point traitées d’une manière
satisfaisante ; ellesfurent remises au concours:d’autres ques-
tions non moins importantes allaient être proposées quand
toutes les idées se tournèrent vers des objets de politique.
Ainsi se termine, Messieurs, la notice historique sur
l’ancienne Académie royale d'Arras : je dépose sur le bureau
la liste nominative des membres de cette Aeadémie et la
nomenclature des principaux ouvrages qu’ils ont composés ;
votre commission .a pensé qu’elle devait aussi s’ oecuper de
cet objet afin de compléter son travail,
Pour la première fois que j'ai l’avantage de parler devant
une aussi honorable âssemblée, qu’il me soit permis de lui
exprimer ma reconnaissance pour la faveur qu’elle n’a
faite en daignant m’associer à ses travaux ; qu’il me soit
permis également de jelter un regard dans l'avenir et de voir
la Société royale d'Arras , protégée par le Gouvernement et
encouragée par les Autorités locales ; marcher avec gloire
dans la-carrière que lüi ont ouverte ses nobles prédécesseurs.
En OS Genre
LISTE
DES MEMBRES
GOMPOSANT
L'ACADÉMIE ROYALE D’ARRAS,
Pendant l’année 1702, époque de sa dissolution.
10h01 HD Ie 00-210 CES
HONORAIRES. |
MM.
De Guisnes.
Lefevre de Caurmartin.
De Calonne.
Esmangart.
Delaplace.
Le Pippre.
De Modène,
Lefevre de Beauvray.
D'Acarq.
_ De Riquety.
Wartel, Chanoine.
De Serent.
De Riaucourt.
De Gaston, Chanoine.
De Stengel.
De Benthem.
MM.
De Béthune.
Breuvart.
Des Essarts.
De la Dixmerie.
Campan.
De la Maillardière.
Béranger.
Géret.
| De Retz.
Pajot.
Riboud,
De Pastoret.
Taranget.
L’Abbé Soulavie.
L’Abbé Roy.
De Püs.
Ansart,ancien Curédel’hôtel Moreau de St. Méry.
des invalides.
Droz.
De Sacy.
Filassier.
De Peyssonnel , ancien Consul
de France, à Smyrne.
Tournon.
Bouchaud.
MÉMOIRES.
MM.
M."° de Kéralio.
Roman.
De Courset.
M." Lemasson.
Opoix.
Crignon.
De la Coudraye.
Dom Grappin, Bénédictin.
L'Abbé Teulières,
Desalviat.
De Marescot.
Beffroy.
De la Roche,
Delafont.
49
MM.
L’Abbé Gail.
L’Abbé Lamourette,
De la Platière.
Dom Carrière, Bénédictin,
Delafont Pouloti.
De la Tournelle, à Soissons.
De Parraza.
De Sacy , homme de Loi.
Guilbert.
Pilot, fils.
Desaudray.
De Gouy.
Godefroy.
M." Dachaiellie.
ACADÉMICIENS ORDINAIRESe
Binot.
Cauvwet, père,
Bayart.
Briois, père.
facquemont.
Fruleux.
De Lannoy.
Gosse, Prieur de l'Abbaye
d’Arroüaise,
De Robespierre.
Ansart, Médecin. :
Lesage.
Legay.
L’Abbé Delys.
Le Sergeant.
Foacier, pére.
Dubois de Fosseux, Secrés
taire perpétuel.
Enlart de Grandval.
Rouvroy de Libessart.
Buissart.
Briois, fils.
Duquesnoy.
Boucquel,
Marthelin.
. De Brandt de Galametz.
De Champmorin.
Lenglet.
De Carnot.
Du Marquez. |
Thieulaine d'Hauteville.
50 MÉMOIRES.
CORRESPONDANSe
MM. S MM.
Etienne, d'Argenteuil. Baron, de
Ramel, d'Aubagne. ; LeP. Venane, | Montpellier
Housset, d'Auxerre. Capucin, . ù
Guéniot, d'Avalon. Le P. Canard, de Moulins.
Grumwali, de Bouillon, Couret, de Villeneuve-d'Or-
Pallet, de Burges. léans.
Parry, de Brest, Knapen , de Paris.
Renault - Beaucaron, de De Lamarzières,
Chaource. Laugier,
Pajol , de Castres. Millin de Grand- #
Doyen, } de Chartres. N'aison dE
Lehoucq,} Narcy, | Poitiers.
L’Abbé Raulx,de Châteaudun, De Meu.
Chevalier, de Crespy. Le P. Paris de l’ora-
Henriquez , de Dun. toire.
Urray, de Gættingue. Leroi de Flagis, de Pui-Lau-
Nicolas, de Grenoble, rens. |
Crommelin , de Guise. Bourignon , de Saintes.
Fréderick Frantsius, de Léip- Marchier, de St. Chamas.
_ sick. Calot, de St. Maurice-le-Girard.
Guvyetan, de Lons-le-Saunier. Thomassin , de Strasbourg.
Delaudirie, Moublet-Gras , de Tarascon.
Geoffroy, | de Lyon. Blondel, de Valenciennes.
Desgranges, Bouthier , de Vienne.
Gastellier, de Montargis. D’Wal, de Zurick.
NOTIC
SUR LES MALADIES
Que des chaleurs et la sécheresse ont pu développer parmi.
. des bestiaux, et les moyens de prévenir celles qui pourraient
naître pendant l'automne.
So Excellence le Ministre de l’intérieur, par sa lettre
du 19 août 1818, informe M. le Préfet du Pas-de-Calais,
” que dans plusieurs départemens, les chaleurs et la sécheresse
qui ont trop long-tems duré, ont fait naître, parmi les
bestiaux, des maladies dont il importe de prévenir les suites.
Son Excellence avait d’abord pensé à faire rédiger et
publier uue instruction spéciale à cet égard, ainsi que cela
a eu lieu à la suite de l'humidité qui a régné en 1816 et:
1817; mais elle a craint que cette instruction ne contint'
pas l'indication de tous les moyens préservatifs appropriés
aux localités, et elle s’est bornée à inviter MM. les Préfets
à faire rédiger une instruction sur les moyens à employer,
par les cultivateurs et propriétaires, pour préserver leurs
animaux domestiques des accidens que pourraient leur occa-
sionner la constitution sèche et brälante de l’atmosphère, la
disette d’eau salubre, la qualité du le défaut de fourrages. | |
À l’époque actuelle de la saison , aux approches de l’au-
tomne , la température atmosphérique va changer et peut-
être devenir opposée à celle précédente ; c’est ce qu'il me
paraît important de prévoir. En conséquence, j'ai pensé
que , sans me renfermer strictement dans les renseignemens
que M. le Préfet m’a donnés , je devais encore m'occuper
des indications à remplir au changement prévu et peut-être
prockain , de la température.
P
52 | MÉMOIRES.
: Je pense aussi que les moyens dont j'’offre l’ensemble
doivent être simples, et tels que tous les cultivateurs
. puissent facilement les employer, si ce n’est dans quelques
cas particuliers, où les lumières et les connaissances d’un
vétérinaire sont indispensables. A la tête de ces moyens, je
place les acides , et j’en recommande spécialemens l'emploi ;
il serait à désirer que le vinaigre fut moins cher; il est dans
les maïns et à la portée de tout le monde; mais l’on peut y
suppléer par les acides minéraux, dont le prix est bien moins
élevé. Cependant , ces acides ne doivent pas être mis iadif-
féremment dans les mains de tous; c’est une excellente
xessource dans les circonstances présentes, mais l’emploi
doit en être dirigé par les hommes de l’art ou par les proprié-
taires instruits.
_ Je remercie M. le Préfet du département du Pas-de-Calais
de n'avoir pas trop présumé de mon zèle pour le bien publics
en me chargeant de la rédaction de cet opuscule; c’est une
tâche que personne ne peut être plus jaloux que moi de
remplir convenablement, s'il m'est-possible. Puisse ce travail
répondre aux vues du Ministre qui l’a désiré et du Préfet qui
me l’a demandé. J'ai tâché de le resserrer dans les plus
‘étroites limites possibles ; afin de ne pas effrayer les cultiva-
teurs par une trop longue: lecture : d'ailleurs les choses
présentées d’une manière succinte n’en sont que davantage
à la portée de l’intelligence du plus grand nombre.
. Je regrette que, pressé par le tems, je n'ai pu châtier ni
soigner davantage la rédaction de cette courte notice ; telle
qu’elle est, je désire qu’elle soit utile au public, et qu’on
puisse la regarder comme une nouvelle preuve de mon
dévouement empressé À effectuer tout ce qui peut être sus-
ceptible d'offrix quelqu’avantage à mes compatriotes.
CS
MÉMOIRES, LD
Les animaux vivent d’une manière trop intime avec
l'air ambiant , pour ,ne pas se ressentir des différens états
de l'atmosphère. L'état de l'atmosphère a été, depuis la fin,
du printems dernier , d’une chaleur et d’une sécheresse dont
on a peu d'exemple ; depuis le 18. mai, il n’a pas fait de pluie:
à tremper; il n’y a eu que trois orages qui n’ont donné que
peu d’eau; le thermomètre de Réaumur s’est élevé jusqu’à
plus de 27.°, et il s’est maintenu , pendant plus de deux
mois, de 15 à 25 et 26.° Les vents les plus secs, ceux qui.
tournent du nord-ouest à l’est, ont constamment sœufilé,
et souvent avec force.
Ces longues et fortes chaleurs, cette sécheresse. opiniâtre,
ont déterminé, chez les animaux comme chez l’hoemme,
d’äbord, un état d’excitation , puis une diminution de force,
et des sueurs abondantes. L’on a eu lieu de remarquer , sous
cette constitution atmosphérique, quelques coups de sang,
une sorte de fièvre bilieuse accompagnée de catarrhe et de
vertige symptomatiques, et quelques maladies aiguës, dont
Ja marche a été fort rapide, et qui ont offert, au moment
de leur invasion, un appareil menaçant de symptômes
graves. | Eu |
L'on ne peut attribuer ces affections maladives à la disette
ni à la mauvaise qualité des alimens; à quelques faibles
exceptions près, les fourrages et les grains ont été cette
année généralement abondans , sains et bien récoltés ; seu-
lement ; on les a employés trop nouveaux, on les à fait
consommer avant qu'ils aient, ce qu'on appelle vulgaire-
ment, jeté leur feu. Lorsque l’on a fait usage des substances
soit herbacées, soit céréales, immédiatement après leur
récolte, ce n’est pas la première fois qu’elles ont produit des
effets dangereux sur l’économie animale; il en est très-
souvent résuilé des maladies fort fâcheuses. En outre, les
54 MÉMOIRES.
sourèes ont êté fort basses et les eaux très-rares : cellés des
mares et toutes celles stagnähtes se sont trouvées ou épuisées
ou CO ASS: et dans tous Îes cas n’ont pu offrir aux
animaux qu'une boisson mal-saine, répugnante et insuf-
fisante pour les désaltérer. Leurs déperditions ont été
grandes, et n’ont pu être réparées. |
Une autré cause au-dessus du pouvoir de l’homme , et qui
stule eût peut-êtré suffi pour développer des maladiés, c’est
l'avidité que l'air sec et chaud a pour l’eau; circonstancé qui
tend à dépouiller les surfaces vivantes de leur humidité , et à
causer sur elles une sorte d'irritation qui se propage par
simpathie à tous les appareils organiques du corps. De-là,
Jà marche rapide des maladies et le caractère inflammatoire
qu’elles affectent dans leur commencement. |
Les coups de sang frappent les animaux comme d’an
coup de foudre, soit à l'écurie, soit aux herbages, aux
champs ou au travail ; ilstombent tout-à-coup , sans senti-
ment, sans autre mouvement que le battement des flancs,
et meurent promptement, souvent même sans qu’on ait le
tems de leur porter secours. Il est néanmoins quelque signes
précurseurs de cette maladie funeste, mais presque toujours
ils sont négligés ou méconnus. Au surplus les limites qui
me sont ici tracées ne me permettent aucun à autre détail à
ce sujet.
Lorsque l’on peut arriver à tems, la première chose à be:
dans le cas de coup de sang, c’est de pratiquer la saïghée ,et,
si l'on ne peut la faire soi-même , de se hâter de tirer du sang
de là langue et du lampas, en attendant qu’on puisse avoirle
maréchal : si l’animal en revient, l’on aura recours à la
diète, aux boissons ahondantes et délayantes d’eau blanche
légèrement acidulée ; et ensuite , selon l’exigence des cas,
aux sétons, aux vésicatoires et aux purgatifs. |
| Quant .
MÉMOIRES 55
Quant à l'affection bilieuse compliquée dont il a été parlé
plus haut, elle se caractérise par divers RÉ dont
voici de |
Du 1." au 4.° jour : pouls d'abord vif, puis petit, accéléré ;
assoupissement ; tête pesante , tombante , ou appuyée dans
Ja mangeoire; yeux éteints, vue altérée, obscurcie, quel-
quefois nulle; bouche pâteuse, pleine de bave visqueuse ÿ
membrane buccale jaune ; langue chargée , et d’un rouge
vif sur le bout ; pituitaire et conjonctive jaunâtres ; dégoût ,
tristesse , abattement ; roideur , mouvemens lents, marche
difficile et chancelante; urines rares, jaunes, huileuses,
fétides ; constipation ; peau sèche; insensibilité :
4. Jour: pouls moins vif, toujours accéléré et petits
enduit jaunâtre sur la langue ; engorgement des amygdales;
respiration laborieuse et bruyante; flux jaunâtre , épais et
fétide par Îles naseaux:
5° Jour : continuation de l'écoulement nasal ; augmenta=
tion des symptômes ; grincement de dents, remuement de
Ja mâchoire ; mouvemens convulsifs des muscles de la face ;
veux fixes, troubles; l'animal saisit avidement lés alimens on
la litière, les retient plus ou moins de tems entre les dents,
et ne les mange point : il saisit quelquefois la mangeoire
comme s’il tiquait ; il a de fortes palpitations :
Du 6.° au 9.° jour : état stationnaire de la maladie; pouls
lent , faible, profond, quelquefois rare ; diminution de la
constipation ; continuation du flux nasal ; toux ; engorge-
ment des extrémités : |
Du 9° au 12.° jour : crasse écailleuse « sur la peau ; urines
abondantes ; transpiration fétide ; liberté du ventre ; retour
de l'appétit ; guérison.
Si la maladie prend une marche dense: la progression
des symptômes va toujours croissant, et, à dater du cin-
L 2, Livr, | un 5
56 MÉMOIRES.
quième j jou ; elle présage une ferminaison fatale. Le Îux
nasal se supprime, l’action de se mouvoir et de marcher
devient presqu impossible ; l’animal tombe .au lieu de se
‘coucher ,'et il ire se relève plus.
Voici le traitement applicable à cette affection compliquéet
Lorsqu’à son début il y a diathèze inflammatoire, une
_ Aégère saigne , des bains de vapeurs émollientes sous le nez
“et sous le ventre, conviennent dans le principe. Cependant,
fa saignée n'étant réellément indiquée que dans un petit.
‘nombre de cas difficiles à reconnaître par les personnes qui
vie sont pas versées dans l’art vétérinaire , j’engage les culti-
” vateurs à ne point la pratiquer sans l'avis d’un homme de
Yart. Du reste, les lavemens émolliens doivent être prodi-
gués, de même que Îles tisanes apéritives et diurétiques,
telles que celles de chardon roland (panicaut des champs
_ de Linn.), auxquelles on ajoute un peu de’ sel de nitre,
ét, si l'irritation est prononcée, des feuilles de laitue,
_ ou'aütre adoucissant, L'on fera marclier de front les sétonis
‘âu poitrail et aux fésses, et on les animera:avec un peu
“d’ellébore èn poudre s’ils tardent à donner, ôu si-leur action
est languissante. Il est fort à regretter, dans cette circons-
tance , que les malades se refuseut à boite ‘d'eux - mêmes;
beaucoup d'eau blanche acidulée leur ferait grand bien;
“tiéaninoins, il faut, autant que possible, éviter-de les tour-
‘menter en leur administrant des breuvages; et même, pour
es individus qui se débattent trop en les prenant, il ee
mieux se contenter des préparations en opiats.
Mais le médicament qui m'a paru produire le meilleur dfet
“dans le cas dont il s’agit, c'est lé métique , et l’on sera
étonné des doses où l’on peut le porter sans danger. Dans
les cas ordinaires, l'émétique passe pour irriter après la
“dose de 15 à 18 grains; ici, l'on peut en administrer jusqu'à
D LA PES
Le F4
MÉMoïres! 5#
trie demi-ônce ; néanmoins, il est toujoürs prudent de com-
mencer par une dose plus faible, sauf à la réitérer. Ainsi,
Yon peut en donner d’abord 20 à 24 grains dans une
bouteille d’infusion de camomille ou de mélilot , et répéter
ce breuvage selon les circonstances, la force et la stature
des animaux. |
Ce médicament produit à la fois plusieurs médications
importantes; il secoue l'estomac , le débarrasse des matières
alimentaires qui le surchargent, provoque l'expulsion de la
bile et ressuscite le ton des organes. Mais cette dernière
médication, la plus essentielle peut-être , procnrée par
l'émétique, n'étant que momentanée, il convient , pour la
rendre durable, d'amener à sa suiteles toniquesetlesamers,
comme des infusions de menthe, d’absinthe , de sariette, de
petite centaurée , ou plus simplement desinfusions de fleurs
de camomille om de mélilot, ou envore la poudre de gen
tiane. Dès que les malades pourront manger, on leur don-
mera des alimens riches en principes nutritifs, mais en
petite quantité . surtout dans les commencemens, afin de
me point fatiguer les organes digestifs.
C’est avèc ces moyens ,et des boissons acidulées, dès que
Les malades ont commencé à boire d'eux-mêmes, que plus
de la moitié des animaux traités Henodenen ent été
guéris : ilest même à présumer qu’on en eût sauvé un
bien plus grand nombre, si l’on eût toujours été appelé à
Yems ; car, quand la médecine peut, ce n’est jamais que dans
le commencement des maladies. La plupart des individus
traités autrement, soit empyriquement, soit par des saignées
copieuses, des purgatifs drastiques , de la classe des résineux,
“des breuvages incendiaires, etc.,etc., ont Der tous suc-
:combé en peu de jours.
Au surplus, le plus important D est NP re
5 *
58 MÉMOIRES,
pas de $’ocouper des maladies produites par l'effet d’une tem
pérature sèche et brûlante ; mais de s'attacher à prévenir les
influences que l'air frais et humide de l'automne pourrait
exercer sur l’économie vivante. ;
En général , l'humidité froide tend à troubler l'harmonie
dans l'exercice des diverses fonctions de la vie , et à prédis-
poser aux affections muqueuses , catarrhales, vermineuses,
adynamiques, etc. Si l’on n’y prend garde, les animaux y
seront , cette année, d'autant plus exposés, qu’énervés, en
quelque sôrte, par l'effet des grandes chaleurs précédentes,
ils offriront peu de résistance aux affections maladives , et
manqueront de force pour les supporter. C’est en effet ce
qui pourra malheureusement arriver, si l'automne, surtout
à son commencement , est froid et pluvieux.
Les propriétaires et les cultivateurs attentifs pourront
parvenir à se prémunir contre ces accidens, en observant
fidèlement les précautions suivantes :
Dans les localités basses et aquatiques principalement , se
méfier des nuits froides , des tems pluvieux ou brumeux,
des herbes mouillées ou rouillées , et par conséquent nourrir
la nuit aux écuries et aux étables :
Donner toujours, à peu-prèsaux mêmes heures, la née
ration d’alimens ; s'attacher à la qualité plutôt qu’à la
quantité; éviter, sur toute chose, ceux trop nouveaux :
Se méfier aussi ‘des effets du son, qui relâche inutile
ment, qui nourrit peu, et même point du tout, quand,
‘retiré du blutoir, il se trouve entièrement dépourvu de
farine ; dans cet état, il ne blanchit pas même l’eau où
on le mêle, il ressemble à de la sciure de bois : n
Ne point assujettir les animaux à un travail qui excède
leurs forces ; ne les y soumettre qu’un certain tems après
qu'ils ont mangé : |
MÉMOIRES. $g
Ne point faire boire ni exposer les bestiaux , ( malgré la
mauvaise habitude contraire), dans les pâturages, immédia-
tement après le travail ou l'exercice; ne point les. entasser
en trop grand nombre dans leurs logemens ; éviter , pour
ces derniers, une température trop élevée ; y procurer de
bon air et une grande propreté, et ne pas épargner la
litière : |
Pratiquer , avec beaucoup d’exactitude , le pansement de
la main ; bouchonner souvent ; essuyer la sueur au retour
du travail :
Ne pas oublier que la constitution atmosphérique de tout
V’été dernier a excité, sans fortifier, sans augmenter l'énergie
vitale ; qu’elle à pu et dà au contraire affaiblir, et qu’ainsi,
- quelqu’agent tonique sera toujours avantageux däns la
plupart des médications préservatives où curatives.
” Les habitans des campagnes ne sont pas sans avoir
toujours chez eux du sel et quelques morceaux de fer; te
sel plaît en général aux animaux et leur est salutaire ;
excès seuk-en est à craindre ; bien égrugé, l’on peut en
mêler à l'avoine et aux provendes, et en faire fondre dans
l'eau pour en asperger les fourrages. Une poignée par joar
peut convenir pour quatre de nos grandsanimaux ,ou poNr
une vingtaine de moutôns.
Quant au fer, il suffit d'en : mettre ie vieux
morceaux dans les anges. ou les baquets d’eau destinés à
abreuver. Lorsque l’on change cette eau , l’on devra laisser
les morceaux de fer dans les auges ou les baquets. Quoique
cette boisson tonique et antiputride soit ici réellement
indiquée , l'usage n’en doit pas être continuel, à cause de
la constipalion qu’elle pourrait occasionner; d’ailleurs , elle :
est contraire dans les affections catarrhales, et, au moindre
signe , à la moindre apparence d’angine ou d’étranguillon
6o MÉMOIRES.
(ce que mal-à-propos l’on appelle quelquefois gourmne A
élle doit être abandonnée sur-le-champ. Hors ce cas, pour!
n’en faire qu'un emploi raisonnable et en rapport avec les:
besoins du moment , il convient de donner cette eau ferru—
gineuse pour boisson, seulement M de suite FRe
chaque semaine.
Le reste du tems, la boisson la plus salutaire comme la
plus. convenable est de l’eau blanchie, plutôt avec de la,
mouture qu’avec du son, Si l’on emploie la mouture, l’on.
en met peu; si l’on est obligé de se contenter du son, on,
ne le laisse pas dans l’eau qu'il doit blanchir, on le fait
rester dans le fond du plat-seau , qu’on vide dans un autre.
, On rendra cette boisson ordinaire tempérante, rafraîchis-
sante, légèrement tonique et antiputride en lui donnant une
acidité agréable , au moyen de l'addition d’un peu d'acide
sulfurique : le. vinaigre remplirait le même objet, mais le
prix en est trop élevé. Je recommande de n’employer que.
de l’acide sulfurique préalablement affaibli avec deux parties
d’eau sur une partie d'acide ; mais je préviens que ce mélange.
ne peut et ne doit être fait que par un pharmacien, attendu.
. le dégagement considérable de calorique.que cette mixtion
détermine ; il est même nécessaire d'interdire à tout autre.
d'en ‘préparer ainsi soi-même. Admettons que l’on se soit
procuré , dans chaque exploitation rurale , une fiole de cet
acide arrangé comme il vient d’être dit , l'on peut en ajouter.
15 à 20 gouttes par chaque seau d'eau.
L'on ne saurait trop recommander cette boisson acidulée
qui devient de plus en plus en usage dans la médecine et
l'hygiène vétérinaire , et qui justifie tous les jours la
confiance qu’on y place. Au mérite de produire des effets
constamment avantageuÿ , elle réunit celui d’une grande
Mémoires 66
dcongmie. ponr les propriétaires de bestiaux ; et, sous ce
rapport encore, elle doit fixer l'attention.
I me reste à recommander aux cultivateurs les moyens
simples que je viens de leur proposer dans la vue de les
éclairer sur la conservation de leurs bestiaux : je les invite
à user de ces moyens, et surtout à persévérer dans leur
emploi, sans perdre courage , sans se laisser arrêter par la
considération de quelques faibles sacrifices, plutôt en soins
qu’en dépense, et dont ils seront d'ailleurs amplement
payés par. la suite.
HURTREL- D'ARBOVAL, Membre correspondant.
2
RAPPORT
TONI ES.
SUR...
LES MACHINES DE M. HALLETTE DE BLANGY,
Lu à la séance publique du 24 Août 1818.
EEE EE LE LL
Ce n'est que par des tâtonnemens multipliés, par des
essais souvent infructueux , répétés pendant des siècles,
que l’homime est parvenu à se rendre niaître de la matière,
et à fâiré servir les phénomènes de la nature à le secourir
dans ses besoins et à l’aider dans ses travaux. Moins les
connaissances humaines et les arts faisaient de progrès ,
plus nos pères étaient attentifs à accueillir les nouveautés
de leurs tems, et soigneux de les transmettre à leurs
enfans , comme un précieux héritage. Mais il est remar-
quable, que dès que les résultats purent satisfaire aux
l
Le
7
\
y ++:
+:
besoins, les arts restèrent stationnaires et.les âges .£e e
62 MÉMOIRES.
légutrent mutuellement les traditions, avec un respect
religieux. | | |
_ Bientôt la Science essaya de remonter aux causes par
l'analyse des résultats ; née de l’expérience , elle en voulut
faire son élève; mais séduite par de brillantes théories ,
conçues prématurément, elle se perdit dans l’esprit du
commun des hommes qui la jugèrent dans son enfance,
comme ils l’auraient fait dans sa maturité, et qui se rejet-
èrent , avec plus de force et de crédulité, vers les traditions
et la routine.
De celte lutte de l'expérience des siècles avec la Science
naissante , naquit cette idée qui, pendant long-tems, a
empèché, d’une manière si funeste, les découvertes et les
améliorations faites dans les arts, de produire les avantages
qu’on devait en attendre; ne faisons pas autrement que
nos pères. Comme si nous pouvions eroire que, dans l’ori-
gine des tems , ils eussent reçu les arts tels qu'ils nous les
ont donnés. Comme si, quandils se traînaient en aveugles
dans la carrière des expériences , ils n’avaient pas payé des
résultats informes par de nombreux et pénibles essais.
: Nous sommes plus heureux qu'eux. Notre siècle, guidé
par des théories aussi sûres que savantes, marche à pas de
géant dans le domaine des découvertes. Chaque jour, ilest
illustré par des miracles nouveaux, et il sera aussi glorieux
par les arts qu’il l’est par les armes. LL
Dans cet état prospère, qui nous est le garant d’un si bel
‘avenir, s’il faut imiter nos pères, c’est en accueillant les
inventions nouvelles, lorsque l'excellence en'est constatée
d'une manière irrécusable. C'est même en provoquant des
‘essais et en sacrifiant une légère portion du bénéfice
d’une exploitation à des expériences dont le succès doit en
- MÉMOIRES. 63
augmenter les produits ; ce n’est pas l'homme de génie ;
qui se consume en d’utiles recherches , qui doit supporter
seul les pertes attachées à de premières tentatives; mais c’est
bien plutôt l’homme dont les découvertes vont accroître
les richesses. Cette maxime, que la prospérité publique 4
sa véritable source dans les sacrifices et le désintéressement
des particuliers, était moins qu’on ne le croit étrangère
à nos pères.
Les usines de l’Artois sont construites sur un vieux
modèle, transmis de génération en génération, par des
ouvriers, non seulement incapables de les modifier selon
la force des moteurs, ce qui supposerait des connaissances
qu'ils n'ont pas, mais encore de rien améliorer. Les détails
traités grossièrement et sans intelligence , absorbent par
leur imperfection une grande quantité de la force motrice
dont la puissance extrême peut seule surmonter les obs<
tacles ; rien n'est plus déplorable que la manière dont on
abuse des belles chûtes de nos rivières; je mets en fait
qu’elles pourraient suffire à un nombre d'usines quatre
fois plus considérable, si les roues hydrauliques étaient
construites selon les principes de la raison et de l’ex-
périence. Cependant, il n'est pas rare de voir des pro-.
priétaires se disputer quelques pouces de hauteur d’eau,
quand ils en ont beaucoup plus qu'il n’est nécessaire
pour faire marcher leurs usines. En un mot, la cons-
truction, dans ce pays, est dans l’enfance , si on Ja.
compare à ce qui s se fait dans les autres parties de la
France.
Nous avons besoin qu'une habile vienne nous
faire connaître le prix des moteurs dont la nature nous
‘a dotés, et nous apprendre à les utiliser entièrement.
Nous devons regarder comme une bonne fortune
64 MÉMOIRES,
Vétablissement, dans ce pays, d’un homme: qui joint à
la conception de sages, projets, le mérite peut-être plus
rare de les exécuter avec une perfection et une solidité,
qui ne sont connues, en, France que depuis bien peu
d'années, .
Avant de passer à l’objet principal de ce rappert,
qu'il nous soit permis de jetter. un coùp - d'œi sur
différens perfectionnemens, inventés par M. Hallette,
et dont l'introduction dans les vieilles usines pourrait
les améliorer autant qu’elles en, sont susceptibles.
Telles sont les cames jumelles en fer, dessinées sui-
vant la courbe qui leur est assignée par la théorie , et
qui soulevant les hyes et les étampes par leur centre
de gravité, n’ont point la rudesse et le frottement
considérables inbérens au système des bras de levier,
Elles présentent, sur ceux-ci, une économie dés deux
cinquièmes de la force employée. :
Ces cames ont cela de particulier , qu’au lieu de
pénétrer dans larbre , leurs queues l’enveloppent au con-
traire comme un collier. Deux écrous les lient ensemble
_en les serrant contre l’arbre autour duquel un arrêt
les empêche de tourner. Les changemens de position,
les remplaremens de celles qni sont usées, se font avec
facilité, et n’obligent pas de faire ces trouées énormes
qui finissent par détrune l'arbre, |
La différence qu’on observe entre la quantité de
travail et la bonté des produits des pots où l’on écrase
la graine, dépend uuiyuement de la forme intérieure de
_ces pots et de leur rapport avec les dimensions et la
pesanteur des pilons. Cette inégalité du travail des pots
d’une même batterie, vient de ce que les ouvriers n'ont
MÉMOIRES | 64
aucun principe sut la forme la plus avantageuse à leur
donner, et ne doivent qu'au hazard de rares succès, ‘:
M. Hallette a su rémédier aux vices de ce systémes
et il a fait couler en fer des fonds de pots dont la
forme est parfaitement convenable. Ils sont d’une grande
solidité et remplacent avec avantage ces morceaux de
çèté dont on tapisse irrégulièrement l’intérieur des pots,
Une idée, dont lexécution a dù présenter bien deg
difficultés, . c’est d’avoir appliqué le mouvement aux
meules destinées à, écraser la graine, par leur circon-
férence, tandis. qu’ordinairement on le leur communique
par le centre. Non seulement il y a économie de force,
mais encore on évite le traînement qui accumule les
graines devant la meule qui, forcée d'en franchir les mon
ceaux , retombe ensuite de l’autre côté, au risque de briser
guelques portions de sa surface.
Les roues hydrauliques sont particulièrement l’objet des
soins de M. Hallette; ses expériences et ses observations
Jui ont fait trouver plusieurs principes d’hydrostatique;
dont l'application lui a donné d’excellens résultats ; il æ
mis, partout où la chûte le permet , des roues à augets en
remplacement des roues À aubes, dont les défauts sont
tels qu’on pourrait obtenir une loi qui défendit de leg
employer dans certaines circonstances. Il k surtout donnë
à ses augets une disposition telle que l'air atmosphérique
qu’ils contiennent, cède sans résistance à la colonne d’eau
qui se présente, et que cette masse d’eau, parvenué au
point le plus bas de la chûte, s’écoule librement, et n’est
pas retenue par la pression de l’air atmosphérique, comme
on le remarque dans beaucoup de roues hydrauliques.
Des filatures, élevées dans divers départemens , ont
tellement senti les aqvantages du systéme de roue de
66 MÉMOIRES.
M. Hallette, qu’elles se sont empressées de les adopter,
et nous avons sous les yeux un exemple de leurs bons
effets que je vais prendre la liberté de citer pour en
démontrer la puissance.
On sait que la grande usine de St. Nicolas-les-Arras était
obligée de chomer pendant les jours de navigation , parce
que la chüûte d’eau qui , dans les autres momens , était de
1,76 centimètres, se trouvait réduite alors à 0”, 94 centi-
mètres de hauteur. La roue, tout nouvellement construite,
était à aube et mue par le choc ; elle employait pour mar-
cher, même quand la chûte était de 1", 76 centimètres, les
trois cinquièmes de l’eau de la Scarpe. M. Hallette l’a
remplacée par une roue à augets, construite d'après un
systéme dont il a le brevet, mue par la pesanteur du fluide,
qui ne consomme qu’un cinquième des eaux, quand la
chûte est totale, et qui marche très-bien avec la moitié
des eaux dans les jours de navigation où , avec l’ancienne
roue , l’usine était obligée de chomer.,
Une chose qui est remarquable dans la construction des
vannes de M. Hallette, c’est qu’elles se baissent pour donner
plus d’eau à la roue, et par conséquent , prennent toujours
Veau au maximum de la hauteur de la chûte, tandis que
les vannes ordinaires se lèvent pour donner plus d’eau.
Nous passerons sous silence une infinité d’autres perfec-
tionnemens , dont on peut prendre connaissance dans les
usines où ils sont adoptés et nous allons vous parler des
machines qui ont été l’objet spécial de l'examen de la
commission, :
M. Hallette a cherché à rémédier aux trois vices prin-
cipaux que présente le mode actuel de fabrication.
.. Beaucoup de personnes savent que les étampes et les
© MÉMOIRES. 67
meules ne sont pas un moyen tellement parfait que beau
coup de graines n’échappent à leur action, tandis que
beaucoup d’autres se trouvent écrasées à l'excès. *
En second lieu, le chauffage des graines à feu nud dans
des bassines, est tellement grossier, qu'il s’en faut de
beaucoup que la graine soit échauffée uniformément, et la
mal-adresse ou la négligence des ouvriers les laisse souvent .
carboniser , ce qui donne à l’huile un goût d’empyreume
qui lui fait perdre de sa qualité. En troisième lieu , le choc
des hyes ébranle les usines , et cause un bruit qui les fait
_reléguer hors de l'enceinte des villes et bien loin de toute
habitation. En outre, elles ne prontieent pas un effet qui
réponde à la force qu’elles absorbent.
Tels sont les vices que M. Halette a voulu corriger en
substituant aux vieilles machines, les machines suivantes.
CFLINDRES.
Non-seulement les cylindres de M. Hallette , écrasent là
graine, mais ils la déchirent et ouvrent les petites cellules
qui contiennent la matière -huileuse, qui flue alors par la
plus légère pression. Le système de la machine est coordonné
de manière que la graine se présente en couches de l’épais-
seur d’un grain aux cylindres , dont la distance est beaucoup
moindre et peut se régler au moyen de vis disposées à cet
effet ; de sorte qu’il est impossible qu’un seul grain puisse
passer sans être broyé.
Les Anglais font usage de cylindres, mais les leurs
écrasent seulement la graine, comme le faisaient des
meules ou des étampes , et sont bien loin de la perfection
des cylindres de M. Hallette.
Cette machine ne sert que pour écraser la graine. Les
03 M£MOTRES.
tmieales sont Toujours nécessaires pour briser les tourteau
©btenus par une première pression.
Une paire de cylindres fait autant d'ouvrage que deux
jeux de meules; mais la force qu'ils exigent n’est que
la moitié de celle nécessaire à un jeu de meules;
par conséquent, une paire de cylindres et deux jeux de
meules, marchéront avec les cinq huilièmes de la force
qu'il faudrait pour mettre en mouvement quatre jeux de
meules, qui feraient moins d'ouvrage et avec moins de
berfection.
Ces cylindres se recommandent, en outre, par le peu
de place qu'ils occupent , et ils peuvent être posés à ‘un
entresok ou à un premier étage, tandis que les autres
machines ne peuvent être placées qu’à un rez-de-chaussée.
Les cylindres sont pen à tous les autres moyens
de triturer la graine, parce qu'aucun grain n'échappe à
leur action, de sorte que la première pression fournit
réellement la plus belle huile. Dans lés vieilles machines le
travail est si inégal que, quelques grains qui sont tous
entiers, ne donnent rien à la pression , tandis que d’autres,
qui sont trop écrasés; donnent toute leur huile ; ce qui
confond la limite des qualités. |
APPARGBIL A ÉCHAUFFER LES GRAINES
OLÉAGINEUSES, PAR LA VAPEUR.
Cet appareil a paru à votre commission rempiir parfaite
ment le but auquel il est destiné, soit par la bonté des
effets, prouvée par les expériences , soit par la simplicité
de la manœuvre et l’économie du combustible, qui est
proportionnellement plus grande qu’on a un plus grand
nombre de machines à chauffer. Quand le moteur de
l'usine -est une machine à vapeur, comme dans celles
MÉMOIRES. . ©
wqui s’établissent à Calais et à Mons , là dépense est presque
nulle, puisqu'on tire la vapeur de la chaudière même dæ
moteur. |
Cet appareil consiste en un cylindre doublé intérieux :
rement en cuivre , au milieu duquel sont des oves aussi en
cuivre, dans lesquelles où introduit la graine par des
ouvertures placées à la surface courbe du cylindræ
Celui-ci est mobile sur ses axes. Par l’un, la vapeur
est introduite entre les oves et la doublure au moyen
d'un steambox. À l’autre axe est une soupape à double
effet, qui doit prévenir, soit l'explosion de la machine
par les effets de la vapeur, soit la compressioh qu’elle
pourrait éprouver par l’effet d’un vide accidentel.
Un mouvement de rotation imprimé à la machine
par une corde sans fin, met successivement toutes les
parties de la masse en contact avec les parois des ovesy
et un chapelet de métal dont les extrémités sont danse
d’axe du cylindre, brise toutes les agglomérations qui
résistent à l'effet de la chaleur. Enfin, ane soupape, placée
au fond des oves, s'ouvre à chaque révolution du cylindre,
‘et laisse échapper les gaz délétères et l'excès d'humidité
que la graine peut contenir. Par ce moyen, celle-ci
ne fournit jamais une huile colorée, et perd le mauvais
goût qu'elle peut avoir acquis dans les greniers. En une
ou deux minutes elle est suffisamment échauffée. Si on
Ja laïiése séjourner dans les oves, ou si on pousse extrème-
ment le feu, les tourteaux qui en proviennent ont leur
surface légèrement friables, mais l'huile n’en contracte
‘autun goût d’empyreume. De sorte qu’on peut, à volonté
et sins danger, tenir la graine à une chaleur beaucoup
plus élevée que celle des fourneaux ordinaires.
Bons le chauffage à feu nud, tantôt la masse est
70 MÉMOIRES.
échauffée jusqu’à la carbonisation, tantôt elle ne l’est pag
assez. Dans le prémier eas , elle ne laisse fluer que diffi+
cilement une huile épaisse; dans le second, elle conserve
son éau de végétatiôn qui est souvent colorée. Voilà deux
des causes qui font classer les huiles suivant les usines
d’où elles proviennent, parce que la qualité dépend
absolument de l'inégalité du chauffage et de l'adresse des
ouvriers "
Dans la machine à vapeur, 1e chauffage se | fait plus
également, et la graine ne perd qu’une petite quantité
d'humidité, puisqu'elle s’échauffe dans un vase clos. ,
PRESSE MUETTÉ,
La presse muette de M. Hallette est une véritable
conquête , dont l'influence sera grande sur le commerce
des builes ; soit par la puissance de ses -effets , soit parce
qu’en opérant sans choc, elle peut être établie partout
où il y a des moteurs, sans être ,; comme les “AyER: d'un
insupportable voisinage.
La pression se fait par le mouvement dreutaite continu
d’excentriques à surfaces épicycloydales qui, dans leur
révolution, poussent alternativement et ramènent à eux
les wardes , de sorte que les vidés où se placent les sacs
se font sans que l’ouvrier ait besoin d'y porter la main. .
Ces excentriques sont mus par un système de pignons
et de rouets, combiné de manière qu’avec une force de cin--
quante kilogrammes et une vitesse d’un mètre par seconde ;
les excentriques font un demi-tour en deux ou trois minutes,
et exercent , sur chaque tourteau , une pression qu’on ne
peut évaluer à moins de trente-cinq mille kilogrammes.
Dans des expériences faites sous nos yeux , et qui ont été
répétées postérieurement , ( voyez la note qui est à la fin de
. ce
| Mémoires mt
ce rapport ), on a trouvé qu’une quantité de graines qui
avait déjà éprouvé une première pression, échauffée au
terme moyen de 33 degrés de Réaumur, dans l'appareil
de M, Hallette, pressée dans sa presse muette, avait
produit un cinquième plus d’huile qu’une presse à coin
n'en avait extrait d’une semblabe quantité échauffée au
même degré dans les bassines ordinaires, et que les
tourteaux étaient aussi de -L plus lourds que ceux qui
provenaient des ces dernières presses.
M. Hallette n'avait d'abord présenté ses presses que
eomme capables de faire deux tourteaux à la fois, mais
l'expérience lui a prouvé que ses excentriques pouvaienf
vaincre l’élasticité de quatre tourteaux. Ainsi, la presse
muette, sans augmenter la force du moteur, fait quatre
tourteaux dans le même tems qr’une presse à coin n’en
fait que deux. Une chose que nous ne devons pas passer
sous silence, c’est que rien, dans la disposition et le
manœuvre de cette presse, ne sort de la routine ordi
naïre des ouvriers du pays.
Non seulement la presse muette a une forme élégante,
mais elle peut être entretenue avec propreté; car, l'in-
térieur est construit de manière que l'huile loin de
refluer sur ses bords est toute ramenée à une buise placée
à la partie inférieure de la machine et conduite immédia-
tement dans les tonneaux, quand la presse est établie
sur une cave, de sorte que l'huile n’est pas même vue
de l’ouvrier,
Qu'il nous soit permis de dire un mot sur la manière
dont sont construites les machines dout nous venons
d'éaumérer les avantages.
M. Hallette à construit ces machines avec une solidité
L 2,0 Zion. 6
72 MÉMOIRES.
telle, que ce n’est que de loin en loin seulement, qu’
pourra y avoir quelques légères réparations à faire. Les
cylindres, les pignons , les rouets, les excentriques,
Jes pommettes, les wardes, l’intérieur des presses ,
tout est en masses de fer fondu, d’une solidité à toute
épreuve, et un long usage pourra seul y laisser quelque
empreinte. .
Les dents des rouages, tracées rigoureusement d’après
les lois de la théorie, sont traitées avec un soin remar-
quab'e.
Les dents en fer des roues cylindriques sont limées et
polies, et il est parvenu à établir un parallélisme parfait
entre les lignes qui engendrent leurs surfaces. De même,
daos les roues d'angle, il établit, avec une graude précision,
la ligne génératrice de la surface des dents. Des pignons
et des rouets énormes ont leurs axes tournés et polis,
et le sont eux-mêmes, afin de placer les extrémités des
dents dans les surfaces cylindriques ou coniques qui Se
conviennent,
Des conduits sont ménagés dans toutes les hoîtes en
cuivre, afin de pouvoir sans cesse huiler les axes, ce qui
rend les frottemens nuls, ét empêche les surfaces de se
détruire. Enfin, M. Hallette n’emploie, pour ainsi dire,
que du cuivre et de la fonte dans ses machines, parce
vue l’hygrométricité du bois ne lui permettrait pas de
leur donner la précision et la justesse qu’elles exigent.
Elle est telle que dans le calcul on peut se dispenser
de faire la part des cas fortuits et des causes inconnues.
La commission a cru devoir borner ici son travail, sans
entrer dans une SE ds détaillée qu’elle a ii
inutile.
EN
Mémotres; |
Si l'exposé des avantages que les machines de M. Hallette
ont paru présenter à la commission peut engager nos
fabricans à une démarche, la première sera sans donte
de se transporter chez M. Hallette, dont les ateliers sont
toujours ouverts, et où ils pourront examiner les objets
et même répéter des expériences dont les résultats guideront
leur jugement. La Société s'estimera heureuse si les vœux
qu'elle fait à cet égard sont remplis.
Nous terminerons ce rapport par le tableau de la com:
position d’üne usine avec les machinés de M. Hallette ;
par celui dé ses produits et des forces nécessaires pour
la faire mouvoir, afin de donner une idée plus complète
de leur supériorité, sur tout ce qui s’est fait jusqu’à ce
jour dans ce genre. Nous prendrons une paire de cylindres
poürunité ; ainsi nous aurons pour la première trituration
une paire de cylindres froisseurs qui seront mus paï une
force de 150 kilogrammes. |
Deux jeux de meules pour le rebat en exigeront 400:
Une presse muette pour la première pression et deux
pour le rebat consommeront 150 kilogrammes.
La force totale du moteur devra donc être de 700 kilog:
avec une vitesse d’un mètre par seconde.
En supposant que les excentriques ne fassent leur demi:
tour qu’en trois minutes, les deux presses de rebat feront
donc quatre tourteaux dans le même tems, ve qui en
donne cent soixante par heure; ou seize cents dans une
journée de dix heures de travail et produira environ
dix hectolitres d'huile d’œillette et douze à treize hectolitres
d'huile de colzat. Tel serait l'effet d’un moteur dont la
force est moindre que celle qu'exige un moulin à vent
ordinaire, |
ee
m4 MÉMOIRES,
Déjà les machines de M. Hallette, sont en activité
dans les départemens voisins. Une usine, dont le moteur est
Yeau, va s'établir à Rouval: deux autres, dont les moteurs
sont des machines à vapeur, s'établissent à Calais et à
Mons ; toutes d’après les procédés et par les soins de
M. Hallette, |
Des fabricans , malgré l’'énormité du poids, n'ont
pas craint d’en faire transporter à cent quarante lieues
d'Arras. L’Angleterre nous les envie: la Belgique va en
jouir. Puissent nos concitoyens n’être pas indfférens à
de si puissans exemples, et ne pas laisser conquérir par
d’autres pays le précieux avantage de mieux fabriquer.
Puissent-ils ne pas souffrir qu’on ravisse à notre ville
celte branche de commerce qui, depuis tant d'années,
en fait la richesse et la prospérité.
Les Membres de la Commission ,
LETOMBE. = COURTALON. == P. MARTIN. == GARNIER.
Aimé BurDET, Rapporteur.
EXPÉRIENCES COMPARATIVES
Faites le 21 Septembre 1818 à Blangy-lez= due
EN PRÉSENCE
De M Mourgues, Propriétaire dela Manufacture de Ronval,
Et MM. Legavriant ef Pamart, Fabricans d'Huiles, |
Entre les procédés du chauffage à la bassine et de la presse à
coins ordinaire, avec l'appareil à échauffer les graines à la
vapeur, el la presse muette de M. Hallette. |
L‘"* ExPérreNcox faite dans l’usine de M. Pamart, sur
10,400 grammes de graine d’œilleite, qui avait été sou»
mise à une première pression.
LC. quantité a été divisée également en huit sacs,
qui ont été placés dans une presse à coin, où ils ont
éprouvé l'effet de 46 coups de hyes.
La graine, échauffée dans une bassine , avait reçu une
température de 31 degrés de Réaumur, pour les deux
premiers sacs, de 33, pour les Juaire dau. et de
35, pour les deux derniers.
Au sortir de -la presse ; les huit tourteaux ont pesé
ensemble . . . . . , +. . .:… +: 8,680 gram.
Et Phuile extraite e e« 'e .e e nt: e ‘o . L 259
FE
»
Total. : , , . 9.930 gram.
et comme le poids de là graine était de 10,400, Àl s'est
fait une perte de 470 granmes, :
f
76 MÉMOIRES.
2" ExpérieNor faite chez M. Hallette, aussi sur
‘0,400 grammes de graine semblable à celle qui a servi
à l’expérience précédente.
Comme la presse muelte fait quatre tourteaux à la
fois, il n’y a eu que deux chauffages, La graive a été
versée dans l'appareil à la vapeur, et a été chauffée
chaque fois à 34 degrés.
Au sortir de la presse, les huit tourteaux ont
pesé. . . . . . . . . . . . . . 8,795 gram.
et l'huile extraite . Ad de de: ee. 1:00!
Total. . . . . 10,295 gram.
| Le perte ici n’est que de 105 grammes. Elie est de
# plus faible que celle qui a été faite dans la DrSmuere
ee
Si nous comparons le poids des tourteaux , nous voyons
que ceux qui proviennent de la seconde expérience sont
de 115 grammes plus lourds que ceux qu’on à obtenus
dans la première. | LL
Si nous comparons la quantité d'huile, naus trouvons
que la presse muette en donne un cinquième de plus
que la presse à coin, Résultat énorme, si on l’ajoute à
la masse d'huile qui se fabrique annuellement dans ce
département.
Ce qui a surpris, c'est d'obtenir à la fois, par les
machines de M. Hallette , plus d'haile et plus de matière
que par les procédés ordinaïres. On ne peut en trouver
Ja cause que dans les procédés du chauffage.
Sur les fourneaux ordinaires, la graine est en contact
avec l'air, et séjourne longtems dans les bassines ; il se
fait en huile et en eau une évaporation qui est ici
de de la masse de graine.
MÉMOIRES. 77
Cette déperlition n’est que de f, dans l’appareïit à !a
vapeur où la graine est renfermée dans un vase clos.
Il est probable que cette perte n’a Lee que dans l'instant
où la graine passe dans les sacs.
Ces faits doivent faire considérer le chauffage sous un
nouveau point de vue, puisqu'ils. démontrent que pour
obtenir de la graine le plus grand produit possible, il
faut à la fois donner à l’huile la plus grande fluidité et
éviter toute déperdition.
L'appareil de M. Hallette satisfait aux conditions du
problème, puisqu'il peut donner à la graine une haute
température sans perdre de cette humidité qui est si
nécessaire pour faciliter l'écoulement de l'huile.
Quand à la presse muette, cette expérience prouve
ce que nous avons déjà avancé dans le mémoire précé-
dent, savoir: qu'il n’existe aucun système appliqué à
la fabrication des huïles qui, avec moins de force motrices
produise de plus puissans effets,
CANAL LVL LI V'UYSA Le LIRE AR LR
ÉPITRE
A l’Auteur d'un ouvrage inédit sur la statistique
du Département du Pas-de-Calais,
vu
Lu d la séance publique du 24 Aout 1818.
INSPIRÉ par l'amour des lieux qui t'ont vu naître,
Pour nous les faire aimer tu nous les fais connaître 5
Tu parais lour-à-tour poëte , historien,
Peintre, cultivateur, et toujours citoyen.
Sans eunui, sans fatigue, et sans craindre l'orage,
À mi, depuis trois jours avec toi je voyage,
Et j'ai trouvé ce terme.encor trop court pour moi,
Je veux recommencer ce voyage avec toi ;
Et sans quitter Sophie, ayant en main ton hivre,.
Je monterai Pégase aujourd’hui pour te suivre.
Salut , à mon pays ! séjour délicieux,
Séjour cher à mon cœur et charmant à mes yeux ;
Où règnent la santé, la paix et l’abondance!
Tu n'as pas, je le sais, le ciel de la Provence:
L’hvver, on ne voit point les folâtres bergers
Fn'er leurs chalumeaux sous les verds orangers ;
L'on n'entend pas au loin les éclats de la joie:
Sur l'arbre de Thysbé l’on ne voit point la soie:
Mais sur de frais gazons , sur des tapis de fleurs,
Que nourrissent du ciel les humides vapeurs,
Parmi les Coudriers, près d’une source pure,
+ =
MÉMOIRES: 79
Da serpent vénéneux sans craindre la morsure ;
À la garde d’un chien confiant leurs troupeaux ,
Tes pâtres satisfaits dorment au bruit des eaux.
Pour nourrir tes hameaux , pour enrichir tes villes ;
D'abondantes moissons couvrent tes champs fertiles ; :
Le seigle et le froment remplissent tes greniers ;
Le doux jus de la pomme enrichit tes celliers ;
Tes fils ont la valeur , la force de leurs pères ;
Ea beauté , la pudeur, charment dans les bergères ;
Et l'on retrouve encure auprès de tes forêts
Les antiques vertus, l'innocence et la paix.
Dans quels lieux peut-on voir de plus beaux paysages,
De plus limpides eaux , de plus épais bocages,
De plus rians côteaux , de plus riches vallons,
De plus fertiles champs et de plus verts gazons ?
Pour chanter mon pays et tout ce qu’il m'inspire,
Oh ! qui me donnera la palette et la Iyre ?
D'un style toujours pur , élégant et correct,
Toi, du moindre hameau tu nous décris l'aspect.
Ami , pour achever cette entreprise immense,
Il a fallu tes soins , ton zèle et ta constance :
Tu ne marchaiïs jamais sans porter avec toi,
L'équipage d’un peintre ou d’un homme de loi. .
Tenant force papiers , armé d’une écritoire ,
En guëtres , habit bleu , surtout gris , veste noire ;
Que de fois on t’a vu , sur le bord du chemin,
Arrêter les passans , la lorgnette à la main,
Et les interroger avec persévérance
Sur quelque vieux château qui tombe en déndeneel ?
D'un pas religieux tu parcours ces remparts ,
Théâtre abandonné des fureurs du Dieu Mars,
#o = MÉMOIRES.
Où l’on retrouve encor les lances meurtrières ;
Tu contemples ces murs , tapissés de lierres,
Ces souterreins pro‘onds, ces fossés recouverts,
Ces superbes chemins , presque aujourd’hui déserts ;
Et tu dis, appuyé contre une humble cabane :
« Ce champ couvert d’épis fut jadis Thérouanne ! »
Le vieux berger sur toi jette un regard malin ,
Et quitte ses pipeaux pour dire à son voisin :
» Vois-tu cet étranger tout couvert de poussière ;
» Qui toise le clemin, qui sonde la rivière ?
» Hier, je l'ai trouvé là-bas, près du moulin;
» Au pied de ce côteau, je l’ai vu ce matin :
» Il prenait le contour d’un tilleul et d’un orme...;
» Du coq de notre église il regarde la forme.
» Remarque ses habits, sa marche et son maintien ;
» C’est un grand voyageur, oh ! je n’y connais bien,
_» L'air distrait et pensif, il suit à pied sa route ;
» 1]l s'arrête, il observe, il s’informe, il écoute...
» Je ne me trompe pas : sous son chapeau pointu,
» C’est lui , le juif errant , que mon grand-père a vu, x
Rempli de ton sujet , rien ne peut te distraire ;
Interrogeant surtout les traces de la guerre,
Visitant tour-à-tour les murs du Vieil-Hesdin ,
Les antiques châteaux de Renty , de Fressin,
Où de puissans Seigneurs, du haut de leurs tourelles,
Appelaient leurs vassaux pour vider leurs querelles.
Tu veux escalader ces fameux boulevards, |
Défendus par l’épine el la ronce aux. cents dards ;
Où les vents déchainés , soufflant dans le feuillage,
Et les tristes hiboux, fuyant à ton passage,
Troublent seuls le repos qui règne dans ces lieux,
Où s'arrêtent caplifs les regards curieux.
“
| MÉMOIRES. sà
Tu rêves à loisir à ces nobles faits d'armes,
Tant pour toi le passé conserve encor de charmes? .
D'un ruisseau méprisé toi seul peux dire un nom
Que jamais n'ont chanté les Muses d’Hélicon :
Parcourant, avec soin, les fastes de l’histoire,
Tu sauras y trouver des titres à sa gloire ;
Redis que d’Atrébate entourant les remparts,
Jadis il arrêta le premier des Césars ;
N'oublie pas que ses eaux, pour la tapisserie,
Teignirent autrefois la laine d’Ibérie,
Qui, filée avec art sous des doigts délicats,
Nuançait savamment de riches canevas,
Où l’on voyait des camps, des sièges, des batailles ,
Qui de nos vieux salons décoraient les murailles.
Dans tes récits pompeux , illustre ton pays,
Que ce ruisseau devienne un autre Simois ;
De son modeste cours rends la gloire complète :
Sois son historien , je serai son poëte.
Mais les rives de Liane appellent mes pinceaux.
Quel pays fut jamais plus fécond en héros ?
Quand le chantre immortel de Renaud et d’Armide
Veut choisir un guerrier pieux , sage , intrépide,
Digne de commander à des héros chrétiens,
Sa Muse désertant les bords Ausoniens,
Dans un sublime essor vers mon pays s’élance,
Et plane sur les murs où Bouillon prit naissance.
« O cher Gésoriac ? (1) Ô séjour plein d’attraits,
» Autrefois la terreur et l’amour des Anglais !
» De ton modeste port ; où l’on entre avec peine,
(1) Boulogne-sur-mer,
52 MÉMOIRES.
» Pour soumettre Albion, partit l'aigle romaine ;
» Ici, de cette tour, se faisaient les signaux ;
%
» Là, du camp de César j’apperçois les travaux.
s Que j'aime les remparts , le château , l’esplanade ,
» D'où je vois la campagne , et la ville et la rade;
» D'où J'entends à la fois, assis sous des ormeaux,
» Les vagues, les tambours, et le chant des oiseaux!
» Oublierai - je ces camps à l'abri des attaques,
» Ces jardins cullivés à l’entour des baraques,
» Ces brillants étendards déployant leurs couleurs;
» Ces armes, ces faisceaux environnés de fleurs,
>» Et Paspect du soleil près du frout de bandière
Abaissant sur les flots son disque de lumière,
J
Taudis que des bâteanx les nombreux pavillons
Se balancent dans l'air au gré des aquilons ? »
Je retourne avec toi sur les rives de l’Ene ;
Au pied du mont Hulin j'aperçois Désurène :
Ici de Saint - Vulmer l’aspert délicieux,
Du vovageur charmé fixe bientôt les veux,
Que la nature est riche auprès de ces montagnes ;
Qui du Bas - Poulonnais encadrent les campagnes!
Les vœux du lahoureur n’y sont jamais déçus ;
C'est là qu'on voit régner les antiques vertus »
Que l’on relrouve encore une active jeunesse ,
Brillante de santé, de courage et d'adresse,
Laborieuse , sobre et contente de peu,
Pour qui de durs travaux semblent n'être qu’un jeu:
Les Muses ont aimé notre belle patrie,
Où règnent les lalens, les arts et l’industrie.
Les Trouvères iri racoutaieut leurs amours;
Leurs chants ont égalé les chants des Troubadours.
Flaids et jeux sous l’ormel , jours dignes de mémoires
CR
/
MÉMOIRES 83
Où la beauté jugeait des titres à la gloire, .
Décernait la couronne à des rivaux soumis,
Et jamais au vainqueur n'enlevait ses amis !
Je t'ai suivi long-tems dans tes récits fidèles ;
Je te quitte à regret, mais Pégase a des aîles.
Je ne puis avec toi marcher d’un pas égal :
Ce qui va bien en prose, en vers irait fort mal.
Comment pouvoir, ami, m’enfoncer dans les houilles,
Et charger Apollon de leurs noires dépouilles ?
Je ne placerai pas dans un riant tableau
Le charbonnier courbé sous un pesant fardeau,
Essuyant de son front l’eau noire qui découle,
Et tremblant que sur lui la terre ne s'écroule.
Je ne te suivrai pag dans ces sauvages lieux
Où le marbre reçoit un poli précieux.
J'entends au loin le bruit des marteaux et des pioches;
Le salpètres allumé fait éclater les roches ;
La nature est ici dans toute son horreur.
Ah ! plutôt des forêts perçons la profoudeur.
Qu'il est doux, vers le soir, promeneur solitaire ,
Quand la pâle Phébé de ses rayons éclaire,
De goûter la fraîcheur et des bois et des eaux,
De se rendre attentif aux concerts des oiseaux,
De sentir l’aube - épine et la rose nouvelle !
Au déclin d’un beau jour que la nature est belle !
Mais pour moi, mou ami, j'en fais l’aveu tout bas,
Sur aucune autre terre elle n’a tant d’appas.
Le B°" d'ORDRE , Inspecteur des Foréts du département
du Pas-de-Calais , Membre correspondant. |
Penn Rien
LE FLEURISTE ET L'ÉPI DE BLED.
FABLE,
UX amateur , dans un vaste jardin,
Ne plantait que des fleurs, telle était son envie ;
À les soignèr il employait sa vie,
Les arrosait soir et matin,
Et prenait grand soin de détruire
Les insectes qui pouvaient nuire.
Ses peines et son tems , il ne ménageait rien;
Jardin jamais ne fut soigné si bien.
Un jour qu’il travaillait comme à son ordinaire,
(C'étaitau mois d'avril, ) l’homme vit par hazaïd
: Un brin de bled qui poussait à l’écart.
Oh! oh! dit-il, que viens-tu faire,
Herbe insolente dans ces lieux ?
Ignores-tu donc qu’à mes yeux
Tu ne peux jamais trouver grace?
Vraiment tu choisis bien ta place !
Disant ces mots il allait l’arracher ;
Le grain espérant le toucher,
Eui répondit d’un ton modeste :
Ici, permettez que je reste ;
Je ne suis point une berbe , et ne peux nullement
Nuire à ces fleurs qui font votre agrément,
d MÉMOIRES. 83
Ye suis du bled ; au bout de ma carrière
Vous pourrez recueillir ma graine nourricière,
Et vos poulets en feront un repas.
De ce discours touchant et sage
L’amatéur ne fitaucun cas,
Et le bled fut ôté sans tarder davantage.
L'été se passa bien, et le fleuriste heureux
Fut tout ce tems au comble de ses vœux.
Mais l’hiver le suivit, et bientôt la froidure ,
Les noirs autans , la neige et les frimats,
Venant désoler la nature .
Aux fleurs firent de grands dégats.
Notre amateur se donna bien des peines
Pour les sauver ; mais toutes furent vaines,
Et l’aquilon souffla tant et si bien
Que notre homme ne sauva rien.
L'on peut juger quel fut le chagrin du fleuriste,
Quandil vit son jardin dané un état si triste;
Eb quoi! se disait-il, après tant de labeurs
Il ne me reste rien ! encore si ces fleurs,
M'avaient donné des fruits pour remplir mon armoire. :.::
Soudain l’épi de bled lui revient en mémoire.
Ce grain, dit-il, avait raison. -
Si pendant la saison dernière
J'avais de bon froment ensemencé ma terre ;
J'en aurais maintenant ample provision.
Que nr'ont servi ces fleurs que je trouvais si belles ?
Pour prix de mes travaux me reste-t-il rien d'elles?
Je reconnais ma faute et veux la réparer.
Je vais de mon terrein faire un meilleur usage ;
Le grain que j'y mejtrai me fera prospérer ,
Et je pourrai jouir des fruits de mon ouvrage.
86 MÉMOIRES. .
Pour occuper mes instans de loisir,
De quelques fleurs encor j'ornerai mon parterre ;
Et, sans que ce soit là ma principale affaire
Ce sera cependant un sujet de plaisir.
Le fleuriste de cette fable
Était un homme de bon sens :
Comme lui sachons en tous tems
Joindre l’utile à l’agréable.
Auguste CoT, Membre résident,
MÉMOIRES. 87
iunenennmnRanERNEmAam Nu IERmRmAuEuEunREuUEunuxs
Essar sur les Maladies particulières au département
du Pas-de-Calais, et les causes qui les produisent’,
par B. Leviez, Docteur en médecine, Directeur de
Phcole de Mél:cine et de Chirurgie du département
du Pas-de-Calais , Membre de la Société royale d'Arran
MESSIEURS,
FE, vous associant les hommes qui cultivent les diffé
rentes parties des Arts et des Sciences, vous avez
suffisamment prouvé, qu’elles ont entre elles des con-
nexious si intimes, qu’elles dépendent toutes les unes
des autres, qu’elles se prêtent des secours mutuels, et
qu'elles ont un seul et unique but, le bonheur des
hommes réunis en société. Aussi, celui qui veut appro=
fondir un des points de nos connaissances ; commence-
t-il pat acquérir des notions plus ou moins étendues
sur les différentes Sciences qui ont quelque rapport avec
celle qui doit l’occuper particulièreinent , afin d'établir
des comparaisons entre elles, et de saisir les De
de contact qui leur servent de liaison.
Cette vérité appliquée à la Médecine ‘paraîtra encoré
plus sensible ; toutes les autres Sciences semblent être
devenues ses tributaires; considérée sous un double
rapport, la Médecine comprend premièrement l'étude de
Yhomme dans l’état de santé et dans l’état de maladie;
deuxièmement, l'étude des objets qui sont placés au-
dehors, et qui produisent sur lui une impression quel-
conque. Cette distinction est due à Galien qui appelait
les matières de la première division, choses naturelles,
et improprement les secondes choses non-naturelles.
LS Lis 7
88 MÉMOIRES,
On appercçoit d’un coup-d’œil que la Médecine embrasse
‘toutes nos connaissances : la Physique , la Chimie, l’His-
toire naturelle sont appelées tour-à-tour à concourir,
soit à la découverte de quelques-uns des secrets de notre
organisation, soit à nous procurer des moyens médica-
menteux propres aux traitemens des Maladies. Elle étend
son empire sur les trois règnes de la nature qui s’em-
* pressent de lui apporter chacun leur tribut.
Les Beaux-arts , la Musique , la Poësie, la Peinture,
ve lui sont pas étrangers; très-souvent réclamés par
le Médecin , dans certaines maladies nerveuses, ils devien- .
nent des moyens précieux, soit comme traitement , soit
pour seconder Peffet des remèdes. Les Prêtres égyptiens
qui réunissaient la Médecine au Sacerdoce, savaient en
obtenir les plus heureux résultats.
Pendant longlems et principalement aux époques de
Barbarie, l'Etude de la Médecine était négligée. Quel-
ques hommes seulement suivant les traces des Médecins
grecs, en cultivaient isolément les différentes branches,
et conservaient le Feu sacré ; tandis qu’une foule de
Médicastres soumis à l'empire d’une pratique routinière,
deshonorait le plus précieux des Arts, et en faisait un
honteux trafic. La crédulité publique favorisait son
audace. Les hommes instruits longtems privés des moyens
nécessaires pour pouvoir distinguer ceux qui doivent
mériter la confiance , confondirent tout ; ils considérèrent
cet Art ou comme sacré, sur lequel il était défendu de
porter un regard profane ; ou bien la Médecine ne parut
à leurs yeux qu'une science illusoire et même nuisible :
c'est ce qui l’a rendue, tantôt l’objet d’une vénération
exagérée, et tantôt l’objet d'une dérision injuste.
Fondée sur la connaissance des sciences naturelles , la
MÉMOIRES, 8g
Médecine est enfin redevenue ce qu'elle était au tems
d'Hippocrate : une théorie simple, fondée sur des ex-
plicalions déduites des faits ; des descriptions exactes des
” maladies ; une discusion sévère pour découvrir les causes
qui les ont produites ; l’éloignement de tout ce qui
n’est pas le résultat de l'observation ; des remèdes bien
choisis, dont les effets sont appréciés à leur juste va-
leur , tel est l’état actuel de la Science. Ce n'est plus
un amalgame informe de formule , de recette, de pa-
nacées présentées indistinctement pour guérir toutes les
maladies ; c’est une Science qui ne repose que sur des
faits, qui a ses difficultés, ses bornes ; mais qui sou- |
met toutes ses opérations au flambeau de l'expérience
Ja plus rigoureuse.
Aussi la médecine a-t-elle de nos jours mérité le
suffrage des gens instruits et la protection des magis-
trats? Elle est souvent honorée par des savans dans
tous Îles genres qui voulant approfondir la Science de
l'homme , s’empressent d'acquérir des connaïssances dans
l'anatomie , la Physiologie et l’'Hygiène ; ils trouvent des
délassemens dans une Science qui était autrefois héris-
sée de dégoûts et enveloppée d’un voile mystérieux. En
effet, l’étude de soi-mème, de ces admirables fonctions
dont l’ensemble constitue la vie; celle des objets ex-
térieurs qui produisent sur nous des impressions si va-
nées et si étonnantes , est bien faite pour remplir les
loisirs des personnes qui aiment à se connaître,
_ Ce sont ces considérations, Messieurs, qui m'ont dé-
terminé À vous entretenir un moment de la médecine,
J'ai pensé que des recherches sur l’Hygiène , (cette partie
intéressante qui a pour objet la conservation de la santé),
relativement aux maladies "particulières au pays que
7 #
“?
n
0 MÉMOIRES.
v
vous habitez; les causes auxquelles on peut les attri-
buer, les moyens préservatifs et curatifs, etc., pourraient
vous être de quelqu'intérèt.
Mais avant d'exposer ces différentes maladies , il me
paraît indispensable d'entrer dans quelques détails sur
de climat, le sol , la température, les productions, ete,
da département du Pas-de-Calais, objets qui ont
une influence manisfeste sur la santé de ses habitans.
C'est ce qui formera la première partie de cet essai.
. Une courte description des maladies qui tiennent aux
qualités constantes et variables de atmosphère ; de celles
qu'on nomme endémiques et épidémiques ; l’exposition
des trailemens préservatifs et curatifs reconnus les meil-
leurs par les praliciens ; tel sera l’objet de la seconde
parlie.
Je ne me suis pas dissimulé la difficulté de traiter
convenablement un sujet d’une si haute importance.
Plusieurs de mes confrères m'ont déjà devancé dans cette
carrière , notamment MM. Desmarquois et Butor, qui
Yont parcourue d’une manière distinguée. Leur excellent
ouvrage sur la statistique médicale du département du
Pas-de-Calais, est rempli de vues profondes, d’obser-
valions importantes : il peut être d’un grand secours
à ceux qui exercent la médecine dans ces contrées ;
mais le sujet est si vaste, si interessant, qu'il offre
une moisson abondante à recueillir à tous ceux qui
voudront s’en occuper : c’est un champ fertile en obser-
vations, et dont on peut tirer les plus grands avantages
pour l'humanité,
MÉMOIRES, | (SL:
PREMIÈRE PARTIE.
{#
CHAPITRE ].® — Climat et température.
LE département du Pas-de-Calais est situé entre le 50."
et le 51. degré de latitude septentrionale, et entre là
45.%* et la 5o."° minute de longitude, méridien de Paris.
Il peut être considéré par rapport à cette situation
géographique, comme appartenant à ceux dont la tem-
péraiure se rapproche davantage des pays situés au.
nord de l’Europe; le climat de la France en général:
est tempéré; elle tient le milieu sous ce rapport entre:
les contrées méridionales et septentrionales ; celui du Pas-.
de-Calais est humide et froid. Des pluies abondantes
pendant une grande partie de l’année, entretiennent
cette humidité. L'air est pendant tout ce laps de tems.
surchargé de brouillards, de vapeurs qui s'élèvent du
sein de la mer, ou des ‘autres surfaces aqueuses. Si sa
température est en même tems élevée, il devient beau
coup plus susceptible de se charger des émanations
putrides et marécageuses ; à moins qu'un vent salutaire
ne vienne balayer l'atmosphère et la rendre plus pure.
C'est-KRà un des principaux avaniages de ces grandes
asitations aériennes connues sous le nom de météore.
Il est rare que les hivers soient rigoureux dans le Pas-
de-Calais. Ce ne fut guère que pendant les années 1709,
3740 et 1588 que l’on vit descendre le thermomêtre de
Réaumur au-dessous du :15.%° degré. Nous avons en.
général trois ou quatre hivers très-doux sur un rigou-.
reux. La gelée se fait à peine sentir ; le thermomèëtre-
92 : MÉMOIRES.
descend seulement au 7."° ou 8." degré au-dessous de zéro,
et s'y maintient peu de tems. Lorsque la neige reste sur
les terres pendant un mois ou deux, cela est regardé
comme un signe favorable à l’agriculture.
La chaleur est rarement excessive , le terme moyen
est du 16.% ou 20." degré au-dessus de zéro; mais
il arrive assez souvent que nous avons une température
uniforme pendant la plus grande partie de l’année. Un hiver
doux un été froid La température est souvent extrémement
variée dans un court espace de tems, et n’est pas tou-
jours en rapport avec les saisons, Le printems est per-
nicieux à la santé sous le rapport de la transpiration
insensible qui est susceptible de se répercuter , princi-
palement dans les lieux élevés. Dans les contrées basses,
au contraire , les vallées humides , les Lords de la mer,
c'est l’automne qui est la saison la plus nuisible. On
voit encore dans notre climat , un froid vif et une
chaleur brülante se succéder avec la plus grande rapi-
dité ; la même journée nous offre un tableau de quatre
saisons ; de la gelée pendant la nuit, une fraîcheur
piquante le matin, et une forte chaleur à midi.
Une tradition populaire prétend que la température
est changée, que les saisons se sucrédaient autrefois
avec plus d’uniformité; c’est ce qu’il est difficile de
prouver. On sait que ce pays était jadis couvert de
vastes forêts, que la plupart des terres étaient encore
en friche. Mais il est prouvé que la culture d'un pays en
adoucit la température, et que le défrichement des forêts
favorise la circulation de l’air. 11 est possible que dans
certaine partie du département, les vents s’y fassent
sentir aveo plus de violence,
MÉMOIRES. 93:
CHAPITRE ÏÎL — Topographie.
A
BOoRNÉ au nord et l’est par le département du Nord.
et l'Océan, au midi par celui de la Somme, à l’ouest.
par le détroit qui sépare la France de l'Angleterre , le-
département du. Pas — de - Calais comprend presque. la.
totalité de l’ancienne province d'Artois, la majeure
partie du Boulonnois et du Calaisis et une petite por-.
üon de la Picardie. Ce pays était autrefois divisé en haut
et bas Artois. en haut et bas Boulonnais. Cette ancienne-
division présente les considérations les plus importantes,
sous le rapport de l'atmosphère, des qualités du sol,
des productions, des maladies, etc. Nous aurons plu-
‘sieurs fois occasion de le faire remarquer, et nous les.
désignerons sous les noms de partie haute et. partie basse.
du département. La première comprendra la totalité des.
arrondissemens d'Arras et de St. Pol, une- forte majorité
de ceux de Béthune et de Montreuil, une partie de celui
de Boulogne. et de St. Omer. Il restera pour la seconde-
au partie basse , ‘la presque totalité de l'arrondissement
de St. Omer , et des portions plus ou moins considérables,
de. ceux de Béthune, de Montreuil et de Boulogne.
CHAPITRE IIL — Qualités du soi,
LA partie haute du Pas-de-Calais offre des montagnes:
qui ont peu d’élévation, et qui mériteraient plutôt le-
nom de. collines; des plaines élevées mais fertiles, La:
94 MÉMOTRES.
sol y est généralement à lase de carhorate calcaire:
des pierres alun:ineuses ou siliceuses, s’enfoncent à des
profondeurs plus ou moins considérables. Les montagnes
n’ont souvent que très-pen d’humus ou terre végétale ;
les plaines ont en proportion des couches de terre
beaucoup plus profondes. La plus commune dans cette
partie du département, est celle qu’on nomme argileuse
ou glaiseuse d'une couleur grise ou blanche. On y ren-
contre aussi des terres vives mêlées de silex dont la
couleur rouge fait présumer un mélange d’oxide de fer
avec une petite quantité de soufre, et dans la multitude
de petites vallées que forment les montagnes et les
plaines, on trouve en abondance, une espèce de terre
à laquelle on peut donner le nom de terre-franche ;
elle parait résulter de la combinaison particulière des
quatre principales espèces de terre que les chimistes
modernes reconnaissent, qui sont la silice, l’alumine,
la zivrone, la magnésie, et auxqueiles on peut ajouter
la chaux regardée comme terre alkaline; c’est la plus
abondante dans Îles lieux élevés. Il existe aussi une
grande variété dans les terres de ces nombreuses vallées,
suivant qu'eiles se trouvent plus ou moins chargées de
substances vésélales én putiéfaction. Il en résulte des
dépôts qu'y laissent les feuilles des arbres et des végé-
taux qui y croissent en abondance et avec plus de force
que partout ailleurs. Ces matières sont sans cesse en-
traïinées par Îles pluies dans les lieux les plus déclives.
On rencontre encore, mais plus rarement, des mares
d'eau à fonds de terre tourbeuse.
La terre, dans la partie basse, est plus grasse ; l'a-
Ynmine est la partie qui y domine; ses couches sont
Œus mullipliées; elle est d’une couleur noire, grise ou
à
MÉMOIRES. _ gù
jaune, et d’un grand rapport. Quel plaisir n’éprouve-
t-on pas en parcourant les plaines fertiles, les gras pâtu-
rages et les riches prairies que la Lys arrose jusqu’à
son confluent avec l'Escaut? Rien de plus agréable que
les bords de l’Aa jusqu’à la mer, et les belles campagnes
du bas-Boulonnais. Si cette qualité du sol enrichit les
habitans de ces contrées, elle les expose à des maladies
plus nombreuses et plus graves que celles de la parlie
baute. On y rencontre aussi des terres argileuses , des
bancs de sable, du silex, sur-tout sur les bords de la
mer. Mais un objet bien plus important à observer, sous
le rapport de la médecine, c’est la quantité de terre
tourbeuse qui se trouve dans cette partie du départe-
ment. L’abondante extraction de la tourbe en été, est
remplacée par une masse d’eau considérable, dont l’éva-
poration toujours à craindre dans les tems de chaleur,
doit appeler sans cesse l’atlention de ceux qui veillent
à la santé publique.
om nn RERO
Om mn mm
CHAPITRE IV. — Qualités des Eaux.
Re
LES vallées sont presque toutes arrosées par un grand
nombre de ruisseaux, qu’on voit sortir du pied des
montagnes, et qui, par d’agréables détours, serpentent
dans les plaines pour y porter la fraîcheur et la fertilité.
Ces eaux, suivant qu'on les voit jaillir du silex vif ou
du carbonate calcaire, prennent le nom d’eau de gravier
ou d'eau de marne. Ces deux espèces d'eaux, lorsqu'elles
sont pures , sans cesse en mouvement, contribuent à
embellir et à sanifier le pays qu’elles parcourent, au-
\
06 | MÉMOIRES.
tant que leurs bonnes qualités entretiennent Ia santé
des habitans de :ces contrées.
Comme ïl est impossible de décrire les différentes
espèces d'eaux répandues dans toutes l’étendues du ter-
ritoire du Pas-de-Calais , il ne sera pas inutile je crois,
de donner ici uue courte analyse, au moyen de la-
quelle, on pourra facilement reconnaître, les bonnes
et les mauvaises qualités des eaux.
L'eau n’est pas un élément comme on le croyait au-
trefois ; suivant les expériences des chimistes modernes,
Veau est un composé de 085 parties d’oxigène et de
o15 d'hydrogène. Elle se trouve presque toujours mêlée
par l'agitation avec quelques parties d’air et d’acide car-
bonique , ce qui lui donne une propriété stimulante
que la distillation et l’ébullition lui enlèvent.
L'eau étant un fluide éminemment dissolvant, il est
très-rare de la rencontrer pure. Elle contient presque tou-
jours des matières qui en altèrent plus ou moins Îles
propriétés. La meilleure est celle qui provient d’une
fontaine, d’une rivière ou d’un fleuve , ou celle qui
roule longtems sur Île sable ou le gravier, où elle a
pu se dépouiller des parties hétérogènes qu’elle conte-
nait, qui est limpide, diaphane, incolore, qui a une
saveur, fraîche, dissout facilement le savon et cuit par-
faitement les légumes. L'eau distillée est la plus pure
de toutes ; mais elle est privée d’air et d’acide carboni-—
que, comme: celle qui a bouilli : ce qui la rend insi-
pide , indigeste et moins salutaire.
Les eaux de pluie, de lac, de citerne , de neige,
peuvent encore être employées dans l’usage ordinaire ;
mais elles contiennent presque toujours des matières
salines , des substances végétales en putréfaction. Les.
MÉMOIRES. 97
plus mauvaises sont les eaux stagnantes des marais ;
elles acquièrent différentes saveurs selon les substances
qui y sont en dissolution ; le savon au lieu de s’y dis-
soudre, se forme en grumeaux qui surnagent; les 1é-
gumes loin de se ramollir par la coction, s’y durcissent
en se pénétrant de substances salines. Il en est à peu
près de même de ces eaux qu’on nomme cruës ou dures ,
comme sont celles de certains puits, dans les lieux bas,
et qui contiennent la plupart un excès de carbonate
de chaux , de la selenite, ou sulfate de chaux.
pos ee <=]
CHAPITRE V. — Aivières.
EE ere en
LEs nombreux ruisseaux que nous avous vus arroser
les vallons et les belles plaines de la partie haute de
ce département se réunissent par des confluents mul-
tipliés ; ils parcourent les vallées qui s’agrandissent in-
sensiblement , et forment les grandes rivières ; la Scarpe,
la Canche, l’Authie et la Sensée dont les bords fertiles
et plantés de grands végétaux font nne heureuse diver-
sion avec le reste de cette partie qui est en général
sèche, peu boisée et entièrement découverte. La Lys,
V'Aa et la Liane parcourent la partie basse du Pas-de-
Calais : le cours de ces rivières est moins rapide; leurs
eaux s'épanchent doucement dans les plaines basses,
les prairies et les marais. Elles y forment souvent en
automne et surtout en hiver des plages d’eau que les
chaleurs de l'été font disparaître. Ces cruës déposent sur
les terres une vase abondante qui augmente beaucoup
Ja fertilité de ces contrées. Mais elles peuvent être
98 . MÉMOIRES.
pernicieuses à la santé en favorisant le développement
des maladies épidémiques. Ce fléau destructeur est bien
plus rare actuellement , que les autorités administratives
s’occupent sans relâche à dessécher les marais fangeux,
à rendre à l'agricultnre les terrcins qui en sont sus-
ceptibles ; à faciliter l'écoulement des eaux, soit en
creusant des canaux de communication , soit par le cure-
ment des rivières, ou en joignant ensemble plusieurs
pièces d’eau que le mouvement et l'agitation purifient.
Les plantations d'arbres le long des rivières et des ca-
naux, autour des lacs, sont encore des moyens puissans
pour corriger l’insalubrité de Pair.
Les végétaux et surtout les grands, selon les chi-
mistes, contribuent à sanifier l’atmosphère. Ils absorbent
les émanations nuisibles et le carbone qui en est la
base, et laissent exhaler de l’oxigène principalement lorsque
le soleil est sur l’horizon. C’est ce qui peut rendre raison
jusqu'à un certain point du charme inexprimable que
nous éprouvons, daris une promenade du malin, quand
le soleil darde ses premiers rayons sur une végétation
brillante ; lorsqu'une fraîche rosée et l'arum des fleurs
embaument l'atmosphère. Nos fonctions s’exercent alors
avec bien plus de facilité; nos sens reçoivent des im-
pressions agréables des objets qui nous environnent :
tout contribue à nous donner une nouvelle existence.
oo
CHAPITRE VI — Habitations.
AUSSI les habitations situées dans le voisinage d’un
bois, près d’une rivière dont l’eau limpide et pure,
est dans une agitation continuelle, non loin d’une prairie
LL
MÉMOIRES. 96
couverte de plantes aromatiques, sont-elles. bien plus
favorables à la santé? C’est sur-tout dans la plus tendre
enfance et dans la jeunesse que les influences dn sob
et de l'atmosphère sont les plus énergiques. Nous sommes
souvent étonnés de voir les enfans des campagnes plus
forts et plus vigoureux que ceux des villes. Notre étonne-
ment cessera lorsque nous seront persuadés que l’exercice
du corps continuel et pénible , l'air libre, et une nour-
riture abondante, sont les trois conditions les plus
avantageuses au parfait développement de l'homme.
Si nous jettons un coup-d’œil sur les habitations des
villes du Pas - de - Calais, nous remarquerons que les
changemens qu’on y a fait de nos jours sont immenses.
L’inbumation hors des villes, les soins de propreté de
toute espèce, la manière de construire les maisons où
Vair circule plus librement; les plantations d'arbres dans
les places publiques, autour des villes, le long des
routes , etc. , attestent l’excellence du génie qui préside
à PADpiène publique.
Mais lun objet qui ne cessera jamais de frapper l’atten-
ton de l’ami de l'humanité, c’est de voir encore de nos
jours , dans le chef-lieu du Pas-de-Calais , les caves ha-
bitées par des hommes! Descendez dans ces tombeaux
vivans ; voyez ces spectres ambulans ; des enfans pâles ,
languissans , décharnés, attaqués de scrophule , de
scorbut, et autres maladies qui les moissonnent à la
fleur de l’âge; ou s'ils échappent, ces êtres frèles, dé‘
licats , accablés sous le poids des infirmités, après
avoir donné l'existence à des enfans plus faibles qu'eux,
sont victimes d’une vieillesse prématurée. Toutes les
circonstances conspirent à dégrader cette classe malheu-
xeuse : la misère, les maladies. et ' la privation d'air !
LOO MÉMOIRES.
les vrais philantropes feront toujours des vœux pour
que ces souterrains infects, soient rendus à leur première
destination. à
Les habitans des campagnes seraient dans la position
la plus avantageuse à la santé, s’il ne se rencontrait
chez eux des inconvéniens d’un autre genre. Parcou-
rons leurs habitations ; en général , elles sont petites,
étroites, peu aërées ; humides, toute la famille se.
réunit dans une même pièce, qui est souvent contigué
aux étables des bestiaux. ( On croit vulgairement que
la transpiration des animaux est salutaire à l’homme ;
c’est une erreur fondée sur ce qu’on l’a quelquefois em-
ployée avec succès dans Île traitement de la phtisie ).
De cette contiguité résulte que les hommes et les ani-
maux respirent le même air, surtout peudant la nuit ;
les croisées sont étroites, presque toujours fermées ;
les lits sont enfoncés dans des alcoves resserrées, près de
murs humides. La cour est inondée d'une mare bour-
beuse d’où s’exhale des miasmes putrides très-pernicieux.
Joignez à toutes ces causes d’insalubrité , une nourriture
peu substantielle, mal-saine, des fatigues excessives ,
de l’eau pour boisson, souvent d’une mauvaise qualité ;
telle est la condition du pauvre à la campagne. Vous ne
serez pas étonnés si les épidémies , qui exercent si sou-
vent leur ravage , dans le Pas-de-Calais, commencent
presque toujours par la classe indigente et ne par-
viennent à la classe aisée que par contagion.
Il est du moins satisfaisant de voir que l'esprit de
propreté, d’embellissement et de salubrité s'étend de
plus en plus; que l'impulsion donnée par les autorités
administratives descend dans toutes les classes, et que
chacun met le plus grand prix à se procurer une de-
meure aussi commode que salubré.
MÉMOIRES: roI
CHAPITRE VII. — Productions.
à
IL est inutile d’insister beaucoup pour démontrer que
les productions d’un pays doivent influer sur la .
de ses habitans. Je jetterai un coup-d’œil rapide 1.° sux
les productions minérales; 2.° sur les productions végé-
tales ; 3.° sur les productions alimentaires one
au Pas-de-Calais.
Sous le rapport de la minéralogie > la nature nous
offre, dans certaine partie du département, des objets
dignes de fixer l'attention de l’observateur. On rencontre
des minéraux et des fossiles, sur-tout dans l’arrondisse-
ment de Boulogne, où l’on trouve des pyrites martiales
( sulfur de fer ), des sources d'eaux minérales ferru-
gineuses, des mines de charbon de terre, des carrières
de marbre, des pierres coquillières, du tuf, des géodes,
des comus d’ammon, des grès, etc.
Le règne végétal étale à nos yeux des productions
bien plus variées; la médecine y trouve des plantes
usuelles de toute espèce, et la nature prévoyante à
prodigué à chaque contrée de notre déparlement les
remèdes qui sont propres À ses maladies particulières.
Les montagnes, les bois et les prairies recèlent des plantes
analogues à la nature du sol et des maladies qui ont
coutume d'y régner. C’est ainsi que l’on trouve en abon-
dance, dans a partie haute, les classes des plantes
désignées sous les noms de vulnéraires, les béchiques,
les amers, les mucilagineux, etc.; souvent nous foulons
aux pieds des végétaux précieux. Les fleurs de tussilage,
la bugle, la scabieuse, le bouillon-blanc, le lierre ter-
102 MÉMOIRES.
restre , la véronique, la germandrée, la scolopendre , et
beaucoup d’autres ornent nos bois et nos prairies, y
répandent leur doux parfum, et fournissent des remèdes
aussi précieux que simples dans les affections catharrales
si fréquentes dans ces contrées.
La partie basse du département, nous offre aussi un
grand nombre de plantes offcinales, maïs d’une nature
différente. Celles appelées anti-scorbutiques, les crucifères,
les apéritives, les fébrifuges s’y rencontrent à chaque
pas. Les bords de l’Aa, les fontaines qui environnent
cette rivière, la Lys et la Liane sont couverts de
cresson , de beccabunga , de treffle d’eau , d’ache , d’anonis
et d'un grand nombre d’autres plantes qu’il serait trop
Jong de détailler ici, mais toutes plus ou moins utiles
à combattre les maladies adynamiques particulières à
cette contrée.
Les productions alimentaires sont abondantes dans
toute l'étendue du département ; l’Agriculture a fait des
progrès immenses, et n’est pas très-éloignée de son plus
haut point de perfection. Les légumes sont d’une excel-
lente qualité; les fruits sont variés et la nature nous
en offre pour toutes les saisons. Les graines céréales,
les racines féculentes fournissent à toutes les classes
de la société un aliment nourrissant et salutaire. Néan-
moins ‘ils présentent des différences importantes suivant
les lieux où ils croissent. Les légumes et les fruits de
la partie basse du département, sont aqueux, moins
sapides ; la chair des animaux est molle, tendre, grasse,
moiris savoureuse : les productions des terrcins élevés
de ce département sont moins abondantes, mais aussi
elles sont d’une qualité supérieure,
CHAPITRE
MÉMOIRES. " 103
CHAPITRE VIIL — Usages.
IL est quelques usages particuliers à ces corse
qu’il me paraît important de signaler ici, en raison des
influences qu’ils peuvent avoir sur la santé.
La bierre est la boisson ordinaire à ce département.
La décoction d'orge germé qui a subi la fermentation
alcoolique, à laquelle on ajoute du houblon, essentiel
à sa conservation , fournit une boisson vineuse , agréable,
rafraïchissante et nourrissante. La plus salutaire est celle
qui est claire et qui ne contient que très-peu d’acide
carbonique. Il est à remarquer que l’eau avec laquelle
on fait la bierre influe notablement sur ses qualités.
Cette boisson convient bien aux personnes fortes, c’est
un stimulant doux qui peut faciliter la digestion. Mais
celles qui ont l'estomac faible doivent s’en abstenir ou
en faire un usage très-modéré. La bierre bue avec excès,
surtout celle qui contient de l'acide carbonique , qui
mousse , jette dans une ivresse particulière dans laquelle
ceux qui en sont atteints deviennent furieux ou assoupis ;
ces excès, souvent réitérés, engourdissent les sens et le
eérveau. Les boissons acidulées, la limonade . l’oxicrat,
le punch, font cesser les. mauvais effets de Ja bière.
n’est pas de pays où l’on fasse un plus grand
usage de beurre que dans le département du: Pas-de-
Calais. Les chimistes le regardent comme une huile ani-
male concrète, susceptible de fournir un excellent aliment,
lorsqu'il est employé en petite quantité, comme l'assai-
sonnement des légumes farineux , des racines féculentes
et des graines céréales dont notre pays abonde; mais,
pris avec excès, il devient pesant, produit le fer-chaui
L 3. Liv. 8
104 MÉMOIRES.
ét es embarras gastriques. C'est surtout lorsqu'on f’em-
ploie en trop grande quantité à l'usage des sauces qu’il
est le plus nuisible; principalement quand on le fait
roussir où qu'on Je joint à des alimens assez gras par
eux-mêmes, comme certains poissons, etc. Les irritations
gastriques, les spasmes ; les resserremens de l’estomac,
qui répandent leurs funestes effets sur toute l'économie
humaine, n’ont souvent d’autres causes qu'une alimen-
tation qui n’est pas en ‘rapport avec les puissances
digestives.
* L'huile d’œillette , retirée par expression des semences
de pavots, dont les tiges et les feuilles fournissent an
sac narcotique, n’a pas les mauvaises qualités qu’on a
cru devoir lui attribuer; surtout lorsqu'elle a subi les
préparations qui la débarrassent de son odeur vireuse
et de son goût nauséabond. Les procédés actuellement
en usage à Arras pour la purification des huiles, réanissent
tous ces avaritages. L'huile d’œillette devient alors claire,
d'une couleur vetdâtre , d’une légère saveur d'amande , et
ne produit aucun mauvais effet sur la santé.
L'usage du chaïbon de terre, comme combustible ré-
pandu généialement dans la plus grande partie de ce
département , peut encore exercer certaines influences sur
la santé. La ‘manière de le brûler présente aussi des
différences remarquables. Les ‘poëles, en établissant un
courant d'air non interrompu qui permet aux vapeurs de
se brüler et de s’exhaler aussitôt, sont moins nuisibles
que les cherninées dites à l'anglaise et autres dans le
même genre. L'inconvénient commun à toutes, c’est de
trop échauffer l'appartement, d'établir trop de différence
evtre sa température et celle de l’atmosphère du dehors
st de rendre les corps plus sensibles à son impression:
MÉMOIRES, | 105
Un moyen de rémédier aux mauvais effets du charbon,
c'est de tenir constamment un vase rempli d’eau dans
l'appartement. L'eau s’évapore , et a la propriété d’absor-
ber les vapeurs nuisibles. Le charbon de Frêne donne
lieu à des vapeurs sulfureuses qui gênent la respiration,
excitent la toux et disposent aux affections catharrales,
surtout quand il est brûlé dans des fourneaux ou ré-
chauds dépourvus de tuyaux qui conduisent les vapeurs
au dehors. | |
Il serait facile d'étendre davantage ces différentes con-
sidérations ; les mœurs , les usages , les professions,
seraient encore des sources fécondes en observations
utiles; mais les bornes que nous nous sommes prescrites .
ne nous permettent pas d'entrer dans de plus grands
détails: et le peu que nous avons dit suffit pour faire
voir qu’on peut en tirer des inductions importantes
sous le rapport du tempérament, du caractère, des
mœurs et des maladies particulières au Pas-de-Calais,
comme nous aurons occasion de le démontrer dans la
seconde partie de cet essai. |
8 *
706 MÉMOIRES.
SALAM VE EEE VUE LULU UV LU
APPERÇU TOPOGRAPHIQUE ET MÉDICAL
DE LA VILLE D’ARRAS.
L, ville d'Arras, chef-lieu du département du Pas-de-
Calais, est située à quelque distance de la rive droite
de la Scarpe. La partie la plus élevée de la ville
{ le milieu de la Grande Place ) se trouve à 17 "1"
72 cf, au-dessus du niveau de cette rivière : un
ruisseau nommé te Crinchon traverse la ville de l'ouest
au nord, et la partage en deux quarliers différens: l’un
est au sud-ouest , c’est la ville proprement dite, qui est
construite sur le penchant d’une colline douce; l'autre
au nord, nommé la Cité, est aussi situé sur une colline
d’une pente peu rapide. Les rues de cette dernière sont
droites et larges et les maisons n’ont pour la plüpart
qu’un étage. Celles de la ville sont plus élevées mais les
rues y sont en général moins régulières et beaucoup moins
larges : des places spacieuses ÿ font l'admiration des voya-
geurs, et rendent ce quartier plus sain que le mode de
construction des maisons ne permet de l’espérer.
Au quartier précédent, on peut ajouter la basse-ville,
bâtie à la moderne ;, dont les maisons n’ont qu’un seul
étage, mais dont les rues sont larges et tirées au cordeau.
De trés-belles promenades , situées dans son voisinage,
rendent cette partie de la ville très-saine et très-agréable.
Le sol sur lequel Arras est bâti se compose, en général ,
de deux bancs de craie, qui s'étendent à une profondeur
considérable : ils sont recouverts de quelques pieds de
terre végétale. La nature de ce sol et la pente qu'il affecte
ne pérmettent guères à l'eau d’y séjourner; aussi, après
MÉMOIRES. 107
une grande pluie, ïl ne faut que quelques heures pour
qu'elle soit écoulée, excepté cependant au bas des deux
collines, où une branche du Crinchon a été divisée en
quatie pour l'utilité des usines. Là , une eau bourbeuse
et quelquefois infecte , chargée d’une infinité de débris,
circule difficilement et pénètre pendant l'hiver dans les.
caves , les inonde et achève de rendre ce quartier malsain.
C'est dans cette partie de la ville que sont situés les
hôpitaux civil et militaire. Ce dernier contient de grandes.
salles hautes et basses : les premières , par leur position,
sont soustraites à l'influence délétère; mais celles du
rez - de - chaussée sont très-malsaines; aussi n’y place-
t-on que très-rarement des malades , et seulement lorsque
la nécessité y oblige.
L'Hôpital civil était à peine achevé en 1813, lorsque:
l'abondance des malades, après la retraite de Leipsick,
a forcé d'y en placer un assez grand nombre. C’est-là
que nous avons vu se développer une maladie horrible,
dont ils avaient apporté le germe; c’est-là, peut-être
pour la première fois, que s’est manifestée à Arras cette
maladie à peine connue dans le milieu du siècle passé,
désignée par Desault sous le nom de pourriture d'hôpital,
et dont les effets sont épouvantables ; ear, aussitôt qu’une
plaie , même légère , en est affectée , elle dégénère en un
ulcère sanieux, infect, douloureux, qui détruit totale-
ment les parties atteintes. J'ai vu des membres entiers
tomber par lambeaux. Les observations que j'ai faites
sur deux militaires, dans la série des phénomènes qu'ils
éprouvèrent et qui amenèrent leur fin tragique, m'ont
démontré combien cette horrible maladie peut faire de
prompts ravages ; l’un avait à la partie latérale du cou.
_ une plaie qu’il s’était faite afin de passer pour scrophuleux :.
108 | MÉMOIRES.
la pourriture d'hôpital étendit ses ravages jusqu’à la
carotide, et ce militaire faisant un jour un effort pour
prendre un bouillon, l’artère se rompit, le sang rejaillit
sur le lit voisin et inonda son camarade : quelque prompti-
tude que je misse à accoutir de l’autre extrémité de la salle
où je me trouvais, je ne pus arriver assez tôt pour arrêter
l’hémoragie ; le malade n'existait déjà plus quand j’arrivai.
L'autre avait sur le pariétal gauche une plaie comphi-
quée de nécrosse de cet os; lorsque le séquestre fut
tombé, les bords des tégumens et le fond de la plaie
furent frappés de la funeste complication; le cerveau
sortit en putrilage, et les fonctions intellectuelles se
perdirent à mesure que telle ou telle partie de ce viscère
s’altérait. J'ai été à même d'observer l'influence de la
localité, puisque les mêmes malades éprouvaient des
accidens plus gravés dans le nouvel hôpital que dans
l'hôpital militaire. Cependant ils recevaient les mêmes
soins médicaux et les Dames hospitalières leur prodi-
guaient également les soins les plus affectueux. Ces causes
ont disparu depuis par le perfectionnement des bâtimens,
par le changement de la direction d’une branche du
. Crinchon , et surtout par l'encombrement de l’abreuvoir
qui se trouvait à la porte : ceci justifie l’observation
que lorsqu'un hôpital est situé sur un terrain bas et
proche d’une marre, il est toujours la source d'une
infinité de maladies. :
On fait usage à Arras de deux espèces d’eaux : celles
de puits et celles de sources. L'eau du Crinchon n'est
employée que pour l'usage économique, celle de puits
est légèrement séléniteuse, cuit néanmoins assez bien
les légumes, entre en ébullition au 88."° degré du ther-
momèêtre de Réaumur, dissout bien le savon. Elle :est:
MÉMOIRES _Aog
trèslimpide. Cette eau ne tarit jamais, ne se trouble
pas. par: les. orages ;. les dégels, etc..Elle est toujours
dans la même. température, qui est de 8 à 9 degrés;
étant puisée à la profondeur de huit à vingt-sept mètres,
le deuto-carbonate de potassium détermine un précipité
blanc. Le résidu bien sec obtenu par l'évaporation était
dans la proportion de 1 à 2880 , formé de proto. carbonate
de ealcium, et de quelques cristaux brillans dont le
petit nombre et le peu de volume qu'ils avaient ne me
permirent pas d'en faire l'analyse pour reconnaître sa
nature. Il y a deux sources dont on pourrait faire usage,
celle. de la Citadelle et celle de. Méaulens; l’eau de la
première étant rarement employée , je ne m'en occuperai
pas ; l’autre se trouve dans les fortifications au-debors
des murs de la ville; près la porte de son nom. Elle
fournit l’eau à tout le quartier qui est sur le bord du
Crinchon, où l’eau de puits ne vaut rien. Traitée par le
même procédé que l’eau de. puits, son résidu avait les
mêmes propriétés, mais il se trouvait dissous dans la.
proportion de 1 à 960. |
EE |
MALADIES OBSERVÉES A ARRAS
Maladies Endémiques
LE existe peu de villes où il y ait un aussi petit
nombre de maladies Endémiques qu'à Arras; quelques
affections. catarrhales qui sévissent à la fin de l'automne
ne demandent que le repos, et quelques boissons pecto-
rales et diaphorétiques. Les phlegmasies exigent rarement
l'emploi de la saignée ; nous pourrions cependant encore
Lé
110 MÉMOIRES.
mettre dans cette classe de maladies les fièvres inter-
mittentes qui nous furent apportées de l'isle de Walcheren
et da pays de Cadzan, et qui s'étaient en quelque sorte
acclimatées pendant Îles années 1809, 1810 et 1811. Le
printemps et l’automne ont donné lieu à leur dévelop-
pement; mais l'air vif, quelques légers toniques, quelque
fois le quinquina ou le vin de Seguin, ont suffi pour
lés faire dissiper, surtout si on avait préalablement
évacué lrs premières voies : nous ne dirons rien des
gouttes fébrifuges si préconisées à cette époque par le
charlatanisme et l'ignorance , qui les avaient fait accueillir,
quoique ce reniède eut pour base l'arsénic, qui en
circulant dans l'intérieur du corps , y déterminerait des
maladies secondaires plus graves que celles qu'il pouvait
guérir; on frémirait aux récits des accidens dont j'ai
été témoin, tels que les douleurs atroces de l'estomac,
Fhydropisie, la gangrène et la mort même au milieu
des angoisses les plus terribles. | |
Maladies épidémiques.
LA situation de la ville d'Arras; qui est loin des lacs,
des étangs ou des marais, et qui n’est dominée par
aucune montagne, ni forêt; ses places spacieuses ,
ses rues assez larges et accessibles à presque tous les
vents, sont toutes causes qui s'opposent au développe-
ment des épidémies : aussi n’y en ai-je jamais observées,
et si, dans des tems plus reculés , il s’en est développé,
nous pouvons dire par analogie qu’elles n'avaient point
pris naïssance dans la ville, et qu'elles nous avaient été
apportées de chez nos voisins; que si elles ont fait des
ravages, ce n’a dû être que sur les habitans des bords
du Crinchon, et chez ceux qui habitaient les caves.
MÉMOIRES. Ifi
Maladies Sporadiques. L |
LES engorgemens du système lymphatique sont assez
communs. chez les individus qui habitent les caves et
le rez- de - chaussée dans les rues basses. Le col dans
l'enfance, et le poumon chez les adultes, sont le siège
de ces engorgemens ; ils se terminent assez souvent
par la supuration, et forment la pulmonie tuberculeuse ,
maladie qui attaque toutes les classes de la société,
mais particulièrement « les dentellières, dont le métier,
» dit M. Retz, exige qu'elles soient toujours courbées ;
« elles s'en plaignent ordinairement, parce que les parties
essentielles se trouvent dans une gêne continuelle.
« Ce qu’elles éprouvent dès l'enfance; et pendant la
» plus grande partie de leur vie, puisque ces: ouvrières
« sont obligées. de travailler au moins dix-huit heures
« par jour pour retirer un gain capable de subvenir à
« leurs petits besoins Ge métier est si pernicieux pout
« Ja santé de ce sexe délicat, qu’on voit la .plupart
« des jeunes filles arrivées à l’âge de l’enjouement et
« des plaisirs , le passer sans gaîté, et perdre en peu de
« tems la fraîcheur de leur teint, Péclat de leur coloris,
« la vigueur de leur tempérament ; souvent attaquées
» d’une toux sèche presque continuelle , elles se plaingnent
« de douleurs sur le stergum. et le long des côtes, elles
sont oppressées , manquent d’appétit et tombent enfin
« dans l'étisie, » Nous sommes surpris que l'on n'ait
pas encore perfectionné les carreaux, afin d'empêcher
set état de gène et de position contre nature. Celui qui
y parviendrait. aurait droit à la reconnaissance publique.
J'ai vu une fois chez un enfant la maladie glanduleuse
de Barbade ou éléphantiasis , la jambe atteinte était d'un
#
a
t
112 MÉMOIRES.
volume considérable; les affections carcinomateuses ne
sont pas rares, j'en ai rencontrées presque de toutes les
espèces désignées par les nouveaux nosographes , et j'ai
décrit dans le journal de Médecine pour lannée 181e,
l'observation faite sur une femme qui était affectée de
plus de 300 carcinum mélané ; son corps présentait une
multitude de bosselures d’un volume considérable; ce
cas rare a mérité d’être rapporté dans le splendide
ouvrage que publie actuellement le savant Alibert, à
qui j'avais envoyé le portrait de cette femme malheu-
reuse. Une maladie assez commune à la classe indigente
est une ethmoplescose , désignée par le vulgaire sous le
nom de maladie de blasé. Elle a pour cause, outre la
malpropreté et Pinsalubrité de leurs habitations , la ma-
nière misérable dont ces individus se nourrissent; ils
mangent peu de pain, boivent de l'eau, rarement de
la petite bierre et beaucoup d’eau-de-vie; cette maladie
se reconnaît aux signes suivans : langueur , nonchalanee,
face incolore, hälée et sans expression. Ensuite boufls-
sure, engorgement des membres tharaciques, perte ou
abolition d’une partie des facultés intellectuelles , insou-
ciance de tout qui les entoure; l'aspect d’un homme :
de 4o ans est celui d’un vieillard; cette maladie se
termine souvent par l’hydropisie, le marasme et la mort.
La goutte et l’hydropisie ont lieu par l'abus de la bierre.
Le scorbut y est très-rare. Les affections herpetiques
aigues, comme les échauboulures, ta miliaire, l’urticaire,
le pemphigus, le zona, y sont fréquents. Les dartres
n’y sont pas rares, elles trouvent leur cause dans l'air
vif et sec et dans l’inconstance des vents.
° CU
MÉMOIRES 113
Maladies des Femmes. |
La première éruption des règles a lieu sans accidens
chez la grande majorité des femmes souvent à l’âge de
douze ans. La plupart des femmes sont actuellement
dans l'usage de nourrir elles-mêmes leurs enfans. On
voit peu de maladies causées par la métastase laiteuse ,
les accouchemens sont en général heureux, les périto-
nites des femmes en couches y sont très-rares.
ns qerneneamncccnnes
Maladie des E nfans.
Les maladies auxquelles les enfans sont le plus exposés
sont les fièvres remittentes ou intermittentes muqueuses,
les affections vermineases, l’engorgement des glandes du
mésentère , le rachitis, la teigne, la rougeole, la scar-
latine ; ces deux dernières, quoique simples et bénignes
ordinairement , ont été funestes, la première en 1816-et
Ja deuxième en 1813, par Îles métastases dont elles ont
été suivies et qui ont résisté aux remèdes les mieux in-
diqués. L'hiver dernier , à l'hôpital des enfans malades , j'ai
observé quinze fois la scleremie universelle; cette mala-
die inconnue aux anciens est endémique dans plusieurs
villes de ce département et lrès-rare à Arras ; en faisant
l’autopsie devant les élèves ; compagnons fidèles de mes
travaux anatomiques, j'ai été par induction conduit à
essayer un traitement qui m'a parfaitement réussi. Je
me propose de recommencer une série d'observations et
je donnerai à la Société le résultat de mes recherches
sur une maladie qui présente encore beaucoup de doutes
à éclaircir, de l’aveu même de tous les auteurs. Nous
avons rencontié dix enfans atteints du croup dont trois
seulement ont guéri depuis deux mois; quatre se pré-
114 MÉMOIRES.
sentèrent à mon observation, tandis que les six autres
furent attaqués à des époques très-éloignées. Pourquoi
cette fréquence dans un si petit espace de tems; ne doit-
on pas l'attribuer à une influence atmosphérique? On
doit aussi en accuser l’inobservation des règles de l'hy-
giène ; naguères les enfans portaient des bas, avaient la
tête couverte de bonnets; on les couchait à sept heures
du soir; l'abandon de ces usages pourrait peut-être être
blâmé, car nous avons remarqué que tous ceux qui
ont été affectés de cette maladie désespérante avaient
eu froid le soir, et on s'était écarté plus ou moins
envers eux des règles prescrites pour la conservation de
Ja santé; en rappellant ces habitudes du tems passé,
je ne prétends pas que lon doive assujettir les enfans
à toutes celles que la raison a fort bien fait d'abandonner;
mais je veux faire sentir que l’on donne souvent dans
des excès contraires ; ce sont ces excès qu'il faut signaler,
en donnant en même-tems des préceptes encore in-
connus au vulgaire. Pour entreprendre une pareille tâche,
il faudrait l’éloquence persuasive de J.-J. Mais ce grand
homme, n'a laissé que des héritiers de son zèle et non
de ses talens.
DUCHATEAU , Chirurgien ,
_Mombre résident.
MÉMOIRES 115
NOTICE
SUR LA DISTILLATION DES GRAINS
l
DANS LE
DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS,
Lue à la Société Royale d'Arras, pour l’encouragement
des Sciences, des Lettres et des Arts, à la Séance
extraordinaire du 13 Juillet 1818.
Par M. Aimé BURDET, Membre résident.
$
Pis 1 les objets dont la fabrication reclame des
améliorations , ( les graines grasses exceptées ), il en est
peu dans ce département qui, par leur utilité et leur
importance, se recommandent plus à l'attention et
soient plus dignes des encouragemens de la Société que
la distillation des grains. Cette branche d'industrie, na-
guères importée de la Hollande ou de la Belgique, a
pris une extension extraordinaire au milieu des vastes
champs de l’Artois, et elle est devenue l’une des prin-
cipales branches du commerce de ce pays.
_ Ï n’y a pas dix ans que le premier alambic a été
établi à St, Omer; maintenant il n’est aucun arron-
dissement qui ne possède au moins un établissement
de ce genre; mais St. Omer semble s'être approprié
cette exploitation, comme Arras en a fait de celle des
builes. |
La ville de St. Omer, et quelques villages voisins,
entretiennent en activité plus de quarante appareils
distillatoires, destinés à mettre en œuvre les matières
116 . MÉMOIRES.
premières. Je ne compte pas ceux qui sont occupés à
rectifier les produits des premières opérations.
Ces appareils, d'une capacité uniforme, contiennent
chacun environ 2400 litres de liquide en état de fermentation
vineuse ; dont le produit, après toutes les rectifications
d'usage, est d'environ 8o litres d’eau-de-vie à 19 ou à
20 . degrés.
Plusieurs distillateurs font quatre opérations par jour
dans le même alambic. Le plus communément on n’en
fait que trois. Les quarante chaudières font donc 120
_distillations par jour, dont le produit est environ de
9,600 litres d’eau-de-vie.
Chaque distillation consomme quatre hectolitres de
céréales. Tantôt le mélange est de trois quarts de seigle
sur un quart d'avoine, d'orge ou de scourgeon; tantôt
il. est de deux tiers de seigle, un, sixième d'orge et un
sixième de scourgeon et d’avoine. Ainsi 120 distillations
employent par jour 480 hectolitres de céréales.
Dans le cours de l'année la distillation n’éprouve
d'interruption que pendant les grandes fêtes et pour les
réparations urgentes ; de sorte qu’on peut compter au
moins sur 330 jours de travail.
Dans cette supposition , la quantité de céréales absorbées
pendant l’année est de 158,400 hectolitres dont la valeur »
au prix actuel de 14 francs l'hectolitre , s'élève à la somme
de 1,742,400 francs.
Le produit de cette masse, en comptant 9600 litres
par jour, et 330 jours de travail , est de 3,168,000 litres
d’'eau-de-vie qui, au prix actuel de 0,70 centimes le litre,
représentent une valeur de 2,217,600 francs. La plus
value que Îa fabrication donne aux grains est donc de
475,200 francs.
MÉMOIRES. 117
Ajoutons-y la valeur des résidus qui nourrissent jour-
nellement cinq cents bêtes à cornes et qu’on ne peut
évaluer à moins de 80,000 francs.
Considérons en outre que cette fabrication occupe
immédiatement plus de deux cents individus, sans compter
ceux qu’elle emploie indirectement pour le transport du
charbon, du grain, et de la liqueur; pour la construc-
tion et la réparation des usines, des fourneaux, des
alambics , des tonneaux et de tout l’attirail d’une dis
_ tillernie.
‘
La mouture seule des grains s’élève à la somme 80
mille francs. :
Dans le moment actuel, cette fabrication se soutient
par l’activité que lui a donnée la présence des troupes
étrangères; mais il faut penser au moment , où n'ayant:
plus ce débouché, nos distillateurs seront forcés de
tourner leurs vues vers l'exportation. Il faudrait pouvoir
donner à nos genièvres une réputation d'excellence,
telle qu'ils pussent être présentés sur les marchés de
V’Europe, en concurrence avec les genièvres Mg be
et de Hoilande. |
Nos distillateurs entendent bien tout ce qui concerne
la fermentation; mais leurs appareils , construits sar un
vieux modèle, ont l'inconvénient de distiller à feu nud,
une matière telle que la farine délayée, qui est susceptible
de s'attacher aux parois des chaudières, de s'ÿ carboniser
et d’infecter l'esprit qui en sort d’une odeur et d’un
goût démpyreume qui discrédite notre fabrication, tout
en causant des pertes réelles aux fabricans.
* Depuis plusieurs années les appareils distillatoires ont-
reçu des perfectionnemens dignes de létat présent des
arts industriels. Ces appareils déjà appliqués à la distilla-.
118 MÉMOIRES.
tion en grand des vins dans le Midi, donneraient des
résultats également satisfaisans, s'ils étaient adoptés dans
ce département pour la distillation des grains. |
On pourrait envisager la question de deux manières.
Ou la Société provoquerait un travail comparatif
entre les divers appareils connus qui distillent les matières
vineuses non à feu nud, en insistant surtout sur la
modicité du prix de l'appareil et de ses accessoires, et
sur l’économie de la main-d'œuvre et du combustible; (1)
Ou elle se bornerait à proposer une médaille d'or au
premier fabricant qui introduirait dans son usine un
appareil distillatoire non à feu nud.
- Si je prends la liberté de vous faire ces propositions,
mon but n’est pas de plaider seulement pour l'intérêt de
quelques particuliers ; des motifs plus généraux , et que
je vais essayer de vous développer, me font désirer de
voir cette exploitation protégée par tous les moyens
qui sont en notre pouvoir.
Nous avons vu précédemment que Ja transformation
des céréales dans ce département, seulement en genièvre,
donnait aux premières une plus value de six à sept cents
mille francs. C'est une somme qu'on perdrait toute
entière si on exportait simplement le blé en nature ;
on perdrait encore la nourriture journalière de cinq cent
bêtes à cornes, qui représentent sept à huit cent mille
Lvres de nourriturc. Plusieurs centaines d'ouvriers seraient
sans ouvrage ; des capitaux considérables seraient dans
Vinaction et plus de trente familles, qui vivent-hono-
rablement, perdraient leurs moyens d'existence.
EE
(x) Elle couronnerait le meilleur Mémoire à eet égard, et
proclamerait l’appareil qui serait reconnu le plus parfait.
| À ces
MÉMOIRES. 119
À ces considérations :j'en ajouterai. SE plus générales
et non moins importantes,
Vous savez, Messieurs , que les terms de ane ou
dance qui réjouissent l'artisan, ruinent souvent les fermiers,
qui peuvent à peine se procurer assez d'argent pour payer
leurs baux. Dans ces momens les distillèries sont là, pour
consommer et donner une valeur au superflu momentané
que la Providence nous accorde. Les capitaux de nos
_distillateurs empêchent une baisse funeste avec bien plus
de succès que ne le fait une exportation souvent chanceuse.
Depuis l'établissement des distilleries , il se sème plus
de céréales qu’il n’en est besoin pour là nourfture de
l’homme. Quand la récolte a été mauvaise on peut croire
que l’intempérie des saisons n’a emporté que cet excédent
et qu'il reste encore assez de céréales pour le strict
besoin de la nation. Si on ne semait que la quantité
presse de blé nécessaire à la consommation’, pour peu
qu’une année fut défavorable elle deviendrait bientôt une
année de détresse. |
On a beaucoup parlé de ces fastueux greniers d’abon-
dance élevés avec de grandes dépenses et remplis toujours
‘au moment où le besoin se fait sentir et dont le moindre
inconvénient est d'augmenter la disette réelle par une
disétte factice. Ici, l'intérêt particulier vient avec bien
plus d'efficacité au secours des besoins publics. Les
greniers des distillateurs sont toujours remplis, avant que
linstant de la détresse soit: arrivé, et quand de funestes
présages se sont. réalisés, un seul ordre de l’'Administra-
tion, sans aucun soin préalable , sans aucuns frais,
livre à la consommation plusieurs cent milliers d’hec-
tolitres de céréales qu'il est. si avantageux d'en retirer
dans les temps d'abondance. _. |
J. 3, Liv, 9
#20 MÉMOIRES.
‘Ainsi, cette branche d'industrie donne aux céréales une
plus value qu’elles perdraïent sans elle ; et en même-
temps les magasins de nos distillateurs offrent dans les
temps de disette des ressources d’autant plus précieuses
qu'elles se sont faites avec moins de frais.
De-là, je conclus que l'intérêt particulier et l’intérèt
‘général doivent nous engager à naturaliser parmi nous,
cette importante exploitation, en prenant pour la pro
ager les moyens que la Société jugera les plus convenables.
| Aimé BURDET.
LVVIARAVEUVIIRR AA VILLA UV UAN LARAN ELU NAN ENV
Arras, 250 Décembre 18:18.
.A Monsieur le Secrétaire perpétuel de la Société Royale
d'Arras, pour PEncouragement des Sciences, des
_ Lettres et des Arts.
_ Monsieur et très-cher Collèsue,
J'AI l'honneur de vous adresser uné observation médi-
cale qui pourrait, surtout dans ce moment , présenter
quelqu'intérêt'; si vous le jugez ainsi, veuillez lui accorder
‘de la publicité dans le Recueil des mémoires de la Société
à qui j'en offre le premier hommage.
_ Je fus appellé le 30 novembre dernier, pour voir un
‘enfant de quarante - cinq mois, fils de M. Ricouart,
M. de charbon ; il y avait déjà huit jours que ce petit
‘malade toussait, an peu de fièvre, quelques quintes
de toux plus fortes les nuits'et l’abattement ordinaire
‘dans les rhumes ‘n’avaient jusqu'alors point donhé
d'inquiétudes. La veille seulement on avait remarqué
‘plus d’enrouement et de la difficulté pour respirer, la
nuit avait été moins tranquille, et quoiqu'il ‘ait paru
MÉMOIRES. 121
assez gai en se levant, l’enrouement avait augmenté, et
la respiration, devenue plus pénible, était déjà bruyante.
Lorsque je le vis, à 3 heures de l'après-midi, je lui
trouvai le visage rouge, légèrement couvert de sueurs :
la langue blanchâtre , assez sèche, la peau très-chaude,
le pouls serré, fréquent, la voix était sonore, glapissante,
l'oppression considérable, la respiration sifflante, et les
quintes de toux presque continuelles. Cet ensemble de
symptômes confirmait suffisamment l'existence d’une
phlegmasie aigüe de la membrane muqueuse du conduit
aérien et particulière au croup. Je jugeai cette terrible
affection devoir être déjà près de la seconde période, et
_il ne restait pas un moment à perdre ; les accidens me-
naçaient d'autant plus que l’enfant était d’une très-forte
constitution. Je fis appliquer sur le champ un collier
de sangsues et je prescrivis la solution d'an grain et
demi de tartrate de potasse et de protoxide d’antimoine ,
dans deux onces d’eau , édulcorée avec demi-once de sirop
d’ipecacüanha, pour être donnée par petite cuillerée,
chaque quart d'heure. À cinq heures, une espèce d’affais-
sement avait semblé ralentir la marche de l’inflammation
- trachéale ; le malade n'avait eu que des nausées et
on continuait l’usagé prescrit de son vomitif. À neuf
‘heures je le revis pour la 3.° fois, tous les symptômes
avaient repris de l'intensité, la potion émétique était
terminée, il n’y avait encore eu ni vomissement ni
_expectoration ; jecommençais à désespérer du salut de
- Penfant, néanmoins je redoublai de courage; je fis
faire avec une once de sirep d’ipecacuanha , autant d'huile *
d'amande douce, trois grains de sous-hydro-sulfate d’an-
timoine, deux gros de gomme arabique et de l’eau distillée,
quatre onces d’un looch à prendre par cuillerée
LS
122 MÉMOIRES.
à café chaque demi-heure , sans trop avoir égard au
- sommeil ; j’appliquai des sinapismes aux deux pieds après
- avoir frictionné fortement les bras, ke dos, les cuisses
et les jambes, avec du vinaigre très-chaud, et j'attendis
. Monsieur Ansart, que j'avais fait prier de venir, avant
d'établir un large vésicatoire à la partie postérieure du
cou; ce Médecin l'approuva, et revint le lendemain
malin , jouir avec moi de la réussite de tous les moyens
employés, c’est-à-dire que l'enfant avait été calme depuis
minuit et ne rapportait plus guère qu’à l'extérieur les
douleurs vives qu'il ressentait à la gorge; le vésicatoire
avait produit un grand eïlet et les préparations an-
timoniales avaient déterminé une sueur générale; la
voix était sensiblement moms rauque et le sifflement
de la respiration très- diminué. À midi, ke mieux se
continuait et l’expectoration était parfaitement établie.
Le malade fut mis à l'usage des boissons chaudes
‘émollientes et je restreignis celui de Ja potion ker-
. metisée; mais on fut bientôt forcé d'y revenir comme
‘avant, car les crachats devenaient plus difficiles. La
nuit fut assez bonne ainsi que la suivante et la
journée du 2 Décembre, pendant laquelle je fis, par
prudence, appliquer de nouveau quelques sangsues
autour des épaules, et réitérer les sinapismes. Le 35
nous apperçümes bien distinctement dans le crachoir
des portions de fausse membrane, une entr'autres qui,
déroulée , avait près de deux lignes quarrées d’étendue,
je substituai le sirop de coquelicot à celui d'ipécacuanha
dans la potion, et je diminuai de moitié la dose du kermès.
Le soir de ce même jour il survint un exanthème qui couvrit
tout le corps de l'enfant, je rassurai les parens effrayés,
ce n’était ni la variole , ni 1a rougeole, ni la scarlatine,
{ à
#
MÉMOIRES. 123
mais une éruption salutaire ; crise heureuse qui venait
garantir la cure. Pendant les quatre jours qui suivirent,
je diminuai insensiblement et supprimai tout-à-fait
la potion; le malade ne but plus que du bouillon
de veau; on lui continua les. lavemens excitans, qui
n'avaient jamais été négligés, et le huit , je le purgeai
avec une légère décoction de jalap et Je sirop de-
nerprun ,; ce que je réitérai très - avantageusement
le surlendemain; les évacuations furent abondantes,
et la santé est aujourdhui si parfaite qu'il serait
impossible de croire à la réalité du danger qu’a couru
ce bel enfant.
Je viens de détailler les faits dans toute leur exac-
titude ; loin de moi l’orgueil d’avoir voulu, pour m'en
prévaloir, consigner ce succès dans une maladie si
souvent mortelle; mais j'ai cru devoir en profiter
pour rappeler aux parens, en général, combien il.
importe de soigner les rhumes des enfans quelque
légers qu'ils soient et surtout quand il règne des
maux de gorge-ou des maladies de peau; (*) ensuite, j'ai
voulu prouver que mon malade avait guéri sans le secours
du sulfare de potasse, qu’il est si difficile, pour ne pas
dire impossible , d’administrer aux enfans. Les bons effets
de ce médicament contre le croup sont de provoquer
la transpiration, des nausées et une expectoration abon-
dante ; j'ai obtenu tont cela par des loochs que l'enfant
prenait très-volontiers, et j'ai la certitude que si j’eusse
(*) Heureusement pour l’humanité la petite vérole à laquelle
ont succédé tant de croups a presque déjà cessé sés ravages et
nous devons espérer qu’incessamment il ne sera plus permis.
de douter du bienfait de la Vaccine.
124 : MÉMOIRES.
eu le malheur d'employer et de compter sur le foie
de. soufre, j'aurais perdu un temps précieux. C’est je
crois en dire assez; voilà ce que j'ai désiré faire
connaître , et dans les meilleures intentions d'utilité.
‘ Agréez, je vous prie, Monsieur le Secrétaire et
honoré Collègue , l'assurance de ma considération
très-distinguée.
MEencIkRA,
Docteur en Médecine, Professeur de Thérapeutique
et de matière médicale, Membre résident.
Ménmornxs, 125:
RAPPORT
SUR LA FABRIQUE DE SUCRE EUROPÉEN , .
EXTRAIT DES BETTERAVES,
ÉLEVÉE DANS LA VILLE D'ARRAS,
Et dirigée par M. Crespel d'Ellisse ,; Membre résidenr:
de la Société.
LxS encouragemens donnés aux arts, non seulement .
procurent le bienfait de répandre les découvertes nou
velles, mais, en excitant une noble émulation, ils font
naître une génération d'hommes utiles qui, en agrandis-
sant le cercle des connaissances, .ou en rendant des
services chers à l'humanité, récompenseront dignement
un jour les soins de la génération qui leur offre la.
palme, eten réaliseront les espérances pour le bonheur
de. la postérité; et lorsque. de seules distinctions ho-
norifiques deviennent le gage et la récompense des plus
utiles perfectionnemens , on ne peut que féliciter un:
Peuple qui renferme dans son sein de si précieux
germes de splendeur et de prospérité.
Aussi les sociétés qui. comme. celle d'Arras, ont
l'utilité pour principe et pour but, n’ont qu'à indiquer
ja route pour voir s’y précipiter une foule d'hommes.
généreux , ambitieux d'associer leur nom à des conquêtes.
plus douces et plus solides que celles de l'épée. 11 leur
suffit de recueillir autour d'elle des. élémens dispersés.
et de les exhumer”pour ainsi dire en leur donnant
l'occasion de parüire au. grand. jour. Que d'hommes.
126 MÉMOtTRESs.
de génie morts tout entiers confondus avec le commun
des hommes n’ont manqué que d’une circonstance
favorable pour devenir la gloire et l’ornement de leur
Patrie !
Lorsque, sans provoquer dés essais et des applications ,
Ja Société se bornerait à faire descendre jusqu’au
Peuple la connaissance des nouveaux procédés des Arts,
et à lui donner ainsi de nouveaux moyens de gagner
sa subsistaice , l’élablissement n’en serait pas moins
un bienfait; car l'espoir d’un juste salaire, fait
naître l’amour du travail, et l’homme laborieux est
toujours plus atta“hé à ses devoirs de fils, d'époux,
de père et de citoyen. Par-là seraient combattus les
vices qu’enfantent l'ignorance et la paresse, et qui ont
de si’ déplorables effets sur la constitution physique
d'un Peuple; par-là disparaîtraient peu-à-peu les
préjugés de la routine qui opposent une force d'inertie
désespérante à l'adoption et aux bienfaits des découvertes
nouvelles. ne |
Mais ces préjugés ne sont pas exclusivement réservés
au Peuple. En est-il un plus général, ét cependant
_ plus injuste, que celui qui refuse aux plantes indigènes
Ja faculté dé fournir un sucre égal en qualité à celui
des colonies? | |
* Pendant la'dernière guerre, l’Europe a cherché, dans les
végétaux qu’elle produit, une matière qui put suppléer -
le sucre dévenu pour'elle un objét de première nécessité,
mais dont Je prix exhorbitant en mposait la privation.
La Prusse donna” le signal, mais, À des’ encouragemens
donnés pour introduire en France cette exploitation ?
ôn joignit ialheureusement une action coercitive qui
mélée à üne aveugle réaction de lopinion, contribua
MÉMOIRES 127
beaucoup à renverser des établissemens qui ne faisaient
que de. naître. _
Les leçons de l’expérience n’ont cependant point. été
perdues. Nos écarts même ont contribué à nous
remettre sur la bonne ‘voie: de tant d'essais. et . de
el
recherches, il est résulté la preuve incontestable que :
lextraction d’un sucre cristalisable des végétaux indi-
gènes, bien loin d’être une chimère à rejéter, devient
au contraire une nouvelle source de prospérité nationale ; :
que {a France peut tirer de son propre sol de quoi
suffire non à un objet de luxe, mais à un véritable
besoin, et qu’à cet égard elle possède dans son sein
ses plus riches et ses plus précieuses colonies. ; .
Les faits parlent; mais'le Capitaliste et le Cultivateur
ignorent ou craignent. La chûte de tant d’établissemens :
écroulés avec fracas, inspire la défiance et propage le :
doute. Un 'si ‘petit nombre de fabriques a survécu à la :
crise qu'il ne forme point une: autorité assez forte
pour beaucoup de personnes qui en révoquent en
doute les avantages et mème l'existence.
IL importe donc que les Sociétés, jalouses de pro-
pager les choses utiles , fassent leur efforts pour ramener
l'attention publique sur un objet dont elle a été trop
Jong - temps distraite. La connaissance des produits
que M. Crespel a obtenus dans sa manufacture à.
Arras, servira à atteindre ce but, et la publication
des procédés qu’il emploie mettra à même de former.
de semblables établissemens. Tout Agriculteur, tout
Propriétaire ‘ pourrait adjoindre à son exploitation
rurale la fabrication: du sucre. Européen; car toute
l'opération se fait en hiver, .et il emploierait ses chevaux
au travail qu'elle ‘exige ; il y occuperait ses garçons
-
128: | M£mMoiRres.
. de. ferme, et même cette classe pauvre qui, pendant:
l'été, aide aux moissons des campagnes et n’a pendant
Ja . saison. rigoureuse d’autre. ressource, que la charité
des . Citadins, .
__ Nous croyons devoir. rappeler ici, que M. Crespel
a provoqué lui-même la formation d’une éommission
pour faire. connaître. l'intérieur de sa fabrique. Le vœu
de: cet estimable citoyen est de .voir des établissemens
semblables au sien se multiplier , afin que leur nombre
attire enfin sur eux l’attention du Gouvernement ; c'est
dans ce but qu'il offre à ses concitoyens, qui seront.
peut-être un jour ses rivaux, une méthode confirmée.
par huit années d'expérience et. par: d’heureux résultats.
: Nous: commencerons par un apperçu du mode de
culture‘“adopté par M Crespel; et des. produits qu'il:
obtient. Nous. placerons .ensuite: une notice sur la.
disposition de l'établissement. et sur les principaux
ustensiles nécessaires à la. fabrication. Enfin, nous en-
trerons dans les détails de la manipulation, qui seront .
suivis de la balance des. dépenses et des produits. .
CULTURE ET PRODUITS.
LE mode de culture. nee par | M.: Crespel est- le:
_ semis par rangées.
Lorsque la terre a reçu un: di labour, on fait:
passer une ‘herse légère qui trace à. la fois quatre.
sillons. Elle est. trainée par un cheval, et: quatre ouvriers.
la suivent en versant dans chaque sillon de la graine.
qui est ensuite recouverte par une herse renversée. - Les -
ouvriers appellent cette seconde opération ( ploutrer. }
Par ce procédé il ne faut que trois -kilogrammes de.
Ed
MÉMOIRES. 129
graine par mesure , ou pour une superficie de 4{2.ares,
gr centiares. Tandis qu'il en faut quatre kilogrammes pour
le semis à la volée; il est vrai que. par. ce dernier.
procédé, un ouvrier peut ensemencer cinq à. six
mesures en un jour, quand par le premier. on, ne.
peut ensemencer que trois mesures avec quatre hommes:
mais cette différence de main d'œuvre. est plus que.
compensée par la valeur de la graine, surtout dans.
le pays où le prix en est élevé. Ce mode de culture
a encore lavantage de placer les betteraves. à égale .
distance , ce qui procure un rapport plus considérable , .
et de permettre de sarcler avec une petite charrue qu'on.
fait passer dans les sillons, et qui est de l'invention de . :
M. Crespel. | _
M. Crespel ensemence ainsi, tous les ans, dans .UR ,
rayon d’une lieue autour de.la Ville d'Arras, environ .
So mesures du pays, ou une superficie de 21 hectares,
45 ares. Il'en retire à-peu près cinq cens mille kilo-
grammes de:racines ; ce qui donne pour le produit. moyen .
d’une mesure (42 ares, 91 centiares) dix mille kilogrammes;
mais Îa récolte. présente: . la différence étonnante de.
huit mille à vingt mille kilogrammes, par mesure,
suivant la qualité du terrein. |
Les différentes observations de. M.: Achardet, de M...
Derosne, reçoivent une nouvelles confirmation de
celles. de notre collègue; comme eux il a trouvé une
grande variété dans la qualité, il a observé qu'un été
chaud donnait aux racines plus de matière sucrée,
et il en a obtenu aussi davantage d'une qualité de
betteraves petites, que d’un même poids de betteraves .
plus grosses, Les racines les plus avantageuses à la .
fabrication sont celles dont le poids :.est d'environ un
130 MÉMOIRES.
kilogramme. M. Crespel a fait à cet égard des essais
intéressans ; il en est résulté la preuve que les
betteraves les plus chetives , contenaient encore assez
de matière sucrée pour dédommager des frais de la
fabrication. ._
La récolte commence dans les premiers jours d'Octobre.
Tous les ouvriers de la fabrique qui pendant l'été ont
été occupés à la culture et aux soins qu’elle exige,
sont encore employés à cette opération. Quatre forts
chevaux amènent au magasin les betteraves dépouillées
de leurs collets. Pendant le mois d'Octobre ils en rentrent
deux à trois cens mille kilogrammes. Cette précaution
est nécessaire , parce que du moment que les travaux
de fabrication commencent, il ne reste plus pour le
transport que deux chevaux, qui ne pourraient suffire à
la consommation journalière. Les deux autres sont attelés
au manège qui fait tourner la rape de trituration.
La fabrication commence dans les premiers jours de
Novembre , et n’éprouve aucune interruption jusqu’à
V’emploi entier des racines. Chaque jour on en met en.
œuvre cinq mille kilogrammes , de sorte que les travaux
durent pendant cent ou cent dix jours.
_ Les principales opérations qu’on fait’ subir à la
betterave, pour en extraire la matière sucrée, sont : le
Javage , la trituration ou réduction en pulpe, la pression
pour obtenir Île suc, l’acidification , la clarification , le rap-
prochement des sucs pour former le sirop, la cristalisation
et la séparation de la matière sucrée non cristalisable, :
Le local nécessaire pour soumettre chaque jour à ces
opérations cinq mille Kilogrammes de betieraves , est
ainsi composé. . RUE 5
Un magasin qui peut en contenir deux à trois.
MÉMOIRES. …- 191
cens mâle kilogrammes , et où elles sont à l'abri de
la gelée.
Un lavoir et une auge à portée d’un puits ou d'un
courant d’eau.
Un hangar pour un manège de deux chevaux.
Une pièce attenante à cechangar et où sont la rape,
les presses, et les cuves ou récipients, où se fait
l’acidification. :
Une pièce voisine renferme les chaadières de clari-
fication et celle de concentration des sirops, et une
presse pour presser les dépôts des chaudières.
Dans une troisième pièce sont les réservoirs doublés
en plomb ; où on laïsse reposer les sirops, et au-dessus
est l'étuve, octupée presque entièrement par une
charpente sur laquelle D cens vases à cristaliser peuvent
se placer.
Cette étuve est échauffée par un fourneau dont la
. bouche est dans une quatrième pièce, où sont deux
presses à vis destinées à presser les cristaux pour les
séparer de la mélasse.
JL faut ajouter à cela un magasin au sucre, et des
écuries pour quarante à cinquante bêtes à cornes et
que chevaux. Lo
"Les principaux ustensiles sont: une rape pour la
trituration ; une presse à cric, destinée à presser la
. pulpe pour la première fois; deux presses à vis pour
exercer une seconde pression.
Deux récipients doublés en plomb, pour recevoir le
. suc; chacun de la contenance de dix-huit cens à deux
mille litres,
Deux chaudières en cuivre pour la chufsstion » aussi
chacune de lacontenancede dix-huit cens à deux millelitres.
132 MÉMOIRES.
Six chaudières plates carrées, en cüivre, de deux
mètres trente-deux centimètres de longueur sur un
: mètre six centirnètres de largeur et quinze “humeurs
de profondeur.
Une troisième presse à vis pour presser les itiés
“qui se précipitent ou qui surnagent dans les chaudières,
” Quelques. futailles et une cuve en maçonnerie doublées
‘en plomb pour recevoir les sirops.
Un‘ fourneau dont la cheminée verticale traverse
l'étuve , et qui est entouré dans le rez-de-chaussée d’une
chemise en maçonnerie; l'air introduit entre la
cheminée et la chemise par des ouvertures pratiquées
‘au bas de la maçonnerie, s’échauffe promptement et
morte dans l'étüve par des passages pratiqués dans
‘le. plancher.
Sept cents vases à cristaliser,
Une quatrième et une cinquième presse à vis pour
spresser les cristaux et LS séparer de la matière sucrée .
non cristalisable.
NÉTOIEMENT ET LAVAGE DES BETTERAVES.
Quand l’année a été humide , les betteraves apportent
au magasin une grande quantité de terre dont on n’a
pu les débarrasser dans les champs. Cette terre sèche
dans les magasins, et quatre enfans de douze à quinze
ans sont employés à l’ôter ;' soit avec un couteau soit
!
en frappant Îles racines les unes contre les autres.
Un ouvrier les porte ainsi nétoyées dans une auge
ou grand baquet ; où on procède au lavage. Deux ouvriers
armés de balais, les agitent fortement dans l’eau jusqu’à
ce qu’elles soient’bien nettes. On attiédit un peu l’eau
dans l'hiver pour les empêcher de geler. Deux hommes
MÉMOFRES. :133
lavent ainsi par jour ciriq mille kilog., et un troisième
les porte dans une brouette à l'atelier où ést la rape.
= M. Derosne, dans son traité complet sur le: sucre
européen, avance qu’on pourrait se dispenser de laver
les betteraves, mais si on considère que cette terre
resterait dans ‘la pulpe qui doit être donnée en nourri- .
ture aux Bestiaux, et que les petites : pierres qu'elle
contient endommageraïent considérablement les dents de
‘la rape, on jugera cette quon d'une ou nc
nécessité.
Se
+ Deux forts chevaux , attelés aux timons d'un manège,
font tourner un rouet-horizontal de quatre mètres de
diamètre ,: sur la jante duquel sont distribuées cent
cinquante-six ‘dents qui engrainent une lanterne de neuf
-fuseaux ,'dont l'axe horizontak traverse:le’:mur :mitoyen
‘et ‘passe dans la pièce voisine: où est la rape. Cette ex-
trémité de l'axe de: la ‘lanterne porte : une . poulie: sur
Jaquelle s’enveloppe une courroie sans fin , : qui embrasse
aussi une poulie attachée. à l'axe d'an. rouet de fonte
‘d’un mètre seize centimètres de diamètre, qui: porte cent
lyingt ‘dénts sur la eirconférence. . Ce rouet engrene
un ‘pignon de huit dents ; qui est à l’axe même de la rape-
Cétte ‘rape est-un: cylindre’ dünt lPaxe est horizontal,
et dont la surface courbe est armée de lames dentées
en acier. C’est à ces lames qu'un ouvrier présente les
betteraves ,: en les engageant ‘dans des couloirs ‘inclinés
avec deux poussoirs en bois qu'il tient à chaque main.
Un arrêt règle la course de ces poussoirs ; ‘afin qu'ils
ne puissent toucher les dents de la rape. Un enfant
placé: à droïte ,-un autre placé à gauche-de cet ouvrier,
134 . Mémoires.
prennent dans des mannes, où on les dépose quand
elles sont lavées, les betteraves dont ïls fournissent
continuellement les couloirs. |
On donne le mouvement à la rape, ou bien on le
suspend au moyen d’une poulie mobile, appelée poulie
. de tension , qu’on amène sur la courroie sans fin, qui
. communique le mouvement de l'axe de la lanterne à
: l'axe du rouet en fonte. Cette poulie est tenue en équi-
libre par un contrepoids. Quand ce contrepoids descend
la poulie tend la courroie, et il y a communication de
mouvement du manège à la rape; quand il monte, la
courroie est détendue et la rape reste immobile.
. Cette machine, de l'invention de M. Thiery, mue
par deux forts chevaux, réduit en pulpe très-fine, et
en:sept heures, les cinq mille kilogr. de racines sur
‘lesquelles on opère chaque jour. Au pas ordinaire des
. chevaux , elle fait sept 2 huit cents tours par minute.
Un baquet , doublé en plomb, placé au - dessous de
‘la rape, reçoit la pulpe. Les ouvriers la prennent avec
des pelles, et en remplissent des sacs en toile. Chaque
‘sac contient 12 à 13 kilogr. de pulpe.
_ Ces sacs sont placés entre des claies, et on en forme
‘une pile de vingt sacs qui conliennent ensemble environ
.deux cent cinquante kilog'ammes. Cette pile est arran-
gée au-dessus d’un baquet doublé en plomb, placé près
de la rape, et elle est portée sur une presse à cric, dont
un ouvrier seul fait agir la manivelle, et on obtient
.une quantité de suc égale à la moitié du volume de
la pile, EN 1: |
Pendant cette opération, une pile semblable à la
‘première a été formée. On la soumet à la même pression,
et de ces deux piles réunies, on en forme une seule,
| qu'on
MÉMOIRES. 155
qu’on place sous une presse à vis, pour lui faire sabir
une seconde pression. Dabord un ouvrier fait descendre
la vis avec un petit levier; quand les forces sont insuf-
fisantes, un second vient l'aider avec un levier plus
long; ensuite vient un troisième, puis un quatrième,
enfin les sept ouvriers qui sont dans cet atelier ( non
compris ceux qui sont occupés par la rape ) pressent de
toute leur force, au moyen d’un levier de quatre mètres
de, longueur. La pile éprouve alors une pression dont la
moindre évaluation est de cinquante mille kilogrammes.
On laisse ainsi cette pile rendre du suc pendant tout
le tems nécessaire pour charger une seconde presse
à vis. Deux presses semblables suffisent pour le service
journalier ; cependant une troisième est indispensable
pour suppléer celle à laquelle il pourrait arriver quel-
que accident.
La tâche de ces sept ouvriers est de presser chaque jour
les cinq mille kilogrammes de pulpe que fournit la rape.
Nous avons dit que chaque première pile contenait
deux cents cinquante kilogrammes de pulpe renfermée
dans vingt sacs. Comme le poids de la pulpe employée
journellement est de cinq mille kilogrammes , la presse
à cric sera donc chargée vingt fois et les sacs seront
remplis et vidés chacun vingt fois. Ces vingt piles de
la presse à cric en formeront dix pour les presses à
vis qui seront chargées chacune cinq fois par jour, et
chaque fois du résidu des cinq cents kilogrammes versés
primitivement dans quarante sacs et soumis déjà à une
première pression.
Par ces deux pressions les quarante sacs rendent trois
cents cinquante à trois cents soixante-quinze litres de
suc ;_ les cinq mille kilozrammes en rendront par consé-
LE 4 Lis, | 10
136 MÉMOIRES.
quent en dix pressions trois mille cinq cents à trois
mille sept cents cinquante kilogrammes. Ainsi le rapport
entre le suc et la pulpe avant d'être pressée est de
70 à 75 2
a
100 500°
Un couloir en plomb adapté à chaque presse conduit
le suc. exprimé dans deux récipients où cuves doudhlées
en plomb, où ïl se distribue par égale portion. L’une
est remplie le matin et l’autre le soir. Chacune contient
environ dix-huit cents litres de liquide. —
Aussitôt qu’une cuve est remplie, on procède à une
première opération ,; qui est l’acidification du suc :
on jette dans la cuve, par hectolitre de liquide, deux
hectogrammes quarante granmes d'acide sulphurique
préalablement étendu d’eau , dans la proportion d’une
partie d’acide à soixante-sept degrés, sur trois parties
d’eau ; à mesure qu’on verse l'acide on agite le suc et
que le mélange paraît bien fait on le laisse reposer
jusqu’au lendemain. )
‘Outre que l'acide prépare Île suc à la dessication et
à une parfaite clarification, il l'empêche encore de
fermenter. Le suc ainsi acidifié peut se conserver
pendant plusieurs jours, sans altération, tandis que
le suc abandonné à lui-même, fermente promptement ,
et l'intervalle d’une nuit pourrait le rendre hors d’état
d'être employé, surtout quand la température est un
peu élevée.
meme
CLARIFICATION.
Au-dessus de ces deux cuves est un échafaudage sur
lequel un ouvrier se place pour y puiser le suc acidifié.
I l'élève avec un chaudron en cuivre, fixé à une
perche dont l’autre extrémité est attachée par une corde ;
MÉMOIRES. 157
cette corde s’enroule sur deux poulies fixées au plafond,
et porte à son autre extrémité un contrepoids qui aide
à soulever le chaudron plein de liquide.
L'’ouvrier verse ce que contient le chaudron chaque
fois qu’il l'élève, dans un couloir doublé en plomb qui
le porte dans les chaudières de clarification. Ces chau-
dières sont assez élevées sur leurs fourneaux, pour qu'au
moyen de couloirs mobiles, et en ouvrant leur robi-
net, le suc clarifié puisse s’écouler de lui-même dans
les chaudières de concentration qui sont dans le:même local.
Chacune des deux chaudières de clarification doit pouvoir
contenir dix-huit cents litres, c’est-à-dire , elles doivent
être de même capacité que les cuves où le suc a été
acidifié. En outre les bords doivent en être assez élevés
pour retenir la grande quantité d'écume qui se forme
pendant la clarification.
Après avoir bien nétoyé les chaudières, on répand
uniformément sur le fond, de la craie pulvérisée dans
la proportion de cinq hectogrammes par hectolitre de
suc. Alors on verse le suc et on l'agite fortement,
afin de rendre le mélange assez prompt pour que l'acide
n’exerce pas son action sur le cuivre des chaudières, On
ajoute ensuite dans chaque chaudière, par hectolitre de
liquide , cent: cinquante grammes de chaux vive préala-
blement éteinte à l'air, avec une assez grande quantité
d’eau pour former un lait qu’on mélange bien avec le suc.
On met le feu sous la chaudière et lorsque la tempé-
rature de la masse est élevée à vingt-cinq ou trente
degrés de Réaumur , on y ajoute encore du sang de bœuf
dans la proportion d’un litre et demi par hectolitre de suc.
Quand le mélange est bien fait on presse le fea vigou-
reusement. Deux heures suffisent pour porter le liquide
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1358 MÉMOIRES.
à l’ébullition. On constate cet état au moyen d’un ther-
momètre qui s'élève à 80 degrés, mais les ouvriers le
reconnaissent quand la croûte formée par les matières
séparées du liquide par les opérations précédentes , et qui
_se sont portées à la surface, commence à se fendre.
On ôte alors le feu du fourneau; on enlève avec une
écumoire toutes les matières qui surnagent ; on les dépose
sur un filtre en laine placé au-dessus d’un baquet doublé en
plomb, au fond duquel est un conduit aussi en plomb
qui porte ce qui passe au travers du filtre dans une
des chaudières de concentration. Quand ces matières ne
donnent plus rien sur le filtre, afin de ne rien perdre de la
matière sucrée qu’elles peuvent contenir, on les met dans
des sacs entre des claies, con.me dela pulpe ; et on les
fait passer sous une presse pour en exprimer le suc. Cette
opération se fait dans une presse uniquement destinée à
cet usage et placée dans le même local que les chaudières.
Peu de temps après avoir écumé , les matières qui
n'ont pô être élevées se précipitent ; le suc est alors d’une
couleur jaune et parfaitement transparent. On ouvre le
robinet, et on répartit le suc contenu dans une chaudière
de clarification , par égale portion, dans les six chaudières
de concentration. |
Nous avons dit que le suc de la pulpe pressée dans
une matinée, et celui de la pulpe pressée dans un après-
midi, étaient mis séparément dans deux récipients, où
ils sont acidifiés.
Le lendemain matin, on verse dans une des chaudières
de clarification , le suc qui provient du travail de la
matinée de Ja veille ; pendant que ce suc se clarifie on
verse dans la seconde chaudière de clarification le suc
qui provient du travail de l’après-midi de la veille,
MÉMOIRES 239
Aussitôt que la première chaudière est élarifiée, on
met le feu sous la seconde; et, pendant que la seconde
se clarifie, le suc de la première versé dans les six
chaudières de concentration a eu le temps de se con-
vertir en sirop et il est immédiatement suivi par le suc
clarifié dans la seconde chaudière.
Chaque chaudière de concentration a 2", 32 centimètres
de longueur sur une largeur de 1*, 06 centimètres,
et présente une surface de 2", 44 centièmes carrés-
Il se fait pendant la clarification une évaporation qui
peut être évaluée au dix-huitième de la masse ; de sorte
qu’on ne verse que deux cents quatre-vingt à trois cents
litres de suc dans chaque chaudière de concentration
où il est à la hauteur de onze à douze centimètres.
On l’entretient constamment en ébullition , jusqu’à ce
qu'il marque trente-un degrès au pèse-liqueur de
Beaumé. Cette opération dure environ cinq heures. Alors
les 1805 litres de liquide que contenait une chaudière
de clarification se trouvent réduits à 220 ou à 240 litres
de sirop selon la richesse des betteraves en matière sucrée.
On vide les chaudières sans en retirer le feu et on
y verse de suite le suc de la deuxième chaudière de
clarification qui a été préparé pendant la concentration
du suc de la première.
Ainsi , le suc des cinq mille kilogrammes de betteraves
employées, se trouve à Îa fin du deuxième jour trans.
formé en quatre cents quarante ou en quatre cents
quatre-vingt litres de sirop à 31 degrés de Beaumé.
Ce sirop est déposé dans des futailles doublées en
plomb, placées dans la pièce où est l'escalier qui conduit
à l’étuve et qui est maintenue à une température modérés:
par le fourneau de l'étuve qui y est en partie placé,
140 MÉMOIRES.
Chaque pièce contient le produit d’une journée de
fabrication ; on laisse reposer Le sirop pendant dix jours,
temps nécessaire pour que les matières étrangères qui.
en troublent la transparence puissent se déposer.
: Des robinets placés à différentes hauteurs au-dessus du
fond des futailles, permettent de tirer ce sirop au clair.
Les sédimens de chaque tonneau sont partagés en deux
parties qu’on verse chaque jour dans les deux chaudières
de clarification , afin qu’une seconde opération en enlève
encore la matière sucrée qu'ils peuvent contenir. L'ordre
établi dans la fabrique ne permet pas de les soumettre
à une clarification particulière.
Lé
CRISTALISATION.
: M. Crespel cristalise ses sirops par le procédé que M.
Achard appelle Cristalisation regulière , c’est-à-dire, en
versant le sirop concentré dans des vases plats et en les :
soumettant” à une évaporation lente ; par ce moyen il
obtient un sucre brut sous la forme de cristaux candis.
. On verse les 440 ou les 480 litres de sirop concentré,
dans des vases évaporatoires qui ont, 0",62 centimètres
de longueur 0”,47 centimètres de largeur, .et qui présentent
une surface de 0o",29 décimètres carrés; on en met en-
viron vingt litres dans chaque vase. Ainsi l'ouvrage d’un
jour en exige une vingtaine, et le service de l’année er
exige sept à huit cents. Il est à observer que ce nombre
ne suyait pas si on voulait cristaliser à mesure qu’on
forme des sirops. Mais on tient ceux-ci en réserve
daus de vastes cuves où dans des tonneaux doublés
en plomb, et l’on coutinue les travaux de cristalisation
pendant une partie de l'été.
MÉMOIRES. TA
Ces vases sont portés dans l’étuve ‘et placés sur des
rayons dont la distance verticale est de seize à. vingt
centimètres. Cette étuve placée au-dessus de la pièce où-
déposent les sirops , est entretenue à uue température
de 25 à 30 degrés de Réaumur par le, fourneau dont
nous avons déjà parlé. 7
Chaque jour, il se forme à la surface des vases + une
croûte de cristaux qui en s’opposant à l’action de l'air sur
le liquide retarderait l’évaporation , si on n'avait le soin
de briser cette croûte avec une spatule en bois et de la préci-
piter au fond des vases où les cristaux Feet pius de
| consistance.
Après un séjour de six semaines , les vases ne. . pré-
sentent plus qu’une masse de cristaux mélangés de
beaucoup de matière sucrée non. cristalisable, :
On verse ce magma dans des sacs de toile. qu'on
place entre des claies, et on. sépare les cristaux dé la
matière sucrée non cristalisable en soumettant le tout
à une pression. |
On forme des. piles. de vingt sacs, qui contiennent
le magma de vingt vases à cristalisation ou produit du
travail d’un jour. Après avoir laissé une pile pendant
vingt-quatre heures.sous la presse , on verse les cristaux
restés dans les sacs de la pile dans d’autres sacs et on
les soumet à une seconde pression dont la durée est de
vingt-quatre heures ; deux presses à vis suffisent pour ce
service journalier pendant les 110 jours de fabrication. À
la fin des travaux, toutes les presses qui étaient occupées à
la pression des pulpes et des écumes servent au même usage.
Ces vingt sacs ont alors laissé écouler environ cent
&nquante kilogrammes de: mélasse et contiennent deux
cents à deux cents cinquante kilogrammes d’un sucre
‘142 MÉMOIRES.
‘brut d’un jaune clair, d'une saveur agréable et douce
‘ét propre À être livré au commerce.
Ainsi; M. Crespel obtient en moins de deux mois,
des betteraves récoltées dans les envions d'Arras, un sucre
brut comparable pour la qualité au sucre brut de même
couleur qui vient des colonies, et la saveur en est moins
âcre que celle de ce dernier, dans lequel on sent encore
fortement la présence du vesou, et sans autre épura-
tion il pourrait servir aux mêmes usages que le sucre
terré. Les rafineurs le recherchent, parce que sous le
même poids il contient beaucoup plus de matière sucrée
cristalisable. |
_ La mélasse sert aux mêmes usages que la mélasse
‘des colonies : elle est livrée au commerce en nature ou
bien on en extrait par la distillation un rhum d’un
goût très-agréable.
” Nous voilà, Messieurs , arrivés à a fin des détails de
la manipulation. Nous avons tâché de vous présenter
avec clarté les procédés de la fabrication adoptés par
notre collègue. Nous nous sommes abstenus de toute
observation et de toute comparaison de ses procédés avec
ceux qui ont été publiés par divers auteurs dont les
ouvrages sont entre les mains de tout le monde, et, pour
ne pas abuser des momens de la Société, nous laissons
aux personnes qui liront ce mémoire le soin d'établir
le parallèle, (1}
({ 1) M. le Préfet a depuis, par un arrêté du 28 décembre
1818, nommé des Commissaires pour faire rafiner en leur pré-
sense des sucres bruts, dont le produit est destiné à S. 4, R.
Mo seigneur le Duc d’Angoulême qui, dans la visite qu’elle
8 faite à cef établissement , le 10 décembre, a permis que cet
envoi lui fut adressé, |
_ La Société denaera plus tard le rapport de ces Commissaires.
MÉMOIRES. 143
M. Crespel travaille depuis 1816. C’est en r8r1 qu'il
a adopté le procédé que nous vous avons exposé ét qu'il
a depuis invariablement suivi ; c'est le procédé de M.
Acbard, qui a subi les modifications que l'expérience
a suggérées à notre collègue.
Les résultats sont semblables. M. Crespel obtient de
betteraves récoltées dans les environs d'Arras une quan-
tité de sucre égale à celle que M. Achard obtient de
betteraves cultivées en Prasse et plus considérable que
celles que M. Derosne obtient de betteraves récoltées
dans les environs de Paris.
Afin d'établir complètement la balance des recettes êt
des dépenses nous allons examiner les PURE accessoires
de la fabrication.
MÉLASSE.
Quand l'eau-de-vie est à un prix élevé » il est Su
avantageux de distiller la mélasse que de la livrer en
nature au commerce.
Pour cette opération, il faut joindre à l'alambic douze
euves à fermentation, plus une chaudière pour faire
chauffer l’eau nécessaire pour hâter la fermentation de
la mélasse. Cette chaudière sert encore À attiédir l’eau
dans laquelle pendant l'hiver on lave les betteraves.
On délaye soixante kilogrammes de mélasse dans trois
cents cinquante litres d’eau tiède ; on y ajoute environ
deux litres de levure de bierre. La fermentation s'établit
aussitôt et se termine après quatre, six, et même après
dix-huit jours. La distillation de chaque cuve ainsi char-
gée, se fait en quatre heures, et donne de l’eau-de-vie
qui coule d’abord à dix-sept et à la fin à onze degrés,
144 MÉMOIRES.
Par une rectification, on obtient trente à trente-cinq
litres d’eau-de-vie qui, dans le commencement de l'o-
pération est à trente-trois, et à la fin à treize degrés,
ce qui donne une eau-de-vie à dix-neuf ou à vingt
degrés, bien supérieure à l’eau-de-vie de grains.
Ïl faut un demi-hectolitre de charbon pour la distil-
lation d’une cuve. On en distille trois par jour, et îl
faut, pour diriger l'opération, deux ouvriers payés à raison
d’un franc 25 centimes par jour.
= emma
: EmpLzior DU MATTOU PULPE PRESSÉE.
Le matt ou pulpe pressée, fournit aux bestiaux une
nourriture abondante, qui leur donne beaucoup de lait
et les engraisse parfaitement. La chair des animaux
nourris ainsi est remarquable par sa beauté et sa saveur.
On en obtient aussi une quantité plus considérable de suif.
La ration d’une bête à cornes est par jour de 25 à
30 kilogrammes. Il faut trois ou quatre mois pour l’en-
graisser, en ne lui donnant seulement que de la pulpe;
mais si on y joint tons les jours un tourteau de lin,
la sagitation est beaucoup plus prompte et la chair en
est plus fine. |
Le matt produit journellement est d'environ deuze
cents kilogrammes. Le produit de cent dix jours de fa-
brication est de ceut trente-deux mille kilogrammes;
31 bêtes À cornes nourries dans les étables de M. Grespel
en ont consommé soixante et quinze mille kilozrammes.
Le reste s’est vendu À raisou de quinze francs les mille
kilogrammes.
Ces trente-et-une bêtes à à cornes, achetées en automne,
ont coûté cinq mille deux cents cinquante francs ; elles
MÉMOIRES. 145
ont été vendues au mois de mars sept mille quatre
cents cinquante francs. Le bénéfice est de deux mille.
deux cents francs, dont il faut déduire quatre cents
francs pour la dépense de deux ouvriers qui les ont
soignées pendant cent dix jours ; le bénéfice net est donc
de mille buit cents francs, ce qui porte les mille kilo-
grammes à vingt-quatre francs au lieu de quinze francs,
prix auquel ce que les animaux n'ont pas consommé
a été vendu. in +
Deux circonstances droles ont encore contribué
à atténuer le bénéfice fait sur la nourriture des bestiaux.
Cette année, les bêtes à cornes ont été tres-chères
avant l'hiver, et le prix en a baissé au printemps , ainsi
ce bénéfice peut être regardé comme un minimum.
En outre , la litière de 34 bêtes à cornes et de 4 chevaux
a fourni de quoi fumer quinze mesures de terrain. Ce
fumier peut être évalué à vingt-quatre francs par mesure.
Voici, Messieurs, la balance des recettes et des dé-
penses de cette fabrication. Nous établirons notre calcul
sur le produit d’une mesure des environs d'Arras, dont
la superñcie est de 42 ares gr centiares.
———.— EE Eemeemememment |
PRODUITS.
Le produit de 42 ares, 91 centiares, varie de 8 à 20
miile kilogrammes de betteraves, nous prendrons le
terme moyen de M. Crespel, c’est-à-dire 10,000 kilog.
Ces dix mille kilogrammes pressés en deux jours, .
fournissent 7,000 à 7,500 kil. de suc, et environ 2400
kilog. de matt.
Ces 7,000 ou 7,500 kilogr. de suc acidifiés, clarifiés,
rapprochés en deux jours, fournissent 880 à 960 litres
de sirop à 31 degrés de Beaumé,
146 MÉMOIRES.
Ces 880 à 960 litres de sirop cristalisés, rendent, an.
bout de six à sept sémaines, 400 à 5oo kilogrammes de.
sucre brut, et 300 kilogrammes de mélasse.
Le sucre brut se vend dans le commerce à raison
dé 1 f. 7oc. le kilogramme.
La mélasse à raison de o',40o° le kilogramme, et le
matt à raison de 15 francs les mille kilogrammes.
D'après les données ci-dessus , nous avons établi les.
rapports suivants, entre les différens produits de Ja
fabrique de M. Crespel, en les comparant à ceux que
M. Achard a obtenus en Prusse.
147
MÉMOIRES.
*82AU197124 XNE 98SUJaUI €] 2p 3 a1ons nG
* °° + dous ne osseppur j op 3e axons nq
LUVHOV'N I 'IAdSAU9 NN
LNVAINS LNVAINS
° + + * ions ne 9ssejur ef 2
° * * «dons ne ossepour tj qq
* $9AU197J94 XNE 9SSEJ9U EI] 0(
‘+ +++. «dons ne arons nq
+ ‘ONs ne 9219n8s np PI
* *S9AU19}J0Q XNE 910n8 np ‘p7
+++ ons ue dos np ‘py
® + + *s24t197j2q xne dons np *p
* * °S2AU19732{ XNE JJUUI 2P pT
* $94819}9{, XUE ON$ NP LHO4AVY
140 MËÉMoiReEs.
| DÉPENSES.
Frais de culture pour 42 ares gt centiares :
M. Crespel loue vingt-cinq mesures de terre à 46 fr.
la mesure ; les frais de culture d'ane de ces mesures,
font :
fr, oc
Loyer. : 3.05 00 005 46
Impôt... soso. 7 »
Deux labours et deux hersages. . . . . . 24 »
Trois sarclages.. . ........... +. 24 »
Fumier évalué... 24 »
Déplantation. ......,...,..... 6 »
Transport des racines dans Île magasin. . 20 »
Achat de la graine. ...,......... 6 »
ToTAL. Se ES 157 »
Il loue vingt-cinq autres mesures au prix de deux
cents francs par an, mais il n'a à y faire 1 les opérations
suivantes:
fr oc
Sarclage. . .5.:. 5... 24 »
Déplantation. ..,...:..... 6 »
Graine. 4 4e es + 6 0 6 0 0 6 »
TOTAL. a CCR 36 ni
Eoyers eos... 200 »
TOTAL. ,.... 236 »
MÉMOIRES. 149
2° Dépenses journalières de la fabrication.
_Vingt-neuf ouvriers et un contre-maître. . 37 5o
Nourriture et harnois de quatre chevaux. . 14 »
Douze à 15 hectolitres de charbon. . . . 40 »
Chaux... ss. » 30
Acide: 5 kil Aa De Gurs ss ri dre 6 48
Sang de bœuf, 64 litres . ..... 5. 1 »
TOTAL. . . .. 99 28
à , * :
EN
3° FONDS DE CAPITAL.
Les bâtimens sont évalués 20,000 francs ; l'intérêt de
ce capital, mis à 6 pour cent, fera 1200 francs, qui,
répartis entre les 110 jours de fabrication, font r10!,90
par jour. |
La valeur des ustensiles nécessaires à la fabrication,
est de 25,000 francs. On doit porter l'intérêt de cette
somme, dont la valeur serait presque nulle en cas de
chûte de l’établissement, à 12 pour cent ; ce sera 3,000
francs, qui, répartis en 110 jours de fabrication, font
27 f. 27 c. par jour. |
On doit porter encore les petits frais et les répara-
tions , au dixième de l’intérêt de ces deux capitaux, ce
qui donne encore une dépense de 3 f. 82 c. par jour.
Le propriétaire paye journellement les dépenses de
l'établissement pendant les deux mois qui s’écoulent
avant qu’il puisse vendre aucun de ses produits; ce qui
forme une avance de fonds de 60,000 francs au moins,
dont l'intérêt mis à 6 pour cent par an, donne pour
deux mois, 600 francs, et par jour ro francs.
a 27
LL MÉMOIRES.
Si en récapitulant toutes ces dépenses nous les co mp-
tons pour deux jours de travail, nous aurons:
Dépenses de main-d'œuvre dans l'établis- US
sement. . ee ee oo + + 4 198 50
Intérêt des fonds placés dans les bâtimens. 21 60
Intérêt du capital des ustenciles, . .. . . 54 50
Le dixième de ces deux intérêts pour
réparations. 0... ee + + + 7. Go
Intérêt de l'avance de fonds , le tout pour |
deux Jours. . . 9 = 0 0e ee + ee ee 0e ee © © 20 »
ToTAL:. : .. 302" 46
Si nous ajoutons à cette dépense les frais de culture
des vingt-cinq mesures de terre, louées 200 francs , les
produits qu'on obtiendra , en mettant en œuvre dix mille
kilogrammes de betteraves, reviendront à 538 fr. 46 c.
Si nous y ajoutons les frais de vingt-cinq mesures
louées 46 fr., ces mêmes produits ne nous reviendront
qu'à 459 francs 46 c.
_ En deux jours il se fait dans l’établissement deux mille
_ quatre cents kilogrammes de matt qui, au prix de 15
francs les mille kilogrammes, valent 36 francs.
Il se fait dans le même espace de temps, 300 kilo-
grammes de mélasse qui, vendue au prix de of. 4o c.
le kilogramme, rendent 120 fr.
Si nous déduisons ces deux sommes des dépenses pré-
cédentes, le sucre seul ne nous reviendra qu'à 382 fr.
46 c., ou à 503 f, 46 c.
Nous avons dit que la quantité de produit en sucre
variait de quatre à cinq pour cent. Si le sucre nous
revient à 382,46 et que.le produit soit de 4 pour cent,
c’est-à-dire, 4oo kilogrammes; le kilogramme de sucre
| nous
: MÉMOIRES. 151
nous reviendra à environ o, "96 * Si le produit est
de cinq pour cent, c'est-à-dire 500 kilogrammes , le
kilogramme ne nous reviendra qu'à o, fr 96 ©
Mais si, comme il peut arriver à tout propriétaire qui
étabürait son usine dans ses domaines, les dix mille kilo-
graiumes ne reveuaient qu'à 303 fr, 46, le kilozramme
ne lui reviendrait q»'à 0," 6o ou à 0," 75 certimes.
Voilà, Messieurs, les faits les plus intéressans que nous
avons pu recueillir sur cette importante exploitation ; il est
inutile de vous dire que M. Crespel travaille chaque jour
à étendre et à améliorer celte nouvelle branche d'industrie,
Tels sont les résultats de la persévérance et de la
Jutte courageuse de quelques hommes amis de la pros-
ptrité de leur pays ; contre l'opinion de tout un peuple,
ils sont parvenus à nous donner le sucre à aussi bon
marché que celui qui nous vient de l'étranger. Les Lé-
néfices de la culture tendent à augmenter le revenu
et la valeur des terres; ceux de la manipulation sont
en partie versés parmi la classe pauvre, puisque dans
certains momens M. Crespel occupe jusqu’à deux cents
ouvriers, et le produit de la fabrication, livré au commerce
comme provenant de l'étranger , retient une portion cu
numéraire que l'immense consommation du sucre en
fait sortir chaque jour. Ainsi, dans cette exploitation , tout
est profit pour la patrie , tout est bienfait pour l’huma-
nité, et quand les fabriques seront assez répandues pour
suffire à nos besoins , nous n’aurons plus à rougir de
la devoir à la main des esclaves ; elle nous sera préparée
par lès mains libres des enfans de la France.
| Les Membres de la Commission,
3. MencCIzR. B. TERNINCK."
Le Rapporteur, Aimé BURDET.
14 Liv, IL
792 MÉMOIRES.
VOILE LL VEUVE LU VEILLE UV EVA
DE LA HAUTEUR DU NIVEAU
DES EAUX
SUR LE BASSIN ORIENTAL
DE LA MÉDITERRANÉE.
Quelles sont les causes de l’abaissement de ce niveau,
LS
relativement à celui de l'Océan ?
Par MCORANCEZ, ancien Consul à 4lep,
Membre correspondant de la Société.
L: Bassin de la méditerranée, qui entoure lile de
Chypre et se prolonge depuis le canal de Cérino jusqu’au
fond du golfe d’Alexandrette , est le plus oriental de
cette mer. Ce bassin est remarquable par l’abaissement
de son niveau au-dessous de locéan. C’est un phéno-
mène bien singulier que celui de cette différence du niveau
des deux mers ; phénomène constaté par celle qui a été
mesurée entre les eaux de la Méditerranée sur les côtes
d'Egypte et celles du golfe de Suez. Cette différence ,
. d'abord apperçue par les anciens, révoquée depuis en
doute par les modernes, a été enfin prouvée sans réplique
par les opérations des ingénieurs français, en Egvpte.
Le résultat qu’ils ont obtenu est d'autant plus remar-
quable, qu'il ne diffère que très-peu de celui dont les
lraditions anciennes avaient conservé le souvenir, sans
conserver celui des procédés qui y avaient conduit. Ainsi,
cetle grande question qui semblait devoir alimenter long-
lems encore les discussions et le doute paraît enfin décidée.
Il n’en est pas de même des causes de ce phénomène;
tant que l'existence de ce dernier parut douteuse, Île
mième caraclère d'incertitude et de vague se trouvait
MÉMOIRES. 153
appartenir aux hypothèses imaginées pour son explication.
Aussi les causes en sont-elles à peine indiquées. C’est
à leur développement que ce mémoire est consacré.
La question que je me propose de traiter est entière-
ment neuve, au moins par le point de vue sous lequel
je l’envisage. (1) En examinant la forme actuelle de la
Méditerranée, celle. des deux bassins bien distincts qui
composent cette mer, les circonstances particulières qui
les caractérisent ,. j'essaye de faire voir qu'il doit y avoir
une inégalité dans le niveau des eaux aux deux extré-
mités de cette mer. Cette inégalité est encore confirmée
par les révolutions que la figure et la surface de la
Méditerranée ont successivement éprouvées et dont Îles
Grecs nous ont conservé les ouvenir. De là, l'examen de
ces révolutions ; la comparaison de l’état actuel et de l’état
ancien de la Méditerranée ; la preuve d’une différence de
niveau dans l’état actuel, parce que cette différence est
prouvée dans l’état ancien par les lieux et par les ravages
du déluge, dont l'existence est consacrée dans l’histoire.
C’est ainsi que les monumens historiques, les obser-
vations tirées de la nature des lieux, s'accordent à prouver
Ja nécessité d’une différence de niveau, dont les opérations
des ingénieurs français en Egypte ont directement dé-
montré l'existence. Quelle est la mesure de cette différence?
C'est ce qu'il est plus difhcile de conclure à priori des
considérations que je viens d'indiquer. Cette dernière
recherche est pourtant moins épineuse qu'elle paraît
devoir l'être au premier —— On en db juger
par la lecture de ce méinoire. : |
(tr) M. Martin, Ingénieur , a’avait qu’eflleuré cette question en
2804.
. Voyez ses recherches sur les mœuts des anciers Peuples.
Tom. IL. Page 4t. j
154 | MÉMOIRES.
Pour faciliter cette lecture , j’examine dans une premitre
section , quelle est la figure et la position des bassins de
la Méditerranée , dans son état ; et j'y établis les corol-
laires de cet examen.
La deuxième section est consacrée à la discussion des
révolutions qué cette mer a successivement éprouvées,
à la distinction et au développement de celles de ces
révolutions qui se lient à la question actuelle.
Dans la troisième section , après avoir fait voir que
les considérations précédentes déterminent une différence
de niveau, j'indique le moyen de connaître à priori la
quotité de cette différence.
Cette dernière section exige des calculs assez compliqués;
mais on peut y suppléer par des considérations plus sim-
ples, ét par l'analogie de la question à résoudre avec :
d’autres déjà résolues. J'en citerai , pour exemple, les lois
des oscillations de l’eau dans un vase de figure donnée,
lois que je crois dignes de fixer l’attention des géomètres
par leur simplicité et par le rapport remarquable qu'elles
ofrent entre la théorie et l’expérieñce.
| $ IL.‘ | |
. En examinant sur une carte la grandeur et la forme
de la Méditerranée, on freconnaît que sa dimension la
plus étendue est de l’est à l’ouest, depuis la côte de Syrie
jusqu’au délroit de Gibraltar. Sa longueur dans cette
direction est de quarante degrés environ ( 1) Sa largeur
est variable. On peut, dans le sens de cette largeur, la
séparer en deux portions bien distinctes. L'une est un
triangle irrégulier, ayant pour base la côte d'Afrique ,
depuis Tanger à Pextrémité du détroit, jusqu’au cap qui
s'avance dans la mer auprès de Barca, Le sommet de
. (1) Près de huit cents iieues, |
MÉMOIRES. 1959
ce triangle est au fond du golfe de Gènes. Ses deux côtés
sont formés par les courbes irrégulières que décrivent à
l’ouest la côte d'Espagne , à l’est la côte d'Italie , et plus
bas le gisement des terres jusqu'à lile de Candie.
Ce Bassin compose seul une grande partie de la sur-
face de la Méditerranée, surtout si on y joiat la mer qui
. baigne l’Archipel. Indépendamment des eaux que lui four-
nit l'Océan au détroit de Gibraltar, il en recoit une
grande masse de tous les fleuves de France, d’Espagne
et d'Italie qui y ont Icur embouchure.
Le second Bassin, beaucoup moins étendu, est borné
au nord par la côte de l'Asie mineure, depuis Rhodes
jusqu’à Alexandrette ; à l'Orient par la côte de Syrie
jusqu'à Damiette; au sud, par la côte d'Egypte, et par
‘le désert qui sépare Alexandrie de Barca. La figure de ce
bassin est un quadrilatère, de forme irrégulière, dont
le quatrième côté serait une ligne tirée depuis la côte
d'Afrique auprès de Barca, jusqu’à la pointe méridionale
de l’Asie mineure au-dessus de Rhodes. Cette dernière ligne
est un peu inclinée à la direction des méridiens. Elle termine
à l’ouest le Bassin oriental de la Méditerranée. D’après les
dimensions que j'ai indiquées il a une longueur moyenne de
neuf degrés de l’est à l’ouest , sur cinq degrés de largeur. (1)
On peut donc évaluer la surface de ce bassin par celle
d’an carré long, qui aurait deux cents lieues sur l’une de
ses dimensions , et cent vingt-cinq lieues sur l'autre ; ce
qui donne deux mille cinq cents lieues carrées à peu-prés.
Dans cette vaste étendue, elle n’a aucune communication
avec d’autres mers. Les seules eaux qu’elle reçoit sont
C1 ) Cette dernière quantité exprime la différeuce moyenne
des latitudes en’re les cûtes méridiorales de l’Asie mineure et
les :ivarses opyosés de l’Africue,
b Pr :
ed
156 MÉMOIRES.
celles du Nil au midi; à l’est et au nord celles de l’Oronte
et de quelques fleuves fournis par le Taurus. Comme ces
montagnes sont peu éloignées de cette mer, ils sont tous
peu considérables. Le Nil qui, à l’époque de l’inondation,
contient une très grande masse d’eau, en a beaucoup
moins depuis l’équinoxe du printemps jusqu’au solstice
d'été. Alors son lit est resserré, la navisation en devient
dificile. Il ne fouruit à la mer que très-peu d’eau. La
différence en plus qui doit exister à Vénoque de linon-
dation est moïus considérable qu’on n’est d’abord tenté de
le croire. En inondant le sol qu’il fertilise , ce fleuve perd
sur les terres d'Egypte une grande partie de ses eaux.
Aussi, vers son eimhouchure , et même à Rosette, qui
en est éloignée de deux lieues, la différence du niveau
des eaux n'est jamais très-sensible.
La quantité d’eau fournie au bassin oriental de la
Méditerranée, dont nous venons de déterminer la sur-
face, est donc très-petite relativement à son étendue.
D'ailleurs, toutes les côtes qui ferment ce bassin, pré-
sentent le pays le plus sec de l'univers. Au sud , s'étendent
les grands déserts de l'Afrique ; au sud-est, ceux de
V’Arabie , au-delà de l’isthme de Suez. Le désert qui forme
cet isthme est tout entier couvert de sables, sans aucune
trace de végétation. Il se prolonge au nord en remon-
tant vers la Syrie, pays, ilest vrai, cultivé , mais qui,
sur une largeur peu considérable, sépare encore -à l’est ,
le fond de ce bassin des grands déserts que borne le
cours de l’Euphrate. Sur les sables brûlants qui font de
ces contrées le domaine de l'isolement et de la mort,
V'air, échauffé par la réflexion d’an soleil toujours ardent,
sous un ciel toujours pur, acquiert un très-grand degré
de sécheresse. On peut juger de son intensité par ses
MÉMOIRES. 157
effets sur les cadavres, qui y deviennent , après le court
intervalle de quelques jours, des momies légères et
friables, sans aucune trace de corruption.
L'air sec et très-échauffé qui domine le bassin oriental
de la Méditerranée, doit donc produire une très-grande
évaporation à la surface de cette mer. La quantité d’eau
absorbée par cette évaporation est. bien plus considérable
que celle qui, sur une surface de même étendue est
enlevée par la même cause sur les autres parties de la
Méditerranée et sur le bassin de l'Océan qui y communique.
: Le niveau de l'Océan est maintenu à la même hauteur
par l'effet de deux causes qui se balancent et dont les
résultats contraires sont sans. cesse compensés l’une par
l'autre. L'une est l’évaporation qui tend à l’abaisser ;
l’autre est le produit de cette évaporation même dans les
pluies et les fleuves, qui relèvent ce niveau. Au contraire,
sur le bassin oriental de la Méditerranée, la première
cause a une plus grande intensité que partout ailleurs.
La seconde en a beaucoup moins. La masse d’eau que
lui enlève l’évaporalion excède donc de bexucoup celle
qui est remplacée par les pluies et les fleuves. De l'excès
de la première cause sur la seconde , résulte une tendance
perpétuelle à l’abaissement du niveau des eaux dans le
bassin oriental de la Méditerranée. Cet ahaissement aurait
lieu sans la communication de ce bassin avec le reste de
cette mer et par elle avec l'Océan. D’après la loi géné-
rale de l'équilibre des fluides, qui tend à les mettre de
niveau , l’Octan doit fournir, dans un temps donné, une
quantité d’eau égale à celle qui se perd dans le même
temps sur la surface du bassin oriental de la Méditerranée.
De là, l'existence du courant qui paraît porter de l’ouest
à l’est, depuis le détroit de Gibrallar jusqu'au golfe
158 | MÉMOIRES.
d’Alexandrette. D'ailleurs , la dépense d’eau qui a lieu veïs
ce golfe est encore remplacée par les eaux qui y affluent
de la mer noire. Dans tont le canal qui sépare l’Europe
de lPAsie, depuis Buyuc-Déré jusqu'à Coustantinople, ce
courant se dirige du nord au sud, ou de la mer noire
dans la mer de Marinara. Il à même tant de force dans
les parties les plus resserrées du canal , qu’il est impos-
sibie aux bateliers de le remonter avec les rames.
Les eaux fournies par ces courans, qui de toutes les
parties de la Méditerranée auent dans son bassin orien-
tal, tendent à eu élever le niveau. Celles qui sont enlevées
par l’évaporation, tendent à l’afaisser. Ces deux causes
sont liées entr’elles. La première ne peut agir sans la
seconde dont elle est le résultat, Car le courant doit
diminuer à mesure que le niveau se rapproche de l'égalité
aux deux points extrêmes de ce courant. Si ces deux
points étaient contigus, le fluide évaporé étant immé-
diatement remplacé, la différence entre ces niveaux serait
nulle. Si ces deux points étaient très-éloignés, cette dif-
férence serait très-grande. Car l’évaporation agit propor-
tionnellement au temps, et il se passera plus de temps
avant que le niveau supérieur ait fourni à linférieur la
quantité d’eau déplacée. D'ailleurs, la force du courant
croissant dans un certain rapport avec la masse d’eau qu’il
doit remplacer , ou er d’autres termes avec la différence des
deux niveaux cxtrêmes, il doit exister entre les différences
de hauteur de ces deux points, une de ces différences
où la quantité d’eau élevée par l’évaporation sera égale
à celle qui est fournie en même temps par l'Océan. Alors,
et si cette vitesse reste uniforme et n’acquiert point
d'accélération, le courant ne fournissant d’eau que celle
qui cst absorbée par la seconde cause, la différence entre
les niveaux sera constante.
MÉMOIRES. 199
Mais ceite vitesse ne doit pas tarder à s’accélérer. Comme
dans son état prinitif elle eut été suffisante pour fournir
seule à l'effet de l’évaporation; comme cette évaporation
est d’ailleurs variable d’un moment à l’autre , la diffé-
rence du niveau changera bientôt elle-même. La surface
de l’eau sera alors assujettie à faire de certaines oscilla-
tions. |
Je ferai voir dans la troisième section que l’eau étant
supposée parfaitement fluide, l'intervalle de ces oscilla-
tions est trop court pour qu’on puisse attribuer à l’éva-
poration seule une différence de niveau aussi grande que
celle qui a été observée.
SE | Fo
_ Je viens de considérer la figure de la Méditerranée,
telle qu’elle est de nos jours. Cette considération y fait
appercevoir deux bassins bien distincts. Le plus oriental
diffère essentiellement de l’autre par cette double cir-
constance , que l’évaporation lui enlève une quantité
d’eau plus considérable; que les pluies et les rivières
qui s’y déchargent ne lui en fournissent que beaucoup
moins. |
Il y a dans la question qui nous occupe un autre
examen non moins imporlant par ses rapports avec elle;
c’est celui des révolutions successives qu'ont dû éprouver
le niveau et la figure de la mer Méditerranée par sa
communication avec l'Océan et avec la mer Noire. Un
savant distingué a bien voulu me communiquer un
mémoire très-détaillé sur ce dernier objet et me permettre
de faire usage des profondes recherches qu'il contient.
J'y prendrai les faits qui se trouvent liés à l’objet de
ce mémoire, et je mettrai en note les détails de ces
faits tels qu'ils se trouvent dans le mémoire cilé.
y
160 MÉMOIRES.
S'il a existé une épojue où la mer Noire ne com-
muniquait pas avec la mer Méditerranée et où le Bosphore
de Thrace fermé par la jonction des deux chaînes qui
le dominent, présentait un obstacle aux eaux de la
première , le niveau de cette mer a dù être beaucoup:
plus élevé que son niveau actuel. C’est ce que prouve
l'existence du courant qui porte continuellement daus
la mer de Marmara. Depuis l'extrémité du Pont Euxin
vers le fanal de Natolie, ( Ænadoli fener. ) jusqu’au
commencement de la mer Marmara au de-là de Scutari
et près de Kavak-serai, le détroit a près de six lieues
de longueur dans une direction qui s’écarte peu de la
ligne droite ;(1) seulement , au-dessous de son embou-
éhure, il se recourble à loccident dans le vaste bassin
de Buyuc-déié. Les points les plus resserrés de ce canal
sont plus près de Constantinople, vis-à-vis d’Arnaoüt-
kieui, et de Courou-tchesmé; (2) sa moindre largeur
est de trois cent cinquante toises. Alors le courant
devient très-fort; sa rapidité égale celle de nos grands
fleuves. Quelles que soient la légèreté et la finesse des
Caïques dont on fait usage à Constantinople : quoique,
présentant par leur forme la moindre résistance possible,
garnies d’ailleurs de plusieurs rangs de rames elles
fendent l’eau avec la rapidité de la flèche, elles ne
peuvent remonter le couant dans ces parties resserrées
du caual. À Arnaoûüt-kieui et à Courou -tchesmé , elles
aboident sur la côte d'Europe où on les remorque avec
_ des cordes. IL est important d'observer, quant à Ja
direction de ce courant, que dans toute la largeur du
canal il porte également de la mer Noire vers la mer
(t) À peu-pres noid-eit au suu-vuest.
(4) Deux villages sur la côte d'Europe.
MÉMOIRES. 165
de Marmara. Le lieu de sa plus grande force est dans,
la ligne du détroit qui est à égale distance de la côte.
d'Asie et de celle d'Europe. ‘Aussi est-ce la route .que
suivent les. barques qui descendent à Constantinople.
Sur les bords du canal, ce courant a, comme on l’a
vu , la même direction. Il n’y a donc aucun contre-
courant qui balance l'effet du courant général, il se
prolonge , de ‘plus, au de-là de l’ouverture du détroit.
A la pointe du Sérail ce courant est encore. très-fort,
et il agit également dans: toute la hauteur de la mer.
Aussi les objets perdus dans le port sont-ils portés au
de-là de ‘cette poirite, comme le prouvent les établisse-.
mens qui y sont formés pour passer , dans des cribles
le ‘sable tiré du fond de la mer, et. retrouver ainsi
ces objets perdus. Plusieurs ouvriers ne vivent que de
cette occupation journalière,
- On peut juger par cette description de amants
quantité d'eau qui est: enlevée chaque. jour à.la mer
Noire. Avant l'existence du Bosphore de Thrace, toutes
ces eaux, restant. à la surface de cette mer, son. niveau.
devait être bien plus élevé; il devait d’ailleurs tendre à.
s'élever chaque jour , puisqu’indépendamment des raisons .
que nous venons d'en apporter, le fond de cette, mer.
était exhaussé lui- mêmè par les sables qu'y portaient
avec eux les grands fleuves qui y prennent leur embou-.
chure ; puisque d’ailleurs la surface de cette mer n'était
pas assez étendue pour que l’évaporation. y enlevât d’un,
côté le surplus des eaux qui lui étaient fournies de l'autre.
. Cette différence de hautebr du niveau ancien au
niveau actuel de la mer Noire, est encore confirmé par:
le témoignage des auteurs anciens. (1) (a) Les obser-.
3
(1) Voyez les notes à la fin du Mémoire.
162 . MÉMOIRES.
vations faites sur les lieux par M. Pallas (b}) la mettent
enfin tout-à-fait hors de doute. |
D’après ces dernières, la mer Caspienne et la mer
Noire ont formé autrefois une seule mer, qui, couvrant
de plus les steppes de la Crimée, celles de la Tartarie,
présentaient une surface immense relativement à sa surface
actuelle, On peut voir eu note ( ec }) le détail des côtes
qu'on a cru pouvoir assigner au bassin de cette mer.
Quelles que fussent ses limites , le pays qui s'élève
progressivement au nord , les chaînes de montagnes,
qui y présentent une grande largeur, durent lui opposer
de ce coté un obstacle insurmoutable, Au midi, il n’était
séparé du bassin. de la mer de Marmara que par une
chaîne plus étroite. C’est là que durent porter tous les
efforts des eaux. Les voyageurs sont généralement d’accord
qu'elles y formèrent le détroit qu’on abserve de nos
jours. Tournefort croit que ce fut en détrempant la
terre du canal , qui était d’une nature molle. Pallas
attribue cette révolution aux secousses d’un tremble-
ment de terre. M. Barbié-du-Bocage , aux ravages d’un.
volcan dont les indices se présentent d’une manière.
non équivoque sur la côte d'Asie et sur celle d'Europe,
près de l'Embouchure du canal. ( d )
Les eaux de la mer Noire: s'étant frayé un passage,
s’'écoulèrent dans la mer de Marmara et de là dans la
Méditerranée, par le canal des Dardanelles: soit qu'il
existât déjà à cette époque, comme Tournefort le pré-
tend, soit qu'il ait été formé dès-lors par lirsuption
de cette mer: la Méditerranée ayant pour limite septen-
trionale la côte d'Europe et celle d'Asie, qui se joignaient ,
avant cette irruption, entre Sestos et Abydos.' Cette
dernière hypothèse semble la plus probable. Çe ) La
MÉMOIRES 163
Méditerranée n’était alors alimentée qué par sa commu-
nication avec l’Océan, au détroit de Gibraltar. ( f )
Son niveau devait donc être inférieur à celui qu'elle
acquit bientôt par sa nouvelle communication avec
la mer Noire. Cette dernière , avant l'irruption , avait,
comme on la vu, une élévation bien supérieure à
celle qu’elle a conservée de nos jours. Celte élévation,
étendue sur une grande surface, présentait une masse
d'eau considérable. Elle dut produire de grands ravages
eur les côtes de la Méditerranée , sur les Iles qu’elle
baignait. de ses eaux. L'île de Samothrace y était, par
sa position, exposée la première. Aussi ses babitans
conservaient-ils, au rapport de Diodore de Sicile, la
mémoire du déluge qui en fut le résultat. (g ) A la
simple inspection , sur. la carte, des parties orientales
de la Méditerranée, en decà du détroit des Dardanelles,
on reconnaît que la mer Egée y forme d’abord un bassin
assez vaste, entre les côtes de la Thessalie et celles de
la Thrace. Elle aboutit ensuite à un canal dont le passage
le plus étroit est situé entre l'extrémité de l’Eubée et
les rivages de l'ile de Chio, Les eaux qui au moment
de lirruption avaient trouvé, pour s'étendre , tout l’espace
que présente ce premier bassin furent resserrées à l'entrée
de ce tanal. Comme la violence du courant se trouvait
augmenter en raison inverse de sa largeur, il dut y
occasionner une très-grande inondation. L'irruption de
la mer Noire aura donc fait ses plus grands ravages
sur les terres basses de l’Attique en Europe , sur la
côte opposée de l'Asié mineure, depuis Chio 1e
à Samos, et sur l’Archipel des Cyclades.
En effet, ces divers lieux sont précisément ceux où
l’histoire a particulièrement consacré les terribles effets
164 | . MÉMOIRES.
de cette irruption. ‘Pline parlé d’une inondation qui
enleva subitement trente milles de pays de Pile de Ceos,
située au nord des Cyclades, ( h } Les parties basses de
l'ile: de Délos et celles de Rhodes, disparurent égale-
ment avec des milliers d’habitans. ( i ) Voilà donc les
effets de l’irruption , consacrés. par. l’histoire, aux deux
extrémités des Cyclades.. Une: grande partie de. ces, Iles
était alors déserte, l’autre peu habitée. ( k ) De là le
silence que l’histoire a gardé sur ces dernières. Quant
‘aux parties de la.côte d'Asie. qui furent exposées aux
‘effets de l’inondation, on peut y comprendre les plaines
de la : Teuthranie. à l'embouchure du -Caïque, celles
d'Ephèse, et les campagnes unies qui s'étendent sur les
bords du Méandre, ( 1 ) Enfin le déluge d'Ogyges, qui
‘inonda toute l’Attique ,. en sorte que ses. habitans et
.Ogyges lui-même furent obligés de 6e retirer sur les
hautes montagnes, présente un dernier monument élevé
‘par' l’histoire. Il consacre l’inondation qui dut avoir lieu
sur la côte d'Europe ,: qui borne au couchant le détroit
dont j'ai parlé plus haut. (m)}) Voilà donc les effets de
Virruption: du Pont Euxin, dont l’histoire et la tradition
ont presque exclusivement conservé le souvenir sur les
rivages et aux environs du canal qui borne au midi la
mer Egée. C’est ce dont. j'ai déjà expliqué la raison :
puisque ce fut sur-tout dans cette région qué l'irruption
du Pont Euxin dut faire les plus grands ravages.
t Sans discuter ici la .date de ces «révolutions, celle du
déluge partiel qu’elles peuvent expliquer, je me conten-
terai de relever, dans les faits précédens, ceux qui se
rapportent à l’objet de ce chapitre. On a vu par le détail
de ces faits, que ce furent particulièrement les rivages
du fond oriental de la Méditerranée, et les Iles qu’elle
MÉMOIRES. 165
baigne de ses eaux, qui furent ravagés par ce déluge;
l'histoire ne fait aucune mention de pareilles inondations
autour da bassin occidental de cette mer. C’est une
nouvelle preuve que ces inondations eurent pour cause
lirruption de la mer Noire. Car quelle que fût la masse
‘des eaux qu'elle versa dans la Méditerranée, cette masse
ne pouvait être qu'insensible , relativement à celle des
eaux- de l'Océan qui couvre la plus grande partie du
globe. La hauteur dont le niveau de ce dernier en fut
élevé, ne put donc-être que très-petite ou tout-à-fait nulle.
Il suit de là que le niveau de l'Océan resta le même
après cette: irruption. Au contraire, le niveau du bassin
oriental de la Méditerranée fat considérablement rehaussé.
Mais on voit assez. que cela n’a pu atriver qu’autant
qu'il y a eu à cette époque une différence de niveau
entre les parties orientales de la Méditerranée, et celles
qui avbisinent l’Océan , près du Détroit. De là la preuve
que cette différence existait avant l’'irruption des eaux
de la mer Noire. De là aussi la preuve de cette diffé-
rence depuis cette irruption.
$ IIT
: C’est ainsi que les monumens de lhistoire, les consi-
dérations tirées de la nature des lieux , enfin, les obser-
vations récentes faites en Egypte, se réunissent pour
prouver la réalité du phénomène singulier qui établit
une différence en moiïns entre le niveau du fond de la
Méditerranée et celui de Océan. Les monumens histo-
riques font voir qu’elle a existé (r). Les observations
récentes donnent sa mesure actuelle; es considérations
générales indiquées dans la première section en prou-
( 17 C’est une idée répandue dans toutes les îles de l’Archipel,
que la mer Rouge est plus haute que la Méditerranée. A l’époque
166 MÉMOIRES.
vent la nécessité. Mais il paraît difhcile d'en conclure,
à priori, quelle est la mesure de cette différence.
La théorie des fluides est encore si peu avancée, les
résultats qu’elle donne sont si compliqués dans les ap-
plications qu’on en veut faire, qu'il paraît difficile, pour
ne pas dire impossible, d'en rien conclure dans la ques-
tion qui m'occupe. J'ai cependant essayé de le faire par
les considérations suivantes. Elles ne sont pas indignes
de fixer l'attention, par leurs résultats d'accord avec ceux
que donne l'expérience. | |
On sait que les équations qui représentent le mouvement
d'une masse d’eau dont la surface est indéfinie, et la
profondeur très-petite sur un fond horizontal, sont
analogues à celles qui expriment les petites agitations
de l'air, (1) On a déterminé par là la vitesse et la
propagation des ondes, par analogie à celle de la pro-
pagation du son. ( 2) Avec un peu d'attention, on voit
où les Français se rendirent maîtres de J’Ezvnite , il se répandit
dans ces iles, qu’ils allaient ouvrir un canal de communica-
tions entre les deux mers. La consternation fut générale, parce
qu’on crut que cette communication causerait dans Archipel
un nouveau déluge,
Cette opinion doit tenir à d’anciennes traditions , dont il
serait curieux de rechercher les sources.
(x) Bien entendu que le mouvement de l’eau est très-petit.
{ Voyez les Mémoires de Berlin, pour Vannée 1781, et la
Mécanique analytique , page 491, première édition. )
(2) Cette détermination n’a lieu que pour le cas où Ja profon-
deur de l’eau est très-petite. C’est ge qu’on peut toujours supposer
pour la portion de la masse d’eau agitée dans un vase, quand il
s’agit de l’oscillation naissante , que l’abaissement très-petit de
la surface, relativement au plan de niveau , tend à produire. La
does du mouvement des ondes dans un fluide dont la profon-
cur est indéfinie , a été, au surplus, résolue depuis la solution
particulière donnée par Lagrange,
ù qu'on
MÉMOIRES. | 167
qu’on peut aussi conclure de cette analogie les lois
des oscillatious très-petites que décrit la surface de l’eau
contenue dans un vase prismatique, autour du plan
horizontal, qui est son plan de niveau. Si on suppose
en effet, qu’à la suite d'un mouvement imprimé à la
masse fluide, sa surface forme des ondes infiniment
petites au dessus et au des:ous d’un plan qui fasse lui-
même un angle très-petit avec le plan du niveau, et
qu'après l'effet de cette secousse , dont le résultat est
supposé donné par lhypothèse, Île fluide soit ensuite
abandoriné lui-même avec des vitesses connues ou nulles :
on voit que par l'effet de la gravité il doit revenir à
l'état d'équilibre ou au plan de niveau; qu’énsuite il
s’écartera de ce plan par le résultat même des vitesses
qu'il a acquises pour y revenir. Il suit de-là que la
surface de l’eau exécutera autour du plan de niveau
des oscillations dont les intervalles sont déterminés di-
rectement par les équations dont j'ai parlé plus haut ;
on peut d'ailleurs connaître ces intervalles par l’analogie
de la question actuelle avec celle du son dans les
tuyaux d'orgue. Car dans l’état initial, l’abaissement de
chaque molécule fluide relativement au plan de niveau,
répond aux condensations qui ont lieu dans ce cas-là
et la profondeur de l’eau dans le canal à la hauteur
de l’atmosphère supposée homogène. Les résultats que
donne la théorie pour les ébranlemens successifs de la
ligne sonore, s'appliquent donc à la question actuelle,
en changeant ces dénominations. Comme pour la théorie
des flûtes, l'examen des fonctions arbitraires qui entre
dans cette théorie, prouve que la ligne sonore revient
à son état initial , après des temps dont elle donne l'in-
tervalle ; pour celle du mouvement de la masse fluide
L jme Liv. - 12
168 MÉMOIRES.
dans l'hypothèse actuelle, elle détermine les intervalles
de temps après lesquels cette masse revient à son premier
état. La durée des oscillations de celles - ci est donc,
comme pour celles de la ligne sonore , indépendante des
ébranlemens primitifs. Elle dépend seulèment de la lon-
gueur du vase et de la profondeur de l’eau. Dans les
flûtes ouvertes par un bout, ces intervalles sont doubles de
ceux qui ont lieu dans les flûtes fermées par les deux Louts.
l'en sera de même de la durée des oscillations dans un
vase prismatique, terminé par deux parois inflexihles,
relativement à celles qui ont lieu dans un vase terminé
à son extrémité postérieure par un paroi inflexible et
communiquant à son extrémité antérieure avec un vase
constamment plein. Les intervalles du mouvement dans le
second , seront le double de ces intervalles dans le premier.
C’est ainsi qu’on peut obtenir, sans le secours du calcul,
les lois des ossil'ations de l’eau dans un vase dont la pro-
fondeur est très-petite (a). Il n’est pas difficile de les
étendre au cas ou la nappe d’eau aurait , à l’une de ses
extrémités, des vitesses constantes. Si ces vitesses sont
très-petites, on détermine, comme dans la supposition
précédente, la loi des oscillations de la masse fluide (b}.
J'observe maintenant que tous ces résultats sont fondés
sur la supposition que l’eau est parfaitement fluide : on
sait que cette supposition est fausse, et qu’il existe entré
les molécules de l’eau une adhérence très-petite, mais
réelle. Cette adhérence est trop bien prouvée par mille
phénomènes, pour qu'il soit nécessaire de s'arrêter À la
démontrer. Dans les mouvemens rapides, on peut la
néoliser sans erreur. Il n’en est pas de même des mou-
vemens très-lents que cette adhérence peut altérer sen-
siblement, qu’elle peut même entièrement détruire.
MÉMOIRES. 169
En effet, si on a égard, dans l'expression des mômens
des forces, à l'adhésion des molécules de l’eau, la figure
de l’équilibre pourra différer un peu de celle qui a lieu
dans le cas d’une fluidité parfaite. C’est ce qui arrivera
dans toutes les situations où les vitesses imprimées au
premier moment par les forces qui sollicitent le fluide ,
seront plus petites que celles qui peuvent être détruites
par cetle cohésion. Il y aura donc alors Pour sa surface
d'équilibre deux états extrêmes entre lesquels il restera
toujours en repos. Celui du milieu sera l’étit d'équilibre
absolu , existant indépendamment de la cohésion des.
molécules. Les autres seront les états voisins de celui-là ”
où les vitesses naissantes seront assez petites pour être
détruites par l’adhérence du fluide. Dans les questions de
Mécanique, où les focès ont une mesure absolué, l’é-
quilibre est iuisméme absolu. Le systèmé des cotps en
étant tant soit peu écarté, il s’en écarte sanc cesse:
davantage par l'effet des vitesses toujours ctoissantes > OU
bien il y revient de lui-même par des oscillations. sans
cesse plus petites. Mais si l’on fait entrer dans ces ques
tions les forces de résistance qui résultent de celle du.
milieu, ou de la cohésion entre les points ou corps du - :
système , ces dernières ne sont plus absolues. Car il résulte.
de leur définition même, qu'elles n'agissent que pour
diminuer les vitesses existantes , pour détruire celles qui.
tendent à se produire, qu’elles ne peuvent jamais faire
naître une vitesse positive dans le sens où elles sont
appliquées.
On concevra plus aisément cette distinction en prenant
le cas le plus simple de tous: celui d'un point pesant.
suspendu ‘par -un. fil inextensible à un point fixe dans
le vide; il n’y a d'état d'équilibre que celui où le point
[70 MÉMOIRES.
pesant, le centre de suspension et celui -de ‘pesanteur
sont dans une même ligne droite. Ces états d'équilibre
sont absolus. Car, quelque peu que le corps en soit écarté,
il doit se mouvoir, soit pour y revenir, soit pour s’en
écarter davantage , suivant que le lieu du corps est en
dehors ou en dedans du point de suspension. |
Il n’en est pas de même dans un milieu résistant :
Vair, par exemple, oppose au pendule en mouvement ,_
une résistance composée d’un double terme. L'un est
proportionnel au carré de la vitesse et devient insensible
dans les mouvemens très-lents. L'autre est dû à la tenacité
des molécules de lair.-C’est ce dernier qui anéantit tout-
à-fait le mouvement du pendule, lorsqu'il est devenu
très-petit. C’est lui qui l’empêche de se mouvoir lors-
qu'il s'écarte très-peu de la verticale. : |
Par les expériences de Newton, l'intensité de la résis-
tance constante qui est produite par la cohésion des
moléeules de Vair est mesurée par la quatre cent millième
partie de la gravité (1). De-là , il est aisé de conclure
que le pendule reste en repos , non-seulement quand il
se trouve dans la verticale, mais encore quand il fait
avec celle-ci un angle égal ou plus pétit que six se-
condes. Lorsque cet angle est de six secondes. la résistance
de l’air est employée toute entière à détruire la vitesse
qui résulte de la force de gravité pour mettre le pendule
en mouvement. C’est l'état d'équilibre extrême. Lorsque
Je point pesant est dans la verticale , la force de gravité
est détruite toute entière par la seule tension du fil. C’est
le cas de l'équilibre absolu. | |
re EEE
(1) Philosophiæ naturahs prineipia Mathematica. Lib, 2., sect
6, prop. 31.
MÉMOIRES: 71
: Quoiqu'il en soit de cette mesure, peut-être trop
forte, de l’adhérence des molécules de l'air, on ne peut
douter que la même force. existe entre les molécules
intégrantes de l’eau. C’est sur-tout par suite de cette
adhérence que tes petites oscillations de-ce fluide ne tardent
pas à cesser tout-à-fait, quoique suivant la théorie
qui ne tient pas compte de cette propriété , elles dussent
se prolonger à l'infini,
Pour toutes les molécules d’eau en mouvement, la
résistance causée par leur adhérence mutuelle est évidem-
ment la même. Ainsi, on peut exprimer cette résistance
par un terme constant, dont la direction sera contraire
à celle’ de l’espace décrit à chaque instant par les molé-
cules. Ce terme sera donné pour toutes ces molécules,
par une fraction très-petite. de la gravité. De plus, dans
les mouvemens très-lents où la surface du fluide est in-
finiment peu éloignée du plan de niveau, si l’on partage
la vitesse de chacune de ces molécules en deux autres ;
l’une dans le sens de ce plan, l’autre qui lui soit per-
pendiculaire , cette dernière sera infiniment petite par
rapport à la première. Il suffira donc d’avoir égard à
celle-ci, et d'introduire dans l’expression du moment des
forces, un nouveau terme dû à la force :de ténacité
agissant dans ce plan et dans une direction contraire à
celle de la molécule. On arrive ainsi aux mêmes équations
dont découle Ia théorie que nous avons exposée plus
haut. Mais, dans ce cas là, en considérant Îles deux fonc-
tions arbitraires qui entrent dans le calcul , leur somme
donne la ‘vitesse des molécules à chaque instant, tandis
que leur différence exprime le lieu de chacune d'elles au-
dessous du plan de niveau, multiplié par la force de
gravité. Dans le cas actuel, au contraire, cette différence
\
172 MÉMOIRES.
est égale au même terme diminué d’un autre qui est égal
au produit de la quantité constante représentant la té
nacité du fluide, par la distance de la molécule à la
ligne de niveau.
En égalant à zéro lexpression formée de ces. deux
termes, on trouve que l'équation résultante, est celle
d’une ligne droite, formant au-dessous ou au-dessus de
l'horizontale un augle très-petit. Cet angle est mesuré
par un arc de cercle dont le rayon est égal à l'intensité
de la force de gravité, et la tangente à celle de la force
de cohésion; si douc par la ligne de niveau, on mène
un double plan qui forme avec le plan horizontal un
angle égal à celui-là, tous les plañs intermédiaires ayant
leur origine à la même ligne, et aboutissant par l’autre
extrémité à l’un des points de l’arc contenu entre les
deux plans extrêmes, seront tels, que la surface de
Peau y restera en repos. Ces plans extrêmes, formeront
donc entre eux un angle solide qui exprimera le lieu de
tous les équilibres relatifs autour de l'équilibre absolu.
Il reste à déterminer lamplitude de cet angle. Poux
cela, il faudrait connaître à priori quelle est l'intensité
de la force qui exprime la cohésion des molécules de l’eau,
: IL paraît assez probable que cette ténacité doit être
plus grande dans l’eau que dans lair; mais il n’est pas
vraisemblable qu’elle soit beaucoup plus considérable. Si
on les suppose égales, le terme constant qui Pexprime
est connu et égal à la quatre cent millième partie de la
gravité. L’angle qui donne le lieu des équilibres relatifs
autour de l'équilibre absolu, est donc alors mesuré
lui-même par un arc de six secondes à-peu-près.
‘ Dans cette supposition , il devient facile de déterminer
la limite de la différence de niveau qui peut exister aux
MÉMOIRES. 173
deux extrémités de la nappe d’eau formée par la mer
Méditerranée, depuis le détroit de Gibraltar, jusqu’au
fond de la mer de Syrie. En comparant les longitudes
des deux points extrêmes de ce bassin, on trouve que
leur distance est donnée par un arc de 41 degrés sous
la latitude commune de 36.° On sait qu’à la distance
du pôle de 54° , la longueur du degré est de neuf my-
riamètres à très-peu près, ou de 46,170 toises. Ainsi,
la distance entre les deux bassins extrêmes de cette nappe
d’eau est de 1,892,970 toises. Mais la tangente de l'angle
de six secondes sur un rayon qui a cette longueur, est
elle-même exprimée par 5,50404 toises, ou par treule-
trois pieds ,%%. C'est la quantité qui exprime l’abaisse-
ment du bassin oriental de la Méditerranée, à son extrémité
la plus reculée, relativement au niveau de l'Océan,
Il est facile de se convaincre, au surplus, qu’au bout
d’un certain intervalle de temps, cette différence de niveau
doit nécessairement s'établir aux deux extrémités du bassin
de la Méditerranée , quelque fut son état initial, car dans
celui-ci, ou elle se trouvait de niveau avec l'Océan, ou
elle s’écartait de ce niveau. Dans le premier cas, la dépense
d'eau, qui est plus forte sur le bassin oriental de cette
mer, et les autres causes qui , comme on l'a vu , agissent
dans le même sens ont dû l’abaisser, puisque ces causes
agissent seules dans le lieu de tous les équilibres relatifs
autour de l’équilibre absolu. Ainsi la surface de cette mer
a dû arriver à l’état d'équilibre extrême où elle est restée,
malgré les causes permanentes d’abaissement , puisqu’au
de-là de ce dernier état, les vitesses ne sont plus dé-
truites par la cohésion du fluide. Si au contraire, la
surface de cette mer s’est trouvée au-dessus du niveau
dans son état initial, elle a dù y revenir par l'effet des
174 MÉMOIRES. |
_ mêmes causes ; ef le cas où elle se fût trouvée au-dessous
se rapporte évidemment au premier. Ainsi, quelles que
fussent les circonstances qui ont présidé à la formation
de la Méditerranée et à sa jonction avec l'Océan, elle
a dû présenter, au bout d’un certain intervalle de temps,
ce singulier phénomène qui, comme on l’a vu, semble
étre à la fois confirmé par la théorie, par l'observation,
par les monumens de l’histoire. |
Il s'ensuit encore, des considérations précédentes , que
la différence des niveaux doit être la même, quelle que
soit l'intensité de la cause qui établit une dépense d’eau
permanente sur le bassin oriental. Il suffit, pour établir
cette différence, que cette cause existe , quelque petite
qu'elle soit. Comme elle agit proportionnellement au
temps, l’intervalle nécessaire pour la produire, sera plus
grand si la cause est plus faible. Maïs au bout de cet
intervalle , il y aura nécessairement Île même abaïssement,
parce que ce dernier est proportionué à la seule force de
cohésion des molécules fluides. Voilà comment, une
cause encore plus faible que l’évaporation , produirait
cependant le méine effet au bout d’un plus long inter-
valle. Cette dernière remarque est surtout importante,
parce que, jusqu’à présent, on avait cru que la force
d’évaporation et les autres causes qui tendent à abaisser
le bassin oriental, n'étaient pas assez considérables pour
produire un résultat sensible. C’est ce qui arrive en effet,
tant qu’on n’a pas égard à la ténacité des molécules in-
tégrantes de l’eau. |
Enfin , la théorie précédente s'applique encore aux
principales circonstances du déluge d'Ogygés d’une ma-
nière si satisfaisante , que je crois qu'il n’est pas inutile
d'en faire ici mention. Ïl paraît , d’après les monumens
#
MÉMOIRES. 179
historiques, que , par l'effet de ce déluge , Rhodes , les
Cyclades, une partie de l’Attique et des côtes de l'Asie
mineure, restèrent inondées pendant une espace de temps
considérable, et que ce ne fut qu'après un long intervalle
que les eaux se retirèrent en partie des lieux qu’elles avaient
recouverts. En effet, à l’époque de l’irruption du Pont Euxin,
le niveau de cette mer ne devait pas différer beaucoup du
niveau actuel de l’Océan. Car son niveau actuel est plus
haut que celui du fond de la Méditerranée, comme on
l’a fait voir plus haut; et, avant l’irruption, la surface
de cette mer était fort au-dessus de son niveau actuel.
Il a donc dù arriver, à l’époque de lirruption, que ces
eaux ayant à traverser toute la partie la plus reculée de
la Méditerranée, pour arriver à l'Océan, elles y ont
rétabli le niveau. Ainsi, au moment où cette irruption
eut lieu, les eaux se sont trouvées à la même hauteur
sur la surface entière de la Méditerranée, et cette hau-
teur ne pouvait guères différer de celle que l'Océan a
encore de. nos jours. Il a donc fallu un espace de temps
assez considérable pour que l’évaporation et les autres causes
permanentes dont on a déjà parlé, ramenassent la surface
de la Méditerranée à son état actuel (1), et dans cet
état , elle doit se trouver un peu plus haut que lors-
qu'elle n’avait de communication qu'avec l'Océan par le
détroit de Gibraltar. Ces diverses circonstances du déluge
d'Ogygès, telles que l’histoire nous les a conservées,
seraient assez difhiciles à expliquer autrement que par
les considérations que je viens de développer ici.
(Tr ) On trouve des traces de cette cause de labaissement
du fond de la Méditerranée, après le déluge d’Ogygès , dans
Je culte particulier qu’on y rendäit à Apollon; car le soleil
y était adoré comme le Dieu qui avait fait disparaitre les eaux,
x76 MÉMOIRES.
NOTES DE LA SECTION IL
(a) Straton, au rapport de Strabon (Strato apud
Strak., Lib. 1. p. 49), prétendait » Que c’était la quan-
» tité des eaux apportées par les fleuves dans le Pout |
» Euxin, qui avait forcé cette mer à s'ouvrir un passage
» dans la mer Méditerranée ; et cette opinion est encore
» celle des habitans de l’ite de Samothrace , qui s'était
trouvée une des premières exposée à l'irruption de
ÿ
ses eaux ( 1}. Quelque juste que soit cette opinion,
elle ne suffit cependant pas pour prouver que celte
mer s’est accrue et a diminué considérablement , par
» ce ‘qu’elle devait naturellement se conclure de la
‘» connaissance des grands fleuves que cette mer reçoit.
» D'autres (2) ont prétendu que le fond du Pont
» Euxin s'étoit élevé par le dépôt des terres, et que
‘» ce fond, aïnsi exhaussé, avait forcé les eaux de
» s'élever. » ( Mémoire cité. )
(b}) « M. Pallas a visité avec soin les steppes qui
» bornent la mer Caspienne et la mer Noire, au nord;
» il a même tracé sur sa carte ( 3 } une partie des
» rivages de ces deux mers avant l'ouverture du canal
» de Constantinople, et lorsqu'elles étaient réunies. »
. « I prétend qu’'alors le Don avait son cours à
» l'endroit où le Donetz vient se joindre à lui (4);
» que le Volga avait le sien aux environs de Demitrifik,
+
« de manière que les steppes de la Crimée, du Kounan,
» du Volga, de llaik, et le plateau de la grande
LC]
( x) Diodore de Sicile, liv, v, ©. 47.
(2) Polyb. Stiabon, ubi supra , p. 50.
- (3) Pallas, tom. 1, p. 706, pl. 29.
C4) Idem, tom. v, pag. 196.
—
MÉMOIRES. -_ 177
» Tartarie jusqu’au lac Aral inclusivement , ne formaient
» qu'une mer, qui, au moyen d’un petit canal peu
» profond, dont le Mamsteck, ajoute-t-il, nous offre
» encore des preuves, arrosait la pointe septentrionale
» du Caucase, et avait deux golfes énormes, l’un dans
» la mer Caspienne, l’autre dans la mer Noire, »
» Dans ces steppes, ajoute-t-il encore, sont dispersés
» une multitude de coquillages qui sont absolument les
» mêmes que ceux qu’on trouve dans la mer Caspienne,
» sans avoir cependant le moindre rapport avec ceux
» des rivières qui les arrosent, et l’uniformité du terrain
» de ces steppes, qui, à l'exception des endroits couverts
» de sable mouvant, n'est partout qu’un sable lié avec
» le limon de la mer et la nature saline du sol, sont
» des témoignages incontestables que cette étendue de
» pays a été autrefois couverte par la mer ; le haut pays,
» au contraire, situé entre le Don etle Volga, ainsi
» que les montagnés de l’Obtfohei-Sirp , qui s'étendent
» entre ce dernier Fleuve et l’faïk, formaient ancien-
» nement le rivage de cette mer. C’est dans ce haut
» pays que l’on commence à voir des couches hori-
» zontales. La surface du terrain est revêtue d’un
» gazon qui croît sur un lit assez épais de terre noire
» et végétale. On ne voit plus ici les coquillages de
» la mer Caspienne, et, en remontant le Volga, le
» terrain devient plus montueux. L'on ne trouve que
» des bancs de coquilles et. de ‘coraux qui proviennent
» d’une inondation plus ancienne et plus considérable
» que celle que nous avons déjà soupçonnée. Les pro-
» ductions marines de ces couches horizontales sont
» généralement des espèces que l’on ne trouve que dans
» l'Océan, La mer Caspienne et la mer Noire n’en
178 MÉMOIRES.
» offrent pas de semblables. ( Voyages de Pallas, tom.
» V, P. 120. ) |
(c. ) » D'après les observations du docteur Pallas,
» on ne peut douter que la mer Caspienne et la mer
» Noire n'aient autrefois formé une seule mer ; et cette
» mer étoit très-éténdue, puisque , suivant le docteur
» Pallas, elle couvrait les steppes de la Crimée et ceux
» de la Tartarie, en y comprenant le fac Aral. Ce
» savant aurait pu s'étendre davantage ; car Îles steppes
» de la petite Tartarie étant de la même nature que
» ceux de la Crimée, ont dù faire partie de la même
>» mer, et nous y joindrons encore Fa Bessarabie, une
» grande partie de la Moldavie, de la Valachie et de la
» Bulyarie, qui, n’étant pas plus élevées que ces steppes,
* ont dû également être couverts par les eaux de cette
» mer. Ces derniers pays, à la vérité, ne sont pas
» stériles comme les steppes du €Couman et du nord,
» de la mer Caspienne; mais s'ils donnent d'excellents
» pâturages , ce qu'ils doivent au voisinage des hautes
» montagnes , qui se dépouillent tous les jours de leurs
» terres en leur faveur, ils ne produisent encore que
_» des arbustes ; ce qui annonce une terre nouvelle. On
» sait que plusieurs forêts de la Moldavie ont été plantées
» par les derniers Souverains de ce pays et du temps des
» anciens toute la contrée était appelée getarum solutudo.
» Le Borysthêne avait alors, comme on peut croire,
» son embouchure au bas de Porowis, et le Danube
» aux environs de Widin: ce qui rendait ce dernier fleuve
» assez semblable au fleuve Saint - Laurent, dans l’Amé-
» rique septentrionale, dont lembouchnre a cinquante
» lieues de large, Les rivages de cette mer suivaient
» donc ceux de Ja mer Noiïre actuelle, depuis le pied
MÉMOIRES, 179
» du mont Hœmus, ou le Laléan, en tournant au
» midi le long des côtes de l'Asie mineure, jusqu’au
» Couban; si ce n'est qu'ils entraient dans quelques
» petites vallées, et qu'ils s’étendaient peut-être assez
» avant dans la Mingrelie , de là ces rivages tournaient à
» l'est, en suivant le pied septentrional du Caucase,
» et ils laissaient à gauche les montagnes de la Crimée,
» qui formaient une île. Ensuite, continuant le long
» des côtes méridionales de la mer Caspieune, qui
».sont bordées de hautes montagnes, ils arrivaient à
» l’Aster-abad , d’où, comprenant tout le Chouaresm
» et une partie de Mawar-el-Nahar , ils enveloppaient
».presque tout le pays des Kirguis; puis revenant vers
» l’ouest , le long du haut du cours du Jaïk, et du bas
» de celui du Volga, ils allaient doubler une pointe de
» terre qui sépare le Volga du Don; et ensuite , remontant
» le long de ce dernier fleuve, ils enveloppaient toute
» la petite Tartarie, une partie de la nouvelle Servie ,
» de la Moldavie, de la Valachie, et de la Bulgarie
» même, au midi du Danuhe, d’où ils rejoignaient Île
» mont Hœmus à l'endroit où il touche la mer Noire. »
(4) « Olivier, après avoir passé le village de Buyuk-
» Deré, sur le canal, reconnut pendant plusieurs lieues,
» jusqu’à l’entrée de la mer Noire, des indices non équi-
» voques d’un volcan, et c’est, à n’en pas douter,
» l’affaissement de ce volcan, qui a donné lieu au pas-
» sage des eaux. Nous rencontrâmes, partout, dit Olivier,
» les roches plus'ou moins altérées ou décomposées:
» partout l’entassement et la confusion attestent l’action
» des feux souterrains. On apperçoit des jaspes de diverses
» rouleurs, des corralines, des agales et des calcédoines
» en filons, parmi des porphyres plus ou moins altérés,
æ
180 MÉMOIRES.
» une brèche peu solide, formée par les fragmens de
» trap agglutinés par du spath calcaire ; un joli porpbyre
» à base de roche de trap verdâtre , coloré par du cuivre. »
(e) » Au moment de l’éruption du volcan, les eaux
» se seront jetées sur les flancs entr'ouverts de la mon-
» tagne , et elles auront profité de la secousse qui avait
» été donnée au terrain pour entrainer tout ce qui avait
» été ébranlé. De-là, elles auront continué de couler,
» jusqu'a Constantinople, sur un terrain schisteux,
» comme Île remarque Olivier (1), qui ne leur offrait
» point de résistance, et rencontrant la mer.de Mar-
» mara, qui n’était sans doute qu’un lac, comme le
» présume Tournefort (2), elles l’auront agrandi, puis
» auront formé le canal des Dardanelles, dont le sol
» est presque tout calcaire, et qui a dû céder aisément (3).
» Tournefort (4) présume que le canal des Dardannelles
» existait déjà lorsque l'irruption des eaux de la mer
» Noire s’est faite dans la Méditerranée, et qu'il servait
» de décharge au lac formé par le Rhyndacus, l’Asope
» et le Granique. Mais outre que l'opinion des anciéns
» élait que ces deux détroits s'étaient ‘formés dans le
» même temps (5), le banc de coquillages marins dont
» les espèces appartiennent toutes à la Méditerranée,
» et qu’Olivier dit avoir remarqué à vingt pieds au-dessus
s du Miveau de la mer (6), et comme se prolongeant
(1) Voyage, tom. 1, c. 8.
(2) Voyage, tom. 2, p. 126.
(3) Olivier, Zhidem. ch. 22.
(4) Tournefort, Ubi suprd.
(5 ) Strabon, 1. I, p. 49. Pline I, II, ch, 90, Diodore,
Sie. IV , ch. 47.
(6) Otivier > Voyages , t. I, 240.
MÉMOIRES. 187
» d'Europe en Âsie , aux environs de Sestos et d’Ahydos,
» fait assez voir que c’élait, ou au moins que c'avait :
» été la limite la plus au nord de la Méditerranée »
(f ) » Tous les anciens ont cru ( 1 )} que c'était
x la Méditerranée qui avait ouvert le détroit de Gibraltar;
»s mais le courant constant qui porte les eaux de
» l'Océan dans la Méditerranée ne permet pas de croire
» que cette mer se soit formée autrement que par les :
» eaux de l'extérieur. Ce qui le prouve, c’est qu'un
» banc d’huîtres pétrifiées , ( se/on Samuel Ulrie ), ne
» sont pas des huîtres de la Méditerranée, mais de
. » JOcéan; et Fortin ( Voyage de Dalmatie ) a remar-
» qué que les huîtres pétrifiées de l’île d’'Ulbo ne sont
» pas non plus celles de la méditerranée ; et c’est ce
» qui détruit entièrement la fable de lAtlantide de
» Platon , qui, étant située dans l'Océan, en face du
» détroit de Gibraltar ; avait été engloutie sous les eaux
» suivant cet auteur, tandis qu’au contraire, par la
» chüte des eaux de l'Océan dans la Méditerranée, elle
» aurait dû se trouver à découvert. »
(g) » Les babitans de l’île de Samothrace, l’une des
» premières exposée au flux de la mer Noire, racontaient,
» au rapport de Diodore de Sicile (2), qu’il était arrivé
v chez eux un déluge qui était antérieur aux déluges
» de toutes les autres Nations; que ce délnge avait été
» occasionné par l'irruption des eaux du Pont Euxin,
» qui n'avait été jusque-là qu’un grand lac; mais que
» les eaux s'étant considérablement augmentées par l'effet
» des grands fleuves qui se jettent dans cette mer, elles
( © ) Strab., L I,
(z2)L. V, ch. 47.
#
182 MÉMOIRES.
»
s'étaient ouvert une route à travers le détroit des
» Cyanées et l'Hellespont , et elles s'étaient jetées dans
»
la Méditerranée , où elles avaient submergé presque
toutes les plaines de l'Asie situées sur le bord de la
mer , ainsi que les parties basses de l’île de Samothrace:
ensorte que les habitans avaient été forcés de se réfu-
gier sur les plus hautes montagnes. Ils ajoutent, pour
prouver cette submersion , que dans la pêche, les
pécheurs avaient retiré dans leurs filets des chapiteaux
de colonnes, et ils montraient les autels que leurs
ancêtres avaient élevés dans l'endroit où l’eau s'était
élevée le plus haut, et sur lesquels, du temps de
Diodore , ils faisaient encore des sacrifices aux Dieux. »
(h } » Il me semble que pour l'inondation , qui, au
rapport de Pline ( 1 ),erleva subitement trente milles
de pays de l'ile de Ceos avec tous ses hahitans, on
ne peut en chercher d’autre cause que celle de Pirrup-
tion du pont Euxin dans la mer Méditerranée.
‘ (1) » Philon, dans Je livre de Mundo non corrupto,
ÿ
dit que Îles îles de Rhodes et de Délos disparurent
anciennement dans une inondation causée par les eaux
» de la mer, et que lorsque ses eaux diminuërent , elles
Y
reparurent désertes : et qu'o on leur donna les noms de
Rhodes, Délos, etc. »
» Si on s’en rapporte à Tertullien , qui avait lu des
auteurs que nous n'avons plus, on peut croire que
les îles de Délos et de Rhodes disparurent avec des
milliers d’'habitans, dans le même temps que l’île de
Céos avait été en partie absorbée. Il est vrai que dans
cet endroit de Tertullien il est question de File de
D
(x) Pline, x JL, ch. 92; et L. IV, ob. 12
Cos
MÉMOIRES. 183
Cos et non de l'ile de Céos. Mais le père Hardouin,
dans ses notes sur Pline, propose de corriger dans ce
. théologien Céos, parce que ce fait est évidemment
celui qui a rapport à cette île.
« L'histoire ne pouvait faire mention du passage des
eaux de la mer Noire dans les Cyclades; car, posté-
rieurement à cetie irruption, une grande partie des
Cyclades était déserte, et l’autre peu habitée. ( DioZ,
sic. , lib. 12, Cap. V et 84.)
(1) « Les parties de l’Asie qui, au rapport de Dio-
dore de Sicile , furent inondees par l'effet de l’irruption
de la mer Noire, durent être celles qu’Hérodole dit
avoir été couvertes par les eaux de la mer, comme
la plaine de Troye, celle de la Teuthranie , à l’em-
bouchure du Caïque ; celle d'Ephèse, celle du Méan-
» dre, et d’autres. »
”
2
(m) « Le déluge d'Ogygès inonda toute l’Attique, de
manière qne Îles habitans, et Ogvgès lui-même , furent
obligés de se retirer sur les plus hautes montagnes,
et jusques dans la Béotie. M. Larcher (1) se demande
comment un pays aussi peu aquatique que l’Attique
a pu être inondé? Il ne voit que lirruptinn des eaux
de la mer qui ait pu faire cet effet, maïs il n’en devine
pas la cause, et elle se trouve positivement dans
lirraption des eaux du Pont Enxin, qni, de même
qu’elle a couvert plusieurs parties maritimes de Asie,
a dù couvrir également les parties hasses de la Grèce
et du reste de l’Europe. Le déluge d’Ogvsès anra donc
été causé par l’irruption des eaux du Pont Euxin;
et sa date, qui, snivant M. Larcher, est de l'an 1759
(x) Larcher; tradaction d'Hérodote, tom. ü, pag. 271.
LS Le, 13
184 MÉMOIRES.
» avant Jésus - Christ, convient parfaitement à cette
» irruption.
| NOTES DE LA SECTION III.
(a) « Voici le résultat de quelques expériences que
» j'ai faites pour jnger du degré d’exactitude des for-
» mules que donne la théorie. »
» Ayant pris un vase cylindrique dont le fond est un
» cercle de 11 pouces 4 de diamètre , j'y ai versé de l’eau
» jusqu’à ce qu’elle eût , au dessus du milieu du fond,
» 2 pouces : de hauteur. Le diamètre de la surface
» supérieure de l’eau dans le vase était alors de ::
» pouces ?. » |
» Ce vase ayant été incliné et ramené ensuite brus-
» quement à la position verticale, la surface de lean
» y a fait autour du plan de niveau, des oscillations
» dont j'ai compté le nombre pendant an intervalle dg
» 30 secondes de tems, et pendant celui de 1 minate »
OSCILLATIONS,
| 38 .
Pour 304, j'ai compté, dans trois observations. 1.
Pour 1, j'ai compté , dans deux observations. . ! .
Dans une seconde expérience , la profondeur de l’eap
dans le vase étant de 3 pouces ; , la surface supérieure
de l’eau de 12 pouces ; de diamètre, ne
OsCILLATIONS,
— | | 43
Pour 30f, j'ai compté, dans quatre observations. . | 53
: . | 12
ST | 87
+
MÉMOIRES. 185
Dans une troisième expérience, la profondeur de l’eau
étant de 4 pouces 2: » le diamètre de sa surface de 13
OuCESs
be OsCILLATIONSI
Pour 30! j'ai compté, DONS 05, ©: 0 1 n° à e H
Pour Go... PO RU NOR ROUE UE CR Re Lu ne
Enfin la profondeur de l’eau dans le vase étant de
6 pouces ,, le diamètre de la surface supérieure de
15 pouces 4 , j'ai compté,
OsCILLATIONS,
| ro S
Pour 30”, dans trois observations. . . ,... 18
48
Pour 60", dans deux observations. . ré re 4 EE
Si l'on prend un terme moyen entre ces différentes
observations, on trouve les résultats suivans :
HAUTEUR DIAMÈTRE NOMBRE
| des
DE L'EAU à la Oscillations
DANS LE VASE. SURFACE. | enune minute, ||
pe | mnnepunue
3 pouces. 11 j pouces.
LE We
15
13
Dans ces diverses | expériences , l'écart de la surface
de l’eau au dessus du plan horizontal était d’un demi=
186 MÉMOIRES.
pouce, à-peu-près. Après quelques secondes il devenait
presque nul.
_ Si l’on veut maintenant appliquer la théorie à ces
résultats, la formule qui donne le tems d’une oscilla-
tion entière est. |
24
t — ;
— #W ch. DU |
a étant le diamètre de la surface de l’eau , À sa profon-
deur dans le vase, £ la force de gravité, qui est, comme
on sait, égale à 30, 196 pieds, le tems étant compté
_en secondes.
Ainsi, en faisant successivement
3. ; LA - |
11 -
a— _©,,h— 1, on trouve & = 0,78 en secondes.
12 12
. 422 33 |
a... he £ — 0,70
€ 12 13
13 :
A —, e h—42 £ — 0,63
12 |
ï 6: |
a 194, N/D t— 0,546.
12 12
C’est le tems en secondes d'une oscillation entière.
Comme ces oscillations sont isochrones, d’après la
théorie, ce qui est aussitôt prouvé par les expériences
précédentes, on conclut aisément de ces résultats , le
nombre d’oscillations qui doivent avoir liéu pendant
une minute. Ce sera 75 pour le premier cas, 86 pour
le second, 93 pour le troisième , 109 pour le quatrième;
d’où l’on peut conclure la table suivante, pour comparer
les résultats de l'expérience à ceux du calcul. Le dernier
est le seul qui présente un écart remarquable entre
l'observation et le calcul, parce que, dans celui-ci, À'eam
est trop profonde dans le vase.
MÉMOIRES. 187
Quant aux autres, il se trouve, entre les deux résul-
tats , une analogie remarquable, qui prouve que la
formule, quoique calculée pour une seule dimension
dans le plan horizontal , s'étend sans difficulté au cas
des deux dimensions. C’est aussi ce qu’on a toujours
supposé dans les recherches sur la propagation du son.
2
NOMBRE D'’OSCILLATIONS
. En une minute,
de la surface PSS RER
DE L'EAU. pre par
l’observation. | le calcul.
DIAMETRE
PROFONDEUR
DE L’EAU
dans le vase.
2 pouces.
ÿ pouces
Dans toutes ces observations, on n’a commencé à
compter le mouvement de l’eau que quelque tems après
la secousse, lorsque les oscillations du fluide étaient
formées par un écart d’un demi pouce seulement. On
peut conclure des premières, faites en 30", que le
tems des premières oscillations est un peu plus court ;
en effet, il résulte de a théorie, que les oscillations ne
sont isochrones que lorsqu'elles sont très-petites: mais
il ya une limite à laquelle il faut s'arrêter, parce que,
au de-là,le mouvement de l’eau devient insensible.
(b }) Si, par exemple, au commencement du mou-
vement , la surface du fluide était horizontale, et que
188 MÉMOIRES.
chacuné de ses molécules fût animée d’une vitesse
proportionnellé à sa distance de Îa paroi antérieure du
vase, on trouve que cette surface fera, au-dessus et
au dessous du plan de niveau , des oscillations très-pelites,
et que la tangente de l'angle qui donne l'amplitude
de ces oscillations , sera exprimée par l'intensité de la
vilesse supposée constante à l'extrémité du vase, multi-
pliée par un coëflicient constant. Ce dernier est en
raison sous-doublée et directe de la proféndeur de l’eau
dans le vase, en raison sous-doublée et inverse de la
force de gravité. En général, quelle que soit l'hypothèse
qu’on adople pour représenter, dans ce cas-là, l'état
initial du fluide , l'intervalle des oscillations qu'il exécute
pour y revenir est indépendant de leur amplitude, et
se trouve toujouïs en raison directe de la largeur du
vase, en raisoh inverse et sous-doublée de la profondeur
de l’eau. Après des intervalles qui diffèrent de éeux-là
de la moitié de l’un d'eux, la surface du fluide se trouve
toujours dans une position contraire à sa position initiale.
Quant aux mouvemens intermédiaires pour passer
d'un état à l’autre, il dépend des vitesses initiales des
molécules.
MÉMOIRES 169
NOTICE
SUR L'ÉLECTRICITÉ.
Par M. VENE , Capitaine au Corps roya
du Génie, Membre résident.
GREEN Een quereg
Pre Électricité du Dictionnaire des Sciences
médicales, contient une erreur que je crois devoir relever,
parce qu’elle peut nuire non seulement à l’avancement
de nos connaissances électriques , mais encore à l'emploi
de l'électricité dans l’art de guérir. Voici comment s’expri-
ment les auteurs de cet article, page 284. |
« Cependant une autre opinion a été introduite dans
» l’art, et la théorie de l'électricité négative et positive en
» a été la source. On a pensé et on n’a pas démontré,
» que l’une des électricités était due à la privation du
>» fluide dont l'accumulation donnait naissance à l'autre;
» et songeant que l'électricité développée dans un plateau
» de verre par, les frottoirs, était fournie à ceux-ci par
» le sol, on a cru que si on les isolait ,ils se trouveraient
» épuisés de fluide, et par conséquent à l’état négatif.
« On a construit des machines sur ce système, de
.» manière à présenter deux conducteurs , l’un qui portait
» les frottoirs, l’autre qui recevait l'électricité développée
» par leur moyen; et, selon qu’on isolait l’un ou l’autre
» de ces conducteurs, on croyait faire naître ou l’élec-
» tricité négative ou l'électricité positive : négative dans
» le conducteur des frottoirs, et positive dans le conduc-
» teur opposé. Telle est la machine inventée par un
« physicien anglais nommé JNairne, mais les étincelles
90 MÉMOIRES.
» que donne ou soutire le conducteur des froltoirs sont
» véritablement de même nature que celles de l’autre
» conducteur, et elles ne présentent aucune apparence
« de l’''ectricité résineuse.
Quelle que soit la théorie que l’on adopte, il est aisé
de prouver que la machine électrique de Nairne fournit les
deux espèces d'électricité. D'ailleurs serait-il vrai, comme
l’assurent les auteurs de l’article , que les deux conducteurs
eussent la même espèce d'électricité, il n’en serait
pas moins inexact d'en attribuer la cause à la théorie
de l'électricité positive et négative : car si cette anomalie
existait réellement , elle serait plutôt susceptible d’exph-
cation par la théorie d’un seul fluide que par la théorie
des fluides vitre et résineux. Cette assertion est d’ailleurs
fondée sur ce que cette machine n’a pas été inventée
par les partisans d’un seül fluide ; elle a été inventée
en Allemagne, et M. Nairne n'a fait que la perfectionner.
I est difficile de croire que l’on ait pu se méprendre
peudant quelque temps sur lespèce d'électricité des
frotloirs , puisqu'on sait que les procédés les plus simples
suffsent pour donner une connaissance parfaite de la
nature de l'électricité d’un corps. |
Ainsi les Médecins qui voudraient employer l'électricité
résineuse peuvent se dispenser de se procurer des globes
ou des cylindres de souffre ou de résine : toutes nos
machines électriques ordinaires peuvent être disposées
de manière À fournir les deux électricités, \
MÉMOIRES 191
| RECHERCHES
.SUR LES SÉPULTURES SOUTERRAINES,
DE QUELQUES PEUPLES ANCIENS ;,
Et description d’un Cimetière de M ÆDRID.
7 mms 2
S 1 l'horreur naturelle qu'inspire la présence d’un cadavre
et les dangers qui accompagnent son séjour parmi Îles
vivans ont fait naître l’idée des sépultures en général , (1)
La vanité qui accompagne l’homme même au-delà du
néant, le désir d’être distingué du vulgaire, même lors-
qu’on n’est plus, (2)un sentiment plus louable, l'intention
d’honorer la mémoire des personnes qu’on a aimées, de
disputer au temps leurs restes inanimés, dé Îles soustraire
aux outrages, ont fait imaginer les mausolées, les tom-
beaux, et ces lieux souterrains dans lesquels plusieurs
peuples de l'antiquité déposaient les morts.
Les Egyptiens, si soigneux de conserver les corps de
Jeurs parens et de leurs amis, n’ont rien négligé pour
parvenir à ce but. Ils ont porté très-loin l’art des em-
baumemens , et ces fameuses pyramides , en même tems
qu’elles transmettent à la postérité le despotisme des Rois
d'Egypte et la misère de leurs peuples, attestent que cés
Souverains n’ont épargné ni dépenses ni soins pour sa-
tisfaire sur ce point leur vanité ou leur crovance.— Repum
(1) Non defunctorum ceus& sed vivorum inventa est sepultura,
€ Senèque -- de remed. fort. )
(2) » Retire-toi, Coquin, va pourrir loin d'ici,
» 1] ne t’appartient pas de m’approcher aïnsi. »
(Boutade de PATRIS.= Je songeais cette nuit, etc. )
192 | MÉMOIRzS.
pecuniæ otivsam ac stultam ostentationem.— dit Pline en
parlant de ces monumens (lib. XXXVIL c, Xx11 ). Les Rois
d'Egypte, dit Mably, (Entretien de Phocion) ne bâtirent
cès pyrämides et ne creusèrent le lac Mœris qué pour
fatiguer par le travail un peuple inquiet, et qui ne
prenait plus aucun intérêt à la patrie.
Ces péuplés ävaiént én horreur l'idée d'une desttuétion
complète et ils s’effofçaient de la retarder ou de l'empêcher,
en embaumant les cadavres, qu'ils plaçaient ensuite dats
des lieux souterrains. Par la même raison, ils ne brû-
Jaient pas les corps. » Mortuos nec cremare nec fodere
Jäs putant , verim arte medicatos intrà à penetralia collocané.»
( Pompon. mela. lib. x. c. 9.) Ces lieux étaient très-vastes
et distribués en différentes chambres dans lesquelles lès corps
embaumés étaient rangés debout ,à ce que rapporte $olinus:
Moses eseeseses es... Ægyptia tellus,
-» Claulit odorato post funus stantia Saxo
D ÉOPO NAT Ars ea Aer are érarin ete Anse »
On allait de l’un à l’autre par des chemins ou rües;
eétait comme des vilies ou habitalions sous terré.
.( Montfaucon, T. 5, page 177.)
Les Grecs brlaient ou inhumaient indi iFéremment leurs
morts , ainsi qu'on le voit dans plusieurs auteurs, et notami-
ment dans ce passage de Platon, (in Phhædone, versio latina)
— Ut crito Jacilius jferat et videns corpus meum aut
comburi aut humo mandari, meam vicem minimè indi-
gnetur, quasi acerba quædam passus fuerim. — I est
difficile de savoir ce qui, dans les diverses circonstances,
déterminait feut choix ; peut-être, le système pluloso-
phique que pro ofessaient les particuliers influait-il sur ce
choix. C'est ainsi que Démocrité, dans l'espoir d’une
résurrection plus facile, préférait linhumation, comme
MÉMOIRES. 193
le remarque Päre, qui, pour tourner en ridicule cette.
opinion, dit: (ib.7.c 55.) — Similis et de asservandis
corporibus hominum et reviviscendis promissa à Democrito
vanitas qui nun revirit ipse. — Et que Héraclite, qui
regardait le feu comme l'élément général, disait qu'il
fallait brûler les corps, tandis que Thalès, qui attri-
buait tout à l’eau , voulait qu’on les enterrât, afin,
disait-il, de faciliter leur dissolution. Une opinion re-
Hgieuse portait quelques autres à préférer le feu, quis
suivant eux; devait purifier l’ame. ( Voy, Servius in Lib7
it et 111 Æneid. ) On voit aussi par une défense de la
loi des douze tables : « de non sepeliendis, neve urendis
in urbe rnortuis » qu’on inhumait ou brûlait. |
Les Grecs déposaient aussi les corps, soîit réduits er
cendres, soit entiers, dans des caveaux on lieux sou
terrains auxquels ils donnaient le nom d’Æypogées, (du
grec wpo, sous, et ge, terre, ) qu'ils appliquaient à
toute construction sous terre en général, et en parti-
eulieér aux sépuilchres souterrains. ( Vitruv, de Architect.
lib. vi. c. xt.) Ils avaient aussi des tombeaux hors dé
terre. Dans le premier cas , ils recueillaient soigneuse-
nent et religieusement les cendrès et les restés des bs-
semens dans des urnes qu'ils plaçaient dans les trous ou
niches pratiqués dans les hypogées , ou bien ils les ren-
fermaient dans des tombeaux élevés sur terre. Lorsqu'ils
ne brûlaient pas les corps, is les déposaïent tout entiers
dans des hypogées ou caveaux plus ou moins profonds ,
comme on le voit par l’histoire de la matrône d'Ephèse,
de Pétrone (Satyr ). « In Conditorium eliam prosecuta
est defanetum , depositum que in Hypogeo ; græco more
corpus custodire ac flere totis noctibus diebus que cæpit,
Ce corps fut done placé en entier dans l'hypogée, puis-
194 | MÉMOTRES.
qu'il put en être retiré pour être substitué au pendu.
Les Romains, dans leurs funérailles, comme en tant
d’autres choses, ont imilé et surpassé les Grecs ; cepen-
dant il semble qu'ils brülaient le plus ordinairement les.
morts ; » Corpus non igne abolitum , ut romanus mos »
dit Tacite ( b. 16. Ann. de Poppæä.) Mais il est à
remarquer que cet usage n'était pas ancien, puisque
Pline (Z%b. vax. c. Liv ) dit: Épsum cremare apud Ro-
manos non fuit veteris instituti: Terr4 condebantur. »
Et par la suite is adoptèrent celui d’inhumer. Macrobe
qui vivait sous Téodose le jeune , dit que de son temps
l'usage de brüler les corps était tombé en désuétude:
D’autres, ( Christ. Besoldus. Consid. polit. vitæ et mortis).
disent que ce fut l'Empereur Antonin qui labokt. Les
cadavres des enfans en bas âge, c’est-à-dire, morts avant
le 40o.° jour de leur naissance, et ceux des personnes
| frappées de la foudre , seuls, ne devaient pas être brülés;
un usage religieux prescrivait de les enterrer, et ‘ces
derniers , dans le lieu même où ils avaient été frappés,
à moins que ce ne fût un lieu public. « ÆHominum
priusquèm genito dente cremari mos gentium non est. »
{ Pline Lib. 7. c. 16). et (ib.2.c, 54). « 'Hominum ità
exanimatum , ( à fulgure) cremari fas non est; condi
terré religio tradit. »
Ils avaient hors des villes, dans les champs , des en-
ceintes publiques destinées à enterrer les pauvres et les
esclaves. « Hoc miseræ plebi stabat commune sepulchrum
etc. ( /lorai. Satyr. 8. lib. 1.)
Ces lieux s’appelaient Puticuli ou Puticula , soit à
cause des petits puits ou trous dans lesquels on déposait
les corps , soit, comme d’autres le prétendent, de Pu-
tescere où Putrescere, À Rome elles étaient sur les côtés
MÉMOIRES, 195
de la voie Appienne et hors de la porte Esquiline ; ce
dernier terrain fut donné dans la suite à Mécène qui le
fit cultiver. « Nunc licet Esquiliis habitare salubribus etc.
dit à ce sujet Horace ( Zib. 1. Satyr. 8.)
Chez les premiers Romains, les personnes de distinc-
tion eurent pendant longtems des caveaux, Requietorium,
conditorium , en ville dans leurs maisons, pour eux,
leur famille , et ceux de leurs esclaves qu'ils affection-
naient ; » Prids autem quisque in domo su& sepeliebatur. »
{ 1sid. Orig. lib. XIV. c. X1) mais diverses ordonnances
des Empereurs ayant remis en vigueur la défense de la
loi des x11 Tables, (a) » de non sepeliendis neve urendie
in urbe mortuis » Le privilège d’avoir une sépulture en ville
devint honorifique et fut réservé pour les Empereurs, les
Vestales et les grands hommes. Les particuliers alors se
bâtirent des tombeaux dans leurs champs, dans leurs
maisons de campagne, et surtout sur le bord des che-
mins, usage touchant qui portait le voyageur au recueil-
Jement et l'invitait à jouir de la vie en l’avertissant de
sa briéveté. « Aspice, viator! » eave, viator! »
Les tombeaux, chez les Romains, étaient des lieux
sacrés, et en même tems de mauvais augure. Il était
défendu de déposer dans ceux des particuliers les corps
de personnes étrangères à la famille; cependant, pour
honorer un mort, ou pour l'amitié qu’on lui portait,
ou l'y recevait quelquefhis; c’est aïnsi que le corps
d'Ennius fut reçu dans le tombeau des Scipions, et
celai de Jésus dans le tombeau de Joseph d’Arimathie.
( Marc. Zuerus quæst. rom. Q. X. )
. (a) C’est le premier code que Îles Romains aient eu. Ce
fot lan 300 de Rome, c’est = à - dire 56 ans apres l’exil des
Tarquins , que les Décemvirs publièrent ces loix.
La
196 MÉMOIRES.
« Il paraît par diverses inscriptions qu'il y avait des
peines et des amendes imposées aux infracteurs de cette
loi, « INemini licef huc alienum inferre mmortuum ; si
quis pim afferens id tentaverit, det templis Augustorum
Sinyrnensibus denurios bis mille quingentos. » ( Traduc-
tion d’une inscription grecque trouvée à Smyrne el
communiquée par Tournefort } et plusieurs épitaphes
portent des malédictions contre ceux qui profaneraient
ou violeraient en quelque manière les tombeaux. « # iolaëii
sepuicri reus esto. » Si quis huic loco manus intulerit, dit
an particulier qui avait perdu une esclave qu'il aimait,
‘ habeat dolorem meum quem ego habui. « Qui hic minxerit
aut cacärit habeat Deos superos et inferos iratos. » dit
un certain Caïus Cecilius dans une épitaphe rapportée
par Fabretti. Pétrone, dans la satyre, fait proférer à
Trimalcion une imprécation à peu-près semblable.
_ Ces maîtres du monde portèrent dans leurs sépultures
comme dans tous leurs monumens, ce goût du grand
et du beau qui les distingue. Lenrs tombeaux souterrains
étaient de forme et de dimensions différentes, quelquefais
quarrés, quelquefois ronds, et situés plus ou moins
profondément. Dans l'épaisseur des murs étaient prati-
quées de petites niches, ZLoculi, capuli. x dans lesquelles
se plaçaient ou s'encaissaient les urnes contenant Îles
cendres et les restes des corps. On nommait 4#rca le
coffre ou sépulchre qui renfermait un corps entier. Ces
urnes étaient de formes et de grandeurs différentes e&
portaient différens noms tirés de leur forme ou de leur
usage , tels que cenx de : « Olla, Cineraria, Ossuaria,
Obrendaria vasa. » Ces derniers étaient les plus grands.
La même niche en contenait souvent deux ou même
quatre ; quelquefois yne seule. Les caveaux se nommaient
MÉMoïrrReEs. 197
Columbaria à cause de la ressemblance de leurs niches
avec celles des colombiers; ou Olaria, de la forme
ronde des urnes qu’ils renfermaient. Plus magnifiques
que les Grecs, ils construisaient quelquefois aux morts
les mêmes appartemens souterrains qu’on aurait fait sur
terre, à des personnes vivantes; ils les ornaient de
colonnes, de statues, de bustes, et, soit qu'ils les
construisissent au dessus ou au dessous du sol, ils y
déployaient un luxe qu’une loi expresse interdisait aux
Athéniens, qui, en un tems, s'étaient ruinés pour bâtir
dans leur Céramique (a) des tombeaux vastes et somp-
tueux. « Lege sanctum est ne quis sepulchrum faciat
operiosius quäm quod decem homines effecerint iriduo.
( Cicero de Leg. Athen.) (b) Enfin, joignant la grâce
du sentiment à là magnificence , ils placçaient lenrs tom-
beaux dans un jardin, sur le penchant d’une colline,
sur le bord d’un chemin ; ils les entouraient d'ombrages,
les indiquaient par une inscription presque toujours
simple et touchante, et du fond de ce dernier asile,
démandaient encore quelques fleurs à la maïn pieuse
(a) Emplacement hors d’Athènes ainsi nommé parce qu’au-
paravant on en avait.retiré une terre propre à la fabrication
de grands vases de terre à mettre le vin, Xeramos , semblables
vraisemblablement aux Tenajas des Eibionsh. et aux Doka
des Latins. « Dokum à dolare , quia dolando fabricatur ».
{b) Flaton dans sa République voulait que les tableaux
destinés aux temples des Dieux fussent faits dans un jour,
{L p’en donvait que einq aux sculpteurs pour faire élever un
tombeau, et Juleg César avait fait une loi somptuaire qui réglait
la dépense des tombeaux comme celle des équipages , des
meubles, de la table, etc. Cette loi ne fut pas longtems en
vigueur, car les tombeaux les plus magoifiques dont nous
avons des restes, spnt du tems des premiers Epmpereurs,
\
198 MÉMOIRES.
du voyageur attendri. « Sparge, precor, flores supra mea
busta, viator. » ( In epitaph. Eutichetis aurigæ. ) » Les
lis, l’amaranthe et la rose étaient celles qu'ils préféraient.
n ..:.:. Manibus date libia plenis purpureos spargami
flores. » ( Virg. Lil. 5 Æneid. )
: Les hypogées ou tombeaux souterrains les plus remar-
quables dont ont fait mention les auteurs qui ont traité
cette matière, sont: celui de Smyrne; deux hypogées
trouvés près de Corynthe ; le tombeau de la famille
Cœsennia découvert à Porto en 1699; celui d’une fa-
mille noble romaine trouvé dans la vigne Cavalieri près
de Rome ; enfin celui de la famille Corsini, publié par
le Bartholi, à Rome, en 1699. Celui-ci paraît avoir été
magnifique ; il faut en lire la description dans Montfaucon
(Tom v. 1." P°) Cet auteur qui s’est fort étendu sur
les sépulchres, les urnes, les pierres sépulchrales, dit
, peu de chose des sépulchres souterrains dont il est ici
question. On trouvera davantage dans Marlenius 1. 4.
Topograph. urbis Romæ. C. 19. » dans Georg. Fabricius
‘Rom. c. 20. et surtout dans Xirchman « de funeribus
ÆRomanor. » Nous parlerons tout-à-l’heure des catacombes
de Rome. à
. La première sépulture souterraine dont il est fait
mention dans lhistoire sacrée, est celle de Sara, qui
fut aussi celle d'Abraham. Elle eut lieu, dit la Génèse,
( XXIII. 19. XXV. 9. ) dans une caverne qui se trouvait
dans une roche ‘située dans un champ qu'il acheta
d'Ephron, 400 sicles d'argent (Schmidt. Rich. des Nat.* )
I paraît que les Patriarches de l’ancien testament adop-
tèrent cet usage.
Les Hébreux enterraient les gens du commun, et
embaumaient à peu-près comme les Fgyptiens, les corps
- des
_—
MÉMOIRES. 199
des personnes considérables, ensuite ils les mettaient dans
de petits caveaux creusés dans le sable. « Fodiunt in :
pulvere speluncas, Jaciuntque foveam in latere ejusdeny
speluncæ , in qu& sepeliunt mortuum. » ( Maimonides,
savant écrivain juif du 13° siècle, Cap. iv. Efel, $. 4 )<
ou dans des cabinets taillés dans des roches ayec tant
d'artifice que quelques-uns avaient des portes tournant
sur leurs gonds, et faites de la même pierre. ( Barzonius
Ann. ecclesiast. to, 1. pag. 183. Flav. Joseph antiq. Jud,
et Fleury ; Mœurs des Israëlites. ) » Ces cavernes avaient
des niches dans lesquelles il paraît que les corps étaient
placés simplement enveloppés dans un linceuil et sans
cercueil, de manière qu’on pouyait les voir et les toucher.»
Neque corpora humata erant plerumque aut inclusa thecis,
sed in loculis üà exposita ut videri tangique ab irgredien-
tibus possint ; ex quo intellisimus quemodd cadaver ejus
qui à Lationibus est occisus tangere potuerit ossa Elisæi
prophetæ , ut aït lib. 2. Regum. X111. 21. ( Audi, quensted.
de seputé, veter, Cap. X).
. Les premiers chrétiens qui ne consent la mort
que comme un long sommeil, « Domivit cum patribue
suis » ( div. x des Rois. ) établirent, dans le tems des
persécutions, leurs cimetières ou dortoirs ( Kometerion,
de Komao , Dormio.) dans des lieux souterrains, suivant
la coutume des anciens patriarches. Ils enterraient les corps
comme les Juifs, simplement, en secret , et les ran-
geaient dans des caves semblables aux catacombes de
Rome ; elles étaient taillées dans le tuf ou pratiquées
dans. des veines de sable; on y descendait par des
escaliers et l'on trouvait de . longues rues qui, de
chaque côté, avaient deux ou trois rangs de niches
profondes où les corps étaient posés. De distance en.
J, 5% Ziy, | 14
«
209 MÉMOIRES.
distance étaient des chambres spacieuses , voutées, bâties
avec solidité et perctes de plusieurs niches seinlilables à
celles des rues. Souvent ces chambres étaient peintes de
diverses histoires de l’ancien et du nouveau Testament,
comme Îles Eglises. En plusieurs de ces cimetières il y
avait des Eglises. On y voyait des coffres de marbre ornés
de reliefs, représentant les mêmes histoires que les pein-
tures , c’étaient les sépulchres des personnes considérables.
Quelques-uns de ces cimetières étaient comme de grands
fauxbourgs sous terre et avaient deux ou trois étages de
profondeur ; aussi les Chrétiens y trouvaient-ils des re-
traites assez sûres dans les tems de persécution; ils
s’y assemblaient, y'célébraient les saints offices et y
gardeient les reliqües de leurs martyrs. Ces anciens ci-
metières souterrains demeurèrent longtems inconnus , les
entrées en ayant été comblées; ils n’ont été découverts
que vers la fin du 17. siècle. Ces lieux étaient aussi
hommés_ quelquefois arcæ et arenariæ à cause du terrain
sablonneux, (v. Fleury. Mœurs des Chrétiens, et Thomass.
dissert. Pas. 2. lib. 3. c. 13 , 14; et sur les catacombes
de Rome , /a Roma subternanea de Ant.° Bosio , observa—
tion sur les Catacombes, par le père Mabillon. 1698.
Voyage dans les Catacombes de Rome par un membre
de Pacadémie de Crotone, 1. vol. in-8.° Paris 1810.)
Mon intention est de ne parler que des peuples qui se sont
éonstruits des tombeaux sous terre. Pour compléter l’his-
foire des sépultures , il faudrait parler des usages, tous
plus ou moins hizarres, de plusieurs anciens peuples dont
les uns donnaient leurs morts à dévorer aux bêtes sau—
. vages et aux vautours, eomme les Gaures et les Parsis ;
les autres dévoraient eux-mêmes les corps de leurs parens
funts, qu’ils se faisaient même un devoir de tuer lors-
MÉMOIRES. | 201
qu'ils les voyaient accablés de vieillesse. Il en est qui les
jetaient à l’eau. Quelques autres , les peuples de la Col-
chide et les Tibaréniens , comme cette mère indienne qui
a fourni à M." de Château-Briant un si touchant épi-
sode , suspendaient:leurs morts , -enveloppés: dans des
peaux , aux arbres de leurs forêts. D’autres, les habitans
des îles Baléares, découpaient les morts par morceaux,
puis les enfermaient dans des pots de terre; d'autres enfiny
disant peut-être comme autrefois Mécène; ». Sepelit
natura: relictos «.exposaient les «morts dans déserts
ou sur des-rochers. ( Voyez histoire générale des céré-
_monies et coutumes relisieuses de tous les peuples du
monde , par les Abbés Banier et Lemascrier. T. 11.) et
funerati antichi di diversi popoli à de Thomaso de
Venet..1574.)
* Les Espagnols, le peuple le — paresseux et de corps
et d'esprit de tous les peuples : modernes, est ,: par cette
même raison, celui qui a-conservé le plus d’usages , de
meubles, d’instramens. des Romains. Entrautres , on
retrouve’ chez -eux la charrue sans roues , Æratrum , les
chars à roues solides et sans rayons, les meules à grain
tournées par un mulet, mola, asinaria, les amphores,
les vases, les dutres, la chaussure des paysans, le goût
pour les vêtemens drapés, etc.
+ Îls ont aussi conservé l’usage des hypogées ou sépultures
souterraines qu'ils constrüisent sur le modèle des Co-
lumbaria romains. Ce n’est pas que-comme tous les peuples
modernes et chrétiens, les Espagnols n'aient adopté et
conservé longtems la coutume d’enterrer dans l'intérieur
des villes, dans les églises ; dans les cloîtres : leur exces-
sive dévotion , leur aversion pour toute innovation Ja leur
ont même fait conserver longtems ; mais des écrivains
202 MÉMOIRES.
éclairés, parmi lesquels on compte même des ecclésiastiques,
(dom. Bened. Bails. de sepull. miguel de Arero y aldovera.
Tradato delos funerales y de las sepulturas, ) en Espagne
comme par toute l'Europe, se sont élevés contre éette
pernicieuse coutume, qui, pour honorer les morts,
faisait mourir Îles vivans ; elle a enfin été abandonnée,
Quelques familles puissantes, seules, ont conservé jus-
qu'à ce jour le privilège d'acheter et d’avoir dans des
couvens leur sépulture particulière. Ce sont des caveaux,
de véritables hypogées , des Columbaria où les. corps
enfermés dans un cercueil en bois, plus ou moins orné,
sont déposés dans des niches pratiquées dans les murs,
en forme de fours, et que l’on ferme ensuite avec des
briques et du plâtre, sur lequel on inscrit les noms et
qualités du défunt, son âge, la date de sa mort. Il est
peu de couvens et même de paroisses qui n'aient Jeur
caveau ou Boveda, destiné À la sépulture des religieux
ou de quelque famille considérable, et toutes les grandes
villes ont aujoard'hui. suivant leur population, un ou
plusieurs cimetières construits sur terre, en ie de
Columbaria.
de ne vois pas que la ue des Goths et celle des
Maures en Espagne aient apporté. quelques changemens
dans le mode de sépulture de ses halbitans depuis l'époque
du séjour des Romains dans ee pays: les historiens Es-
pagnols, la plupart d'une: prolisité effrayante, ne m'ont
rieu appris à ce sujet, non plus que sur des du sde.
de ces peuples étrangers. ;
- C'est un ancien usage en Espagne d'enterrer les er
daus des chapelles particulières, ou dans des niches. prés
tiquées dans l'épaisseur des murs des églises : ‘où lude
par ce moyen à défense d’enterrer dans l’église mêmes
Mémornzs. 203
(Foy. Garcia. Lavisia. Concil. Hispan . 545 e ue see. :
Cap. xvIIL Cvncil, Bracarense. ) Les Rois de la ville
Castille avaient leurs sépultures à Léon, ceux d’Espagne
à Folède’, avant Pétablissement de ka trop fameuse maison
de PEscurial, et depuis lors leurs corps ont été déposés
dans le caveau du couvent de même nom. Ce caveau.
n'est qu’une magnifique Catacombe en marbre, où sont
rangés de chaque côté et autour d’un autel qui en occupe
le milieu , les sarcophages , aussi en marbre, de ces sou-
verains, les Rois du côté de l'Evangile, les Reines du
côté de PEpître, comme dit Ximenez, auteur d'une
description de l’Escurial.
A Guadalaxara , près Madrid, on voit, au csuvent
des Augaslins , un caveau ou Buveda, qui à environ 16 ”*
242" ( 5o pieds) de profondeur au dessous du sol; il
est tout en marbre et reçoit la luntièré de la ecupole.
H sert à la sépulture des Ducs de lInfantado, Des niches
et des gradins sont destinés à recevoir les corps. On
vient d'ouvrir le tombeau du dernier Duc de ce nom,
mort en 1703. Son corps, qui avait été mal embaumé,
n’était pas desséché comme le sont ceux qui ont été
simplement enfermés dans les niches où fours, mais il
était encore en putréfaction. J'ai vu, parmi des débris
que l’on trouvait dans le caveau du couvent de FAtocha
dont je vais parter, des portions de cadavres dont les muscles
et les viscères étaient desséehés comnse de J’amadou,
aient l'apparence de cette ne ét auraient pris
feu comme elle.
* Le caveau ou la boveda du couvent de Notre-Dame
d’Atocha ouw des Genets, dont la figure se trouve dans
le 24° volame du Dictiormaire des Sciences médicales,
peut donner une idée de tous ceux qui se trouvent dans
204 MÉMOIRES.
Ja plupart des couvens de Madrid et de l'Espagne. Il est.
situé sous le chœur de l'église. L'entrée est dans un
coin du cloître; on y descend par 20 marches. Il a
4 "873". de profondeur sous le sol; il est voûté
et reçoit la lumière par un seul soupirail qui se trouve
au niveau du terrain. Îl présente 30 niches ou fours,
dont 26 pour des corps adultes, et 4 pour des enfans;
les premières ont 2 "“!- 3 “ll de profondeur, 0,650 "!l-
de: largeur, et 0,568 "+ de hauteur; les seconds n’ont
que 0,866": de profondeur et sont d’ailleurs de mêmes
dimensions que les grands. Les uns et les autres sont
en briques. Le long de l'escalier il y a cinq petites niches.
Le caveau lui-même a dans œuvre 4 "“* 873 "ll: de
hauteur, depuis le sol jusqu’à la voûte ; autant de
longueur, et 3 "**: 898 "!l: seulement de largeur. A la
paroi gauche de ce premier caveau est une porte qui
conduit à un second à peu-près de mêmes dimensions ,
mais sans niches et dont la voûte a une large ouverture
par laquelle on descend les corps de l’église dans le
caveau. Les corps dont j'ai vu les restes, avaient été
énveloppés dans des linceuils d’étoffe de soie et enfermés
dans des cercueils de bois doublés intérieurement de
vélours noir. | a
Ce caveau fort ancien et qui, m’a-t-on assuré , existait
déjà du tems des Arabes, ainsi qu’une chapelle où se
fesait un pélérinage à Notre-Dame des Genets, appar-
tenait à la famille des Comtes de Nieva, qui seuls y
étaient inhumés ; privilège qu’ils avaient acheté par des
bienfaits envers le couvent, auquel ils fesaient une rente.
La seule inscription lisible que j'aie trouvée dans ce
caveau, indiquait qu’un des corps desséchés, dont j'ai
parlé plus haut, y avait été déposé en 1762.
MÉMOIRES 203
Un monument plus remarquable est un des quatre
cimetières. projetés pour la sépulture des habitans de
Madrid, et le seul qui ait été exécuté jusqu’à ce jour.
. I est situé au nord de la ville, à près de 8 hecto-
mètres de la porte dite de Fuencarral, dans un champ
élevé, sur le bord du chemin qui conduit au bourg de
même nom; il n’était destiné qu’à 8 des paroisses de la
ville.
C'est un quarré parfait; chaque côté a 200 pieds
castillans, ou 55 "*t: 873 "il, ceint d’une muraille épaisse,
et haute de 13 pieds castillans, ou 3 "‘t- 654 il.
L'espace circonscrit par cette muraille est divisé inté-
xieurement en cinq parties inégales, proportionnées à
l'étendue des paroisses aux inhumations desquelles
chacune était destinée, et par conséquent au nombre
présumé de morts que chacune d’elles peut avoir annuel-
lement. |
. Les deux compartimens du milieu sont affectés à la
sépulture des religieux, des religieuses et des enfans; le
plan précité indique cette distribution. Au centre de
tout l'édifice se trouve une chapelle dont l'entrée est
formée par un portique de deux colonnes au centre et
de deux pilastres aux angles, surmonté de sa corniche
et'd'un fronton triangulaire sur lequel on a menagé
une place et une table pour une inscription; on y lit
celle - ci : Beati mortui qui in Domino moriuntur. »
( Apoc. c. XIV. ) L'intérieur de la chapelle présente
quatre arcades principales ayant 30 pieds castillans,
( 8": 283 "l ) de profondeur, qui soutiennent le.
dôme, lequel est percé dans son centre d’une lucarne
qui éclaire toute la chapelle. Le grand autel a 9 pieds
castillans (2 "+ 517 mil) de largeur ; derrière lui est
206 MÉMOIRES.
Ja sacristie » au dessus de laquelle est le logement du
sacristaïn. La façade a deux espèces de tourelles pour y
placer des cloches; celle de droite a un bel escalier en
vis. L'entrée principale da cimetière offre à gauche un
logement pour Île chapelain, à droite un autre pour
les fossoyeurs, et de plus une remise pour les instru:
mens et ustensiles à eux nécessaires. Tout le sol est
creusé de fosses dont les côtés et le fonds sont en briques
ünies par du ciment; ces fosses sont longues de 2 "*"'-
274%, larges de 0" 75", et profondes de 1° 950
11 y en a 1300 en tout. Elles sont remplies de terre
que l’on en retire au fur et à mesure qu'on a besoin
de place. On met dans chaque fosse 2, 3 et quelque-
fois 4 ou 5 cadavres , enfermés ou non dans des cercueils
en bois, comme ils se présentent ; entre chacun on met
un peu de terre, Quand on a mis dans une même fosse
plusieurs cadavres sans cercueïls, on y jette ordinaire-
ment de la chaux. Lorsqu'une fosse contient le nombre
de cadavres qu’on veut y mettre, on la remplit de la
terre qu'on en a tirée; Pexcédent de cette terre est
porté dans un coin du cimetière, et la fosse est recou-
verte de briques unies par du ciment. Ees fosses da
compartiment du milieu , de la première section, formant
la première enceinte, sont, pour plus de: propreté,
recouvertes de grandes tables de pierre sur lesquelles
on peut graver des épitaphes; chacune des S sections
a ses fosses numérotées. |
Indépendamment de ces fosses, il y a, le long des
deux murailles latérales et des deux murs mitoyens qui
séparent a section du milieu de celles des côtés, des
niches ou fours semblables à celles que nous avons
décrites ci-dessus en parlant du couvent d'Atoctæ;
mil,
= fi
MÉMOIRES. _ 207
gen & 4 rangs les unes sur les autres; elles ont 2
030"! de profondeur, 0,704""!- de largeur et autant de
hauteur ; il y en a 700 : chacune d'elles ne doit contenis
” un cadavre.
- Quand ïl est placé, enfermé re son as 5 On
bouche la niche avec des briques et du ciment, ou dn
plâtre sur lequel on inscrit une épitaphe ou simplement
le nom du défunt, son äge et le jour de sa mort. Les
niches sont numérotées comme les fosses. Dans la partie
postérieure et parallèle à la chapelle des deux murs
mitoyens , sont pratiquées 32 niches d’une autre forme
que les précédentes, destinées à recevoir les corps des
individus d’une même famille qui auraient voulu restez
anis jusque dans le tombeau; chaque niche pent renfer-
_ mer 4 corps. Elkes ont 1." 950"! de profondeur, 2.",003
de largeur et 0,704." de hauteur, Les corps, au lieu d'y
êtres mis en long, comme dans les fours, doivent y
être placés en travers les uns à côté des autres ; elles
sont encore vides.
: On a calculé que les paroisses ie était destiné
pr'imitivement ce cimetière, donnant par cinq années
de 6 à 7 cents morts, il pouvait être rempli au bout
de dix années; il le sera beaucoup plutôt, parce que
jasqu’à présent ( 1812} il a servi à tous les quartiers de
la ville. Alors on videra successivement les fosses et les
niches remplies les premières ; on en retirera les restes des
corps, que l’on trauvera desséchés, comme momifiés, et
on les déposera dans un large puits profond de 14°"-,618”,
s’évasant vers son fond en 4 branches, creusé au milieu à
compartiment postérieur et dans lequel on descend par
une ouverture ou regard de forme ronde, fermée par
une pierre qui s’enlève au besoin. C’est là, c'est dans
208 MÉMOIRES.
cette espèce de charnier que ces restes retourneront en
poussière; c'est ce puits ou caveau qui est destiné à
engloutir une partie de la population de Madrid.
Lorsqu'on aura à procéder à de nouvelles sépultures,
on reprendra, pour remplir les fosses, la terre excédente.
mise en réserve lors des inhumations antérieures, et
celle récemment tirée sera mise à sa place pour l’aérer
et la puriñer; deux années, à ce que m'a assuré,
d’après son expérience, l’habile. architecte qui a fait
construire ce cimetière, suffisent pour dessécher complè-
tement, et, comme il le dit, pour réduire à la consistance
. de carton, un corps médiocrement eharnu et gras. La
sécheresse et la légèreté d’un sol épuisé et en quelque
sorte aride, la vivacité et la constante sécheresse de
l'air, la rareté des ‘pluies, peuvent rendre raison de
cette prompte dessication , qui, vraisemblablement ,
n'aurait pas lieu en aussi peu de tems dans nos climats
plus humides et plus froids. LES
Le style de ce monument est simple, grave et sévère,
tel qu’il convient ; il a été commencé en 1805, sur les
plans et sous la direction de M. Villa-Nueva qui a bien
voulu me communiquer les plans que l’on voit dans le
Dictionnaire des Sciences médicales. Ce monument a été
interrompu pendant deux ans, faute de fonds, et n'a
été repris et achevé que vers la fin de 1808.
. WILLAUME, ex-Chirurgien principal
à d'armée d’Espagne ; Membre
correspondant de la Société Royale
d'Arras. ;
MÉMOIRES: 209
VAE mme ame ee eue eme ae ay
NOTICE
SUR L'ORIGINE ET L'ANTIQUITÉ
DE LA VILLE D’ARRAS,
Par M. BÉHIN, ex-Constituant.
P ARMI toutes les notices que j'ai lues sur la ville
d'Arras, aucune ne parle de son origine, ni de son
antiquité. M. Piquenard, dans l’almanach de l'an dix,
se contente de dire qu’elle existait longtems avant l'arrivée
des Romains dans la Gaule-Belgique. Il ne se doutait
pas sans doute que , pour trouver la fondation de la ville
d'Arras, il fallüt remonter jusqu'aux tems fabuleux, et je
l'ignorerais encore moi-même, si, par hasard, cette origine
ne s'était offerte d'elle-même à mes yeux ; voici comment:
En relisant les lettres du savant et malheureux Bailly
sur l'Atlantique, je fus frappé d’un passage d’un ancien
qui, à la première lecture n’avait fait aucune impression
sur moi, parce que j'avais fait peu d'attention au
jugement qu’en porte Bailly. Il s’agit d’un passage de
Diodore de Sicile sur l'empire que les Celtes ou Gaulois
ont fondé en Europe. Je savais que les premières colonies
qui descendirent du Nord, pour peupler le Midi , aimaient
à former de grands Empires : les Scythes, qui s'étaient
d'abord éloignés vers l'Orient, avaient fondé le vaste Empire
de la Chine, et, dans la suite, toutes les hordes Scythes
s'étant réunies sous le nom de Tatars ou de Tartares,
ils soumirent presque toute l'Asie et même la Chine.
De même les Celtes, sortis de la Scandinavie , s'étant
répandus dans toute l'Europe, aussitôt qu’elle fut desséchée
are MÉMOIRES
des eaux qui la couvraïient, (1) n’y formèrent qu’un
seul Empire qui, selon Diodore de Sicile, s’étendait
depuis la mer Glaciale. jusqu’à la Méditerranée ; de sorte
que pour avoir leur Capitale au milieu de leurs provinces,
ils furent contraints de fa placer vers l'extrémité des gaules.
et-dans le voismage de la grande Bretagne qu'ils occu-
paient aussi.
Voici le texte de Diodore de Sicile tel qu'il est rapporté
par Bailly. (2) « la Celtique était an pays immense:
» elle avait des contrées fort septentionales où Phyver
» duraît longtems ; il n'y croissait ni vignes, ni oliviers:
» une grande partie de fa Celtique était au delà de la
# forêt Hircinie , bordaït l'Océan et s'étendait jusqu'aux
* confins de la Scythie. Un Roi de ce pays avait une
» fille très-belle, qui ne trouva qu'Hercule qui fat
» digne d'elle. Ce Héros, après avoir ravi les vaches de
» Gérion, s’arrrêta dans la Celtique où il bâtit la ville
» d’Alésie. Il épousa la princesse Galathée, et en eut
» un fils nommé Galates, qui augmenta le pays de la
» domination , et leur faissa le nom de Galatie ou de
» Gaule. »
Avant d'aller plus loin, je dois remarquer que c’est
dans ce style que les anciens rapportaient la fondation
des Empires et des Cités, style qu’on appelle main-
tenant mythologique et fabuleux, et qu'ils appelaient
SE PP PET RUE
(x } I! faut remarquer qu’il était libre aux Celtes de s’étendre
ainsi; ear , dit Montesquieu , » on voit par ce que les historiens
» nous disent du passage des peuples de la Scandinavie sur les
2 bords du Danube, que ce n’était pas une conquète, mais sou.
» lement une transmigration dans des terres désertes. Esprit des
dois, (L. 18. Ch. 3.) ;
(2) Page 320.
MÉMOIRES, 214
sacré et allégorique. C’est ainsi que lenr cosmogonie ef
leur histoire devaient être écrites, parce que c'était des
hvres sacrés. Ce style fut depuis réservé aux Poëtes, comme
on le voit dans l'Iliade et l'Odyssée , où les Dieux fondent
et détruisent les Empires et interviennent par eux-mêmes
dans tous les événemens. Diodore , Strabon et Plutarque,
qui se sont particulièrement appliqués à recueillir Les
traditions des anciens peuples, ont souvent affecté de
copier leurs expressions sans les expliquer, parce que
cela n'était pas toujours facile. ( 3) Tel est Le récit de
Diodore, que Baïlly me semble rejetter ici avec trop de
mépris.
Baïlly, presqu'entièrement livré à l'étude de l'astronomie
et aux Belles - lettres, ne fit jamais des fables l’objet de
ses recherches, et n’en porta jamais que des jugemens
variables et incertains dans son histoire de l’astronomie ;
il prend souvent les fables pour de pures vérités, et la
cosmogonie pour l'histoire. Il croit que Bélus a enseigné
l'astronomie aux Caldéens et qu'Hercale ouvrit le détroit
de: Cadix, en séparant deux énormes rochers, quoiqu'il
soit évident que Bélus et Hercule ne sont que des per-
&- ,
(3) Tel est Je nécit: de la fuite ou de la sortie des Juifs de
l'Egypte, que Plutarque a tiré mot à mot de lhistoire des
Égyptiens: » Typhou, dit-il, père de Jerossolaïn et de Judens
n s’est enfui d'Egypte : sur un âne. » Les Egyptiens- préveous
contre Moyse et les Juifs qu’ils se vantaient d’avoir chassé hon-
teusement d'Egypte, attribuaient leur établissement dans la Judée
à Typhou ou:au diable comme “Diodore attribue l'établissement
des Celtes en Europe aa soleil on à Hercule , toujours opposé
à Typhon, parce que Yuan étaulo bou principe, l’autre le
MAD aise Ç
212 MÉMOIRES.
sonnages fictifs et allégoriques. Il prend les fables tantôt
comme des contes de bergers , et tantôt comme les jouets
‘de l'enfance du genre humain; mais, dans ses lettres à
M. de Voltaire, il paraît se rapprocher un peu du sentiment
du savant Dupuis, dont il ne pouvait ignorer les décou-
vertes sur le sens allésorique des fables sacrées , puis-
qu'il était de la même Académie des Sciences. » Je pense,
» dit-il, à M. de Voltaire, que les’ fables fournissent
» des probabilités pour appuyer ‘les faits; je pense sur-
» tout que la vérité cachée les rend dignes de l'attention
> du philosophe : ces jouets de l'enfance furent jadis
» l'ouvrage des hommes de Gérie; je crois qu'H n’y a
» pas de fables reçues et accréditées chez les peuples
»-qui ne renferme quelque vérité’ historique, physique
»-ou morale. » Malgré ces aveux, Bailly ne laisse pas ‘de
éjetter le récit de Diodore et ‘méme l'existence de la
ville d’Alésie , sur le seul prétexte «que jamais on n’en
» entendit parler. Gérion, ajoute-t-il , et ses vaches,
# Galatés et: sa mère, ni la ville d’Alésie, n’ont pas
« été plus en Espagne et en France que les Héliades
» en Italie dont l'Eridan, qui produit Fe n'a
» jamais arrosé les campagnes. »
‘En un mot Bailly prétend que les Celtes ont trans-
porté avec eux dans les Gaules :le nom d’une ville du
Nord, comme ils ont transporté l’Eridan en Italie, et
tome les modernes ont transporté avec eux en Amérique
Ja France , l'Angleterre et l'Espagne; « maiss. ajoute-t- il,
» quelque -jour, je n’en désespère .pas, les savans y.
».chercheront sinon les vaches de Gérion, du moins
» son royaume. : On: voudra y retrouver les colonnes
» d’Hercule , le royaume de son fils Galatés et la ville
» d’Alésie ; tant qu'on ne sera pas guidé par la philoso-
MÉMOIRES. L2I1S
v phie, ces erreurs de nom seront Îa confusion de
» l’histoire. » | | tu
. Je conserve la plus grande vénération pour celui qui
le premier présida l’Assetblée constituante, et dont
nous avons .eu tant d'occasions d'admirer la science
et la:vertu; maïs j'avoue que ce. fut la sévérité. de sa
critique, qui me porta à faire quelque recherche sur la
ville d’Alésie, persuadé qu'elle devait exister dans. les
Gaules, parce que Îles auteurs des fables s’assujétissent
nécessairement à une géographie réelle et connue, sans
quoi ils ne seraient point entendus; et si. Bailly vivait
encore je le prendrais lui - même pour juge, et je lui
dirais : c'est vous-même et votre ouvrage qui m'avez:
guidé dans cette recherche. Vous convenez que les anciens’
äâttribuaient souvent la fondation de leurs villes, et ce
qu'ils faisaient eux-mêmes, à leurs Dieux, et vous en.
apportez un exemple (4) en citant un passage de Strabon ,
entièrement semblable à celui de Diodore : « les Scythes,
» dit ce savant géographe”, devenus trop nombreux : par.
» une population excessive, se jettérent sur le royaume
»'de Pont et sur la Cappalñoce, et Aemon, leur chef,
» bâtit sur les bords du Thermodon une ville nommée
» de son nom Aemonie. Il entra ensuite en Phygie, et
» y bâtit une seconde Aemonie; or, ajoutez-vous, ce.
» Aemon était père d'Uranus, et par constquent un:
» Dieu , dont Hercule même était .issu, suivant le
langage des Cosmogonites. » Pourquoi les Celtes, qui
reconnaissaient. Hercule pour .leur Dieu et leur chef,
n’auraient-ils pas pu lui attribuer la fondation de la ville
d’Alésia ? Vous m’apprenez encore qu’Hercule est le Soleil
# N ù . es SEPT SE PSE =
(4) Page 112.
214 MÉMOIRES.
même, qu'il voyage et qu'il arrive jusqu'aux extrémités
du monde dans le navire du soleil, parce que les
anciens faisaient voyager les astres dans des vaisseaux ;
qu’à la vérité quelques-uns comptaient plusieurs Hercules,
mais qu'il ne peut y en avoir qu'un seul, parce qu'il
n'y a qu'un seul soleil. Que plusienrs épisodes de son
histoire sont sans doute chimériques, mais que le fond
n'est peut-être qu'une allégorie; qu'enfin » les fables
» sont des demi-vérités enveloppées et peut-être équi-
+» voques, mais qu'elles ont droit de s'unir aux faits
» de l’histoire. »
Hercule était donc le grand Dieu des peuples du Nord,
à qui ils attribuaient volontiers ce qu'ils faisaient eux-
mêmes d'important, comme les Fgyptiens à Osiris, qui
n’était encore que le Soleil sous un autre nom, c’est-
à-dire, le Dieu suprême et créateur de tous les anciens .
peuples. Ce Dieu était donc censé, dans Le langage
sacré et toujours figuré des anciens, marcher à la tête
des Colonies quise répandaient du nord vers le midi, leur
indiquer les établissemens qu'ils cherchaient à former,
et fonder en quelque sorte leurs cités et tous les mo-
numens qu'ils élevaient. Vous en convenez vous-même
encore, en observant qu’on voyait sur la mer Glaciale,
à Cadix, à Tyr, et jusques sur la mer Rouge des
monumens qu’on appelle tantôt colonnes d'Hercule,
tantôt bornes ou frontières, parce qu’elles étaient les
limites et les repos de ce fameux voyageur ou conducteur
des peuples du nord. Les colonnes, dites-vous , indi-
quaient des temples d'Hercule et ses stations. L'une de
ces colonnes était consacrée au Soleil où à Hereule
même qui conduisait la oolonie, et l’autre aux vents
favorables
- MÉMOIRES. 215
favorables qui l'avaient amenée. Car elles désignaient
toujours un voyage par mer ou un débarquement.
J'en suis sûr, Bailly, loin de condamner ma recherche
comme peu philosophique, m’y eut encouragé et se fut.
réjoui en voyant qu'au lieu de colonnes d’Hercule, je
pouvais lui montrer deux villes d’Alésie dans les Gaules,
et toutes deux supposées bâties par Hercule,
_ Mes recherches ne furent ni longues ni pénibles. Le
premier livrà que j’ouvris me donna des renseignemenë
clairs et sûrs touchant les deux villes, en m’apprenant
qu’elles avaient été frès- connues sous ce nom, et que
toutes deux avaient été prises par César. J'ouvre donc
le Dictionnaire Hhistorique, géographique et poëtique
de Robert Etienne ( r ), et je suis renvoyé du mot
#lesia à l'article 4lexia dont voici la traduction » Alexia,
» chez Ptolomée, Regiacum, et selon Diodore EL. S.,
» ville métropole de toute la Celtique, vulgairement
# ÂArras. chez d’autres Alexie. » Je poursuis et je trouve
une seconde Alexie, « ville inexpugnable dans l’ancien
» duché de Bourgogne, près de Langres. César l’ayant
» prise avec peine, la rasa totalement, en sorte que
» ce n’est plus qu’un village qui porte pourtant encore
» son ancien nom d’Alize. La fondation ‘en est aussi
æ aitribuée à Hercule, mais à l’Hercule égyptien, fils
m d'Osiris. »
Ceux qui savent qu'Osiris est aussi le Soleil en Egypte,
et que ses deux fils Orus et Hercule étaient encore
des symboles solaires, sentiront que l’Hercule égyptien
(1) Comme ce dictionnaire a beaucoup servi à rédiger celui
de Moréri, on pourrait peut-être tr trouver dans ce dernier Îles
mêmes articles.
L 5% Liy, Fe 15
216 MÉMOIRES.
est le même que l’Hercule gaulois, et Robert Etienne
n'en doute pas, puisque, pour apprendre à quelle occa-
sion cette ville avait été fondée, il renvoye au mot
Galatheæ qui est l'épouse de l’Hercule gaulois. (1)
Je trouve dans le même Dictionnaire le mot » Alexiacos,
» mot grec qui signifie celui qui détourne les maux;
» il se. donnait à Apollon qui, comme Hercule, était
» un symbole solaire. » C'était donc le même nom que
celui de Sauveur que l’on donnait à Osiris, à Bacchus
et à Mythra dans les mystères qui leur étaient consacrés
comme à des symboles solaires , qui mouraient en
automne et ressuscitaient au jprinptems pour chasser le
froid et les ténèbres des pays du nord; d’où je conclus
que la fondation des deux villes d’Alesie ou d’Alexie
n'étaient attribuées à Hercule que parce qu’elles portaient
son nom; et qu’elles portaient son nom parce que toutes
deux étaient fortes et puissantes comme lui; car les mots
Alcée et Alcide qui sont encore des noms d'Hercule,
(1) Ces deux villes sont très-bien distinguées dans les com-
mentaires de César : l’une est la cité des Atrébates , qu’il appelle
toujours Nemetecenna. Elle s’était d’abord soumise volontai-
rement à lui et il y avait établi pour Roi Comius, à qui il
donna encore depuis le royaume des Morins, pour le récompenser
de ses bons services. L’autre est une forteresse, du pays des
Mandubiens qu’il appelle Alesia et Alexia. Comme elle était
bâtie sur le sommet d’une montagne très-élevée , il ne put la
soumettre qu’après un siège régulier et avoir hattu 250,000 hom-
mes qui s'étaient réunis de toutes les Gaules contre César , afin
de recouvrerileur liberté , et c’est sans doute parce que Comius,
Roi des Attrébates et des Morins, s’étant insurgé avec Îles autres
Princes Gaulois , était un des chefs de cette armée, que plusieurs
ont confondu les deux villes d’Alesie, et ont cru qu'il s’agissait
de Regiacuig ou d'Arras,
en L
MÉMOIRES. | 2 17
signiñent fort et puissant. Telles étaient en effet ces
deux villes : l’une était inexpugnable par sa situation,
et l’autre, selon Meier, a toujours été regardée comme
Re-boulevard de la Flandre. Enfin, je trouve encore
dans Robert Etienne , qu’outre les noms d’Alesia et
d’Alexia , Arras portait encore ceux de Regiacum, Rigia-
cum, Origiacum, Nemetecenna et Atrebatum. Il n’appar-
tient sans doute qu’à une ville très - ancienne d’avoir :
tant de noms différens ; et cependant, quelques anciens
que soyent ces noms, il me paraît aisé de les expliquer. :
Les trois premiers sont synonimes et ne peuvent convenir :
qu'à une ville royale ou capitale d’un grand Empire.
Nemetecenna vient de Nemetes, bois, et indique une
ville entourée de forêts. Enfin Aérebatum ne peut venir.
que d’Atrum, noir ou noirâtre, à cause des draps
couleur de pourpre qu’on fabriquait dans cette ville,
et qui étaient si estimés des Romains que leurs généraux
en étaient couverts dans la pompe du triomphe, et
que depuis ils furent réservés aux Empereurs, (1)
(x) Il parait que cette couleur était faite avec le pastel,
vouede ou vede, qu’on cultivait beaucoup en Artois, et qu’on
cultive encore en Angleterre, où un arpent de cette plante
rapporte, dit-on, depuis 10 jusqu’à. 30 livres sterling par
an. Les àneiens Anglais s’en servaient, selon César, pour se
peindre le corps et donner à leur peau une couleur bleue , afn
de paraître plus terribles dans les combats. Se »iro inficiunt.
quod oæruleum efficit colorem. Les Bretons se faisaient en effet
dans la peau, comme font aujourd’hui les sauvages, des inci-
sions qui représentaient des fleurs, des arbres, des animaux,
et y faisaient couler du jus de pastel dont la couleur était
ineffaçable ; c’est ce que Tertullien appelle : britannorum stigmaia.
Il est bien étonnant, qu’on ne rétablisse pas la culture d’une
plante aujourd’hui si précieuse pour nous, puisque les chimistes
ont trouvé le secret de la substituer à l’indigo.
21B MÉMOIRES..
.Je tive avec confiance mes étymologies de la langue
grecque et de la latine qui en est dérivée, parce qu'il
est reconnu que les Grecs avaient une langue . fort
‘ . ressemblante à celle des Celtes où Scandinave, set sur-
tout à celle des Finois ou Suédois.
-Il n’est donc plus possible de douter que la ville
d’Alesie de Diodore de Sicile ne soit celle d'Arras, puis-
que: Ptolomée, le plas ancien des géographes, le dit
expressément, et que cette ville ne soit une des plus
anciennes de’ l’Europe , puisque sa fondation remonte
J usqu’aux tems fabuleux, c’est-à-dire, jusqu’à une époque
où l’on écrivait encore l’histoire dans le style figuré ou
allégorique, dont se servaient les Prêtres des anciens
peuples et surtout ceux des Egyptiens et des Scandinaves.
(x) Cette ville ayant été d’abord la capitale d’an Empire
immense , a pu facilement envoyer une colonie dans la
- grande Bretagne ; cette colonie portait encore, du tems
de César, le nom d’Atrébates : car c'est par les Celtes:
de la Belgique que , selon César même, la grande Breta-
-gne a été peuplée et a recu som nom. H assure que:
les Britanni ( qu’on croit être un peuple da Ponthieu,
et par conséquent de la cité des Morins), furent Îles
premiers qui s’y fixèrent et en montrèrent Ja route à
léurs voisins. Les Morins n'étaient en effet séparés de
la Bretagne que par un détroit de sept lieues et pouvaient
(x) L’histoire et même la philosophie et les lois s’écrivirent
dans le style figuré et exasérateur de la poësie jusqu’à Phérécide
de Scyros qui, vers l’an 650 avant J.-C, , écrivit le premier
en prose. Cent ans après, Hérodote passa pour Île père de
l’histoire , parce qu’il l’'écrivit de même en prose, en com-
niènçant à Phistoire de Cyrus. Tout ce qui est antérieur est
fabuleux et négligé par Hérodote. | |
MÉMOIRES. 219.
en. voir les côtes dans le. calme ; ua si- petit obstacle ne.
pouvait donc arrêter Hercule ou son fils Galates, jaloux
d'augmenter les pays de sa domination ; il n'arrêta pas.
même (César qui résolut de passer dans la Bretagne,
parce que c'était de-là que les Gaulois, à. raison de-
lear ancienne parenié, tiraient des. secaurs contre les.
Romains. 0
Il dit même que peu de. tems avant son expédition,
Divitiacus, Roi de Beauvais, et le plus. puissant, Prince
des Gaules, régnait sur une partie de la Bretagne, et
qu’alors même Comius, Roi des Atréhates., y jouissait,
d’une grande autorité, et.c'est pour cela qu'il y fut
gnvoyé afin de disposer les Bretons à se soumettre aux
Romains. C'est que les Belges après avoir peuplé la .
Bretagne n'avaient pas cessé. de la fréquenter. César dit
en effet, que l’intérieur du pays éiait habité par des
peuples qui y étaient nés, maïs que les Belges qui
portaient encore les noms des cités d'où ils étaient
sortis en occupaient les côtes et y cultivaient les terres
* que les Bretons laissaient en friche, parce que la plu-
part ne cultivaient pas de bled, ne vivant que de lait
et de chair et se couvrant de peaux; (1) toute l’Eu-
EEE
(x) Les Bretons étaient plus barbares que les Gaulois , qui,
syant des manufactures de draps, étaient en commerce avec
jes Grecs de Marteille, et avec les Romains. Les bretons,
au contraire , entièrement séparés des autres peuples, ne voyaient
d’autres marchands que des Belges, intéressés à écarter tous
les autres. C’est à cause du défaut de commerce que les Bretons
n’avaient pour monnaie que des morceaux de cuivre ou de fer
pesés, et qwils allaient presque nuds. Quoiqu'ils enssent la
même religion que les Gaulois , leurs mœurs étaient très-diffé-
reutes, et plus ressemblantes à celle des Gothsou Messagettes ,
220 | MÉMOIRES.
rope ne fut donc peuplée d’abord que par des Celtes
cu Gaulois qui probablement étaient déjà passés en
Angleterre avant la dissolution de leur empire; en effet,
César dit, que les Gaulois de son tems, qui voulaient
‘acquérir une .connaiïssance profonde de leur religion,
allaient encore létudier dans la Bretagne, parce que
sans doute les Druïdes, qui cherchaïent la retraite, y
avaient d’abord établi leurs principales écoles et même
leurs mystères secrets : car c'est des mystères Gaulois
établis dans la Grande-Bretagne, que parle un ancien
quand il dit: Znitiantur gentes terrarum ultimæ. Strabon
nous apprend aussi, d’après Artémidore, qu’il y avait une
île près de la Bretagne où l’on célébrait, en l'honneur
de Cérès et de Proserpine , les mêmes fêtes que celles qui
étaient en usage dans la Samothrace. Proserpine était
dont les femmes étaient communes entre eux , quoique, selon
Heroedote , ils fussent obligés de se marier ; car César , témoin
oculaire, dit: que les Bretons formaient des sociétés de 10 ou
32 hommes, qui avaient fleurs femmes en commun, surtout
entre frères et parens , mazimé fratres cum fratribus et parentes
cum liberis. Les enfans appartenaient à celui qui d’abord avait
épousé la femme. Comme cette communauté de femmes entre
Jes frères est encore en vigueur au Thibet , il faut qu’elle y
ait été portée par les Gêtes qui, du tems de Strabon, profes
snient déjà la religion des Lamas , et regardaient leur Grand-
Prêtre comme un Dieu, apud Getas Sacerdos Deus dicitur, dit
Strabon. | |
Cependaet les Gaulois avaient aussi conservé quelques mœurs
Scythes: ils avaient droit de vie et de mort sur leurs femmes.
Teurs funérailles étaient mognifiques, On brülait avec eux les
esclaves et clients qu’ils aimaient, enfin, dit César, on jettait
aussi dans Je feu tout ce qui avait paru chez eux vivans,
méme les animaux.
MÉMOIRES. 221
effectivement une divinité que les Celtes avaient apportée
ävec eux des pays les plus septentrionaux, puisqu’elle
passait six mois entiers dans les enfers avec Pluton et six
mois dans le ciel avec samère , ce qui indique sans équivoque
le climat où il n’y a qu’un jour et qu’une nuit de six mois,
Les Bretons. étaient donc Gaulois ‘et même Belges
d'origine, Ils avaient la même religion , les mêmes Prêtres
que les Gaulois, et par conséquent le même gouverne-
ment, qui parait avoir été d'abord théocratique, à en
juger par Île pouvoir qu’avaient conservé” les Druides.
(1) Mais l’empire trop étendu des Celtes s'étant dissous
(t)> Ils sont juges, dit César, dans presque toutes les
»* controverses tant publiques que privées, et si on commet
» un crime, un meurtre, s’il s’agit d’héritages ou de bornes,
n ils décident , ils puissent , ils récompensent ; enfin’ ils
» éloignent des autels ceux qui refusent de se soumettre à leur
n décision, ce qui est la plus terrible de-toutes les peines,
car ceux qui l’encourent passent pour scélérats et impies,
on ne leur rend plus la justice , et ils sont exclus de toute
société. Les Druïdes président à la religion et à tous les
sacrifices. Ceux qui sont attaqués de maladies graves ou ex-
posés aux périls de fa guerre offrent des sacrifices humains,
ou font vœu d'en offrir, parce que, selon leurs Druïdes, la
divinité exige vie pour vie. Ils ont d'immenses simulacres
d’osiers qu’ils remplissent d'hommes vivans et auxquels on
met Je feu pour les étouffer. Ils préfèrent sacrifier ceux
qui sont surpris à voler ou à commettre d’autres crimes ;
mais quand ces sortes de victimes manquent , on sacrifie des
innocents. n» lls sacrifiaient aussi sur de grands autels de
pierre, dont il en reste un à Verdrel , commune, de Frenicourt,
avec un bassin de pierre piqué qui a dû servir à recevoir Île
sang des victimes, «
Pour compenser le mal que je viens de dire des Druïdes,
j'ajouterai , à leur bopueur, que Strabon assure que toute
SRE CC EE
222 MÉMOIRES.
par l’indépendance des chefs, déjà chargés de rendre 2
justice en chaque cité, ils s’emparèrent de la souveraine
puissance. On sent que les Druïdes, qui étaient en posses<
sion de Pexercer , durent s'opposer à eette entreprise des
Princes et ne céder qu'autant qu'ils y étaient forcés.
Aussi conservèrent-ils la plus grande partie du pouvoir ,
et ce ne fut pas sans ruse et peut-être sans viokence
que les chefs en emportèrent une portion , car on voit
qu'ils furent obligés de se dire nobles, c'est-à-dire, de
race divine , (1) et que ce ne fut que comme descen-
_ 2
Cr Fr" -
J’antiquité vantait leur sagesse et leur justice, de horum jus—
titi summa est opinio ; que Diogene Laërce les compare aux
prêtres Egyptiens, Caldéens et Indiens, et que, selon César, |
ils cultivaient encore l'astronomie de son tems ; enfin que
sclon Pomponius Méla, ils faisaient profession de connaître
sant la grandeur que la forme du monde et de la terre, les
divers mouvemens du ciel et des astres , et la volonté des Dieux,
Dans les tems antérieurs, les Druïdes d'Islande peuvent avoir fait
des progrès dans l’astronomie puisqu'ils avaient J’usage des lu-
nettes; car, Diodore de Sicile dit, d’après Hécatée, que les
Druïdes d’une île septentrionale un peu plus grande que la
Sicile, située vis-à-vis des Celtes, habitée par ceux que les
Grecs appellent Hyperboréens, et consacrée à Apollon, faisaient
voir Ja lune de plus près et y découvraient des mentagnes ,
des mers, etc. D |
(1) L’ancienne histoire des Celtes n'ayant jamais été écrite,
on ne peut voir comment les chefs parvinrent à se faire passer
pour nobles et seuls dignes de commander aux autres ; mais
nous voyons comment les Kans des Scythes et des Tartares,
qui étaient les frères des Celtes, s’y prirent pour établir leur
noblesse et leur souveraineté; Hérodote et Diodore de Sicile
nous. disent qu’ils se prétendaient issus d’uge vierge qui depuis
le bas de la poitrine ressemblait à un serpent et qui accoucha
par prodige, ou après avoir eu commerce avec Hercule; d’un
MÉMOIRES. : _ 243
dans d’Hercule qu'ils entrèrent en part de Pautorité ,
laquelle avait été auparavant attribuée toute entière à
Hercule et exercée. par les Prêtres ses ministres. Quoiqu'il
en soit, ce n’était que dans les familles nobles que les
Celtes ou Gaulois pouvaient choisir leurs chefs qui parois-
sent avoir communiqué.leur noblesse à ceux qui Îles
accompagnaient à la guerre et qui ne connaissaient que
cette profession; » Dans toutes les Gaules, dit César,
» il n’y avait que deux espèces d'hommes considérés :
enfant nommé Scyithe. Marc-Paul , qui voyagea en Tartarie et
à la Chine au 12° siècle , rapporte aussi que la mère de Gen
giskan fat une vicrge qui devint grasse d’un reyan du soleil;
de-là vint que Gengis et ses successeurs passèrent pour fils de
Pieu. Le Pape lanocent IV, ayant enveyé frère Ascelin en amw-
bassade à Batuu-kan , fils de Gengis, et ce moine ayant dit qu’il
venait de la part du Vicaire de Dieu, le visit répondit: ce
vicaire ignore=t-il qu’il doit des hommages et des tributs au
fits de Dieu, le grand Batou-kan, son maître ? Abuïghosi,
historien des Mogels qui conquirent la Chrne leur donne à pee
près la même origine , et l'Empereur de la Chine Tien-Long,
de la race des Tartares Mancheoux , dans son poème de Mouckden,
traduit par le Jésuite Amiot, prétend descendre en ligne directe
de la vierge Céleste, sœur cadette de Dieu, laquelle devint enceinte
pour avoir mangé d’un fruit rouge. C’est que chez les Mytho-
logues la vierge Céleste Iris ou Cérès était la mère du Soleil et
de tous les Souverains qui ont voulu se faire passer pour les frères
ou les fils du Soleil dags PAtlantide, en Egypte, en Seythie,
à la Chine et jusqu’au Pérou; de-là vient que Fo-hi, premier
Kmpereur de Ja Chine, et appellé Fanfur selon les mission-
paires, avait une queue de serpent, ce qui le faisait ressembler
à la vierge Céleste, sa mère, qui sur nos globes et ailleurs
est toujours représentée comme entourée de serpents, parce qu’elle
est au dessus de la constellation de FÉySe et à côté de eœæelle
due serpent d'Ophiuous,
224 MÉMOIRES.
‘» les Druïdes.et les Nobles ; parce que le peuple y était.
# nul, n’osant rien par lui-même et n'étant consulté
» sur rien. La plupart écrasés de dettes ou de tributs,
« ou même forcés par les violences des grands , se rendent
» esclaves des Nobles, qui ont sur eux les mêmes, droits
». que les maîtres ont sur leurs esclaves. Les Nobles,
» continue César, ne s'appliquent qu'à la guerre et la
» font presque tous les ans, soit pour repousser une
» injure, soit pour en faire une; car ils vivent de
» butin, et se font suivre par des clients qui s’attachent
» à eux dans l'espérance de partager les dépouilles de
» leurs ennemis. » Tacite, dans le livre qu'il a composé
sur les mœurs des Germains qui avaient fait partie de
Vempire des Celtes, leur attribue presque le même
gouvernement et la coutume de choisir leurs Rois parmi
les plus nobles , et leurs Généraux parmi les plus vaillans.
Reges ex nobilitate , duces ex. virtute sumunt. I] leur
donne aussi des compagnons ou des clients qui les
suivaient à la guerre et qui s’attachaient à eux pour
la vie et pour la mort. César, faisant le parallèle des
Germains et des Gaulois, représente les premiers comme
plus agrestes et plus sauvages, parce que, comme les
Bretons, ils étaient plus éloignés des péuples policés :
» Ils passent tout leur tems, dit-il, à la guerre et à
» la chasse et s’habituent dès l’enfance à une vie dure,
» allant presque nuds et se baignant pêle-mêle avec les
» femmes. Ils ne se livraient pas à l’agriculture, mais
» la plupart vivaient de lait, de fromage et de chair.
» Personne n'avait de terres et de limites qui lui fussent
» propres, parce que les Princes et les Magistrats donnaient
» aux particuliers les portions de terre qu’ils voulaient ,
_» dans les lieux qu’ils voulaient, et les obligeatent
ES
MÉMOIRES. 225
» l’année suivante de passer ailleurs , de peur, disaient-
» ils, qu’on ne bâtit des maisons pour se garantirdu froid
et du chaud, qu’on ne vint à préférer l’agriculture
-» à la guerre, que les puissans ne dépouillassent les
.» faibles, et enfin pour maintenir la paix par l'égalité
» des. fortunes , les Princes même n'ayant au dessus
.» des autres, que ce qu'ils pouvaient enlever aux peuplades
# voisines ; car ils se croyaient permis de piller leurs
h voisins, croyant , avec les Scythes, que tout était
au plus fort ou au plus vaillant, et regardaïent cet
‘» exercice comme propre à occuper honorablement leur
-» jeunesse. Pour la guerre ils se choisissent des chefs
» particuliers qui ont droit de vie et de ‘mort; mais,
» dans la paix, ils n’ont aucun Magistrat commun ;
‘» les Princes des cantons et des villages y’ rendent la
» justice. Quand quelqu'un d'eux propose une expédition
» il est suivi de tous ceux qui approuvent son dessein.
» Malgré cet esprit de violence , les Germains sont très-
» religieux observateurs de l’hospitalité. Toutes les maisons
” sont ouvertes äux étrangers, et on leur fournit le
-» nécessaire. Jadis les Gaulois surpassaient les Germains
» en valeur et envoyaient chez eux des colonies pour
» défricher les terres les plus fertiles autour de la forêt
‘» Hircinie; (1} elles y existent encore, continue César,
» avec la même réputation de justice’ et de valeur,
» parce qu'ils vivent comme les Germains; mais les
» Gaulois, amollis par toutes les commodités qu'ils tirent
» de la mer, n’osent plus se comparer aux Germains. »
EE nn
(1)1l suit de-là, que les Gaulois simaient l’agriculture,
puisqu'ils passaient en Bretagne et en Germanie pour y cultiver
les terres.en friche. :
22 MÉéMOTRES.
_ Cependant César rend encore justice à Ja bravoure des
Gaplois, qui ne le cédaient anx Romains que du eoté
de la discipline, e
“H' reconnait qu'ils. ne chitostsal pas Fr mort, parce
qu'on leur enseignait que les ames ne mouraient pas,
mais. qu’elles pasmaient d'un. corps dans un autre.
César assure aussi que. de son lems les Germains
avaient une religion très-différente de celle des Gaulois;
‘eas ils n'avaient ni les. mêmes prêtres ni les mêmes
sacrifices, ni, selon lui, les mêmes dieux. » Les Ger-
.» mains, dit-il,.ne connaissent d’autres dieux que eux
.æ. qu'ils. voyent et dont ils reçoivent manifestement. les
«faveurs ; le soleil, à lune- et le feu ou Vulcain; mais
‘» qu'ils n'avaient, pas même entendu parler des autres.»
C'étaient. cependant dans le fond les mêmes dieux, les
astres et les élémens, tels à+pau près qu'ils étaient aderés.
par Les Persans , sans temples.et sans idoles ow repré
séntations. Toutela différence est, que Les Gaulais u’avaient
point encore totalement enblié leurs fables sacrées et
allégoriques, parce'qu'ils contipusient de eultiver l'as
tronomie, qu'ils se servaient de. symboles. et avaient
gardé leurs Druïdes, au lieu qne les Germains plus amou-
reux de leur Liberté s'étaient défaits de ces prêtres tyran-
niques, ou n’en avaient jamais eu; 6ar, du tems de
César , les habitans de la Germanie-étaient mêlés de Celtes
et de Scythes, parce qu'après l’entier desséchement des
eaux qui les avaient séparé les unset les autres, ils durent
se mêler et se communiquer peut-être leurs mœurs et
leur religion. Ce qu'il y a dé certain, c'est que parmi
‘ces nuées de barbares qui, depuis César, envahirent
l'Empire Romain, Les uns étaient Celtes, et les autres
étaient Scythes. LE n’est guères parlé.de leurs prètress
MÉMOIRES. £a
et ils étaient si peu ‘attachés à fleur religion qu’ils em-
brassèrent aussitôt le christianisme. Il n'est pas moins
constant que beaucoup de hordes Scythes et Tartares
n'avaient pas de prêtres, parce que leurs souverains,
comme: on le voit encore à la Chine, étaient en pos-
session d'offrir les sacrifices. Ainsi, quoique Îles anciens
Germains eussent eu la même religion que les Gaulois
æteussent fait partie du grand Empire des Celtes, dont
Arras était la Capitale, il n'en est pas de même des
Germains qui ont été connus de César.
Au reste on ne connait pas la durée de cet Empire .
parce que l'histoire des Celtes où Gaulois, comme celle
-de tous les anciens jieuples, n’était écrite, ainsi que le
remarque César, qu’en poëmes ou canliques que tes Draïdes
faisaient apprendre à leurs disciples , sans leur permettre
de les écrire. On voit seulement que du tems de César |
les Gaules étaient partagées en quantité de Souverainetés
indépendantes, que les Romains conquirent l’ane après
l'autre; de sorte que le nom de Celtique ne fut plus
donné qu’à la Gaule, et fut même ensuile réservé à
quelques-unes de ses provinces, quoique l'Espagne ait
toujours conservé le nom de Celtibéric , même après que:
les Carthaginoïis et les Romains s’en furent: emparés.
Ces derniers furent ‘dépouillés par les Francs, autre
Nation germaine, dont l'Empire fut, à différentes époques »
presqu’aussi vaste que celui d’Hercule; car Charlemagne
l'étendit d’un côté sur les Saxons, et de l'autre sur Îles
Sarrasins d'Espagne ; et de nos jours , les victoires de nos
guerriers avaient imposé la domination française à l’'Eu-
rope presque toute entière.
ss .: ne
228 MÉMorreEs:
SA EEE
TRADUCTION
DE L'ÉGLOGUE QUATRIÈME.
Sicelides musæ pauld majora canamus, etc. .
Par M. Aug. CoT, Membre résident.
Mis, venez encore présider à mes chants;
Haussons un peu la voix ; tous n'aiment pas les champs.
Si je vante des bois l’asile solitaire,
Que dignes d’un Consul, les bois sachent lui plaire. .
L'âge que la Sybile a prédit autrefois
Commence enfin pour nous sous de plus douces lois;.
Saturne de nouveau va régner sur la terre ;
Déjà revient Astrée et tout se régénère.
Nos destins sont changés, nos malheurs vont finir,
Nous n’entrevoyons plus qu’un heureux avenir.
Lucine ! daigne aussi combler notre espérance ;
D'un enfant adoré: protège la naissance.
L'âge de fer fait place aux jours de l’âge d’or,
Sur des sujets heureux Apollon règne encor.
. Pollion, c’est sous toi que ce bonheur commence;
De nos crimes passés perdant la souvenance, | :
La terre pour toujours se lève au doux espoir.
Enfant chéri des, Dieux, on le verra s’asseoir
Au milieu des Héros; et gouverner la terre
Reconnaissante encor des vertus de son père!
Aimable enfant! déjà l'Univers te sourit,
Lacanthe vient sans soins et le baccor fleurit ;
Partout pousse le lisrre , et la brebis bélante,
Ne craint plus du lion l'approche menaçante.
MÉMOIRES. 220
- Chaque soir à l’étable, et l’hiver et léte,
La chèvre t'offrira son laitage argenté.
Les plantes et les fleurs qu’un doux éclat décore,
Autour de ton berceau vont s’empresser d’éclore ;
Bientôt disparaîtra le serpent dangereux,
L'Aconit pour toujours perd ses sucs vénéneux.
Et partout va fleurir l’amome parfumée.
Par l’âge plus instruit, lorsque la renommée,
T'aura de tes ayeux révélé les vertus,
On verra de moissons les sillons revétus ;
Les raisins aux buissons mûriront sans culture,
Et du chéne , le miel perçant lécorce dure,
En flots d’or coulera dans tes heureuses maïns.
Quelques restes impurs des crimes des humains
Les forceront encor à bâtir des murailles ;
Peut-être verra-t-on de nouvelles batailles,
Alors le soc ‘tranchant ouvrira les guérêts ;
Avec peine on aura les trésors de Cérès ;
D’Amphitrite, bravant les chances incertaines,
Des guerriers , de la mer sillonneront les plaines
Et près d’une autre Troye, un Achille nouveau;
Fera descendre encore un Hector au tombeau.
Mais, une fois sorti d’une douce jeunesse,
Lorsque tu connaîtras les lois de la sagesse ,
L'avide Nautonnier affrontant les darigers-
N'ira plus trafiquer sur des bords étrangers,
Egale dans ses dons une terre féconde,
De ses trésors toujours enrichis-en le monde ;
Sans soins, la vigne alors nous donnera son fruit;
Le soc dans les vallons ne sera plus conduit ;
Le Laboureur verra dans un gras pâturage
Ses Bœufs libres du joug en repos sous l’ombrage.
230 MÉMOIRES.
La laine précieuse à notre œil enchanté
N'osera plus offrir un éclat emprunté ;
Des Béliers, dans nos prés, la toison éclatante
Charmera nos regards d’une pourpre brillante ,
Et la jeune toison de nos agneaux chéris
Aura du vermillon le riche coloris.
La Parque à ses fuseaux répélait avec joie,
« Courez, filez pour lui des jours d’or et de joie,
« Tachez de prolonger un si fortuné sort. »
La Parque et le destin furent toujours d’accord ,
{lustre rejetton du maître du tonnerre,
Sur son axe éternel, vois s’agiter la terre
Tout ressent le bonheur ; vois la terre et les cieux
Pour un siècle si beau tressaillir sous tes yeux.
Si le destin accorde à mon ame ravie
De chanter les hauts faits qui marqueront ta vie,
Et si ma voix résiste à l’outrage des ans,
Je pourrai vaincre Orphée et Linus par mes chants;
De ce dernier pourtant Calliope est la mère
Et l’on sait que d’Orphée Apollon est le père.
Je pourrais au combat par des accents nouveaux
De Pan même effacer les accords les plus beaux ;
Ce Dieu qui des chansons a mérité la gloire
En Arcadie encor avoürait ma victoire.
Commence jeune enfant, qu’un aimable souris
Des douleurs de ta mère en naissant soit le prix,
Pendant près de dix mois tu causas sa souffrance.
Commence jeune enfant, que ta reconnaissance,
Procure à tes parens des jours délicieux
Et rends-toi digne ainsi du noble rang des Dieux.
MÉMOIRES, 251
VEUVE UE VAI VULEURA LV
Lis
DESCRIPTION HYUROGRAPHIQUE
| DES PROVINCES
DE BENY-SOUEYF ET DU FAYOUM;
| EN EGYPTE; |
Par P. D. MARTIN, Ingénieur au Corps royal
des Pons et Chaussées , Membre résident.
L. provinces de Beny-Soueyf et du Fayoum, situées
‘dans la partie de l'Égypte désignée autrefois sous le
nom d'/Zeptanomide , et connue aujourd’hui sous celui
d'Ouestäny ou Égypte du mil'eu, présentent un grand
intérêt sous le rapport de leur chorographie, qui a été,
jusqu'à nos jours, le sujet d’une controverse dans laquelle
les opinions de nos plus illustres géographes n'ont jamais
pu s’accorder,
Les descriptions que les anciens nous ont laissées de
_ces deux provinces ,; sont tout-à-fait différentes de celles
qu'ont données les voyageurs et les critiques modernes
des plus connus jusqu’à la fin du xvitr® siècle; et
pour vouloir concilier ces différences, on est souvent
tombé dans des erreurs très-graves.
Le but de la Commission des sciences et arts devait
être, en arrivant en Égypte, de faire disparaître toutes
ces incertitudes , et de fixer enfin d’une manière inva-
riable l'opinion que l’on doit avoir du génie et de Îa
puissance des anciens Égyptiens, d’après des autorités
aussi recommandables que celle d’Hérodote , de Strabon,
‘de Diodore , de Ptolémée , etc. ,etc., autorités qu'il était
impossible de rejeter, et nu de taxer de légéreté,
L GO" Lis, | aG «
232 MÉMOIRES.
Plusieurs membres de cette Commission se rendirent,
en conséquence, à Beny- Soueyf et dans le Fayoum,
aussitôt qu'ils parent entrevoir les occasions favorables
pour faire des incursions. MM. Jomard et Girard. dé-
ployèrent un .zèle infatigable dans leurs recherches , dont :
ils présentèrent. bientôt les résultats à l’Institut du Kaire,
= Le premier entreprit de démontrer l'identité des descrip-
tions du lac de Moœæris données par Hérodote, Diodore et
Strabon, et il prouva jusqu’à l'évidence que ces auteurs
avaient eu en vue, dans leurs récits, le lac connu
aujourd'hui sous le nom de Birket - Qeroun, qui seul
satisfait aux conditions énoncées (1).
M. Girard s'attacha plus particulièrement à la description
du Fayoum actuel sous le rapport de l’agriculture et du
commerce ; mais, en traitant ces matières avec la sagacité
et les connaissances profondes qui caractérisent tous ses
ouvrages , il resta étranger à la discussion de l’ancienne
topographie.
Le savant Mémoire de M. Jomard avait, à la vérité,
fait disparaître toutes les incertitudes; on était assuré de
Ja vraie position du lac de Mœris , de celle du labyrinthe,
et d’Arsinoés on avait reconnu la faiblesse des bases sur
lesquelles reposaient les hypothèses de d’Anville et de
Gibert: on ne pouvait plus voir le lac de MϾris, ni
dans des champs toujours cultivés, tels que les Bathen,
ui dans une branche sinueuse du Nil à qui l'on a donné
Je nom de canal de Joseph , et qui suffit à peine à Ia
navigation de quelques légères barques. Mais M. Jomard
n'avait. jusque-là combattu d’Anville et Gibert qu’avéc
Ne
, (1) Voyez le Mémoire sur le lac de Moœris, par E Jomard.
” Antiquités-Mémoires , pag. 79. Description de l'Égypte. ,
MÉMOIRES, 233
des armes qui pouvaient laisser encore quelques prétextes
à l’iucrédalité. D’Anville avait, à l'appui de son opinion,
dressé une carte dans laquelle, tout en se prononçant
pour le Bathen , d’après les assertions du P. Sicard, il
avait cependant laissé la question indécise en appelant
ce Bathen le Mœæris d’Hérodote et de Diodore , et donnant
au Birket-OQeroun le nom de MoϾris selon Strabon et
Ptolémée. Pour fixer les incertitudes, il fallait parcourir
la partie septentrionale du Birket, et ne plus en tracer
la direction et l'étendue sur de simples descriptions.
Malheureusement , il avait été impossible à MM. Jomard
et Girard d'entreprendre cette reconnaissance : à l’époque
où ils avaient parcouru ces provinees , l'Égypte, encore
incertaine de son sort, ne permettait aux Français
observateurs de parcourir et visiter le pays qu’à la suite
des corps d'armée chargés d’en assurer la conquête; ne
pouvant donc diriger leurs mouvemens avec toute la:
liberté nécessaire à des opérations d’une grande étendue,
ils ne s'étaient encore occupés que de la géographie
astronomique , de l’étendue des monumens et de leur
topographie. | |
La brillante victoire d’Héliopolis et la reprise du
Kaire, en 1800, avaient enfin rétabli le calme en
Égypte. La facilité avec laquelle on avait détruit les
efforts des Ottomans, regardés dans le pays comme les
seuls ennemis redoutables, paraissait avoir familiarisé
les Égyptiens avec l’idée de ne plus voir dans les Français
que des maîtres inexpugnables dans leur conquête : ils
s’accommodaient déjà à leurs mœurs douces et sociableg,
allaient au-devant de leurs desirs, et aplanissaient Îles.
obstacles qui s’opposaient À ce qu’ils parcourussent le
- pays seuls et avec sécurité. Les membres de la Com-
/
254 _. M£MoIREs.
mission des sciences et arts s’empressèrent de saisir.
cette circonstance favorable , et se répandirent dans les
Heux les plus déserts -et les plus inconnus , pour ajouter
à leurs découvertes et pour confirmer les résultats de
leurs recherches antérieures. Ce fut alors que l’on fit
des voyages au mont Sinaï, dans la vallée de l’Égare-
ment, à la tour des Arabes; que l’on concut le projet
de visiter les Oasis, d'aller dans l’Abyssinie; et que
Von -put enfin s’occuper avec succès des détails choro-
graphiques de l'Égypte.
-Chargés plus particulièrement de tout ce qui concerne
ke système hydraulique sur lequel repose l’existence ‘de
VÉgypte, les ingénieurs des ponts et chaussées s’occu-
ptrent exclusivement du régime du Nil, et des canaux
de navigation, d'arrosage et de desséchement. Les deux
provinces de Behneseh et du Fayoum furent mon partage,
et je me rendis à Beny-Soueyf vers la fin de D En
an 8 ( mi-juillet 1800 }).
Je ne me dissimulais pas combien -ma tâche était
grande et difficile à remplir : maïs, enflammé par l’im-.
portance de ses résultats, je supposai que l’ardeur et le
courage suppléeraient à mon insuffisance , et je pris la
ferme résolution de parcourir ces provinces dans toutes
leurs parties, et d'y lever des cartes détaillées autant
qu'il me serait possible de Île faire; je me proposai sur.
tout de faire le tour de ce lac de Mæris, qu'aucun.
voyageur ancien où moderne n'avait encore fait, et de
fixer. par-là les idées sur sa forme, son étendue, et
l'usage auquel on assurait qu'il avait été Employé dans :
Vantiquité. LE
L'histoire cile avec complaisance les époques et les
hommes par les ordres desquels ont été exécutés les travaux .
#
MÉMOIRES, 253
qui ont amélioré l’agriculture en Égypte; la postérité paye
à leurs noms le juste tribut de. reconnaissance et d’éloge
qui leur est dù. Quel avantage pour ma patrie, me
disais-je, si , de pareils travaux étant exécutés, l’Egvpte doit:
rester colonie Française! et quelle gloire pour les Fran-
çais, s'ils n'ont travaillé que pour le bien de l'humanité!
Je présente ici le détail de mes recherches et de mes
efforts pour parvenir au but que je m'étais proposé. Ce
détail servira de texte. pour l'explication des cartes que
j'ai dressées , et qui font partie de l’Atlas géographique (1).
I se divise en deux sections : dans l’une, je donnerai la
description de Ja province de Beny-Soueyf, et dans l’autre,
la description de celle du Fayoum:
SRCTION 1
Province de Beny = Soueyf.
Quelques jours après mon arrivée à Beny-Soueyf, où
je trouvai dans le général Zayonchek ; commandant de la
province, (aujourd’hui vice-roi de Pologne, ) un ami zélé
des sciences, qui s’empressa de mettre à ma disposition
tous les moyens nécessaires pour faciliter mes opérations ,
je commençai par dresser plusieurs grands triangles, au
moyen desquels je réunis trigonométriquement les villages
de Beny-Soueyf et de Bouch avec un gran pic du Moqa-
tam, qui s’élève sur le bord oriental du Nil, et la pyramide
que l’on voit à l'entrée du Fayoum. Je levai ensuite, par
les méthodes topographiques ordinaires , les détails du nord
de la province que j’attachai à cette charpente trigonomé-
frique , à peu près visible de tous les points.
_ Ainsi que dans la presque totalité de la haute Egypte,
- (1) Voyez les cartes numéros 18, 19, 20 et 21, dans
PAtlas topographique de la description de l'Égypte.
236 MÉMOIRES.
Je Nil éoule au pied de la montagne Arabique , sur toute
Ja longueur de la province de Beny-Soueyf. La partie
occidentale , qui est la seule cultivable , est diviste na-
turellement , dans sa largeur , en deux portions distinctes
pour l'irrigation. La première , qui commence au bord
du Nil, est plus élevée que les grandes eaux , sur environ
deux kilomètres de largeur: elle est arrosée par plusieurs
petits canaux particuliers à chaque village ; on emploie
Je secours des bras et des machines pour en élever l’eau
et la répandre sur les terres. La seconde portion, qui
s'étend ensuite jusqu’au pied des montagnes désertes qui
séparent l'Égypte du Fayoum, est disposée pour ses
pentes sur deux plans dont la direction est à peu près.
perpendiculaire de l’un à l’autre, d’abord à l’ouest, et
evsuite au nord, suivant la pente des eaux du fleuve.
Je n’entreprendrai point d'expliquer la cause de cette
différence de niveau entre ces ‘deux parties de la vallée ;
elle a été suffisamment developpée dans le Mémoire de
M, Girard sur l’agriculture de la haute Egvpte (1). Ces
deux pentes sont. tellement sensibles , que le sol se trouve
au moins à deux mètres au-dessous des hautes eaux
pendant l’inondalion ; et la campagne présente , à cette
époque , l'aspect d’une vaste mer. Une disposition aussi
favorable rend inutiles tous les travaux mécaniques pour
V'arrosement : mais elle nécessite de grands ouvrages
pour conserver les caux pendant le tems nécessaire à la
festilisation ; car la pente au nord, les entraînant avec
Ja même rapidité que celle du flenve lors de sa décrois-
sance , les empêche de séjourner assez long-lemps sur
les terres.
|
(1) Vuyez'la Décade Egyptenne, fom. III, pag. 30,31ef 32»
4
MÉMOIRES.- 237
Pour obvier à cet inconvénient , on a construit dans
la largeur de cette partie de l'Egypte , et à des distances
déterminées par les localités, des digues en terre, qui
s'appuient, d’un côté, aux montagnes dans toute leur
hauteur, et, de l’autre, viennent mourir à zéro vers
les terres élevées sur le bord du Nil. Ces digues font
refluer l’eau jusqu’au niveau des parties supérieures, et
les conservent ainsi jusqu’à ce que les terres saturées
permettent de les laisser s’écouler par des coupures que
l'on y pratique. |
Ces ouvrages sont donc dune importance majeure dans
le système d'irrigation : leur existence combinée avec celle
des canaux a dù dans tous les temps exciter l’attention
des gouverneurs. On les distingue en grandes, moyennes
et petites digues. Les grandes sont construites sur la
largeur entière de la vallée ; on en compte onze dans
Ja province de Beny-Soueyf. L'une des plus considéra-
bles , qui porte le nom d’Oukchecky , est située à environ
2 miriamètres au nord de Beny-Soueyf: elle commence
d’un côté vers le Nil, au sud des villages de Zäouy et
de Masloub, passe au nord des villages de Quemen el-
A’rons et de Begyg , et va s'appuyer au désert, touchant
presque les villages d'Ouboueyt et de Koum-Abourädy.
La plaine pour laquelle elle a été construite se termine
vers les villages de Behäbchyn, Dallàs, Zeytoun, etc.,
et comprend une superficie d'environ dix mille hectares,
sur laquelle sont répartis dix-huit villages. |
Les autres grandes digues sont celles de Behäbchyn ,
Safanyeb , Saft-rachyn, el-Noueyreh, Choubak , Ehoueh,
Badahal ou el-Chantour, Samalout, Menbâlet Bardanouäh.
Les moyennes digues , qui n’intéressent que quelques
territoires, partent ou des bords du Nil, ou des grandes
258 MÉMOIRES.
digues même, pour aller s'attacher à l’un des monticules
sur lesquels sont construits les villages.
Enfin les petites digues sont locales, et seulement
dans l’intérét de quelques girât ou portions de village.
_ La même disposition de pentes transversales de la vallée
a exigé deux espèces de canaux : les grands portent l’eau
sur la partie Ja plus occidentale , jusqu’au pied de la mon-
tagne ; et les petits, partait du Nil, ou formant rameau
sur les grands, se fermiuent au pied des monticules dis-
séminés sur la bar:le élevée la pius rapprochée du fleuve:
© On pourrait penser, d’après cette disposition, que
les terres situées vers la moutagne sont toujours suscep-
tibles d’être arrosées naturellement au moyen des grands
canaux, quelles que soît la hauteur de la crue du fleuve,
puisque leur niveau est inférieur à celui des moindres
crues: mais il n’en est pas ainsi. Pour qu’elles soient
arrosées , il ne suffit pas que l’inondation arrive à leur
hauteur ; il faut qu’elle dépasse celle du fond des canaux
qui doivent porter l’eau dans ces vastes campagnes. Cette
condition ne peut être remplie que par les soins constans
‘’an gouvernement sage et éclairé ; et c’est un avantage
que les Égyptiens ne connaissent pas depuis bien des
siècles. Ces terres de l’ouest, si favorisées de la nature,
et sur lesquelles devraient toujours reposer les espérances
du reste de l'Égypte, sont les plus malheurenses ; elles
manquent totalement d’eau dans les crues faibles et ne
peuvent en recevoir qu’en très-petites quantités dans les
crues les plus fortes : l’exhaussement des canaux , causé par
? 4
V’abandon dans lequel on les a laïssés si long-tems, s'oppose
à l'écoulement des eaux dans res parties basses ; et ce n’est
que lorsque l’inondation a dépassé cet exhaussement, qu’el-
Jes descendent, pour ainsi dire , en cataracte, et couvrent
e
MÉMorREs. | 233
instantanément les terres sur une très-grande hauteur,
Je les ai vues à sec le 24 thermidor an 8 [12 août 1800]
et le 10 fructidor suivant [28 août]; jy ai mesuré une
hauteur d’eau de 2 mètres et demi vers le milieu, et de
3 mètres au pied du désert, tandis que la crue effective
du fleuve n'avait été pendant ce ne que d’un mètre
52 centimètres.
La crue de l’an 7 [r709], qui n'avait pu dépasser le
fond d'une grande partie de ces canaux, laissa près des
trois quarts des terres sans culture, ce qui porta le mal-
heur et la désolation dans une infinité de familles: tandis
que la hauteur des eaux était cependant bien au-dessus
du niveau de ces terres, sur lesquelles elles auraient
répandu la vie et l'abondance , si elles avaient trouvé des
ssues pour y couler.
Les grands canaux d'irrigation ne doivent donc pas
être considérés en Égypte comme de simples réservoirs
auxquels on fait des saignées de dérivation le long de
leur cours ; mais ce sont des routes ou des tuyaux qui
conduisent l’eau dans les parties les plus éloignées. Combien
il est done important que-ces routes ne soient pas obstruées,
€t que le fluide puisse les parcourir librement dès qu'il
a atteint une des extrémités! La moindre hauteur pos-
sible de cette extrémité vers le fleuve, et sa correspondance
par une ligne droite avec le point le plus bas des terres
intérieures , tel est le but qu’on doit se proposer dans
l'aménagement des canaux en Égypte. C'est vraisembla-
blement celui qu’aîteignit Ptolémée Épiphane dans les
travaux immenses qu'il exécuta , et pour lequel la triple
inscription du monument de Rosette a consacré son nom
parmi les bienfaiteurs de l'Égypte. Les gouverneurs avides
et barbares qui se sont succédés depuis ( sans en excepter
240 MÉMOIRES,
les Romains ), ont négligé cette branche essentielle de
l'économie politique. Heureux les Français s'ils eussent
pu, comme ils en avaient l'intention, réunir dans l’his-
toire Le souvenir de leur gouvernement avec celui du
prince dont je viens de parler !
Le nord de læ province de Beny - Soueyf est coupé
par plusieurs petits. canaux. dérivés du Nil; on n’y en
trouve qu’un seul grand, appelé Canal de Beny-A’dy,
du nom du village auprès duquel il passe. Ce canal a
généralement 25 mètres. de largeur, et je lui trouvai
2e mètres 5o centimètres de hauteur d’eau le 21 ther-
aidor an 8 ( g août 1800 ), jour où je l’ai parcouru.
_ H prend son origine au Nil, à :5 kilomètres de Beny-.
| Souevyf: les barques. peuvent y naviguer pendant environ
soixante jours, depuis le 15 août jusque vers le 15
octobre. Plusieurs petits canaux. s'embranchent sur ses.
deux rives pour arroser la première partie élevée de la
vallée. Vers Tamsé, le canal se divise en deux branches,
dont l’une va jusqu’à ee village, où se trouve un pont
en briques à trois arches, qui est da limite de là navi-
gation, et les eaux vont se perdre dans les terres au
pied de la montagne : l'autre partie fait quelques con-
tours, passe auprès des villages d’el-Häfer,. Abousyr ,
Menfast, Ouboueyt et Qemen , et, après avoir couvert
d’eau toute la plaine entre la digue Oukchechy au nord
et celle de Behäbchyn au sud, porte le trop-plein par
un déversoir pratiqué auprès du village de Ma’sarah el:
Khalyl, dans un bas-fond inculle entre deug montagnes
arides et désertes, d’où les eaux s'écoulent vers Le Bahr-
Yousef, et vont se jeter dans le on ea passant
sous.le pout d'Haouârab.
La partie sud de la province offre moins se eanaux
MÉMOIRES. . £4t
dérivés da Nil que la partie nord : mais elle est tout
aussi bien favorisée sous le rapport de l'irrigation : car
elle est sillonnée dans le sens de sa longueur par plu-
sieurs grands cauaux parallèles au cours du fleuve, et
qui, même dans Îles crues faibles, couvrent facilement
les bandes de terre qu'ils laissent entre eux. Les plus
considérables de ces canaux sont connus des géographes
sous les noms de Bahr- Yousef et de Bahr- Bathen,
et ont, par leur direction du sud au noïd, induit en
erreur les académiciens d’Anville et Gibert, qui les ont
pris pour le lac de MϾris.
Le Bahr-Yousef, que l’on a toujours représenté, dans
les cartes modernes de l'Égypte, comme un. canal creusé
sur des lignes droites dans une étendue d’environ trente-
six lieues, depuis Meylaouy jusqu'a son eutrée dans le
Fayoum, n'est autre chose qu’une ancienne branche
du Nil, tout aussi sinueuse que lui, et qui présente
aujourd'hui une largeur d'environ 100 mètres, La plus
grande largeur que je lui aie trouvée est de 140 mètres
entre le village d’el-Hazé et celui de Meuqgatyn, où je
l'ai mesuré. Cette branche côtoie le pied de la chaîne
Libyque, comme le fleuve côtoie celui de la chaîne
Arabique, et vient porler ses eaux. dans le Fayoum.
Partout son lit est plus bas que la plaine, dont le ni-
veau, ainsi que je l'ai déjà observé , est inférieur à celui
des eaux du fleuve ; mais, lors de l’inondation, le Bahr-
Yousef communique avec les autres canaux parallèles ,
et couvre avec eux les terres qui se trouvent entre lui
et le fleuve.
‘ Le nom de Bathen qu'on a improprement donné à
an canal, n'est point un nom propre ; il s'applique
généralement à presque tous les canaux qui parcourent
ba MÉMOIRES.
lintérieur des terres dans la direction du: sud au nord
(1). On appelle Bathen la partie des terres située entre
le Nil et la chaîne Lybique. Ce mot dérive de l'arabe
Bain, qui signifie milieu, ventre. C’est ainsi que l’on a
. traduit par les mots Ventre de la Vache la pointe du
Delta où les deux branches de Damiette et de Rosette
se séparent, pointe que les. Arabes appellent Bain el.
Bagarah.
Un nom plus particulier, ee plusieurs canaux
Je portent , est celui de Fyéd , qui distingue les grands
Bathen des petits. Le plus grand de tous ces fyâd Bathen,
%e seul qui ait pu induire eu erreur Granger, le P. Sicard
et d’Anville, n’a pas plas de six lieues de longueur. Son
origine sur le Nil est au village de Cheykh - Zayât, à
environ douze Heues au sud de Beny-Soueyf. 11 prend
ensuite son cours vers le nord-ouest, passe au nord et
à une lieue de Fechn, au bas du village de Beny-Saleh ;
de-là il va se perdre dans les terres , retenu par la digue
de Saft-rachyn. Dans l’inondation , la communication avee
Je -Bahr - Yousef se fait un peu au nord du village de
Mezourah. Il a environ 36 mètres dans sa plus grande
Hargeur : il n’y avait, au moment où jc l’ai sondé, le 20
frimaire an 9 [11 décembre: 1800], qu'environ un mètre
bo centimètres de proforideur d’eau , et sa superficie était
à 2 mètres 60 centimètres au - dessous du mveau de {a
plaine.
On voit plus au sud un autre Fyâd Batheh, dont
l'origine sur le Nil est entre le village de Nazlet-Abou-
(tr) FWovez le Mémoire sur le lac de Hans M
“Démoures , pee 79e |
MÉMOIRES 243
Esné et celui de Qalousaneh. Il passe au pied da village
de Matäyeh, où il se divise en deux branches , dont,
l'une à l’est devient petit bathen , et se perd, à deux,
lieues de là, dans les terres d'Abou-Girgeh ; l'autre, à,
l'ouest , communique pendant l'inondation avec le Bahr-
Yousef, au village d'el-Houeh: mais il n’a pas plus de
trois lieues de longueur.
L’'arrosement des' terres dans la province de Benvy- Soueyf
s'opère donc, comme dans toute la haute Égypte , par
une irrigation naturelle et par une irrigation artificielle,
avec cette différence que , dans la partie nord de cette
province, la pente à l’ouest se ‘prolongeant jusqu’à la
chaîne Libyque, l'irrigation naturelle a lieu. jusqu’au
pied de cette chaîne, tandis que , dans la partie sud,
le ‘profil de 13 vallée présente deux plans inclinés, par
tant l’un des bords du Nil et l’autre des bords de la
branche dite Bahr- Yous-f, pour venir former, à leur
rencontre dans l’intérieur des terres, un bas-fond ou
cunette qui, conservant les eaux plus long-temps que
dans les autres parties, porte, par ce motif, le nom
de Bahn Bathen, c’est-à-dire fleuve intérieur. Il suit aussi
de cette disposition que l'irrigation artificielle n’a lieu dans
la partie nord que sur la bande de terre rapprochée du Nil,
tandis que , dans la partie sud , elle a lieu sur les bords
du Nil et sur les bords du Bahr-Yousef.
Les méthodes employées pour ce genre d'irrigation
sont simples, et ne varient que lorsqu'on doit élever
l'eau à une plus ou moins grande hauteur. Ces méthodes
sont à peu près les mêmes dans toute l'Égypte, et ont
été décrites par plusieurs de mes collègues; mais j'ai fait
faire en ma présence des expérienres dont on ne sera.
peut-être pas fâché de trouver ici les résultats,
244 MÉMOIRES.
/ La méthode la plus simple de toutes est celle qui est
représentée fig. 4, pl, 6, É. w. vol. II. Deux hommes
adossés à une butte de terre soutiennent avec quatre
cordes et balancent un panier fait en forme de calotte
sphérique, dosier recouvert de cuir: ils puisent l’eau
avec ce panier à la volée, et la jetent par le même mou-
vement sur les terres. Le balancement, la prise et le
jet de l’eau sont réglés par un chant particulier, dont
on peut vair le mode dans le Mémoire de M. Villoteau
gur l’état actuel de l’art musical en Fgvpte (1). Cette
méthode n’est presque pas en usage dans la haute Égypte,
parce qu'elle ne suppose qu’une très-petite différence de
miveau entre Îles terres et la surface des eaux du fleuve ;
elle ne convient par cefte raison qu’à la basse Fgvpte,
où elle est très-usitée. On voit , au reste, que c’est celle :
qui est connue en Europe sous le nom de baquetage,
et que l’on emploie dans les épuisemens.
La seconde méthode, qui suppose une plus grande
différence de niveau, est très-commune dans toute Ix
haute Égypte. Elle consiste dans l'emploi d'une machine
appelée delot, qui est représentée fs. 1 ,2et3,pl. 6,
é. m. vol. II. C’est un levier en bois de 3 mètres de
longueur , dont le point d’appni est à un mètre d'une
des extrémités, et À un mètre 20 centimètres au-dessus
du sol. À l'extrémité la plus longue est attachée une
verge mobile de 2 mètres 65 centimètres de longueur,
au boul de laquelle se trouve, cemme dans la précédente
méthode , un panier en osier, rerouvert en cuir, et qui
se meut sur son axe. À l’autre extrémité da levier est
appliqué un rontre-poids en terre séchée, dont le but
(1) Foyes Etat moderne, Mémoires , 101n, Æ , page 733:
+
MÉMOIRES. 245
est de faciliter le mouvement d’ascension da panier. Un
homme chargé de la manœuvre de ce levier puise l’eau
et la verse sur les terres, ou dans an canal destiné à
l'y conduire. Les paniers ont 4o centimètres de diamètre
sur 25 centimètres de profondeur ; ïls élèvent environ
un centième de mètre cube d’eau. J'ai suivi plusieurs
fois la manœuvre de deux deloñ. Au premier, l’eau était
à 2 mètres 30 centimètres en contre-bas du sot: lou-
vrier levait soixante -quatre paniers en six minutes.
Au second, l’eau était à 2 mètres 60 centimètres en
contre-bas du sol, et l’ouvrier ne levait que cinquante
paniers en six minutes. Un seul homme ne travaille que
deux heures de suite; il est relevé par un autre qui
travaille pendant le même temps. Ainsi, en supposant
deux “hommes travaillant continuellement depuis le
lever du soleil jusqu’à son coucher, il faut environ
cinq jours pour arroser un feddân, qui comprend une
superficie de 5724 mètres carrés.
Le deloû est en usage pour les terres susceptibles d’être
semées en orge, dourah, froment, et autres graines
céréales ou oléagineuses ; mais il serait peut-être difficile
de l'appliquer à la culture du riz, des cannes à sucre,
de lindigo, etc., qui demandent une plus grande
quantité d’eau.
Les terres susceptibles de ce genre de culture sont
arrosées par une troisième machine, qui consiste en une
roue à pots, représentée p4 1ret r , #. M. vol. IF,
Arts et Métiers. Deux bœufs sont attelés à Pextrémité
d'un levier de 2 mètres oo centimètres de longueur,
au moyen duquel ils font tourner un arbre vertical, qui
porte an hérisson horizontal d’un mètre 45 centimètres
de rayon, dont les alluchons, au nombre de cinquante
246 MÉMOIRES.
six, engrènent une roue verticale dentée, de 80 centi-
mètres de rayon, armée de trente-six alluchons portant
20 centimètres de longueur. Son arbre tournant, qui
a 2 mètres 7o centimètres de longueur, porte, à l’autre
extrémité, une roue d'un mètre 20 centimètres de rayon,
autour de laquelle se meut, par l’effet de la rotation,
une échelle de corde portant dix-huit pots de terre cylin-
driques, placés à 50 centimètres de distance l’un de
Pautre. Ces pots montent l’eau au plus haut de la roue,
à 3 mètres 20 centimètres au - dessus de la surface du
fleuve , et la versent dans une auge d’où elle est conduite
sur les ierres par un petit canal.
La circonférence de, la route que suivent les bœufs,
est de 18 mètres 86 centimètres, et ils font cent cin-
quante tours par heure. Deux bœufs allant continuellement
travaillent pendant trois heures, au bout desquelles ils
sont relevés par deux autres bœufs qui travaillent encore
trois heures; de manière que quatre bœufs, se relevant
ainsi , travaillent chacun six heures par jour, et la roue
tourne pendant douze heures, ce qui produit dix-huit
cents tours en un jour. Le hérisson horizontal avant
cinquante-six alluchons, et la petite roue verticale en
ayant seulement trente-six, celle-ci fait un tour et cinq
neuviemes à chaque tour du hérisson ; elle fait donc deux
mille huit cents tours pendant qu’il en fait dix-huit cents.
Le diamètre de la roue qui porte les pots étant de 2 mètres
4o centimètres , la circonférence est de 7 mètres 54 cen-
timètres , tandis que celle de Féchelle des pots est de
9 mètres. Le nombre de leurs tours est donc en raison
inverse de leur circonférence , c’est-à-dire que. l'échelle
des pots en fait huit cent trente-sept et sept neuvièmes
pendant que la roue en fait mille. Mais nous avons vu
que
MÉMOIRES, 247
que celle-ci fait deux mille huit cents tours par jour ;
celle des pots en fait donc deux mille trois cents quarante-
six pendant le même temps. Les pots ont à peu près
16 centimètres de diamètre sur 26 centimètres de pro-
_ fondeur: leur capacité est donc d’un demi-centième de
mètre cube; ce qui produit, pour les dix-huit pots,
neuf centièmes de mètre cube à chaque tour, et pour
les deux mille trois cents quarante-six tours, deux cents
onze mètres cubes quatorze centièmes d’eau élevée en
douze heures à 3 mètres 20 centimètres de hauteur.
Si lon veut établir une comparaison entre le déloü,
et la roue à pots , d’après les expériences que je viens
de rapporter, on verra, en adoptant Îles premières, que
l’ouvrier qui a élevé, au moyen du déloù, soixante-quatre
paniers remplis d’eau à 2 mètres 30 centimètres de hau-
_ teur en six minutes, n’en aurait élevé que quarante-six
à 3 mètres 20 centimètres de hauteur pendant le même
temps. La capacité du panier étant d'un centième de
mètre cube, il aurait élevé 4 mètres 6o centièmes dans
une heure, et 55 mètres 20 centièmes cubes d’eau pen-
dant douze heures. Le produit du déloù est donc à celui
de la roue à pots dans le rapport des nombres 5520 et
21114 : ainsi l’on peut compter quatre déloi pour une
roue. L’extrême simplicité de cette premiere machine,
la facilité de la construire, de la transporter et de se la
procurer par-tout, ont fait adopter de préférence le déloù
que l’on voit répandu sur les bords du fléuve et des
canaux d'arrosage dans toute l'étendue de l'Égypte.
Dans la description hydraulique que je viens de donner
de la province de Beny-Soueyf, on ne voit rien qui
puisse raisonnablement faire penser que le lac de M&ris
et ses accessoires aient pu jamais trouver leur place dans
L 6. Ziv, 37
240 MÉMOIRES.
cette province. Nous allons entrer dans celle du Fsyoum,
etlà, nous verrons toules les difficultés disparaître sans
effort ni opposition , et nous reconnaïîtrons enfin que
les détails donnés par les anciens s’appliquent si bien à
cette province, qu’on est tenté, à chaque pas , de désigner
les lieux actuels par les noms qu'ils nous ont transmis.
SECTION IL
Province du Fayoum.
Quoique les recherches et les travaux à faire dans le
Fayoum fussent le but principal de mon voyage dans
ces contrées, je ne pus cependant y pénétrer que dans
les premiers jours de nivôse an 9 [fin de décembre 1800 ].
Occupé dans les premiers temps, à Beny-Soueyf, à dresser
le canevas trigonométrique auquel je devais rattacher la
_ province du Fayoum, je me vis bientôt retenu et dans
l'impossibilité de faire aucun mouvement vers l'intérieur
des terres, à cause d’une crue extraordinaire du fleuve,
_ qui suspendit mes opérations pendant plus de trois mois.
Les débordemens du Bahr-Yousef avaient totalement in-
terrompu la communication entre Beny - Soueyf et le
Fayoum. L'isolement de cette dernière province est un
grand malheur pour elle; car les Arabes étrangers ne
manquent jamais de profler de cette circonstance pour
venir piller les habitans: cet événement eut lieu à l’époque
dont je parle ; et le commandant de Beny-Soueyf ayant
été obligé de faire passer par la digue Oukchechy le’
secours qu'il envoya à Médine, les Arabes , avertis à
temps, disparurent avec leur butin avant que le corps
de troupes Françaises fût arrivé. Il serait très-important,
ainsi que jen avais ouvert l'avis, que l’on construisit
une route de Beny - Soueyf aux villages d'Haouäârab et
d'Ellâähoun, qui se trouvent à l'entrée du Fayoum.
. MÉMOIRES. 249
Je partis enfin de Beny - Soueyf le 3 nivôse an 9
L24 décembre 1800], avec mon collègue M. Caristie, et
nous allâmes coucher à Haouârah el- Kebyr, gros bourg
situé sur la rive gauche du Bahr-Yousef, à l'ouverture
de la gorge dans laquelle cette branche du Nil déverse
ses eaux. En face de nous, et sur la rive droite, nous
vimes le petit village d'Ellâähoun. La communication entre
ces deux villages se fait au moyen d’un pont en pierre
de taille, composé de trois arches, ayant chacune 2
mètres 8o centimètres d'ouverture entre les pieds-droits.
‘Ce pont n’a pas seulement pour but d'établir la com
munication entre les deux villages ; car chacune de ces
trois arches est barrée par un déversoir qui sert à ré
gulariser la quantité d'eau que la province du Fayoum
doit recevoir, de manière que dans les crues faibles , l’eau
ne s'écoule pas en trop grande abondance dans cette pro-
vince et ne soit pas perdue pour le reste de l'Ésypte ; de
même que dans les fortes crues, on ouvre à l’eau un débou-
ché plus vaste et l’on en débarrasse le sol de l'Égypte ; sur
lequel un trop long séjour deviendrait préjudiciable.
On voit encore , au parapet de l’est, la trace de trois
pierres enlevées sur lesquelles le Mamlouk kachef Soly-
mân , qui était avec nous , m’assura avoir vu uneinscription
Arabe qui poNait que ce pont a été construit par le
sultan Solymân Ebn-Mohammed , dans le vi. siècle de
l’hégire. Il est à remarquer que cette époque est celle
de la dynastie des Fatimites, sous la domination desquels
l'Égypte était redevenue un royaume indépendant , au soin
duquel les sultans régnans apportaient par conséquent
un intérêt plus particulier. |
Entre le pont et le village d’Eliâätoun, se trouve une
digue qui retient les eaux apportées par le grand canal
256 * MÉMOIRES.
de Beny-A’dy; et, tombant par le déversoir de Ma’sarah
dâns le bas-fond qui sé trouve au pied de la montagne
&’Abousyr, ces eaux vont féconder quelques terres autour
du vitage d'Ellâhoun, et se rendent ensuite, par un
ruisseau parallèle au Bahr - Yousef, dans le canal qui
arrive à Tamyeb. |
Il'existe parmi les hahitans du Fayoum une opinion
vulgaire sur l’ancien état de cette province , et je crois
qu’il n’est pas hors de propas de la rapporter: elle m'a
été communiquée par deux hommes en qui j'ai trouvé
une intelligence supérieure à celle de leurs compatriotes :
Pun est Seyä-Ahmed, cheykh principal de Médine, capitale
du Fayoum; et l’antre, le Mamlouk kâchef Solymân,
dont j'ai déjà parié, qui babitait depuis long-temps le
Fayoura. Ils m'ont assuré que, d’après la tradition trans-
mise d'âge en Âse , la province du Fayoum n’était, avant
Joseph fils de Jacob, qu'ils rapportent à une très-haute
antiquité, qu’une vaste mer dout les eaux étaient four-
nies par le Nil; que Joseph fit construire une digue à
Ellähoun pour empècher les eanx de se jeter davantage
dans ce golfe; que celles qui y étaieut restées s'écoulèrent
à la mer, ce qu opéra un prompt desséchement. d’une
grande partie des terres. Lorsque le dessus des eaux fut
parvenu par ce desséchement jusqu’au niveau du lit par
lequel elle s’écoutait, le surplus resta dans les parties
basses, et forma le birker-Qeroun et le Birket-Gar4k,
qui devinrent légoût des eaux de la province, et ne
diminuèrent de bauteur que par l’évaporation.
Cette opinion , trop au-dessus de la portée des Ésyp-
tiens actuels, n’est point, évidemment, un résultat de
leur imagination; elle porte avee elle le caractère d’une
ancienne tradition ; et peut-être, en l’examinant de près,
MÉMOIRES. 251
y trouverait-on l'explication de ce grand périmètre que
les anciens ont donné au lac de Moœæris, et sur-tout de
l'utilité qu’ils disent que les Égyptiens en retiraient,
en le faisant servir tour-à-tour de récipient et de bassin
déversant. Cette tradition s'accorde avec. ce que j'ai vu
autour du Birket-Qeroun; et les conséquences que je
tirerai de mes observations ; lui donneront ou en rece-
vront peut-être plus de force. ; |
En pénétrant dans l’ouverture que la montagne léfsse
entre Haouârah el-Kebyr et Ellähoun , on voit se dével-
Jopper une immense plaine, qui forme la province du
Fayoum. Cette plaine n’est pas de niveau; elle présente
deux plans légèrement inclinés, l’un au nord, l’autre
au sad. Sur la ligne culminante formée par l'intersection
de ces deux plans, on a pratiqué, depuis le pont
d'Haouârah et dans la direction de l’ouest, un canal
jusqu’à Médine : ce canal traverse la ville et à l'extré-
mité ouest, il se partage en neuf petits canaux qui vont
porter l’eau sur les terres des différens villages. La prise
est déterminée pour chacun par un pont-déversoir, dont
la hauteur est réglée sur la longueur du terrain à par-
courir et sur la superficie des terres qu’il doit arroser.
Le premier de ces canaux, c’est-à-dire celui qui est
le plus. à l’est, s'appelle Barh-Nagälyfeh : il passe par
les villages de Naqälyfeh et de Selleh.
‘Le second porte le nom de Sezhour, et arrive au
village de ce nom.
Le troisième, dit de Synerow, se rend au village de
Fydymyn. ‘
Le quatrième traverse les villages d'A’emyyn, Beché,
Abou-Gonachou, et Abou-Keseh.
Le cinquième , dit de Zalat, va au village de ce nom.
252 MÉMOIRES.
" Le sixième passe au village de Senbâtch:
Le septième s'appelle Barh-Desyeh : il porte les eaux
sur les territoires de PRE Garadoùû , Toubâr et Menä-
chy.
‘ Le huitième arrose les terres de Mantoue Ouerid et
Abou-Dalaché.
Enfin le neuvième, qui prend son origme sous une
arche du pont de la mosquée de Häggy- Hasan , fertilise
le petit village de Zäouyeh.
Iya, vers l'extrémité est de la ville, d’autres canaux
qui, comme les précédens, reçoivent les eaux par dés
ponts-déversoirs. Celui qui est le plus près de la porte
Noueyreh, après avoir contourné une partie des ruines
d'Arsinoé, se rend au village de Terseh el-Akhsas.
: Le second est le Bahr-Sennoures , qui passe aux villages
de Ka’ähy, Bayamout, RASE Atoueyts Mechyd
et A’bd-Alateh,
Le troisième enfin est le Bahr-Ma’sarah, qui arrose
les villages de Zerby, Foroseh, Kafr-amyr, Sersené
et Antartarès.
Le canal qui porte les eaux d'Haouäârah à Médine, et
qui, dans toute cette longueur conserve le riom de
Barh-Yousef , est, comme je l'ai déjà fait observer,
plus élevé que le sol de la province; et, ce qui est
remarquable, son lit est à nu sur le roc dans toute
J''paisseur des montagnes à travers SAANAES il a tie
pratiqué.
A environ huit mille He du pont d'Haouärah el-
Kebyr, on trouve, sur la rive droite, le village d'Haouärah
el-Soghayr , auprès duquel a été construit avec beaucoup
d'art, un mur de soutenement formant déversoir, qui
présente une chute d'environ sept mèlres de hauteur,
MÉMOIRES. | 253
Lorsque les eaux s'élèvent dans ke Babr-Yousef au-
dessus. de ce déversoir, elles tombent dans un large
ravin, qui les conduit à Tamyeh, et de là dans le
Birket-Qeroun : il paraît même que ce déversoir n’a.
pas toujours sufh pour absorber la surabondance des
eaux; car on voit, à trois mille mètres plus loin, un
autre déversoir qui rejette aussi les eaux dans le premier
ravin par un rameau qui les y conduit,
_ Les détails de cette rive droite du Bahr-Yousef, depuis
Ellähoun jusqu’à ce second déversoir, présentent un
grand intérêt. Auprès du village d’'Ellähoun, se trouve
une première pyramide dont le noyau est en pierres
calcaires, et le surplus en briques séchées au soleil. Huit
mille mètres plus loin, on voit une seconde pyramide
aussi en briques de même nature, et au pied de laquelle
passe un ruisseau qui prend son origine au Barh-Yousef,
un peu avant le premier déversoir dont j'ai parlé, et
se rend à Tamyeh par une direction parallèle à celle
du grand ravin, qui, ne recevant que le superflu des
eaux de la province, reste presque tous les ans à sec,
et porte par ce motif le nom de Bahr-bel&-mä ( fleuve
sans eau ). |
Autour de cette seconde pyramide, le sol est couvert
de monticules de pierres calcaires et de débris de monu-
mens qui indiquent évidemment le lieu où fut ce fameux
Jabyrinthe des douze rois, que tous les anciens historiens
s'accordent à placer peu au-dessus du lac de Mæris,
et non loin de Crocodilopolis : on y voit encore un reste
de chambre, mais totalement enfoui; des tronçons de
colonnes en'granit syénite, taillées comme celles des temples
de la haute Égypte, en faisceau de plantes bulbeuses ;,
d'énormes chapiteaux Égyptiens, aussi eu granit. Pline
254 MÉMorress. |
assure que le labyrinthe était le seul monument de la hante
Égypte où l'on eüt placé des colonnes de cette matière.
Je me suis transporté sur cetiemplacement le 10 nivôse
an 9 ( 3: décembre 1800 ), et j'ai lié, par quelques
opérations trigonométriques, la pyramide d’Ellähoun avec
cette seconde pyramide, que j'ai appelée pyramile du
labyrinthe, et avec le minaret de la mosquée de Rouby,
qui est la plus occidentale de celles de Médine. Au moyen
de ces opérations, j'ai déduit la latitude et la longitude
e cette ville, qui n'ont pas été prises par M. Nouet,
et je lui : trouvé 29° 28° 48" de latitude nord, sur
28° 41° a! de longitude orientale, comptée de l’obser-
vatoire de Paris.
La ligne qui unit les deux pyramides , s’est trouvée de
8116 mètres 57 centimètres de longueur, faisant ee
Je méridien magnétique un angle vers l’ouest de 49° 1o!.
| La pyramide du labyrinthe est carrée dans son plan
sur 110 mètres de côté, maïs il paraît qu’elle avait un
revétement dont on ne peut plus assigner l'épaisseur.
Ün peu en avant de l'angle à l’est, on voit un vaste
trou rond ; dans le fond duquel commence un souterrain
en maçonnerie, qui se dirige vers la partie inférieure
de la pyramide. Je suis descendu par ce trou pour pénétrer
dans le souterrain ; maïs j'y fus bientôt arrêté par un amas
de décombres dont il est rempli. Le fond du trou contient
de f'eau , que j'ai reconnue très-fortement salée.
En descendant vers le milieu du ravin, vis-à-vis la
pyramide du labyrinthe, on trouve les restes d’un long
mur en pierres de taille, que je présume avoir été une
digue destinée-à retenir Îes eaux qui s’échappaient par
le dessus des déversoirs appliqués au grand canal.
La rive gauche du Bahr- Yousef ñe présente pas le
EN r /
4
F
MÉMOIRES. 255
même intérêt que la rive droite. Les mamelons de roche
dont elle est parsemée, et qui sont des appendices de
la montagne aîtestent que cette rive n’a jamais été
cultivée : on y trouve cependant le village de Demechqyn?
mais les intérêts et le territoire de ses habitans se lient
avec ceux d'Haouârah el-Kebyr, dont ils sont voisins,
On ne pourrait même pas parcourir cette rive gauche
pour se rendre au village d’el- Hazeb, que l’on trouve
après avoir un peu dépassé le second déversoir de la rive
droite dont j'ai parlé. C’est auprès de ce village d’el-Hazeb,
à l’est et à l’ouest, que se fait, par deux canaux, le
déversement des eaux du Bahr- Yousef sur cette partie
du grand plan incliné au sud, pour l’arrosement des
villages disséminés entre le Bahr et le lac de Garäh.
Il paraît que ce plan, outre sa pente au sud, en
présente une considérable à l’ouest, vers la pointe du
Birket-Qeroun, sur lequel se dirige un large ravin qui
porte le nom de Bahr-Ouädy. Pour s'opposer à l'écou-
Jement des eaux sur cette pente, on a construit une
grande et maguiïfique digue, bien différente des ouvrages
de cette nature que l’on voit dans la vallée de l'Égypte :
celle-ci est en maçonnerie de pierres de taille ct de
briques cuites, soutenue par d'épais et nombreux contre-
forts, et construite avec toute la solidité que donne
J'observation des règles de l’art. Cette digue, qui prend
sou origine au village de Defennoû, se termine à un
petit ruisseau, qui fait la limite des terres cultivées ;
elle ocupe une longueur d'environ 8500 mètres.
On ne peut qu'être surpris de voir un ouvrase aussi
considérable. pour l'intérêt d’un petit territoire tel que
ce lieu , renfermé entre le lac Garâh, les montagnes qui
séparent le’ Fayoum de l'Égypte, le Bahr-Yousef et la
256 | MÉMOIRES.
digue, tandis que d'immenses terrains sont atandonnés
dans la vallée de l'Ésypte, faute de quelques légères
dépenses faites aux digues et canaux conservateurs de
ces terrains. Je suis assez porté à croire que le monu-
ment dont je parle est, comme le pont d'Haouäârah
l'ouvrage d’un des anciens sultans Fatimites.
Men intention était de parcourir tout le Bahr-belä-mâ
jusqu'à Tamyeh et au Birket-Qeroun : j'allais même en
commencer le nivellement , lorsque des circonstances qui
amenèrent quelques mouvemens militaires du corps sta-
tionné dans la province, me privèrent des soldats qui
avaient été mis à ma disposition, et qui m’étaient devenus
indispensables pour mes opérations.
Je fus donc forcé, à mon grand-regret, de retourner à
Médine, où je fis de suite mes dispositions pour entre
prendre autour du Birket-Qeroun le voyage que je désirais
faire depuis si long-temps. Je profitai de quelque loisir
que me laissaient les lenteurs des préparatifs, pour
visiter l'emplacement de l’ancienne Crocodilopolis, dont
le nom fut changé, sous les Ptolémées, en celui d’Arsinoé,
Si l’on sort de Médine par le pont qui est vis-à-vis.
Ja mosquée de Rouby, on traverse, en se dirigeant au
nord, un grand espace parsemé de tombeaux musulmans,
après lesquels on trouve, dans la direction sud-nord,
plusieurs monticules composés de débris de pierres cal-
caires, de briques ou de poteries, et disséminés sur un
cspace d'environ 3500 mètres au nord et 2500 mètres
de l’est à l’ouest. Nous avons, M. Caristie et moi, par-
couru, visité et fait fouiller chacun de ces monticules,
pour. y reconnaître la trace de quelques monumens :
mais nous n’y avons trouvé que des débris informes,
. d'où nous n'avons pu tirer d'autre conséquence > Sinon
MÉMOIRES. 257
que par leur étendue ils désignent l'emplacement d'une
ville; et comme il n’en existe pas d'autre aussi consi-
dérable dans toute la province , nous en avons conclu
que cette ville était l’ancienne Crocodilopolis | appelée
depuis Ærsinoé, _
Cette certitude nous a été bientôt entièrement acquise ;
lorsque , par quelques opérations trigonométriques faites
sur ces monticules, nous avons trouvé que leur distance
à la. pyramide du labyrinthe était égale à une longueur
de 802 mètres Q8 centimètres, compris 1250 mètres
. pour la moitié de l’étendue des ruines. Strahoh dit posi-
tivement (1) que la distance d’Arsinoé à cette pyramide
est de cent stades. D’Anville (2) estime à un huitième
Ja réduction que l’on doit donner aux mesures itinéraires
en Égypte, pour les rapporter à deslignes droites. D’après le
calcul des milles Romains, dont il égale quatre auschœne
Égyptien (3), il trouve trois mille vingt-quatre toises pour
la longueur du schœne ; ce qui donne cinquante toises deux
pieds six pouces, ou 98 mètres 26 centimètres, pour
la longueur du stade, à raison de soixante au schœne.
Les cent stades font donc cinq mille quarante toises
un pied huit pouces, ou 9826 mètres : d’où déduisant
un huitième, il reste 8598 mètres, ce qui s'accorde
assez bien avec la distance que nous avons irouvée
trigonométriquement.
Le pied des monticules est baigné à l’est et à l’ouest
par deux canaux prenant leur direction au nord, sur
une largeur de 30 mètres et une profondeur de ô mètres
5o centimelres.
D RER RER
(1) Rers geograph. ‘Lib. xvi1; Lutetiæ Parisiorum , 16:20,
(2) Traité des mesures itinéraires, pag. 181,
(5) Zbid, ‘pag. 84 et 92.
258 MÉMOIRES.
_ Nous avions appris à Médine qu'il existait des ruines
importantes à l’ouest de cétte ville; nous nous y
sommes transportés ; mais nous n’avons trouvé qu’un lieu
appeté e/ Æ’moud , où l’on voit un seul obélisque en granit,
à 1000 mètres environ du village de Begvg, et à 4000
mètres de Médine. Mon coltègue M. Caristie s’est chargé de
donner les dessins et quelques détails sur cet obélisque. .
Enfin, tous les préparatifs de mon voyage autour du
Birket-Qeroun étant terminés, je pus me mettre en
route pour effectuer cette reconnaissance. J’avais, dans
le principe, consulté cheykh Ahmed et Solymän käâchef
sur ce voyage , et je leur avais dit que, vu la dificulté
de vivre plusieurs" jours dans le désert avec mes soldats
Français, j'avais résolu de n’emmener que des Arabes
avec moi. Ils cherchèrent lun et l’autre à me faire changer
de résolution, en m’assurant que les tribus qui parcou-
raient ces parages, étaient toutes en guérre , et que je
ne pouvais me confier à aucune d'elles sans courir les
plus grands dangers. Ce fait me fut encore confirmé par
un cheykh d’Arabes , qui s’engagea bien à m’accompagner
avec trente des siens, si j'avais avec moi autant de soldats
Français. Je les demandai alors au colonel Eppler ;
commandant de la province, qui me dt qu'il en
mettrait à ma dispositior autant que j'en voudrais pour
parcourir les villages ou les terres cultivées, mais qu'il
ne m'en donnerait pas un pour le voyage que jé projetais.
Le désir ardent que j'avais de faire cette reconnaissance ,
fit que je m’abouchai de nouveau avec le cheykh Arabe :
le commandant Eppler se joignit à moi pour détruire
les objections nombreuses et sans cesse renaïissantes qu’il
faisait à toutes nos propositions, et nous le. déterminimes
enfin à m’accompagner avec trente des siens à cheval.
MÉMOIRES. 259
Cet Arabe, nommé 4#’/y, était un jepne homme d’en-
viron trente ans, fils de Sâleh, grand cheykh de la tribu
des Sammalous , qui avait fixé sa résidence au village de
Minyeh, situé sur les bords du Bahr-el-Ouäâdy. Ce nom
de Sammalous est celui de l'association générale des tribus
qui entourent le Fayoum. Säleh avait trois fils et un
neveu, placés chacun à la tête d’une division de la tribu.
Le premier, cheykh A’ly, résidait à Médine ; le second,
Groubeh, était auprès de lui, à Minyeh; et le troisième,
O’tmân, habitait Abou-Gandyr. Quelques autres enfans
qu'il avait eus de ses femmes esclaves , étaient aussi
auprès de lui, et faisaient le charme de sa vieillesse. Le
neveu, A’lÿ-Aboubekr , occupait Nazleh. Je donnerai,
à la fin de cette description, un tableau détaillé de
toutes les tribus particulières, ainsi que de celles de
Ja province de Beny-Soueyf.
Les Sammalous sont les seuls Arabes qui aient une
résidence fixe dans le Fayoum. Ils y sont très-anciens
et très-puissans, maïs souvent en guerre avec Îles tribus
étrangères, qui viennent faire des incursions dans la
province. Ce sont les Da’/é de Beny-Soueyf, qui entrent
par Tamyeh, lorsque les eaux atteignent les terres cul-
tivées des villages de Menfast et d’Ouboueyt, où ils font
leur résidence. Ce sont aussi les Fergân, qui habitent
Jes déserts d'Alexandrie et de la Bahyreh, et qui, entrant
par le Qasr-Qeroun, où est leur rendez-vous, viennent
faire des expéditions nombreuses, dans lesquelles ils
| pillent les villages des Sammalous. |
Les craintes de cheykh A’ly n'étaient donc pas sans
fondement ; mais, les ayant une fois vaincues, je me
crus sans danger et ne pensai plus qu'à mon projet.
J'endossai le barnous, je couvris ma tête d’un tarbouch
260 MÉMOIRES.
enveloppé du châle , et je partis seul Français au miliew
de trente Arabes bien armés, et résolus, me disaient-
ils du moins, à ne pas se laisser intimider. Cheykh A’ly,
voulant sans doute me donner une bonne opinion de
sa tribu, me parut, dès ce moment , animé d’un courage
que je ne lui avais pas vu jusqu'alors, et qu'il communiqua
sans peine à toute sa suite.
Nous quittimes Médine le 16 nivôse an 9 [ 6 janvier
1801], à midi précis, et nous suivimes notre route
exactement au nord, entre plusieurs canaux. Nous laissä-
mes à gauche, un canal sur les bords duquel je vis un
petit déversoir en maçonnerie. Nous passimes bientôt
près du village d’el-A’lâm, que nous avions à notre
droite, et nous entrâmes dans un bois clair et planté de
almiers , après lequel nous arrivâmes au village de Ka’äby
el-Gedyd. Notre chemin le plus court était de suivre au
nord-est, vers Ma’sarah et Tamyeh ; mais, sur ce qu’on
me dit qu’an monument dont parle Pococke, et qui
est connu sous le nom de Pieds de Pharaon, se trouvait
près de là, nous continuâmes au nord, en traversant
le canal qui passe à Ka’äby, et nous arrivämes à une
grande plage de grève, où est situé le village de Baya-
mout, auprès duquel s'élèvent les prétendus pieds de
Pharaon. Ces pieds ne sont autre chose que deux énormes
masses formées de grosses pierres calcaires, portant cta-
‘une environ 6 mètres de longueur sur un mètre 30
centimètres de largeur et un mètre de hauteur, posées
bone sur l’autre sans ciment ni liaison. Les deux tas,
distans l’un de l’autre d'environ 120 mètres, sont en-
tourés d’autres petits tas, disposés de même. On voit
aussi de grosses pierres éparses, qui indiquent que ces:
tas étaient beaucoup plus élevés que je ne les ai vus;
MÉMOIRES _ 261:
œar ils n'avaient plus alors que dix assises, portant
ensemble une hauteur de 10 mètres : leur plan torme
un carré d'environ & mètres de côté.
J'avais remarqué que, depuis environ 4oo mètres au :
sud , la pente du terrain commençait à devenir légère-
ment sensible ; ce qui pourrait faire penser que le lac
s'étendait jusqu'a ce point. Notre marche avait été réglée
et nous faisions environ 3500 mètres à l'heure : il était
alors deux heures moins un quart. De ces ruines,
j'apercevais au milieu d’un grand groupe de palmiers au
nord le village de Sennoures , où j'arrivai à trois heures,
élant parti des Pieds de Pharaon à deux heures précises.
Sennoures est un assez grand village, bâti sur un
monticule , le plus élevé de tous ceux que j'ai vus en
Égypte, ét dont j'ai estimé la hauteur à environ. 50
mètres. Il formait vraisemblablement autrefois une île
du lac, dont on commence à apercevoir les eaux lors-
qu'on est arrivé au haut du monticule. Sennoures est
un dépôt des salines que l’on exploite sur le lac. Je
descendis dans la maison du cheykh el-Habachy, de qui
je reçus l’accueil le plus amical. J'achetai dans le village
l'orge et les fèves nécessaires pour les chevaux dans le
désert, et je partis à cinq heures, dirigeant ma route
encore au nord. Nous marchâmes de jour jusqu’à six
heures et demie, quoique nous fussions au solstice d'hiver,
et nous arrivâmes sur le bord d’un petit ruisseau nommé
Batch , qui coule de l’est à l’ouest, et porte l’eau depuis
Tamyeh jusqu’au Birket - Qeroun. Elle est amenée de
Tamyeh par un canal venant de Roudah, et à Roudah
par celui qui passe au pied de la pyramide du laby-
rinthe , et par les suintemens du Bahr-belä-mi.
Au point où otre caravane arriva , le ruisseau était
262 MÉMOIRES,
guéable : il avait environ 8 mètres de largeur et 32 cen-
timètres de profondeur d’eau ; mais j'olservai qu'il était
creusé en forme de canal, sur une profondeur d'environ
10 mètres et une largeur de 80 mètres. Nous étions ‘à
deux lieues ouest de Tamveh , et l’eau, eucore très-
bonne, ne se ressentait nullement de la proximité du
lac. Nous y fimes notre provision d’eau , et nous rem-
plimes nos outres pour toute La traversée du désert.
Cheykh A’ly me dit que ce poiut était celui du passage
des caravanes qui vont directement de Gyzeb à Sennoures.
L'inondation n'interrompt même pas la marche de ces
caravanes , qui alors remontent jusqu’à Sellsh.
J'ohservai que, depuis Senuoures, la pente vers le
Jac élait encore plus sensible qu'à Bayamout, et que le
plan suivait une seconde pente de l’est à l’ouest : ces
pentes étaient tellement Merueess que de la crête du
Batch je ne voyais plus au sud qu’une bande générale,
tranchant fortement sur l'horizon.
Lorsque nous eûmes rempli nos outres , l'obscurité
était déjà complète ; car on sait que, dans ces climats,
le crépuscule est beaucoup plus court qu’en Europe:
nous nous délerminâämes donc à passer la nuit dans ce
lieu. Cependant nous allâmes établir notre camp sur la.
crête du bord septentrional , à environ une demi-heure
de distance ouest du point où nous avions passé à gué
le canal de Batch. | |
Depuis notre départ de Médine , mes compagnons de
voyage cotmposaient leurs manières sur la conduite de.
cheykh A’ly envers moi. Celui-ci ne me quitl'ait pas;
et, malgré la diflicullé que j'éprouvais de m’exprimer
dans sa lagune , il ne parlait qu'avec moi. Dans la vue
de me distraire, et de me plaire sans doute, il me racontait
| des
MÉMOIRES. 265
des histoires dont j'avais, je l'avoue , grand peine à suivre
le fil, mais qui me donnaient plus de distractions que
je ne voulais, parce que j'étais tout entier à mes obser-
vations. Quelquefois, au milieu de son récit , j'appercevais
au loin un objet qui piquait ma curiosité; j’y courais:
mais aussitôt son cheval au galop était sur les traces
du mien. Les Arabes, voulant aussi me distraire, exécu-
taient des combats simulés , en courant alternativement
les uns sur les autres; après quoi, l’un d'eux venait
auprès de moi. me faire entendre les chants héroïques
de la tribu. L'air de satisfaction que je lui montrais,
était sa récompense , et ils recommençaient leurs jeux,
qui cependant n'interrompaient jamais la gravité et la
régularité de notre marche.
A peine le signal de halte fat-il donné pour le camp
de la nuit, qu’en un clin-d’'œil ma tente fût dressée.
J'avais apporté deux petits matelas, l’un pour cheykh
Aly, et l’autre pour moi: je ne pus jamais lui faire
accepter le siens et ce ne fut qu'avec peine que je le fis
consentir a coucher dans ma tente, où il se contenta
d’une natte étendue sur le sable. En quelques minutes
le café fut préparé et servi, et l’on fit les appréts du
souper. En attendant, je voulus voir tous mes compa-
gnons, qui vinrent me baiser la main, et s’accroupir ,
rangés autour de mon lit. L’un d'eux, que cheykh A’ly
désigna pour orateur, voulant me donner une idte de
la gloire et de la supériorité de leur tribu, raconta une
de ces histoires dans lesquelles sont rapportés les hauts
faits des Sammalous, qu'ils se transmettent ainsi pour
entretenir le courage. À tout instant, les auditeurs pous-
saient des yé a/lah qui témoignaient leur admiration et
encourageaient l'orateur, Quoique je comprisse peu de
JL GT Ziv. 18 |
26. MÉMOIRES.
chose à ce qu'il disaïl , je n’étais pas en reste pour mon-
trer ma satisfaction , et ils étaient tous enchantés. Enfin
lon apporta les poules et le pilau , et l’on mangea avec ‘
avidité. Après le repas, cheykh A’ly congédia tout son
monde , et fit allumer des feux autour de ma tente,
pour écarter , disait-il, les hyènes qui sont errantes et
très-communes dans ces cantons. Chacun s’enveloppa
dans son barnous et passa la nuit auprès de son cheval.
Le 17 nivôse [7 janvier], nous levâmes notre camp
à six heures quarante minutes du matin. La direction
principale de notre route était par est-ouest ; mais nous
dévièmes un instant sur la droite vers le haut de la
montagne, laissant le lac à environ une lieue sur notre
gauche. La pente s'élève très-doucement et se perd dans
une large vallée qui s'étend au nord, et que cheykh A’ly
me dit être la route de Médine à Gyzeh et à Alexandrie
par le Bahr-belâ-mâ, qui passe auprès des lacs de Nâtron.
Cette opinion s'accorde avec celle du général Andréossy
(1), et l’on verra les conséquences que j'en tire pour
l’ancienne utilité du lac.
Les Arabes étaient attentifs et cherchaient à reconnai
tre dans le sable dont cette plage est couverte, s'il avait
récemment passé d’autres Arabes. Après environ une heure
de marche, ils reconnurent à travers les dunes la trace
de ceux de Da’fé, qu'on avait chassé du Fayoum, vingt
jours auparavant , ainsi que je l’ai déjà dit.
Nous trouvâmes entire le lac et la montagne une
immense quantité de bois sec encore sur pied qui res-
semblait à un jeune aillis desséché : il paraît qu'on ne
(1) FWoyez Observations sur le lac Moris , insérées dans Lo
Moniteux du 13 brumaire an 9
MÉMOIRES. 265
tire aucun parti de ee bois, qui pourrait cependant être
d’une grande utilité à Médine.
Nous arrivâmes à dix heures moins un quart sur le
bord du lac: je vis en cet endroit deux énormes buttes
isolées l’une de l’autre, et portant 50 mètres de hauteur;
_ June, circulaire, a 200 mètres de diamètre, et l’autre,
à base quadiilatère, Boo mètres de longueur sur 8o mètres
de largeur: celle-ci est la plus près du lac; elles sont
toutes les deux couvertes de fortes pierres calcaires
grossièrement taillées. On y voit aussi quelques débris
de briques ; mais on ne peut y distinguer ni sculptures,
ni traces de monument , et les pierres sont à moitié
enterrées dans le sable. La situation de ces. buttes, l’une
par rapport à l’autre, est sur uue ligne qui court nord-
est, sud-ouest, sur une longueur d’environ 1000 mètres.
Ici la montagne est éloignée de trois lieues au moins
du lac; mais elle tend ensuite à s'en rapprocher. Tout
cet espace est parsemé de tas de petites pierres rouges,
formées d’une espèce de craie assez semblable à ce que
nous appellons la sanguine. Les Arabes descendirent tous
de cheval, et en ramassèrent avec avidité : ils me dirent
qu’on achetait ces pierres pour teindre les toiles et peindre
le bois.
Je descendis au bord du lac, dont l’eau très-limpide
me parut saumâtre, mais non salée: nous y fimes tous
boire nos chevaux, et nous y primes un léger repas.
Les Arabes m’assurèrent que le lac contenait de très-
beaux et très - bons poissons, mais qu'il n’était point
pêché par des habitans du Fayoum; que des pêcheurs
du Nil y venaient à cet effet depuis la fin de mars
jusqu’à la crue du fleuve. Le lac est aussi très-peuplé
d'oiseaux aquatiques. Au point où nous nous trouvions;
il me parut avoir une lieue de largeur,
266 MÉMOIRES.
Après avoir passé les deux buttes, on s’aperçoil que
le terrain s'élève presque brusquement, quoique par
une pente facile , et l’on arrive à un trés-grand plateau,
dont la surface présente un rocher à nu qui va s'attacher
à la montagne éloignée alors de nous d’une petite lieue
à droite, et se prolonge jusqu’au bord du lac, à 1000
mètres à gauche. On voit, dans l’espace qui sépare les
buttes du plateau, des couches de terre végétale légè-
rement recouvertes de sable : on y voit aussi quelques
vestiges de salines.
Je trouvai sur ce plateau, où j'arrivai à midi dix
minutes , les ruines d’une ville, ou peut-être seulement
d'un vaste palais, que les Arabes me dirent s'appeler
Qasr-Tufchärah ou Medynet-Namroud. On y voit encore
des murs épais et très-élevés. On y reconnaît différentes
constructions dont l’antiquité est attestée par leur dis-
posilion. J'aurais désiré pouvoir lever les plans détaillés
de ces ruines, mais, n'ayant ni aides ni moyens, ni
le temps nécessaire, je me contentai d’en faire un cro-
quis que j'ai rapporté sur ma carte. Les murs sont
construits d’une espèce de briques de 20 centimétres
de longueur, 16 centimètres de largeur, et 7 centimètres
d'épaisseur ; elles sont formées de craie blanche et de
paille hachée avec un peu d'argile, le tout pétri, et
seulement séché au soleil. Ce mélange est très-friable,
et se réduit aisément en poussière entre les doigts.
Ces ruines s'étendent jusqu’au bord du lac sur une
largeur de 200 mètres, et sur une longueur de 600
mètres dans la direction nord-sud. On y trouve une
grande quantité de briques cuites, de poteries , de vases
à momies, etc. Dans limpossibilité où je me voyais
de lever le plan de ce lieu, je manifestai aux Arabes
MÉMOIRES. 267
le désir d'y faire. quelques fouilles ; ils se mirent tous
à chercher, et lun d'eux me rapporta une lame droite
à deux tranchans, avec une poignée de corne. Cette
lame avait go centimètres de longueur sur 5 centimètres
de largeur , et portait au haut sous la poignée un dessin
arabesque, gravé et incrusté d’un filigrane en argent :
je l’ai rapportée en France; mais elle m'a été volée à
Marseille , au moment où je me disposais à partir pour
Paris. |
Je descendis de Ja petite hauteur sur laquelle ces
ruines sont situées, et je continuai ma route assez près
du lac par une direction ouest-sud-ouest. Le sol était
ce même plateau de rocher que j'avais trouvé avant le
Qasr-Tafchärah. La montagne que j'avais à ma droite
était à une petite lieue du lac, et tendait toujours à
s’en rapprocher. Vers les trois heures, notre route, qui
était à peu près parallèle à la magistrale du lac, était
absolument sud-ouest. Nous descendimes à cette heure-
là dans un bas-fond que je pris d’abord pour un ancien
golfe ; mais je vis ensuite qu'il se prolongeait vers la
montagne, et qu'il en suivait la direction vers l’ouest.
À l'entrée de ce bas-fond, sur le bori du lac, j’apperçus
une petite hauteur en forme de pyramide : je m'y trans-
portai aussitôt; mais je reconnus que ce n'était qu’uu
rocher recouvert de terre végétale mêlée de sable : en
face, je vis une île basse dans le milieu du lac.
Tout ce bas-fond est parsemé d’une grande quantité
de buttes en formes de cône, dont plusieurs sont cou-
vertes de terre végétale et de débris de pierres calcaires,
semblables à celles que j'avais vues le matin. Ainsi, dans
l'hypothèse probable où le lac s’étendait jusqu’à la
montagne, ( hypothèse appuyée sur les couches que
268 MÉMOIRES.
l'on voit, ainsi que les buttes dont je parle, rongées
horizontalement par les eaux, et sur les coquilles encore
entières que j'ai ramassées au pied }), il y a lieu de
penser :iLe toutes ces buttes étaient autant d'îles habitées.
Les deux pyramides dont parle Hérodote ; pourraient bien
avoir été placées sur l’une de ces nombreuses îles; mais
il serait peut-être difficile de dire sur laquelle, si l’on
excepte les deux premieres qui sont vers le milieu de
la longueur et de la largeur du lac, en supposant qu'il
commencât à Tamyeh , et s’élendit de Bayamout jusqu’à
la montagne Lihyque; rar, à part cetie circonstance du
milieu, sur laquelle Hérodote paraît appuyer comme sur
une chose précise, on trouve un très-grand nombre de
ces îles auxquelles, d’après leurs dimensions et la quantité
de pierres calcaires dont elles sont couvertes, l’emplace-
ment de ces deux pyramides peut également convenir.
Continuant toujours notre route dans la direction du
sud-ouest, nous arrivämes à quatre heures trente-cinq
minutes, après avoir un peu forcé le pas, dans un lieu
couvert de bois desséché, semblable à celui que j'avais
vu le matin. L'étendue de celui-ci paraissait même beau-
coup plus considérable, et les corps d'arbres plus forts :
plusieurs étaient de la grosseur du bras, et quelques-
uns de la grosseur de la cuisse. Déjà nous avions en
vue le Qasr-Qeroun à l'ouest, et j'entrevoyois lespé-
rance d’aller y passer la nuit, lorsque nous fümes rejoints
par un Arabe envoyé par Sâleh, père de cheykh A'ly;
il venail d'apprendre que huit des siens avaient été
dépouillés par un parti de trois cents F'ersän de la Bahyreh :
il nous faisait dire de nous tenir sur nos gardes, et
sur-tout de ne point hasarder de combat, vu notre petit
nombre; mais que nous devions être tranquilles , qu'il
MÉMOIRES 269.
était aux informations pour savoir ce qu'ils étaient de-
venus, et que, s’il apprenait qu’ils fussent encore de
notre côté, il viendrait à notre rencontre avec cinq cents
Sammalous. Cheykh A’ly, sans être intimidé par ces nou-
velles, me fit observer qu’il n’étoit pas prudent d'arriver.
au Qasr-Qeroun à l'entrée de la nuit, que ce point
était un rendez-vous des tribus errantes, et que, dans
la supposition où quelque parti passerait la nuit aux
environs, il continuerait sa route à la naissance du jour,
et nous laisserait le champ libre. Je trouvai son raison-
nement juste; d’ailleurs, nous ne nous étions presque
pas reposés depuis six heures du matin, ce qui faisait
dix heures de marche: nous choisimes dans le bois un
endroit bas, couvert et entouré de monticules, parce que
la route que nous avions suivie est souvent fréquentée
par les Fergän ; il plaça ses sentinelles, et nous passâmes
Ja nuit dans ce lieu.
Nous étions tout-à-fait sur les bords du lac, et néan-
moins très-près de la montagne. Je goûtai encore de l’eau;
elle était comme celle du matin: tous les chevaux en
burent , même plusieurs de nos domestiques ; ce qui contre-
dit un peu l’assertion de Pococke , qui la trouva, dit-il,
plus salée que l’eau de la mer, Il y était, à la vérité,
un mois et demi plus tard dans la saison que moi ; et
peut-être l'inondation qui avait précédé son voyage
avait-elle été très-faible , tandis que celle qui avait précédé
le mien avait été très-abondante.
Le lendemain 18 nivôse [8 janvier], nous reprimes
notre route à cinq heures et un quart du matin: mais
nous ne pümes suivre les bords du lac à cause du bois
dont ils sont couverts; nous fûmes obligés de nous rap--
procher de la montagne , dont la distance au lac était
270 MÉMOIRES.
de plus en plus petite. La couche de terre végétale de=
venait aussi de plus en plus épaisse et sans mélange de
sable. Ainsi il n’est pas douteux que toute celte partie
septentrionale du lac ne fût susceptible d’être cultivée
jusqu’au pied de la montagne, si l’on pouvait l’arroser
avec les eaux douces dans la crue.
Enfin nous arrivames, par une marche un peu plus
Jente que la veille, vers les sept heures et un quart, à
l'extrémité ouest du lac, qui baignait fout-à-fait le pied
de la montagne. Je crovais voir ici rette montagne in-
terrompue par l’origine da Beli-m4, que d’Anville
désigné , dans son Ægyptus antiqua, sous le nom de
Lycus fluvius , maïs, au lien de cetle ouverture, je vis
que la chaîne se coatinuait à perte de vue dans la di-
rection du sud-ouest, et j'apnris des Arabes qu’il n’y a
dans ces parazes ni Bahr-helà-mÂ, ni aucun bas-fond
qui puisse donner prétexte à son existence.
La petite :angue de terre qui permet de passer entre
l'extrémité du lac et le pied de la montagne , est obstruée
par un amas de grosses pierres calcaires qui ne présen-
tent aucune trace de la maïi des hommes, et que je
crois simplement tombées des couhes supérieures de la
montagne. Ce passage est d’ailleurs d'autant plus difficile,
que les bords du lac sont couverts d’une croûte saline
qui cède facilement sous les pieds, et au-dessous de
laquelle on ‘trouve encore l’eau quelquefois assez profonde.
Nos chameaux avaient les plus grandes peines à traverser
ce passage. Dans l’impatience où j'étais d'arriver au Qasr-
Qerouu, que je voyais distinctement depuis le matin,
je laïssai la caravane se débarrasser, et je partis seul en
avant, me diigeant par le sud-sud-est vers ce monument,
où j'arrivai à huit heures et un quart, ayant mis ainsi
MÉMOIRES. 271
une heure à parcourir, au grand trot du cheval , R
distance qui le sépare de l'extrémité du lac. La pente,
quoïque très-douce , était considérable ; et néanmoins
Je Qasr est construit sur une petite élévation qui donne
lieu de penser que les eaux du lac étaient autrefois
beaucoup plus hautes, et qu’à l’époque où elles s’éten-
daient jusqu’à la montagne, elles venaient aussi baigner
le pied des monumens. |
Je ne ferai point ici la description du Qasr-Qeroun;
M. Jomard en a donné les plans et les dessins exacts.
(1) Je me permettrai seulement de dire que je n’en
crois pas la construction aussi ancienne que celles des
temples de la haute Égypte. D’abord ses ruines ne pa-
raissent pas porter l’empreinte des ravages du temps,
mais seulement d’une dévastation opérée par la main
des hommes. Ensuite on voit, à l'entrée, des rustiques
à la manière des Grecs, sur des débris de piliers avancés.
Peut-être aussi était-ce une fabrique ajoutée dans des
temps postérieurs. Le docteur Pococke a gravé son nom
sur celui des pieds-droits de la première porte d’entrée
qui est à gauche , et Paul Lucas, sur celui qui est à
droite. Je venais de faire une reconnaissance qui pré-
sentait un grand intérêt ; je ne pus résister au plaisir
de la constater, et j'écrivis ces mots sur le pied-droit
à gauche, au-dessus du nom de Pococke :
P. D. MARTIN, INGÉNIEUR FRANÇAIS, A PARCOURU
LA PARTIE SEPTENTRIONALE DU BIRKET-QUROUN,
Le 17 nivôse, an 9 de la république rrançaise ( 7 ranvier
1801 ).
Du haut du monument, j'examinai attentivement
(tr) Voyez pl 69 et 7o , A. vol, 1.
272. MÉMOIRES.
avec une bonne lunette le prolongement de la montagne
que j'avais laissée au bord du lac, et je n'y vis, sur
une distance à perte de vue, aucune coupure qui püt
faire supposer l'ouverture du Zycus de d’Anville. Le sol
va toujours en montant par une pente douce depuis
le lac, et finit par atteindre le haut de la montagne.
On voit dans- un graud éloignement le mamelon que.
ce géographe désigne, dans sa carte de l'Égypte moderne,
sous le nom de Æaram Medaïé el-Hebjad. Le pourtour
du Qasr-Qeroun présente encore quelques murs sur pied-
tant à l’est qu’à l’ouest, même un petit monument en
‘avant de l'entrée ; mais il n’y a pas un seul morceau
de granit. La diagonale des chambres carrées du Qasr.
est à peu près sud-nord; la face principale, ou bien
l'entrée , est au sud-est. Si l’on étend sa vue sur l’horison,
on remarque assez près et au sud une crête tranchante
du sol, qui indique évidemment l’ancienne limite du lac.
Je partis du Qasr-Qeroun à midi précis, et je pris ma
route directement au sud-est. Le sol sur lequel nous.
marchions est un rocher pur, légèrement recouvert de
sable, et parsemé de petits tas de pierres et de briques
cuites, mais en très-petite quantité; ce qui m'a fait
penser qu’en donnant à ces débris le nom de Beled-
Qeroun, on en a tiré une conséquence un peu hasardée :
du moins je suis persuadé que sil y a eu quelques
constructions sur cette roche, elles sont d’une époque
très-récente et de beaucoup postérieure au retrait des
eaux du lac , d’une très-petite importance , et ne peuvent,
en aucune manière, donner l’idée d’une ancienne ville,
qui eût été d’ailleurs d'autant plus mal située que ce
lieu a toujours été dépourvu de terre végétale.
Nous allions d’an assez bon pas, parce que nos chameaux
MÉMOIRES. 273
étaient partis une bonne demi-heure avant nous. Vers
deux heures, nous nous trouvâmes à la hauteur d’une
fabrique à gauche sur le hord du lac. Je m'aperçus qu’à
partir de ce point, une crête assez élevée s'étend paral-
lèlement à ce bord. À une demi-heure de distance, je
vis une seconde fabrique sur la même crête. Ce sont
Vraisemblablement les lieux auxquels Pococke donne les
noms de Xasr Cophou et de Kasr Cobal, Les Arabes
me dirent qu'on désignait toutes ces fabriques sous le
nom général de Qasr- Benät. Sur les bords du lac, et
au pied de la montagne que nous avions alors à droite
vers le lac Garâh, se trouvent des salines exploitées par
les habitans de Nazleh ; on a creusé, pour l'usage de
celles-ci, des puits d’où l’on tire l’eau salée , qu’on laisse
évaporer sur le sol, et qui donne un sel très-beau et
très-estimé.
Depuis le Qasr-Qeroun , la pente est insensible ; mais
à trois heures je reconnus qu’elle devenait plus forte,
et à trois heures un quart nous arrivimes sur la crête
-qui termine le désert. Là , j’éprouvai un plaisir difficile
à dépeindre. Depuis quarante-huit heures, mes yeux
avides de découvertes , et parcourant sans cesse tout ce
qui était autour de moi, ne se fixaient que sur des
rochers et du sable ; l’image de la mort se peignait
seule à mon imagination, sans me donner cependant
aucune impression de tristesse ou de malaise. J'avais été
Join d’éprouver les privations et les incommodités ordi-
naires des voyages dans le désert: j'avais fait le mien
avec tout l'agrément possible ; et je doute que jamais un
Européen, dans quelque circonstance qu’il se trouve,
puisse en faire un semblable. Toujours l'esprit tendu sur
-mes opérations, je n’avais nullement souffert de la chaleur,
274 MÉMOIRES.
qui, quoiqu’au mois de janvier , s'élevait de vingt-deux
à vingt-quatre degrés , entre dix heures du matin et trois
heures après midi; je n'avais pas fait ouvrir une seule
fois les outres pour boire , dans le chemin d’une station
à l’autre: mais, au plaisir que me fit éprouver la pre-
mière vue de la verdure , et de la nature en mouvement,
je sentis que mon corps avait été, à mon insu , dans
un état de tension continuel.
Nous appercevions au loin le village de Nazleh, dans
la même direction sud-est que nous avions suivie depuis
le Qasr-Qeroun. Les Arabes, qui avaient suspendu leurs
courses dans toute la traversée du désert, firent alors
caracoler leurs chevaux autour de moi, m'accablant de
saluts, de souhaits et de protestations d'amitié, Ils s’é-
criaient, dans leur joie, qu'ils ramenaient sain et sauf
Je Sammalous Modabber, mot qui signifie régulateur,
et qui leur sert À rendre notre mot ingénieur ; et ils
me donnaient un grand témoignage de leur eslime , en
ajoutant à ce titre le nom de leur tribu. J'avoue que je
n'étais pas insensible à ces démonstrations. Ils m'avaient
identifié avec eux; ma figure hâlée par le soleil, mon
épaisse moustache, et mon costume de Bédouin, auraient
défié le plus habile physionomiste; aussi, parmi les habitans
que nous rencontrâmes bientôt, je m’aperçus qu'aucun
ue soupçonnait la présence d’un Français dans ce groupe
d'Arabes.
Nous arrivâmes à Nazleh à cinq heures. Ce village,
assez considérable , est situé à environ trois lieues des
bords du lac, sur la rive gauche d’un large canal qui
fait suite au Bahr el-Ouâdy, dont j'ai déjà parlé. Autre-
fois Nazleh n'était arrosé que par un ruisseau qui vient
‘de Médine : mais, depuis que la digue de Minyeh a été
\
MÉMOIRES: ‘ 279
rompue, le territoire ‘est inondé , au point .que je vis
encore de grandes flaques très-près du village, quoique
la baisse des eaux qui s’écoulaient depuis plus de trois
mois, eût laissé par-tout le sol à découvert. |
Je passai la nuit à Nazleh, et j'invitai à souper avec
moi le cheykh de ce village, ainsi qu’A’ly Aboubekr,
neveu de Sâleh, qui était venu avec empressement me
rendre sa visite. Je tirai parti de cette réunion , en prenant
de chacun en particulier, tous les renseignemens qu'ils
pouvaient me donner sur les déserts qui entourent le
Fayoum. On présume bien que je ne négligeai pas ce qui
est relatif aux Oasis, et je remarquai avec plaisir que
leurs réponses coïncidaient parfaitement avec les détails
que j'avais reçus, quelques jours auparavant, du kâchef
Solymän et de deux habitans de la petite Oasis, que j'avais
vus à Médine. Je donnerai plus bas les résultats de ces
conférences.
Nous quittâmes Nazleh le 19 nivôse [o janvierl, à
neuf heures et un quart du matin, et nous fimes route,
toujours par le sud-est, à travers les terres cultivées,
qui étaient alors tres - crevassées ; ce qui rendit notre
marche pénible jusqu’au Babr el-Ouädy, que nous re-
trouvâmes seulement à onze heures et un quart , en face
du village d’el-A’ryn, situé sur la rive droite. Ici ce ravin
avait au moins 16 à 17 mètres de profondeur, sur. 200
mètres de largeur ; nous y descendimes pour suivre notre
route dans le fond, qui était moins difficile que le dessus
des herges. Les eaux coulaient sur la partie droite de son
jit, et nous en remontâmes le cours, par une direction
sud, jusqu’à l'embouchure d’an petit canal à droiïle,
qui, me dit-on, venait auparavant de Médine en passant
par Minyeh, et se rendait au Birket-Qeroun après avoir
‘al
276 MÉMOIRES.
arrosé les terres des villages établis sur son cours. Les
Arabes m'assurèrent que le Bahr el-Ouäâdy , que je voyais
si vaste, avait été formé par l’irruption soudaine des eaux
échappées lors de la rupture de la digue de Minyeh ; mais
on verra plus bas que cette supposition n’est pas vrai-
semblable. Les montagnes à l’ouest ne me parurent ici
qu’une légère pente, dont la crête se perdait dans un
horizon éloigné.
À onze heures et un quart, nous arrivämes à Abou-
Gandyr, village très-élevé, au sud-sud-est dé Nazleh.
Du haut du monticule sur lequel ce village est construit,
je distinguais parfaitement Médine, Nazleh, et toute la
partie intermédiaire de la province jusqu’au lac. Une
branche du ruisseau qui vient de Minyeh, passe auprès
d'Abou-Gandyr; et comme les eaux arrivent jusque-là
toujours au niveau des terres, elles forment, en tombant
dans POuädy, une chate d'environ 10 mètres, phéno-
ène inconnu dans le reste de l'Égypte, où l’établis-
sement de machines mues par des eours d'eau serait
d’une si grande utilité pour l'irrigation. Mon condacteur,
cheykh A’ly, trouva à Abou - Gandyr son frère cheykh
O'imân, chef des tribus établies autour de ce village.
Nous ne nous arrêétâmes qu’un quart d'heure dans son
camp, pour prendre le café, et nous continuâmes notre
route par la direction sud-quart-sud-ouest, emmenant
cheykh O’tmân avec nous. À midi et an quart nous
rentrâmes dans le désert, dont le sol, plus élevé que
la terre cultivée , présente un sédiment terreux mêlé de.
sable jaune, couvert de morceaux de pierres calcaires.
Nous étions sur une espèce de plateau, dont la pente
insensible s'étend, en descèndant au nord-ouest , vers
le Qasr - = Ociouns et au sud-est, vers le village et le:
MÉMOIRES. 2717
ruisseau de Garâh. Au sud-sud-ouest , la pente se pro-
longe insensiblement et à perte de vue en montant.
A une heure moins an minutes , nous arrivâmes à
une hauteur isolée, qu’on appelle Koum-Gar4h b’ta el-
Malat, ou Wedynet- Ma’dy. J'y reconnus des ruines
considérables d’une ville qui s’étendait tout autour dans
Ja plaine. Je montai sur la hauteur , et je vis le lac Garâh
dans le bas, au sud, à environ une demi-lieue. On me
fit appercevoir au loin, dans le sud-sud -ouest, deux
montagnes, entre lesquelles sont les deux Rayän et le
chemin pour aller à la petite Oasis, dont je parlerai
plus bas. À Vest-quart-nord-est , la montagne se prolonge
jusqu'à la gorge d’Haouäârah. Au sud-est, on voit le
village qui porte le nom de Medynet el-Garäh. Le revers
de la montagne qui sépare la vallée de Garâh de celle
de l'Égypte, forme une pente douce et facile.
Nous quittâmes les ruines de Medynet - Ma’dy à une
heure et demie , et nous descendimes dans un bas-fond
de terre végétale légerement recouverte de sable. Cette
terre, quoique déserte, serait susceptible de culture ; cat
il y croît spontanément et sans aueun soin, une grande
quantité d'arbres et de plantes diverses.
= Un canal, dont les bords sont cultivés’, coule dansteé:
bas-fond, et va porter ses eaux au sud dans le lac. Nous
remontâmes ce canal jusqu'à Medynet-Garäh, où nous
arrivâmes à trois heures après midi. Ce village est en-
touré d’une muraille pour sa défense; mais son intérieur
présente un aspect misérable: on y trouve une maison de
mamlouk entièrement ruinée, Les alentours ne sont pas
plus agréables. Bien différent des villages d'Égypte , qu'on
reconnaît de loin aux nombreux palmiers dont ils sont
entourés, Medynet-Garâh n’a pas un seul arbre dans
278 MÉMOIRES.
ses environs, et ne présente que l'aspect de la nudité
la plus affreuse. J'y restai pour passer la nuit : je voulais
voir les Xaouâm el- Ouazazé , Arabes dépendans des
Sammalous, qu’on m'avait signalés comme de rusés
voleurs dont je devais me mélier. Je ne sais si la pré-
sence de cheykh A’ly et de cheykh O’tmän leur en
imposa; mais je sortis de leurs mains sans avoir à m'en
plaindre. Ils me parlèrent avec plaisir du Modabber Girard,
qu'ils avaient vu et accompagné dans son voyage deux
ans auparavant. Leur cheykh Kramné m'offrit ses services
pour me conduire au lac qu'ils appellent Garëh b'ta el-
.Gharag , distant du village d'environ deux heures de
chemin au sud. Je les acceptai; mais je renvoyai cetle
visite à l’époque où je me rendrais à la petite Oasis,
voyage dont j'avais conçu le projet depuis que je connais-
sais les détails et la situation de cette île du désert.
J’allai seulement avec lui visiter des débris informes qui
portent le nom de Deyr Zagkhäoueh b’ta el-Ghærag,
et dont la position est à environ une lieue de distance
du village par la direction sud-quart-sud-est,
Nous partimes de Gharaq le 20 nivôse [ro janvier],
à huit heures moins un quart du matin , et nous en-
trâmes à Sennoures, petit village fermé de murs , autour
duquel sont campés Îles Arabes de la tribu de Ma’rabyn;
sur la rive droite du-canal, vis-à-vis de Gharaq. Diri-
geant ensuite notre route au nord-est, nous trouvâmes
plusieurs langues de désert coupées par des parties
susceptibles de culture. À neuf heures et demie, nous
traversâmes le petit canal qui va se jeter dans l’Ouädy
au-dessous d’Abou-Gandyr, et nous arrivâmes sur l’autre
bord à l’origine de la belle digue dont j'ai déjà parlé, et
dont j'ai fait connaître l'usage en expliquant le mou-
vement
MÉMOIRES. 279
vement général des eaux dans la province. Je vais
actuellement en donner des détails.
Cette digue, toute construite en briques cuites ou en
pierres de taille solidement liées à mortier de chaux et
ciment, présente l'aspect d’un de ces grands ouvrages,
objets constans de la sollicitude des gouvernemens sages
pour l'intérêt des hommes ; elle a 6 mètres d'épaisseur
dans le haut, sur autant de hauteur en aval. Elle est
renforcée d’épis et de contre-forts; et, malgré ces pré-
cautions , elle a été rompue vers le milieu, près du village
de Sedmoueh, sur une longueur de 60 mètres. Cette
rupture paraît devoir être attribuée seulement à la force
des eaux, et non à une destruction opérée par les hom-
mes; car on voit encore les gros blocs de maçonnerie
<mportés au loin en aval. Peut-être pourrait-on dire, et
je partage assez cet avis, qu’une aussi grande rupture
est due à la négligence apportée dans la réparation du
premier dégât occasionné par les eaux; car il a suffi
d'une légère infiltration pour opérer à la longue toute
cette dévastation. Depuis cette époque la digue n’a plus
de but , les campagnes de la vallée de Gharagq sont incultes,
et les eaux vont par l'Ouädy inonder en pure perte les
terres depuis Nazleh jusqu’au Birket-Qeroun.
Le dessus de cette digue est souvent interrompu par
de petits ponts, dans l’ouverture desquels on a pratiqué
des déversoirs , destinés sans doute à régler la hauteur
des eaux, lorsqu'elles couvraient la vallée de Gharaq.
Cette circonstance détruit l’assertion des Arabes, qui
prétendent que l’Ouädy n'existait point avant la rupture
de la digue. Les eaux qui passaient sur ces déversoirs,
devaient nécessairement se rendre par un canal dans le
Birket-Qeroun; seulement, il pouvait être moins large
L 7° Liv. | 19
280 MÉMOIRES.
qu'aujourd'hui. La digue fait plusieurs contours suivant
les inflexions du terrain, et se prolonge à l’est, sur une
Jonguear d’environ 8500 mètres, jusqu’au village de
Defennoû , où elle se termine.
_ Déjà notre approche avait été signalée au village de
Minyeh, où résidait le grand cheykh Abou-Sâleh, père
d’A’ly et d'O’tmân, mes compagnons de voyage ; et bien-
tôt nous vimes paraître leur troisième frère Groubeh,
qu'Abou-Saleh envoyait pour nous féliciter de sa part
sur notre heureux retour. Ce bon vieillard vint lui-même
à notre rencontre , et, s’arrêétant à cent pas de nous, ül
descendit de cheval et se dirigea vers moi à pied; je lui
rendis aussitôt le même honneur , et nous nous avançâmes
seuls l’un vers l’autre , chacun en avant de nos groupes.
Cheykh Aly jusqu'alors n'avait quitté mes mouvemens
qu’une fois et malgré lui, lorsque je le laissai à l’ex-
trémité da Birket - Qeroun, et que je courus seul au
Qasr ; cette fois il ne me suivit point, retenu par le res-
pect qu’il portait à son père, à qui je témoignai toute
ma satisfaction d’avoir eu pour compagnons, un homme
tel que son fils, et des Arabes courageux et fidèles , tels
que ses braves Sammalous, Je m’aperçus qu’il était sensible
_à mes éloges, et dés ce moment la confiance s’élablit
entre nous. Nous remontâmes à cheval: Abou-Säleh se
tint à ma droite, ses trois enfans derrière; et nous fimes
ainsi une espèce d'entrée triomphante à Minyeh, sur
les dix heures et un quart. La population entière s'était
portée sur notre passage, et les femmes firent entendre
leurs ululations, signe ordinaire d’une grande joie.
Abou-Sileh habitait à Minych une maison assez vaste,
qui fut bientôt remplie d’un grand nombre de convives
de tous les rangs, À peine assis sur les divans, Abou-
MÉMOIRES. . 28t
Saleh me présenta tous ses enfans, parmi lesquels j'en
remarquai un de neuf à dix ans , auquel il témoignait une
affection toute particulière : cet enfant, d’une très- jolie
figure, montait à cheval, se servait de ses armes aussi
bien que le Bédouin le plus expérimenté , et montrait
une vivacité de caractère qui plaisait beaucoup à son
père. Je dis à Abou-Säleh que , sans le connaître, j'avais
remarqué dans la plaine la bonne mine, la souplesse et
la dextérité de cet enfant. Nouveau Jacob, Abou-Sileh,
ému par les louanges que je donnais à son fils bien-aimé,
m'en témoigna sa reconnaissance d’une manière qui pa-
raîtra incroyable dans nos mœurs, mais qui est une
conséquence de leurs idées sur l’esclavage ; il m'offit
cet enfant, me disant que je pouvais l'emmener et
V'attacher à mon service. Je lui répondis que j'étais sen-
sible à cet offre, mais que son fils ne serait jamais
aussi bien et qu'il dégénérerait sans doute dans d’autres
mains que les siennes ; que d’ailleurs j'avais aussi en
France un fils comme le sien, sur qui reposaient toutes
mes espérances, et que, connaissant tout le prix de ce
bienfait du ciel, je me reprocherais d'en avoir privé celui
que désormais je voulais regarder et aimer comme mon
père. Il leva les yeux au ciel, et le remercia de lui
avoir fait trouver en moi un véritable ami.
On croira, peut-être, que je me plais à peindre ici
une scène d'imagination, ou que du moins je m’efforce
à lui donner quelque intérêt. La vérité est que je rapporte
exactement ce qui s’est passé, et que je rends notre
conversation presque mot à mot, telle qu’elle se trouve
dans mon journal, où je l'insérai le soir même; mais
je dois dire aussi, pour l'explication de ces sentimens
d'amitié qu’Abou-Säleh paraissait vouloir me témoigner ,.
282 MÉMOIRES.
que, me regardant, à cause dé ma qualité de modabber,
comme un personnage très - important , il voulait me
déterminer à faire rétablir la digue et ses déversoirs. Je
lui parlai de l’état actuel de ce monument comme d’un
grand malheur, qu'il entrait dans les vues des Français
de réparer le plus promptemént possible. Dans un mou-
vement d’effusion et de reconnaissance , il m'assura que
je pouvais disposer de lui et de toute la tribu des Sam-
ralous , qu’ils m'accompagneraïent par-tout où je voudrais
aller, et qu’ils répondaïent de moi à la vie et à la mort,
Je profitai de ce moment pour reparler de mon voyage
à l'Oasis ; il me confirma l’exactitudu de tous les ren-
seignemens qui m'avaient été donné à Médine et à
Nazleh , et m'assura que lorèque je lui aurais fait connai-
tre le jour de mon départ, je trouverais tout disposé
pour faire cette excursion avec sûreté et agrément. Voici
les détails que j'ai recueillis sur ces Oasis, et la manière
dont nous convinmes de faire lé voyage.
L’el-Ouäh situé à la hauteur du Fayoum , et désigné
dans toutes les anciennes cartes sous ke nom d’Oasis
parva, est à trois journées et dernie au sud-ouest de
Médine. C’est un petit vallon, dans lequel on trouve
plusieurs sources d'eau chaude et d’eau froide. La popu-
lation se compose dé quatre villages contenant thacun
cent cinquante à deux cents\ habitans , qui cultivent
beaucoup le dattier, dont ils font leur principal comnrerce.
ls, ont aussi du xiz, du dourah , ét quelques arbres
fruitiers, tels que figuiers, bananiers, orangers et gre-
nadiers ; mais ils n’ont pas de blé. Ils transportent’ ou
font transporter par les Arabes Æoby &e là Babyÿreh le
superflu de leurs denrées au Fayoum ét au Kaïre , et ils
les échangent pour des toiles, du fer et du blé. Ë n'y
MÉMOIRES. __. 283
a dans cette Oasis ni chevaux ni moutons, vraisem-
blablement faute de pâturages. Le climat en est très-malsain,
parce que les vents du sud, de l’est et de l’ouest, qui
traversent d'immenses plages de sable, y apportent un |
souffle chaud et empoisonné , de la nature du kbhamsyn
d'Égypte : aussi les hommes y sont d’une très - petite
stature, toujours malades, ou ont l'apparence d’une
très-mauvaise santé.
_ Pour se rendre de Médine à el-Ouâh, on doit passer
au lac Garah. On trouve, à deux heures au sud de ce
lac, deux puits appelés Rayän el-Kebyr et Rayän el-.
Soghayr , auprès desquels on voit un monument sem-
blable au Qasr - Queroun. Il reste ensuite à traverser ,
‘dans la direction sud-ouest, deux journées et demie de
déserts dans lesquels on ne rencontre ni puits, ni aucune
trace de végétation. |
Je devais faire le voyage avec cinquante Arabes portés
sur vingt-cinq dromadaires chargés des alimens et de la
boisson nécessaire pour les deux hommes, ainsi que
pour l'animal , qui traverse sans boire tout le désert depuis
le dernier Rayän jusqu’à el-Ouäh: les hommes boivent
à Gardh et aux deux Raydn, où ils remplissent seule-
ment une outre fort petite pour alléger la charge de
leur dromadaire ; aussi ne boivent-ils qu’une fois par jour.
Cheykh A’ly et moi devions monter chacun un cheval,
et deux chameaux devaient porter le bagage, les vivres
et trois outres d'eau, une pour chaque Rene etlune pour
nous deux.
Quaut à l'Oasis d'Ammon, connue sous le nom de
Syou&k , la route est à l’ouest du Qasr-Qeroun. On monte
là montagne à gauche, et l’on suit toujours à l’ouest.
Sept jours et demi de marche séparent cette Oasis de
284 | MÉMOIRES.
l'el-Ouäh, et lon ne met que dix jours en partant de
Médine. On trouve au bout de quatre jours de marche
un Jac d'eau douce appelé Magrara. On doit remarquer
que ce lac répond à la même distance de Médine que
J'el-Ouâh, et l’on pourrait en conclure que ce lac est
dans un bas-fond qui fait suite à celui de l’Oasis. Trois
jours après, on arrive à un puits d’eau saumâtre nommé
Hegé. Deux journées plus loin, on rencontre quelques
huttes habitées, et enfin l’on arrive le lendemain au
Syouäh. |
Une outre suffit dans ce voyage à deux hommes pendant
quatre jours, et une outre par jour pour chaque cheval.
Les chameaux boivent au lac, au puits Hegé , au Syouäâh, |
et ne boivent point dans l'intervalle d’une station à l’autre.
Les distances ne sont appréciées dans ces détails que
par les journées de marche, j'ai tenté quelquefois de les
fixer d’une manière ‘plus certaine ; maïs cela me fut tou-
jours impossible. Si je demandais combien’de lieues on
compte depuis le Rayân jusqu’à el-Ouâh, les Arabes me
répondaient : « Une seulement. » Lorsque j'en venais
a l'explication, ils me disaient: « On ne compte pas
» dans le désert comme dans le pays cultivé, où les
» lieues, malagak, sont toujours la distance d’une station
» à une autre. Dans le désert, on compte par le temps. »
Mais. si je leur demandais combien on compte d'heures
de marche, ils me répondaient: « C’est suivant la longueur
» du jour: » car ils comptent douze heures depuis le
lever du soleil jusqu'a son coucher, quelle que soit
l'époque de l'année, ce qui fait que Pheure n’est LPO
une quantité fixe. |
On servit le diner, qui mit fin à l'intéressante conver-
sation aie j'avais eue pendant plus dé deux heures ave
MéMoInrnezgs. 285.
Abou-Säâleh, ses fils et ses Arabes ; après quoi nous nous.
séparâmes très-satisfaits l’un de l’autre, avec. promesse
mutuelle de nous revoir bientôt: mais cette promesse.
n’a malheureusement jamais pu être effectuée ; les évé-
_ nemens rompirent tous mes projets, et je n’ai plus revu
ce bon cheykh, à qui j'avais déjà voué une us
affection.
Cheykh A’ly et moi nous repartimes de Minyeh à une.
heure, nous dirigeant sur Médine par le nord-est; nous .
passâmes au village de Ga’freh à une demi-heure de
distance, laissant Defennoû sur notre droite. Un quart
d'heure après, nous arrivâmes à Atamneh, et ensuite à
Etsä, villages qui se touchent. De là, nous suivimes le
chemin entre Abousyr à droite, et Ma’sarah à gauche;
nous traversämes Souâfyeh, nous passâmes auprès de
Begyg, et nous rentrâmes à Médine à trois heures et
demie, ayant toujours marché au bon ee du. cheval
depuis Minyeh.
La reconnaissance que je venais de terminer, avait
entièrement fixé mes idées sur le système d'irrigation du.
Fayoum: mais, pour bien expliquer ce système, et
montrer comment il se lie avec ce que disent tous les
anciens auteurs , il fallait des données précises sur la
relation de tous les points de la province avec le régime
du Nil et le sol de la vallée de l'Égypte. Mon intention
était d'entreprendre , à cet effet, un nivellement depuis
le Nil jusqu’à Haouäârah el-Kebyr, de mesurer la chute à
ce pont , de continuer ensuite jusqu’au point de partage
à Médine, et de conduire le nivellement jusqu’au Birket-
Qeroun , d’un côté, et jusqu’au lac Garâh, de l’autre :
mais je reçus quelques jours après, des ordres de me
rendre au Kaire, et de 1à à Damiette, pour un projet
206 MÉMOIRES.
de route à faire entre Sälehyeh et Alexandrie. Des retards
survenus dans l'exécution de ce projet me laissèrent
encore l'espoir de reprendre mes opérations du Fayoum;
j'avais même obtenu l'autorisation d'y retourner, et
j'allais partir vers le milieu du mois de ventôse, com-
mencement de mars 1801, avec le général Damas , nommé
commandant des deux provinces, lorsque l'apparition
des Anglais, et notre départ d'Égypte qui en fut la suile,
mirent fin à tous nos travaux dans ce pays.
CONCLUSION.
Ce que j'ai vu suffit néanmoins pour répandre un
grand jour sur la question de la vraie position du lac
de Moœris, de sa forme, de son étendue et de son usage,
Tout le monde .est d'accord sur ce point, que le lac
de Mœris avait l’aspect d’une vaste mer, et qu’il avait
long-temps été d’une grande utilité pour absorber les
eaux dans Îles trop grandes crues, et fertiliser Ja vallée
de l'Egypte dans la décroissance du fleuve. On varie
seulement sur la position de ce lac, et l’on doute qu’il
ait pu être fait de main d'homme, vu sa grande étendue.
Les uns ; d’après ce passage d'Hérodote Késras de axpn
, # Aipyn æpoc Bopens Te xœs vorey, ne cherchent le lac de
Moœris que dans un long canal allant du sud au nord;
et comme ils veulent lui donner les troïs mille six cents
stades de circuit que cet auteur lui assigne, et qu'on
ne peut trouver un canal aussi long dans la province
du Tayoum, ïls Pont cherché et ont cru Île trouver
dans la province de Beny- Soueyf.
Les autres, au contraire, ne peuvent voir le lac de
Moœris que dans le Birket - Qeroun, s'appuyant à cet
égard sur la description détaillée de ce lac, que l’on
MÉMOIRES. 207
trouve dans Strabon: Oavmaçiy dé ka rs Alpevny êyes
Tir Mospid'o re Tenayiay TÔ peyébes as TE Xp
JaraTToed\n nai Tic ajytan8c d'é êçiv dpéy éoxoTæg Toic
JanæTlior.
Je n’entrerai point dans cette des qui devient
aujourd’ hui entièrement superflue, et qui, ainsi que je
l'ai déjà dit, a été si savamment et si complètement
terminée par le Mémoire de M. Jomard. Le Birket-
Qeroun d'aujourd'hui est bien certainement le lac Mœris
d'autrefois, mais il n’en est que le bas-fond , la cunette
proprement dite, dont l’abaissement est parvenu à son
minimum par l'équilibre établi entre l’évaporation et Îles
eaux qui y ‘affluent annuellement : d’où il suit qu’il
ne faut pas comparer son périmètre actuel avec celui
que lui assigne Hérodote. À cette époque, et encore
du temps de Strabon, le lac enveloppait entièrement
le nome Ârsinoite. Ce géographe le dit expressément ,
il commençait à la pente que j'ai reconnue sensible au
village de Bayamout, et allait battre la montagne du
côté septentrional. Cette certitude d’ailleurs est acquise
par la grande élévation du village de Sennoures qui se
trouvoit dans une île, par les couches de terre végétale
que les dépôts ont laissées sur toutes la plage au nord
du lac, enfin par les sillons horizontaux que l’on voit
tracés sur les couches de la montagne dans toute sa
bauteur. C'est dans le milieu de cette largeur que l’on
voit les îles sur lesquelles étaient élevées les deux pyra-
mides dont parle Hérodote. Le lac s’étendait le long de
Ja montagne à l’ouest jusqu’à une très-grande distance,
et retournait ensuite vers le sud, allant se terminer à
la crête que j'ai vue près de Nazleh, et venant battre
la montagne entre l'Égypte et le Fayoum.
288 MÉMorR=s.
- Si l'on considère maintenant l'immense étendue de
cette développée, on ne sera pas embarrassé peut-être
d'y trouver les trois. mille six cents stades d'Hérodote,
ou du moins une mesure approchante; car il ne faut
pas regarder les dimensions données par cet historien,
comme mathématiquement précises. Il nous prévient lui-
même qu'il ne peut affirmer comme vrai ce qu’il n’a pas
vu, et il ne nous oblige pas de croire tout ce qu'il
rapporte d’après les autres. Sa bonne foi dans le détail
du procédé qu'il assure avoir été employé pour opérer
le déblai des terres provenant du lac, nous avertit aussi
de nous tenir en garde sur tout ce qu’il annonce lui
avoir été dit par les prêtres d'Égypte. Strabon, qui se
pique d’un peu plus de précision , et qui d’ailleurs devait
être scrupuleux dans un ouvrage purement géographique,
garde le silence sur la mesure de ce périmètre, qu'il
n’avait pu ni voir ni apprécier avec justesse; il se contente
de dire : Oayuagny renayiay T® ueytYes. Admirable per
sa grandeur , semblable à une mer.
La partie faite peut - être de main d'homme est le
large canal appelé aujourd’hui Barh-belä-mé, qui com-
munique du Barh-Yousef au Birket-Qeroun. C’est celui
qu’Hérodote désigne lorsqu'il dit que son étendue va du
sud au nord (1). | |
J'ai trouvé l'emplacement du labyrinthe exactement,
comme je lai prouvé plus haut, à cent stades d'Arsi-
noé, mesure donnée par Strabon, Ileparaeucaævrs de
Tara è® ExaTov sad'isc moe éçiv Aposrcn;et à l'origine
du canal peu au-dessus du lac, comme le dit Hérodote,
OAéyoy die The Aiuvnç The Moipioc. Enfin la tradition
(t) Voyez le Mémoire sur le lac de Mæris. 4, pag. 0%.
MÉMOIRES. 289
populaire qui veut que la province du Fayoum ait été
_ autrefois un golfe formé par les eaux du Nil, desséché,
rendu à la culture et mis en état de servir à l'irrigation
des parlies basses de l'Égypte par les soins d’un grand
prince, tout démontre qu’il n’existe point de contra-
diction parmi les anciens, et qu'ils ont tous décrit les
Jieux tels qu’on les voit aujourd’hui ou du moins tels
qu’on en reconnaît encore Pancien état. Mais, dira-t-on,
comment le lac de Mœris a-t-il pu servir de récipient
dans l'inondation, et de réservoir pour l'Égypte dans
la décroissance du fleuve ! Il serait difficile, je dirai même
peut-être impossible , de se rendre raison de cette desti-
nation du lac, si l’on s’en tenait à ne voir l’entrée et la
sortie des eaux que par le même orifice; mais Strabon parle
positivement de deux ouvertures, opus apaporipeig y
par l’une’ desquelles l’eau entrait, tandis qu’elle sortait
par l’autre. | nu
On doit se souvenir que l’eau tombe dans le Fayoum:
par une chute pratiquée sous le pont d'Haouârah el-
Kebyr, et que le lit du canal qui la reçoit est le
rocher pur; sa hauteur n’a donc par varié. A l’époque
de la plus grande étendue du lac de Mœris, c’est-à-dire,
immédiatement après le desséchement du golfe, le
niveau était évidemment inférieur à celui du sol de la
province : or nous avons vu que le canal en domine
la superficie, puisqu'il est sur la ligne culminante que
forme l'intersection des deux plans’ versans ; les eaux
ne pouvaient donc pas “retourner dans l'Égypte par
l'ouverture d’Haouârah el-Kebyr. Cette ouverture n’a
jamais pu servir, ainsi que le dit la tradition, que de
déversoir pour dégager la haute Égypte de la trop Er
quantité d’eau qui nuisait aux terres. :
290 MÉMOIRES.
On a vu, page 264, que la partie septentrionale du
Jac présente l'embouchure d’une vallée qui communique
à Gyzeh ; cette vallée devait donc nécessairement for-
mer la seconde ouverture par laquelle on donnait passage
aux eaux , lors de la baisse du Nil, pour aller fertiliser
les terres de la basse Égypte, dont. le sol est de beau-
coup inférieur à celui de la haute Égypte.
Ainsi s'explique naturellement la manière dont les eaux
entraient dans le lac de Mœris et en sortaient. Détournées
de la branche du Nil qui formait l'ile Héracléotique du
côté de la chaîne de Libye, par le canal de Joseph,
elles fertilisaient d’abord le nome Arsinoite, et leur
excédant tombait dans le vaste lac qui enveloppait ce
nome, par le canal qui se dirige du sud au nord et
passe au pied du labyrinthe. Elles étaient retenues dans
ce lac à la hauteur des grandes crues, et venaient,
pendant la décroissance du fleuve, par un autre canal
également dirigé sud et nord vers Memphis , arroser les
terres de la basse Égypte, sur lesquelles l’abaissement du
sol permettait qu’elles se rendissent.
Tels sont les résuliats de mes travaux, et les consé- :
quences que j'ai tirées de l'inspection des lieux, pendant
le peu de temps que j'ai passé dans la province du
Fayoum. Je suis convaincu que les opérations qui me
restaient à faire , m’auraient fourni des preuves mathéma-
tiques de l'opinion que j'avance. Je regrette de n'avoir
pu les terminer, et je desire que quelque Européen
inspire un jour assez de confiance aux gouverneurs et
aux habitans de ce pays pour pouvoir les entreprendre
avec succès.
Les détails que j'ai promis, dans le cours de cette
Description sur les Arabes du Fayoum et de Leny-Soueyf,
MÉMOIRES. 29t
pouvant , dans celte hypothèse, être d’une grande utilité,
je me suis fait un devoir de les donner, afin de ne
rien laisser à desirer sur ces provinces intéressantes.
Nota. Ce Mémoire fait partie de ceux composant la
Description de Égypte » publiée par ordre du
Gouvernements
Û
TABLEAU
292
—
MÉMOIRES.
TAB:
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GÉNÉRAUX. PARTICULIERS.
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294 MÉMOIRES.
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MÉMOIRES. 297
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298 | Mémoires.
AAA IAA ANA AR RAARANARAE
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NOTICE
SUR LES PRINCIPAUX QUADRUPEDES
dd QUI SE TROUVENT
AU NORD DE LA SYRIE,
Par M. CORANCEZ,
Ancien Consul à Alep , Membre correspondant
de la Société royale d'Arras.
FH. à
|
Rx n’est plus sec.qu’unitinéraire des régions reculées
de lorient. Les lieux n’y offrent guère d'intérêt que dans
le passé. La description de leur état actuel se réduit
trop souvent à leurs noms, à celle de quelques ruines;
mais ces ruines sont placées sous le plus beau ciel. Ce
don de la nature, répand sur le sol qu’il féconde , sur
les animaux qui Phabitent, la plus heureuse influence.
De là, la supériorité de plusieurs races de ces animaux
sur les nôtres. Une autre cause ajoute à cette différence,
<t modifie en orient les mœurs des animaux domestiques:
Chez les peuples nomades de ces contrées, les animaux
forment avec l’homme une société plus intime. Aussi
leurs mœurs sont plus douces, leur intelligence plus
développée. D'un côté, leurs rapports avec l’homme
donnent à leur instinct plus d’étendue ; de l’autre, l’in-
. fluence du climat ajoute'à leurs formes plus de beauté
et d'élégance.
MÉMoIRxs. 299
C’est surtout dans la race du cheval que se développent
ces heureux résultats. Celle des Arabes est la seule qui
se conserve pure en se multipliant parmi des individus
de cette race elle-même. Elle serait dégradée par le
mélange des autres. Celles-ci s’embellissent , au contraire,
en se croisant avec elle. Aussi est-ce une preuve sans
réplique de la supériorité et de l'excellence des chevaux
Arabes. | —
Leur patrie paraît étre le grand désert qui, placé
au sud de Damas, sépare la Syrie des rives de l’Eu-
phrate et des montagnes au centre de l'Arabie ( 1 }.
* Ge désert est le domaine des norgbreuses tribus réunies
en apparence par des mœurs semblables, séparées en
effet par ces mœurs elles-mêmes qui ne permettent pas
qu’elles se confondent par le mariage. Elles possèdent
des races de chevaux distinctes les unes des autres,
comme elles le sont elles-mêmes. Les plus estimées
sont celles du Neilg et des Agneseh. Celle-ci est plus
haute, elle a les formes plus élégantes, les membres
plus minces et plus alongés. L'autre est plus épaisse,
‘ mieux taillée en force, et préférée pour ces qualités
par les Osmanlis.
On sait que les Arabes ont soin, à la naissance de
chaque poulain, de constater par des certificats, la
tribu du père et celle de la mère (2); qu’en vendant
+ ee dar te
| (1) Bruce dit avoir observé de très-beaux chevaux dans le
royaume de Sennaar, parmi les tribus Arabes des bords du
Nil. Mais il est le seul Européen qui les ait observés.
- (2) Pour constater la race.et la naissance du poulain, les.
témoins sont appellés au moment où l’on amène l’étalon pour
couvrir la jument. On dresse ensuite le certificat, et l’on a
-
300 MÉNOIRES.
une jument, ils ne vendent qu’une partie de sà pro-
géniture, et s’en réservent une autre. De là, le prix
très-élevé de leurs jumens relativement à celui des
chevaux. Ïls montent les premières dès l'âge de trois
ans; ils attendent beaucoup plus tard pour les étalons.
C'est ce qui a donné lieu à ce proverbe, qu'il faut
monter les jumens encore si jeunes, qu’elles tombent
sous le cavalier ; qu'il ne faut monter les chevaux que
quand ils sont assez vigoureux pour jeter le cavalier à
terre.
Tandis que les Arabes préfèrent pour leur usage Îles
jumens aux chevaux entiers, ceux-ci sont plus estimés
par les O<manlis. Les premières sont plus douces, plus
sobres, plus attachées à leurs maîtres. Files supportent
plus aisément de grandes fatigues. Les chevaux, au
contraire, présentent dans leurs mouvemens, plus de
vivacité et d'éclat; mais on peut dire que ces mouve-
mens brillants sont pris aux dépens des mouvemens
utiles; car l'animal plein de feu consume dans des
bonds inutiles, sa force qu'il ‘a bientôt épuisée. Les
jumens, plus calmes, calculent leurs moyens, et ne
les déploient que pour l'utilité du maître. Franquilles
au commencement de la carrière, elles s’animent
davantage 'à mesure qu’elle se prolonge. C’est par cette
pt oermererenlinnserellne
soin de la boucler pour qu’elle ne puisse pas recevoir un autre
étalon. Cet nsage, au surplus, quoique général dans les tribus .
Arabes, n’est pas pratiqué dans toutes avec les mêmes forma-
lités, Parmi les Neïlg, on se contente ‘d’appeller les témoins
Torsque la jument est couverte, pour qu'au mement où Île
poulain sera vendu, ils POUsEREE certifier la race en pèce et
celle de la mère.
MÉMOIRES. $or
qualité particulière aux races Arabes, qu elles. inénagérit
leur haleine , qu'elles s’animent en galopant, qu’elles
fournissent enfin un galop dé plusieurs heures : bien
différentes en cela , des chévaux entiers , qui les devancent
d’abord, qu’elles rejoignent ensuite, et qu’elles ‘laissent
enfin bien loin derrière elles, sans qu ils puissent les
atteindre encore. |
Le blanc, le gris ét ses diverses nüâñces , sont les
couleurs dominantes dans les races Arabes. Le manteau
bai n’y est pas très-cornmun; le noir est le plus rare de
tous. Les Arabes méprisent les chevaux dont le corps est
d’une couleur plus foncée que les jeiibes, La situation
de\celles qui diffèrent du manteau dé l'animal, les épis
que forme le poil sur le poitrail, lés tâches au chanfréin ;
en un mot, tous les accidens et les variétés de couleut
dans le manteau sont pour les Orientaüx l’objet d’une
étude particulière, d'autant pltis importante , qu’ils croient
ÿ trouver le pronostic des événemens que le sort réserve
au cheval et À soh maître. Chez des Peuples errans,
qui ne vivent guère que de pillage , la fottune du cavalier
- est toujours attachée à celle du cheval. Ainsi se forme
le préjugé qui met à celle-ci tant d'importance, et les
règlés que l’on a voulu établir pour la deviner dns
l'avenir. | |
Ce n’est pas là le seul préjugé des Arabes relativement
à leurs chevaux. Ils prétendent aussi que ce noble
animal a la faculté de’ découvrir de loin l'ennemi de
son maître; qu'il reconnait, par la force de son odorat,
les embuches de l'assassin caché pour le sürprendre ;
qu'il l'en avertit par ses hennissemens; qu’enfin, il
refuse de marcher si lArabe, iméprisant ses avis, veut
continuer sa route. Ainsi, chez ce peuple pasteur, le
502 MÉMOIRES.
cheval n'est pas seulement l’ami de la famille, le com-
pagnon du maitre; c'est encore à ses yeux, un être.
intellisent qui veille à sa sürelé. Ce préjugé mérite
d'autant plus d’être remarqué, qu’on en retrouve des
traces en orient dès la plus haute antiquité. C’est aînsi,
que la couronne de Perse, disputée par plusieurs pré-
tendants, fut le partage du possesseur des étalons qui
avaient donné, au lever du soleil, les premiers bennis-
semens. .
On a beaucoup parlé de l’excellence des chevaux
Arabes. Ils ont, en effet, dans leurs formes et dans.
leurs mouvemens, une élésance, une noblesse qui
n’apparliennent qu'a eux. Cette élégance est d'autant
plus remarquable, qu’elle existe dans l’ensemble et que,
le plus souvent, elle manque dans les. détails. Il n’est
pas rare qu'ils aient les jambes de devant trop basses ,
le corps trop court, la tête et la croupe;du mulet.
Malgré ces défauts, leur supériorité est bien reconnue.
Us sont vraiment la race primitive. Ils présentent Le type
de l'espèce. Au lieu que nos chevaux, plus beaux peut-
être daus les détails , offrent en quelque sorte, l'ouvrage
de l’homme par le croisement des races, par le résultat
du manège; les chevaux Arabes, qui n’ont, point d’allure
grctice, dont le sang est pur et sans mélange, sont
l'ouvrage de la nature. Ils ont conservé ce charme qui
est particulier à tous ceux de ses ouvrages que l’homme
n'a pas altérés et façonnés à son gré.
Ce noble animal a le désir d'apprendre et de. deviner.
en quelque sorle la volonté de son maïtre. Mais une
lecon trop longue et les châtimens le dépitent. Il y
contracte des vices qui deviennent difficiles à corriger.
Quelques chevaux Arabes ont naturellement des. allures
MÉMOIRES. 803
relevées. Les Osmanlis les préfèrent aux autres, quoi-
qu'ils ne cherchent pas à les former à ces allures.
L'exercice qu'ils font faire à leurs chevaux, en les
arrétant tout court, au milieu de la course la plus
rapide, les ruine bientôt et leur Ôôte tous leurs moyens.
Les Mamlouks, qui excëllent à cet exercice, emploient
_pour cela des mors qui pèsent plusieurs livres, et dont
la gourmette est un anneau ovale d’une seule pièce de
fer. Les Arabes, au contraire, ne se servent pour leurs
chevaux , que de mors très-légers et tres-minces.
Quoique les chevaux Arabes ne soient pas rares en
Syrie, les habitans du désert sont si jaloux de la pos-
session de leurs étalons, et surtout de celle des jumens,
qu'il est difficile d’en acheter de très-beaux. Alep et
Damas sont les lieux les plus convenables pour cela;
Damas surtout, a de certaines époques dans l’année
où les tribus se rapprochent de cette ville. On peut
alors se hasarder à aller parmi ces tribus pour y faire
soi-même ses achats. Si les Arabes consentent à se
défaire de leurs jumens, ce n’est qu’à des prix si élevés
qu'il est impossible de les atteindre. Il n’est pas rare
qu'ils en demandent jusqu’à cinquante ou soixante
bourses, quinze ou vingt mille piastres. Souvent , après
avoir terminé Île marché le plus avantageux pour eux,
ils reviennent sur leur parole, et ne peuvent consentir
à livrer à des infidèles la jument chérie qui jusqu'alors
babita dans leurs tentes, où elle faisait parlie de leur
famille (1).
ES
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(1) Les jumens Arabes sont sujettes à un élargissement de
Ha partie extérieure de la matrice, ce qui les rend stériles,
parce qu’elles ne peuvent plus alors garder la semence de
0
304 MÉMOIRES.
" Au nord de la Syrie sont les chevaux des T'urcomans.
À l'est, sont ceux des Courdes, plus minces que ces derniers;
ais plus épais que ceux des Arabes. Les chevaux des.
Turcomans ont le poil long , les membres épais, lencolure
renforcée. Souvent ils sont erochus sur les jambes de
derrière, tandis que dans les chevaux Arabes le jarret est
placé sar une même ligne perpendiculaire que l’extrémité
de la croupe. Les premiers ont néanmoins de la grâce et
de léclat; mais ils ne sont pas capables de supporter
une longue fatigue. |
” Du mélange de la race Arabe avec celle des Courdes et
_ des Turcomans, sortent les chevaux indigènes de la Syrie.
Hs tiennent plus ou moins de Pune d'elles. Quelques-uns
ont des qualités excellentes. Les plus petits sont coupés
et servent à la monture des Chrétiens. C'est ce que les
Syriens nomment des Guedichs. Ils sont estimés comme
capables de soutenir une longue fatigue ; l’amble est leur
allure la plus commune. Cette allure, préférée par les
Chrétiens , est méprisée par les Arabes comme une preuve
de faiblesse,
Pétalon. C’est à cet accident que les Arabes ont trouvé moyen
de rémédier; en rapprochant et en cousant avec un fil ordi
haire les deux extrémités du vagin. Quelques voyageurs pré-
tendent que souvent Ja stérilité procède de petits trous qui se
trouvent dans le tissu même de la matrice; qu'alors, les
- maréchaux ont l’art de l’extraire, de la racler et d’en teéoudre
les fentes. Cette prétendue opération serait impraticable ; elle
n’a d’autre fondement que celle que nous avons rapportée,
Nous croyons également fausse, l’opinion assez généralement
?épandue, qui attribue des écoulemens périodiques aux jumens
de belles races Arabes , écoulement qu’on prétend s’interrompre
pendant les époques de la gestation. .
MÉMOIRES. 305
Si le cheval est l'ami et le compagnon de l'Arabe , le
chameau est son esclave. C’est un serviteur fidèle , capable
de supporter les plus longues fatigues, de combattre la
faim et la soif pendant de longs intervalles, et dont l’exis-
tence, privée de toutes les jouissances individuelles , est
consumée toute entière au service du maître. C’est à lui
que lArabe doït son indépendance; car lui seul, assure
le domaine du désert où on ne peut l’atteindre, et qui»
sans cet animal utile » deviendrait pour lui-même inac+
cessible. |
Presque toujours, les vertus utiles, moins dtinies
que les qualités brillantes , deviennent pernicieuses à ceux
qui les possèdent. L’homme qui ne voit que lui seul,
abuse de ces qualités au lieu de s’en servir. Voilà comment
Je chameau, devenu victime de sa sobriété et de son
tempérament robuste, porte jusque sur ses membres , dont
Ja forme a dégénéré, les traces d'un long et pénible
| esclavage. : |
On sait que cet animal a été lun des principaux moyens
de l'agrandissement des Wahabis. Seoud le fit servir de
monture à deux cavaliers armés de fusils. Il le chargea
encore d’une quantité de pelotes d’orge pilé, suffisante pour
la nourriture de plusieurs semaines. Ces chameaux ainsi
équipés, que l’on nomme Mardoufah, encore en usage
parmi les Wahabis, donnent à leurs armées, quoique
nombreuses, la faculté de franchir en un moment, les
vastes espaces du désert. Ainsi , fondant à Fimproviste ;
sur leur proie, ils vainquent sans combattre , Ou 6e retirent
sans avoir été vaincus. |
Le laït et la chair du chameau offrent aux Arabes une
nourriture saine et agréable : leur toison , la matière
première de plusieurs étoffes. C’est à tort que l’on a cru
306 MÉMOIRES.
qu'elle servait à la fabrication des schalls, et qu'on l’z
confondue avec la laine de chevron. Chardin et Thevenot
sont, je crois, les premiers qui aient donné lieu à ce
préjugé que beaucoup d’autres ont admis après eux. (1)
Lorsque l’Arabe, égaré loin des sources qui sont séparées
dans le désert par de longs intervalles, est sur le point
de mourir de soif, il peut , en sacrifiant le chameau,
compagnon de son infortune , trouver encore plusieurs
pinies d'eau dans un réservoir particulier que la nature
a accordé à cet animal. On assure aussi que les Wahabhis
ont trouvé le moyen de se désaltérer aux dépens de leurs
(1) Voici le passage de Thévenot :
n Du poil des chameaux, on en fait des chaussons: on en
» fait aussi en Perse des ceintures fort fines; il y en a qui
» coûtent deux tomans, principalement quand elles sont blan-
» ches , à cause que les chameaux de ce poil sent très-rares”
F. tom, 2. :
Thévenot paraît désigner par ces ceintures, les schalls analogues
à ceux de Cachemire que l’on fabrique encore aujourd’hui en
Perse, | |
_» Le poil tombe tout à cet animal au printemps, et si
>» entièrement qu’il paraît un cochon échaudé , et alors on le
u poisse partout pour le défendre de la piqûre des mouches.
> Le poil de chameau est la meilleure toison de tous-les animaux
n domestiques : on en fait des étoffss fort fines, et nous en
n faisons des chapeaux en Europe, le mêlant avec le castor ».
F'oyags de Chardin. Tom. 7, pag. 28. |
Chardin parait confondre ici la dépouille du chameau avec
la Jaine de chevron qui appartient à une race de chèvres
répandue dans l’Asie. Au moins, c’est de cette dernière qu’on
fait usage dans la fabrique des chapeaux, ‘et qui est un objet
d'exportation considérable à Smyrne et dans les villes commer-
gantes de l'Orient. |
MéMoirnres. 307
thameaux sans les faire périr. S'ils se trouvent pressés
par la soif, ils boivent leur sang en leur ouvrant une
veine au sommet de la tête.
On distingue au nord de la Syrie deux races principales
du chameau : le chameau des Arabes et celui des Tur-
comans : ce- dernier est très-épais, garni d’un poil long
et frisé : capable de porter jusqu’à dix ou douze quintaux:
marchant alors d’un pas égal et mesuré; avec une vitesse
moyenne de deux mille quatre cents toises à l'heure :
soutenant cette marche de huit à dix heures par jour,
dans des voyages non interrompus'et d’assez long cours.
Le chameau des Arabes est beaucoup plus fin; il a le poil
ras, les membres légers et dégagés. Plus robuste que celai
des Turcomans, il marche plus vite et. soutient long-
temps la faim et la soif ; mais il ne porte guère plus de
cinq à six quintaux. C’est dans cette dernière race que
se trouve le Dgin, qui en est une variété bien plus mince
. et plus légère encore. Le Dgin a pour allure habituelle
un trot allongé dont la vitesse égale celle du cheval au
galop. Il fournit à cette allure de longues carrières et peut
faire ainsi un chemin de 300 lieues en six ou sept jours.
Cet animal, rare à Alep, et dans Îles environs , est commun
en Égypte.
Le chameau des Turcomans vient des régions -septen—
trionales de l'Asie mineure. Au sud de l’Égypte sont les
limites de la Zone que le chameau des Arabes peut ha-
biter. Dans ce vaste intervalle, on peut suivre les altérations
successives qu’il éprouve par lés variations de la tempéra-
ture et observer quelle est l'influence du climat sur ses
formes, ses mœurs et son tempérament. Epais , lourd,
incapable d’une longue fatigue et d’une abstinence sou-
tenue dans le nord, il acquiert au midi les qualités
308 MÉMOIRES,
contraires. Cependant , dans les pays secs et montagneux,
quoiqu'ils soient situés au nord, les formes plus délicates
du chameau se rapprochent de celui des Arabes. Cest
au moins ce que j'ai été dans le cas d'observer dans
les parties méridionales de l’Asie mineure, sur les chaînes
du mont Taurus. Toutes ces races répandues dans l'Asie,
n’ont qu’une seule bosse sur le dos et appartiennent
conséquemment au dromadaire. Le vrai chameau à deux
bosses est très-rare au nord de la Syrie.
En Europe on trouve le chameau jusqu’à une distance
de cent cinquante lieues de Constantinople , au-delà d’An-
drinople , et sur les confins de la Bulgarie. Cet animal
y est aussi commun qu’en Asie ; il y est employé aux
mêmes travaux. Comme le climat de cette région ne
diffère pas de celui des Zones tempérées de l’Europe , que
le sol y est coupé de plaines et de hautes montagnes,
on doit présumer que le chameau pourrait aisément se
naturaliser en Italie, en Espagne et même en France,
et qu'il y rendrait les mêmes services qu’au nord de l'Asie.
A la vérité, les moyens adoptés par les Européens, pour
Je transport des marchandises, le rendraient moins utile
parmi eux qu'il ne l’est aux peuples de l’Orient, mais
ses avantages se feraient sentir dans les parties privées
de routes où de canaux navigables.
Le chien est aussi l’un de nos animaux domestiques :
dont la race doit fixer en Asie l’œil de l'observateur. En
Europe, l’état d’une longue domesticité a tellement altéré.
son caractère, qu’il est bien difficile d'y retrouver quel-
‘ques traces de ses inclinations primitives. En Orient , au
contraire, cet animal est presqu'indépendant de l’homme.
Mais il ne paraît pas que cette indépendance soit celle
qu'il a tenue de Ja nature et qu'il aurait pu conserver.
C'est l’affranchissement d’un esclave dont le maître dé
MÉMOIRES. 329
daigne les services. Quoiqu'il s’y soit isolé des hommes
pour se réunir en petites sociétés , ces sociétés sont restées
sous la surveillance de ses anciens maîtres , auprès d’eux,
dans les villes qu'ils habitent. L'instinct de l'espèce est
si fort pour se conserver au service de l'homme, que
méme où il a rejetté ce service, elle a voulu vivre près
de lui et s’en écarter le moins possible.
Dès qu’on approche des confins de l’Europe, on peut
observer dans la Bulgarie cette race indépendante qui est
déjà très-nombreuse à Constantinople et que l’on retrouve
ensuite dans toutes les villes de l'Asie. Elle a la taille
des mâtins ordinaires , les oreilles droites, le poil assez
court, mais rude et hérissé. Le museau est allongé,
l'intervalle de la poitrine entre les jambes de devant,
chargé de poils plus fournis que le reste du corps.
Je n'ai jamais remarqué que ces chiens conservent
aucune trace de l'instinct général de leur espèce pour la
chasse. Cependant, ils se répandent par bandes dans les
campagnes, où ils dévorent les cadavres des animaux.
Ceux qu’on essaye quêlquefois d’élever dans les maisons,
se montrent si indociles, qu’on ne peut en tirer aucun
parts Comme ils ne chassent jamais , ils semblent différer
beaucoup des chiens sauvages (1) que les voyageurs ont
(x) Les chiens qui ont été abandonnés dans les solitudes de
PAmérique, ct qui vivent en chiens sauvages depuis cent
cinquante ou deux cents ans, quoiqu’originaires des races
altérées , puisqu'ils sont provenus de chiens domestiques, ont
dû pendant ce long espace de temps se rapproclier, au moins
en partie, de leur forme primitive; cependant les voyageurs
nous disent qu’ils ressemblent à nos lévriers, Ils disent Ie
même chose des chiens sauvages ou devenus sauvages à Congo,
310 MEMOIRES.
observés en Amérique, et qu’on retrouve äussi dans
_ d’autres parties du monde. Cette différence est sur-tout
très-grande, si ces derniers se rapprochent effectivement
pour la forme, de la race du lévrier. Mais M. de Buffon
en discutant Ja réalité de cette ressemblance, a prouvé
qu'elle ne peut être fondée, et la figure qu’il attribue à
eette race de chiens sauvages se rapproche beaucoup de
celle que tous les voyageurs peuvent observer en Asie.
Les Musulmans regardent le chien comme un animal
impur, ils se croient souillés par son contact. Dans l’état
d'isolement où ces animaux se trouvent, ils forment,
dans chaque quartier, des sociétés particulières. Ils y vivent
des débris d’alimens, des viandes que leur fournissent
quelques Musulmans charitables. Ces sociétés , réunies
entr'elles dans le même quartier, sont dans un état de
qui, comme ceux d'Amérique, se rassemblent par troupes pour
faire la guerre aux tigres, aux lions , etc, Mais d’autres , sans
comparer les chiens sauvages de St. Domingue aux lévriers,
disent seulement qu’ils ont pour l’ordinaire la tête plate et
longue, le museau effilé, l’air sauvage, le corps mince et
décharné; qu’ils sont très- légers à la course, qu’ils chassent
en perfection , qu’ils s’apprivoisent aisément en les prenant
tout petits ; ainsi ces chiens sauvages sont extrêmement maigres
et petits; et comme le lévrier ne diffère d’ailleurs qu’assez peu
du mâtin ou du chien que nous appellons chien de berger,
on peut croire que ces chiens sauvages sont plutôt de cette
espèce que de vrais lévriers, parce que, d’autre côté, les anciens
voyageurs ont dit que les chiens naturels du Canada avaient
les oreilles droites comme les renards, et ressemblaient aux
môâtins de médiocre grandeur de nos villageois, c’est-à-dire ,
à nos chiens de bergers; que ceux des sauvages des Antilles
avaient aussi la tête et les oreilles fort longues , et approchaient
de la forme des renards, ( Histoire naturelle du chien ).
| guerre
| MÉMOIRES. 311
guerre perpétuelle avec celles du quartier voisin. Aussi,
ce n’est pas sans danger qu'un chien peut quitter la
rue qu’il habite et où il est bien connu des siens, pour
traverser une rue voisine. Il y est bientôt assailli par
ceux dont elle est le domaine. Cette haine de l'espèce
pour elle-même est bien plus active encore, à l'égard
des chiens d'Europe, contre lesquels elle s'exerce avec
fureur. |
Le chien de l'Orient a conservé cet instinct qui devine
les dispositions de son maître, et partage en quelque
sorte ses affections à l'égard des hommes qui l'entourent.
11 reconnaît en Orient les Musulmans pour les maîtres
de l'Asie. H les respecte partout et ne les insulte jamais ;
mais il semble partager leur mépris pour les: Chrétiens.
C’est surtout contre les Européens que sa haine s'exerce
avec fureur. Leurs habits, qui les distinguent, éveillent
l'attention de ces animaux; et il n’est pas rare qu'ils
en soient cruellement mordus. |
Quoique ces animaux restent souvent sans nourriture ,
et que l’eau leur manque quelquefois dans les grandes
chaleurs , il est bien rare qu’ils deviennent enragés. Je
sais même que l'opinion générale est, que cette maladie
cruelle est parmi eux sans exemple. Quelques auteurs
Vont avancé , et presque tous l'ont répété. Mais cette
assertion est dénuée de fondement. La rage est très-rare ,
il est vrai, en Orient, parmi les chiens domestiques :
elle l’est plus encore parmi ceux qui vivent dans l'indé-
pendance.; mais elle n’est pas sans exemple, même parmi
ces derniers (1).
(1) Il ne peut me rester aucun doute à cet égard, d’après
lexactitude avec laquelle les Bohémiens qui sont à Àlep,
Tome L 7 Liv, 21
512 — MÉMOIRES.
Cette race indépendante conserve la même forme dans
toutes les parties de l'Orient, quoique séparées les unes
des autres par de grandes distances. A Constantinople,
au Caire, dans toutes les villes de l’Asie mineure , elle
présente les mêmes mœurs et le même caractère; partout
l'indocilité, l’absence des qualités brillantes et utiles dont
l’homme a tiré tant de fruits. Maïs ces qualités se retrou-
vent, jusqu'à un certain point, dans deux autres races
que l’homme y a gardées à son service : le lévrier et le
Lodgé, espèce batarde du basset.
Le lévrier présente , en Syrie, deux variétés très-
distinctes. L’une est d’une finesse et d’une légèreté ad-
mirables: c’est le lévrier des Arabes; celui d'Égypte est
le plus mince de tous. L'autre, beaucoup plus épais,
se rapproche du Danois par les formes et par le courage:
c'est cetie dernière race qui s’est conservée chez les
Turcomans. L'espèce du lévrier est, au surplus, très-
commune dans toute lAsie mineure. On la retrouve
aussi, en grand nombre , dans les provinces Européennes
de l'empire Oftoman : ceux de Salonique sont très-estimés.
Le bodgé est une variété de notre chien basset. On s’en
“sert pour prendre le lièvre dans les trous. I est têtu,
indocile, et on le dresse difficilement. Mais en le croisant
avec les braques et avec les chiens courans qui viennent
d'Europe , on en tire uñe race excellente, que nous croyons
plus intelligente , et surtout plus précoce qu'aucun de
ces derniers. , |
Ces trois races sont les seules qui habitent, à-peu-près.
particulièrement chargés du soin des chiens de chasse, m’ont
décrit les phénomiues de la rage,
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MÉMOIRES. ; 313
indistinctement, toutes les parties de l’empire Ottoman.
Il en est quelques autres qui sont resserrées dans de
certaines provinces, et qu’on ne trouve pas au-delà :
telle est celle des chiens d'Irlande dans l’Arabkir, pro-
vince de l’ancienne Arménie. Ce chien, que l’on emploie
à la garde des troupeaux, ne le cède ni pour la taille,
ni pour le courage, à la grande espèce que Buffon a
décrite. Il y a une autre race qu’on emploie au même
service : elle ne diffère pas de nos chiens de bergers.
Le chien Turc, qui dans l’origine dut être un doguin
transporté au midi, où la chaleur a fait tomber son
poil, ne se trouve pas en Syrie. Il est même rare au-
jourd’'hui à Constantinople.
: Parmi les autres quadrupèdes qui habitent le nord de
la Syrie, on trouve d’abord le chacal, espèce de chien
sauvage, dont le poil rude est d’un jaune doré. Ces
animaux se réunissent par bandes ; ils vivent dans des
trous sous terre. Quoique très-multipliés autour des grandes
villes, où ils annoncent leur voisinage par des cris
plaintifs et prolongés, sur-tout à de certaines époques
de l’année, ils sont si sauvages, qu’on les rencontre
difficilement. Les lévriers les chassent avec fureur, mais
non pas sans danger; car cet animal a les dents longues
et fortes, et ne se laisse pas aisément approcher.
Il y a aussi des renards aux environs d'Alep : cet
animal y est même très-commun dans les plaines pier-
reuses qui s'étendent à l’ouest de cette ville. On le chasse
avec des lévriers. Sa fourrure, d'un gris sale et mal
fournie de poils, se vend à bas prix. Le loup est beau-
coup plus rare en Orient. Le blaireau y vit isolé, aussi
bien qu’en Europe. On trouve aussi des fouines, des
bérissons, des porcs-épics. Le peuple est persuadé que
L
314 MÉMOIRES.
ce dernier a la singulière faculté de lancer ses dards comme
des flèches , contre les chiens et contre les chasseurs : tant
le merveilleux s’adopte aisément, même sur les faits dont
une expérience journalière démontre la fausseté. La chair
du porc-épic est d’assez bon goût, mais fort indigeste.
Les Chrétiens d'Alep la mangent sans répugnance , au
contraire des Musulmans et des Juils, qui la regardent
comme impure.
Dans le désert, à l’orient d'Alep, on rencontre une
variété du loup-cervier que les Turcs nomment Ear-
rah- koulah. Sa fourrure fauve et mouchetée, est bien
moins estimée que celle du lynx : on l’emploie pour des
pelisses communes, qui se vendent 50 à 80 piastres.
C'est du caracal que les Arabes ont dit, qu'il sert de
pourvoyeur au lion, et qu'après lui avoir indiqué sa
proie, il en partage avec lui les dépouilles. Les hyènes
ne sont pas très-rares dans la Syrie septentrionale; elles
habitent dans le fond des cavernes, et n’approchent des
lieux babités que dans la mauvaise saison. Les Bohémiens
ont l’art d'approcher cet animal, le plus vorace de tous,
et de le saisir dans sa retraite : ils y réussissent, en le
charmant, pour ainsi dire, par l'aspect d’une vive lumière
qu'ils portent au-devant d'eux, et par de certains tons
_cadencés. Dès que l'animal ébloui s’est laissé approcher,
ils fui jettent sur le corps un manteau qui l’aveugle,
et le prive de l’usage de ses membres. Enfin, il y a dans
les gorges du Taurus, au-dessus d’Alexandrette, une
espèce d'once, dont la peau est recherchée pour des
housses de chevaux. Il paraît que c’est la même que
Tavernier et d’autres voyageurs ont observée en Perse.
Ils la représentent comme si douce et si facile à appri-
voiser, qu’on la dresse pour la chasse; mais je n'ai
4
MÉMOIRES 31:
jamais entendu dire qu’on eut pensé à en faire cet usage.
Non loin des ruines d’Isionda, vers les limites entre
Ja Lycie et la Pamphylie, se trouve une contrée isolée
habitée seulement par des bergers qui possèdent pour
toute propriété des chèvres qu'ils mènent paître sur
des montagnes voisines. |
Cet animal est de l'espèce que l’on nomme chèvre noire
dans l'Asie mineure, par opposition à celle dont le poil
est long, soyeux et frisé, et que l’on connait en
Europe sous le nom de chèvre d’Angora. Ces deux
races, qui dans quelques endroits, vivent très-rappro-
chées, ne se confoudent pourtant jamais, C’est à tort
que quelques naturalistes ont prétendu que la race
d'Angora offre le dernier degré d’une amélioration suc-
cessive, dont on peut suivre les nuances à mesure
qu’on approche de cette ville. J'ai réuni à cet égard des
renseignemens assez détaillés, qui ne seront pas déplacés
ici. Ils ont l'avantage d'offrir quelques données qui
pourront servir à l'amélioration des races de l'Europe (1).
Comme je l'ai déjà observé, l'espèce de chèvre counue
en France sous le nom de chèvre d’Angora , n’est pas
la seule qui existe dans la Natolie et aux environs de
cette ville. On y trouve aussi une espèce plus com-
mune, et qui est bien plus rapprochée de la chèvre
d'Europe. Les voyageurs n'ont désigué qu'imparfaitement
ces deux races très-distinctes : de 1à, l'incertitude où
l'on est en Europe, sur l’espèce de la toison et les
produits de chacune en parliculier.
PR RER
(1) Ces renseignemens que j'avais réunis en 1893, pour répon=
dre aux questions proposées par la Société d’agriculture de
Lyon, ont été imprimés en partie dans le Moniteur du 38 juia
1804 , et réimprimés ensuite dans plusieurs ouvrages périodiques.
316. MÉMOIRES.
‘On ne peut détruire cette incertitude qu’en désignant
d'une manière positive ces diverses races; car cette
distinction empêchera de confondre à l’avenir le duvet
court et catonneux d’une espèce avec le poil long et
soyeux de l’autre. C’est pour remplir cet objet que je
décrirai séparément les deux races de chèvres qui se:
trouvent dans la Natolie. L'une et la chèvre noire,
l’autre est la chèvre de laine.
La chèvre noire ( cara-gueschi ou seys ) est la chèvre
commu’e, qui se rapproche le plus de celle de l'Europe.
Cet animal se tronve en Egyp'e, en Syrie, dans la
Natolie et dans tout l'Orient. Sa toison est noire ou
d'un bruu foncé. Le poil en est droit, long, assez fin
vers Le bout qui s'implante dans le cuir, De noir et
roide à l’extrémité contraire.
‘La chèvre noire se tond tous les ans. Son poil est
grossier, et ne s’exporte pas au dehors. Il se travaille
sur les lieux, où l’on en fabrique des étoffes rudes,
dés tentes , et des sacs semblables à nos sacs de crin.
Celui d'Angora n’est pas plus estimé que celui des autres.
parties de l'Orient, H vaut sur les lieux trente paras-
l’'ocque de quatre cents dragmes.
Sous ce poil, et sur la peau même de l’animal est
un autre poil plus court et plus fin. Il est composé
de fils minces, dont la longueur varie depuis un pouce
jusqu’à un pouce et demi. Ces fils forment, par leur
mélange à la naissance du poil, un duvet court, coton-
neux, et d'un gris tirant sur le jaune.
C'est cette partie de la toison qui en est le produit
le plus précieux. On l’obtient, en platrant d'une eau
saturée de chaux la peau de l'animal encore garnie de
ses poils. Après quelques instans le poil et le duvet se
2
mr ———— D EEE DEEE
MÉMOIRES. 317
détachent du cuir et se séparent aisément l’un dé l’autre.
Le duvet de la chèvre noire. est importé brut en
Europe ; où il est connu sous le nom de poil de chèvron.
U y est employé dans diverses manufactures, particu-
liérement pour la fabrique des chapeaux. C’est surtout
pour ce dernier usage que Marseille en tirait et en tire
encore une grande quantité : aussi est-ce pour cette
ville l'objet d’un commerce considérable, et l’un des
principaux objets de retour contre les produits de nos.
manufactures qui sont importées en Orient.
La laine de chèvrom est peu abondante en Syrie, et
la qualité n’en est pas estimée. Celle qu’on tire d'Angora,
d'Erzéroum et du nord de la Perse, l’est beaucoup plus.
La province de Kerman en fournit de très- belle. En
général , toutes ces laines sont expédiées à Smyrne par
les caravannes de chameaux qui partent d’Erzéroum. De
Smyrne, elles sont envoyées à Marseille et en Italie par
mer. : | |
On ne sait pas filer la laine de chèvron ni dans la
Syrie, ni dans la Natolie. Elle n’y a d'autre emploi que
celui de servir de base à la fabrique des libets, et on ne
se sert pour cela que de la plus commune. Sa valeur
sur les lieux n’a guères d’autres bases que la demande
des manufactures d'Europe. À Angora, le terme moyen
de cette valeur est de quatre à cinq piastres l’ocque.
. La laine de chèvron est aussi expédiée brute en Europe
de la Perse et de la province de Kerman. Mais ici elle
a sur Îles lieux mêmes une valeur que lui donne son
emploi. Les Persans savent la filer. Ils en font des
schalls semblables à ceux de l’Inde , maïs qui leur sont
fort inférieurs pour la finesse et le goût du dessin.
La chèvre de laine ( tisik gueschi ) forme la seconde
318 … MÉMoirres.
espèce de ces animaux qui se trouve à Angora; mais
au lieu que la première est semblable à la race de
l'Europe avec laquelle elle a beaucoup de rapport, la
chèvre de laine en diffère à beaucoup d’égards; aussi
forme-t-elle dans le genre, une variété constante, peut-
être même une espèce distincte.
Cet animal est celui que Buffon a décrit sous le nom
de chèvre d'Angora. IL est plus bas que la chèvre de
laine. Sa toison est d'une blancheur éclatante ; les poils,
ou plutôt les cheveux qui la composent, sont longs,
déliés, soyeux et frisés naturellement. Leur finesse est
extrême ; et au lieu que la chèvre noire a le poil aussi
dur que le crin, les cheveux de la chèvre de laine sont
aussi sonples que la laine la plus précieuse des mérinos
d'Espagne.
Ces cheveux longs et frisés composent seuls toute la
toison du #islik gueschi. Aussi déliés à leur extrémité
supérieure que vers celle qui s'attache à la peau , ils n’y
sont mélés d'aucun duvet étranger ; ainsi la laine de
chèvron appartient exclusivement à la première race,
et ce duvet est entièrement étranger à la loison de la
chèvre d’Angora.
Cette différence fournit seule un caractère constant qui
distingue les deux espèces. Il y en a beaucoup d’autres.
Tandis que la chèvre noire se multiplie dans tout l'Orient ,
Ja chèvre de laine est particulière au sol d’Angora et à
quelques régions de l’intérieur. Au-delà , la race s’abâtardit ;
le poil devient plus grossier et on ne trouve plus l'espèce
qui, seule, fait la richesse de la ville qui lui a donné
son nom. a ; s
Le territoire d'Angora est formé de montagnes peu
élevées: sur ces montagnes, qui sont couvertes de neige
MÉMOIRES. 319
pendant deux mois de l’année, sont des sources nom
breuses dont l’eau est pure et salutaire, Les ruisseaux
auxquels elles donnent naissance’, arrosent et fertilisent
le sol qui se couvre de gras pâturages. Aussitôt que les
froids ont cessé, on y conduit le Téslik Gueschi. Il passe
sur ces montagnes toute Ja belle saison. Toujours en
route , il change chaque jour de pâturages et reste sans
cesse exposé à l'air. Ce n’est qu’en hiver qu’on le fait
rentrer pendant la nuit dans sa bergerie.
* Les chèvres d’Angora paissent par troupeaux, qui sont
de 200 à 800 têtes. Les mäles sont plus hauts et plus
forts que les femelles. Leur toison est blanche et frisée
comme la leur; mais le poil en est plus rude. La chair de
, cet animal est plus estimée que celle de la chèvre or-
dinaire. On tue pour la boucherie les individus qui ont
passé trois ans; car au-dessus de cet âge le por grossit
et la toison est moins estimée.
Les chèvres d'Angora se tondent tous les ans; après
les avoir lavées dans l'eau courante, on :leur coupe le
poil avec de longs ciseaux d’acier. La toison des femelles,
plus estimée que célle des mâles, pèse de 350: à 400
dragmes. Cette toison est filée sur'les lieux mêmes; et
c'est un fait remarquable que toute la dépouille des trou-
peaux s’y consomme en entier , sans qu'il se fasse aucune
exportation de cette dépouille encore brute. Ce fait au
surplus, s'explique aisément; c’est à ce ‘travail que les
habitans d’Angora doivent leur subsistance, et ils sont
jaloux de la conserver toute entière.
. Rien de plus simple que les procédés qui sont ne
pour méttre en œuvre da “oison des chèvres d’Angora:
Aussitôät-que l'animal .en ‘est. dépouillé , on la peigne avec
we instrument en fer dont les dents sont longues ‘et très-
520 MÉMOIRES.
serrés. Les poils restent nets et dégagés de toutes les
matières étrangères qui ont pu s'y introduire sur le corps
ce l'animal. |
Tous ceux des habitans d’Angora que j’ai pu consulter,
m'ont assuré que cette opération est la seule que l’on
pratique sur le poil en suint. Après l'avoir subie , il est assez
net pour être filé: ce sont les femmes qui sont chargées
de ce soin. Elles filent ce poil à la quenouille, comme
on file le coton, et en réunissant plusieurs brins, ou
deux à trois seulement. Ce dernier fil est le plus fin et
le plus cher de tous ; il vaut jusqu’à douze paras le
dragme. Le prix des autres va en diminuant, suivant leur
grosseur : le plus fort ne vaut qu’un para.
Le poil de la chèvre d’Angora , quoique filé , est encore
écru, et n’a éprouvé aucune opération de teiuture. C’est
dans cet état qu'il est mis en œuvre. On en fait l’étoffe
connue en Orient sous le nom de Chalit d’Angora. Les
chalits, dont on y fait une si grande consommation , sont
tous , en effet, fabriqués dans cette ville.
On estime qu’il y a à Angora plus de deux mille métiers,
tous en activité. Chacun de ces métiers emploie depuis
cinq jusqu’à dix-huit ouvriers: aussi ce travail est-il la
principale source des richesses d'Angora. Les chalits sortent
du métier en pièces de vingt-huit piks de long sur deux
üers de pik de largeur. Ces pièces sont alors envoyées
à la teinture. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes
les nuances possibles. Les rouge vif et les violet sont
jes plus estimés.
‘ Le Chalit est supérieur au Camelot par sa légèreté,
par la finesse et le motlleux du tissu: aussi le prix en
est-il beaucoup plus élevé. Le plus commun vaut 15 piastres
la pièce, le plus cher 190. Ce dernier esi surtout consommé
à Constantinople et en Egypte.
MÉMOIRES. 321
11 résulte de ce que j'ai dit, que, de la double race
qui existe dans lAsie , l’une , la chèvre d’Angora , fournit
une toison précieuse pour la fabrique des Camelots ;
l'autre, la chèvre noire, offre dans le duvet ou laine
de chèvron, une matière première plus précieuse encore.
C'est donc en introduisant en France la chèvre noire de
l’Asie qu’on peut y naturaliser une matière première plus
propre que celles qu’on a pu y employer jusqu'ici pour .
la fabrique des schalls. Cet objet est d'autant plus im-
portant à remplir, qu'il paraît bien prouvé que la laine
de mérinos, quelque fine qu’elle soit, présente, dans
les tissus qu'on en forme , une sécheresse et une roideur
auxquelles il est impossible de rémédier,
La beauté et la finesse de la chèvre de laine doivent
aussi faire desirer qu'on puisse en naturaliser l'espèce en
France. Déjà quelques individus de cette race ont été
envoyés à Rambouillet, où le petit troupeau qu’ils for-
maient s’est long-temps maintenu. Mais on n’avait pu
y employer leur dépouille. Les détails que j'ai donnés
plus haut pourront peut-être servir relativement aux
procédés que l’on doit suivre pour cela.
Le prix des tislik-gueschi à Angora est de 10 7 12
piastres pour Îles femelles, et de 12 à 15 pour les mâles.
Celui des chèvres noires serait moins élevé encore. On
pourrait aisément faire acheter de petits troupeaux de
l'une et de l’autre races. La dernière devrait être choisie
sur les confins de la Perse, et plus loin encore, sil
était possible. Le voyage d’Angora à Alep serait de vingt
à vingt-cinq jours dans la belle saison. D’Alep, il faudrait
envoyer ces troupeaux à Latakié et en Chypre, où se
trouvent toujours des bâtimens destinés pour les ports
de France. Il'serait essentiel de faire accompagner ces
Li
322 MÉMOIRES.
troupeaux par des bergers du pays. En faisant voir la
facilité de cette tentative, il reste à prévenir une ob-
jection qu’on fera sans doute contre Le succès que l’on
doit en attendre,
On a vu plus haut que c’est à la nature du sol
d'Angora qu'on attribue, dans le pays, la finesse de la
toison du éislik - gueschi. En effet, dès qu’on s'éloigne
. de son territoire, on ne retrouve plus cette race que par
troupeaux bien plus rares. Et les mêmes inconvéniens
se présentent sans doute relativement aux races choisies
des Seys. Il semble donc qu'elles pourraient bien éprouver
en France une prompte et entière dégénération. À cela
il est facile de répondre par l'exemple récent d’une ten+
fative semblable dont le succès est à-présent hors de
doute; c'est l'introduction en France des mérinos d’Espagne.
Qui pourra douter que les soins et l’atlention conve-
nahles ne produisent sur l’espèce dont nous parlons , le
même effet qu'ils ont déjà produit pour cette autre race
au moins aussi précieuse ?
En effet, le même préjugé qui existe en Asie existait
et existe encore en ‘Espagne. Les propriétaires et les
majoraux des cabanats étaient tous persuadés que la race
pure des mérinos appartenait exclusivement à leur sof,
ls assuraïient , de plus, que la finesse des Jaines était
un résullat des voyages continuels de leurs troupeaux ,
depuis des montagnes du royaume de Léon jusqu’à celles
de l’Andalousie. C’est à ce préjugé enraciné parmi eux,
et qu’on eut en vain cherché à détruire, que l’on dut
la complaisance qu'ils mirent , dans l’origine , à l’extrac-
tion de la race pure et à sa propagation en France. Cette
opinion se trouvait en quelque sorte vérifiée sur les lieux
mêmes ; car, les mérinos qui devenaient sédentaires à
MÉMOIRES! 323
Ségovie, et qu’on y distinguait sous le nom de piarras ,
dégénéraient dès les premières années , et leur laine y
perdait dès lors 20 à 25 pour cent de son prix. Cepen-
dant l'induction qu'on a tirée de ce fait pour l'impossibilité
de conserver en France la race pure, se trouve absolument
fausse. Les béliers choisis des beaux troupeaux du royaume
égalent par leur finesse, surpassent par la taille et la
force les plus beaux mérinos d'Espagne. Cette induction
n'a donc aucune solidité. Elle ne peut avoir, relati-
vement à l'introduction présumée des chèvres de l’Asie
en Europe, plus de poids qu’elle n’en a contre celle des
mérinos. Ce n’est qu'à l'expérience qu'il appartiendra de
la justifier ou de la démentir. Cette expérience peut
conduire à des résultats si importans, que même dans
le doute , elle mériterait d’être tentée,
324 MÉMOIRES.
AAA AAA AAA AAA VAN SAT AA
Montreuil-sur= Mer, le 16 Mars 1619.
\
A Monsieur le Secrétaire de la Société royale d’Arras,
pour l’encouragement des Sciences, des Lettres et des Arts.
Monsieur ,
Moccurarr, depuis bien des années, de préparer
un ouvrage sur la Cécité des chevaux, et jaloux , pour.
lui laisser le moins à desirer possible, de m’environner
de toutes les lumières, de tous. les renseignemens que
je pourrai recueillir, j'ai l'honneur de vous adresser,
et de recommander à FPattention de la Société royale
d'Arras, une série de questions à traiter que j'ai dressée
dans cette intention. Veuillez, Monsieur, la soumettre
à la Société, et la prier pour moi d'accorder l’autori-
sation de l’insérer dans la prochaine livraison de ses
Mémoires. La Société, en me rendant ce service, concourra
_avec moi à remplir l’objet utile que j'ai en vue; il me
sera infiniment agréable d’avoir à lui en témoigner ma
reconnoissance, et à vous prier d'en partager avec elle
l'expression.
J'ai l'honneur d’être, |
Monsieur ,
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur ,
HURTRKL - D'ARBOVAL.
MÉMOIRES. 7 325
PR TS ST FX TS
QUESTIONS A TRAITER
SUR LA CECITE,
OU LA PERTE DE LA VUE,
DANS LES CHEVAUX;
Posées par M. HURTREL-D’ARBOVAL, Médecin vétéri-
naire amateur , Commissaire spécial pour les Maladies
épizootiques et contagieuses du departement du Pas-de-
Calais, ‘associé correspondant de la Société royale da
la Faculté de Médecine de Paris, de la Société royale
et centrale d'Agriculture, de celle d'Arras, etc. , etc,
EE LE LL LE EE
oi | Et Cécité est-elle ou n’est-elle pas commune dans
les chevaux de tel ou tel département ; dans quelle
proportion y affecte-t-elle ces animaux ?
2.” Quelles sont les races des chevaux qui paroissent .
les plus prédisposées à la Cécité; remarque-t-on cette
infirmité plutôt sur les individus de certains que sur
d'autres ?
3.° Les chevaux qui ont léncolite courte et chargée,
la tête grosse et basse, et ce qu'on appelle la sue
grosse , sont-ils plus dr que d’autres à perdre la
vue; pourquoi ?
4 Les chevaux de trait, de charroï , de labourage,
qui: fatiguent beaucoup, deviennent-ils plutôt aveugles
que les chevaux de selle ou de voiture, qui travaillent
moins; pourrait-on en donner la raison ?
326 . MÉMOIRES.
5. Quel est, selon les différens pays ou les différentes
localités , l’âge où le développement de la Cécité est
le plus à craindre ?
6° La Cécité frappe-t-elle de préférence les chevaux
ou les jumens, les individus les plus jeunes ou les plus
âgés, ceux qui ont eu ou qui n’ont pas eu la gourme,
ou ceux qui ont encore ou qui n’out plus de dents à
faire; quelles en sont les raisons ?
7° Quelles sont en géuéral les principales causes de
la Cécité ? proviennent-elles de quelques vices dans
la conduite, dans l'emploi des forces des chevaux, dans
la manière de les soigner, de les gouverner; de quel-
ques causes générales enfin qui ue soient pas inhérentes
à leur constitution ou à leur espèce, et qui n'agissent
que relativement à certaines circonstances ? Peut - on
déterminer et développer ces. circonstances ?
On est prié d'accorder une grande attentian à cette
question, et de ne pas épargner les détails en y répondant.
= 8.° Quelles sont en particulier les principales eauses
de la Cécité des chevaux ? proviennent-elles :
= D'une prédisposition innée ou héréditaire ;
De l'influence des climats ;
De la constitution atmosphérique en général, et en
particulier du froid ou du chaud, de la sécheresse ou de
l'humidité, de l'influence du voisinage de la mer, ou
de celle de la température des vallons et des montagnes;
Du mode, de la trop courte durée de lalaitement ;
«: Da sévrage brusque et intempestif;
: De l’engraissement et de l’amaigrissement alternatifs;
Des pilurages bas, hunudes, marécageux;
Dés récoltes des prairies artificielles ;
MÉMOIRES. 327
De la nourriture sèche et trop ferme donnée aux jeunes
‘ animaux dont la bouche n'est pas faite;
De la mastication forte et fatiguante qu 'occasionnent
de tels alimens ;
De la qualité mauvaise ou trop succulente des fourrages
et des grains ; |
De la gourme mal jetée.
Des étranguillons ou affectations catarrhales ;
De ce qu'on fait travailler les chevaux trop jeunes 4
Des effets des harnois , et particulièrement du collier
éûr les animaux jeunes, ou sur ceux plus âgés;
De quelques autres causes particulières enfin qui ne
soient point prévues ici?
9° Quelle est l'influence et la manière d'agir de ces
diverses causes sur les yeux des chevaux ?
10.° Quels sont les principaux accidens dont la Cécité
est le plus communément la terminaison ou la suite ;
doit-on les attribuer : |
Aux ophtalmies ;
A la fluxion périodique ou lunatique;
A la cataracte:
_ À Ja goutte sereine ;
A d'autres affections enfin qui ne soient point prévues
Ici? — |
ir.® Quels sont les meilleurs moyens de prévenir la
Cécité des chevaux ?
° Doit-on essayer de délruire aleree de chaque
cause par une indication opposée qui lui serve de
correctif ; quelle serait cette indication pour chacune des
causes? |
13.° Peut - on indiquer dés moyens plus propres à
prévenir celte trop fâcheuse infirmité , et dans la sup-
328 …_ — HÉnorses
position affirmative, en quoi peuvent consister ces derniers -
moyens ? |
14° Quels sont en général les moyens de rémédier à
la Cécité?
15.° Quels sont en particulier les moyens de rémédier
à la cécité, et l'application à en faire à chaque cas,
c’est-à-dire, au traitement de chacune des affections
qui la constitue , ou dont elle est la terminaison ou
la suite?
A la suite de ces Questions, M. HURTREL-D'ARBOVAL
a placé les observations suivantes :
Le Gouvernement désire et encourage l'amélioration
des chevaux, qui est aussi avantageuse pour les besoins
de nos remontes, que pour ceux des derniers de nos
cultivateurs ; c’est donc chercher un but utile à ses
travaux, que de s’occuper de détruire une infirmité qui
détériore quelques-unes de nos bonnes races. Un travail
sur cet objet ne peut être d’une utilité véritablement
générale, qu’autant qu'il est applicable à toutes les
parties de la France; mais, comment essayer de remplir
‘une telle condition sans rapprocher des données parti-
culières acquises dans le cours d’une longue expérience,
celles qu’on a pu noter ou trouver remarquables dans
les différens départemens du Royaume ; sans réclamer par
conséquent le secours des sociétés savantes, des proprié-
taires des chevaux, des cualtivateurs, des directeurs et
inspecteurs des écoles et des baras, des vétérinaires et
des amateurs. On ose appeler sur ce point important
l'attention des uns et des autres, les prier d'examiner
attentivement les questions ci-dessus, de les communiquer
MÉMOIRES. 829 :
aux personnes de leur connaissance dans le cas ou dans
la position de s’en occuper, et on les invite à vouloir
bien y répondre, et à communiquer , tant leurs propres
observations que celles qu’ils pourront recueillir, Il serait
difficile sûrement que la même personne pût répondre
‘a toutes les questions; mais chacun est prié de faire
part de ce qu'il a pu être à portée d'observer : l’on
recevra avec reconnaissance toutes les observations que
l'on voudra bien envoyer : ne fussent-elles relatives qu’à
une seule question. Que l’on ne soit pas arrêté par la
crainte de les mal écrire; on recevra jusqu’à des notes
détachées ou de simples brouillons; et l’on prend ici
l'engagement de conserver le nom des personnes qui auront
la bonté d’exprimer leur intention à cet égard , et de
signer leurs articles. Si l’on veut bien ne pas épargner
Jes détails, quelqu’étendus ou même minutieux qu'ils
puissent paraître, les renseignemens que l’on procurera
seront toujours très ‘utiles, soit qu'ils se rapportent à
des faits observés autrefois, soit qu’ils concernent ceux
qui se présentent journellement, soit qu'il s'agisse de
choses. rares ou. même ordinaires. Il ne suffirait pas de
répondre négativement ou affirmativement à chaque ques-
tion , il est indispensable de les traiter toutes, une à une,
avec une certaine étendue, et même d'accompagner les
observations que l’on produira de l’exposition de plusieurs
faits bien détaillés et bien circonstanciés , propres à en
mettre l’exactitnde en évidence.
M. HURTREL-D'ARBOVAL qui, depuis plus de vingt
années, exerce gratuitement l’art vétérinaire pratiqué dans
le département du Pas-de-Calais, s'occupe depuis long-
tems d'un ouvrage sur la Cécité des chevaux: c’est afin
de procurer à son travail toute la perfection dont il est
0
330 MÉMOIRES.
susceptible qu'il propose cette série de questions et la
soumet à l'attention, aux lumières et aux connaïssances
des corps savans et des hommes instruits dont il vient
de réclamer la coopération. Il ose espérer qu’en faveur
des motifs qui le dirigent et de l’importance même du
sujet, l’on voudra bien mettre quelque zèle à le seconder,
à payer ce faible tribut au bien de l’économie rurale et
à l'avancement de la Science vétérinaire.
AN. B. L'on est prié de faire parvenir les réponses ;,
soit par la voie de ce Recueil, soit en les adressant dia
rectement et franc de port à M. HURTREL-D'ARBOVAL,
à Montreuil-sur-Mer, département du Pas-de-Calais. .
MÉMOIRES 531
AAA AAA AAA A A A AN PA A AR ANA ANS ANNE
NOTICE
SUR UN MALLUS:
_ 0
SANCTUAIRE DRUIDIQUE,
| VULGAIREMENT NOMMÉ |
LES DANSES QU NEUCKES,
Situé dans la plaine ou commune de Landerthun et Ferques ;
villages de l'arrondissement de Boulogne-sur-mer ,
PAR:.M. HENRY,
Secrétaire de la Société d'Agriculture de Boulogne,
et Membre correspondant. de celle d'Arras.
I. territoire du village de Landerthun est séparé de
celui de Ferques par un immense terrain communal,
vague et inculte , dont le sol, couvert de bruyères, n’a
jamais été entamé par le soc de la charrue. Ces sortes
de terrains se nomment riez dans le patois Boulonnais,
et ce mot avait autrefois dans le langage français la
même acception que celle que nous lui avons conservé
dans ce pays. (1).
Ce Riez et la portion du territoire de Landerthan
qui lui est contiguë vers le nord, sont assis sur un
plateau trés-étendu qui aboutit au pied du côteau demi-
“circulaire qui enceint la partie basse de cet arrondisse-
(1) Borel, Trésor des recherchés et antiquités gauloises,
Tome X, 8% Liv, 22
332 MÉMOIRES.
ment nommée la fosse Boulonnaise, et la sépare da
terrain supérieur appellé le haut Boulonnais (a).
Quoique le territoire de Landerthun soit un dés points
les plus élevés du Boulonnais, néanmoins l’escarpement
du côteau environnant qui, partout ailleurs, est forte-
ment prononcé , devient ici presqu'insensible. Ce village
étend sa partie méridionale sur le has Boulonnais, et
sa partie septentrionale sur le haut. L'église et les habi-
tations qui l’environnent , sont placées vers le point
culmimant , de sorte que l’on peut dire figurément que
le, territoire de Landerthun est à cheval sur le côteau.
Vers le milieu du riez, à 8oo mètres environ au
sud-ouest du moulin de Landerthun, on apperçoit un
monticule peu saillant au-dessus du vaste plateau sur
lequel il domine. La longueur de ce tertre est de 40
mètres de l’est à l’ouest; sa largeur du nord au sud
est de 20 mètres.
Des pierres brutes de différentes grosseurs sont dispersées
ça et là sur le monticule: plusieurs y sont disposées
par groupes, plus ou moins nombreux. Cet amas de
roches est connu dans le pays sous le nom de Du
ou de Neuches , c'est-à-dire, Nôce,
Les blocs placés en védette du côté de l'occident , sont
remarquables par leurs dimensions, lisolement où ils sont
entreux , et par la distance qui les sépare des groupes
qui occupent la partie orientale : on les appelle les violons.
L'un de ces blocs, plus volumineux que les deux autres,
est la basse ou le gros violon. Quelques petites pierres
L
ds ERIC gr : z Pa:
- “ > É
(a) Le côteau s'élève jusqu’à 180 mètres au - dessus du
niveau de la basse mer, On l'appelle la montagne jo haut
EBoulonnais.
.
MÉMOIRES. 353
qui environnent les trois ménétriers sont des enfans
qui s'amusent au son des instramens.
Les groupes bordant le côté septentrional du Tumulus,
celui au centre et celui du côté mér.dional, sont les
danseurs : les blocs épars confusément au sud et à l’est,
représentent les assistans et ceux qui, après avoir dansé,
se reposent sur: le gazon.
Telle est la tradition Orale transmise de père en fils
dans les lieux circonvoisins. Les uns attribuent l’origine
de ce monument à la vengeance exercée par le Tout-
Puissant, contre une assemblée de Nôces où l’on dansait,
tandis que le Curé de la paroisse allait administrer le
St. Sacrement de l’Eucharistie à un malade des environs.
Tous ces Mécréans furent changés en HS afin de
servi: d'exemple à la postérité,
D’autres , mieux informés sans doute, prétendent qu’an
tems jadis, il y avait des fées qui, pendant la nuit,
s’assemblaient dans cet endroit, qu’elles y formaient des
danses; qu'un jour, ou plutôt qu’une nuit, s'étant
oubliées dans leurs divertissemens , elles passèrent l'heure
assignée et furent incontinent transformées en rochers.
Cette version vaut bien l’autre !
À travers l’absurdité de ces contes, on aperçoit en-
core quelques points lumineux qui peuvent guider dans
la solution de ce problème archéologique. |
D'abord, la position du monument sur un terrain
absolument vierge, dans la plaine la plus spacieuse et
Je point le plus élevé du bas Boulonnais , induit À penser
que-ee-tertre était un Mallus, c’est-à-dire un sanctuaire
où les habitans de ce canton , autrefois nommé Gésoriac,
venaient adorer et consulter la Divinité à laquelle ce
lieu était consacré,
334 . MÉMOIRES.
. Cette opinion est fondée 1. Sur ce que les peuples
Celtes et Gaulois, regardant la terre comme la mère
commune du genre humain (1), avaient pour principe
d'établir leurs sanctuaires dans des lieux incultes, où
Jon ne vit rien qui ne fut l'ouvrage de la nature, et
où Ja main de l’homme n'eut point dérangé ni séparé
les parties d’une matière qui était pour ainsi dire le corps
et le véhicule de la Divinité (2). |
2.° Elle est fondée sur ce que ces mêmes peuples
étahlissaient leurs Mallus à une distance considérable des
Jieux habités, sur des montagnes. où la Divinité, qui
xemplit l'univers , avait un passage ouvert et libre...
daus des bruyères dont le fond n’avait pas été remué (3).
-.3.° Sur la coutume usitée parmi ces mêmes peuples
de porter, dans les lieux consacrés, un grand nombre de
pierres, afin d'empêcher le soc de la charrue de déchirer
Je sein maternel (4). |
.. 4? Enfiu elle est fondée sur ce que ces sanctuaires
étaient établis en rase campagne, le long des. grands
chemins, et sur-tout -dans des carrefours où plusieurs
chemins se réunissaient, atin que les habitans des cantons
circonvoisins pussent s’y rassembler lors des solennités (5}.
Il est facile de démontrer que toutes les conditions
requises pour l'établissement d’un Mallus se trouvent
réunies dans l’endroit où le Tumulus des Danses est placé.
On a dù voir, par la description du local, que le
monument de Landerthun est situé en rase campagne,
sur le plateau le plus élevé du Boulounais ; qu'il est
d (1) Tacite. De Moribus germ. (3) Cicéro. De Leg. Le 2e
© (2) Strabo. xv, 732 ‘ (4) Just, XLIV, 3
(5) Poultier. Fist. des Celtes, 1V, NI . ne
MÉMOIRES. 333
distant de 600 mètres de l’habitation la plus voisine:
que malgré cet isolement , il touche , par son côté méri-
dional, au chemin de Boulogne à Ardres, dont les
tamifications sont nombreuses en cet endroit; que ce
monticule est couvert de pierres dont l'espèce ne se
trouve employée dans aucune construction (a). Enfin
ces blocs rangés dans un certain ordre pourraient encore
faire penser qu'ils entraient dans la composition d'un
thême céleste. ou que ces pierres rappelaient au sou
venir des habitans du lieu, des époques intéressantes
pour eux.
Les preuves que l’on vient de produire en faveur de
l'établissement d’un Mallus ne sont. pas les seules que
les localités nous fournissent; en voici d’une espèce
différente encore.
La terre, pour laquelle les Celtes avaient une vénéra-
tion particulière, était appelée dans leur langagé Herthum';
JNecquicquam notabile in singulis, nisi quod in commune
Herthum , id est terram matrem colunt, dit Tacite: et
ce passage est d'autant plus remarquable, que ‘le nom
du village de Landerthun, sur le territoire duquel sont
les Danses, désigne dans le langage Celtique, l’origine
et l’usage de ce monument. Land signifie territoire,
(a) Cette particularité, de me trouver cette pierre dans
aucune construction , quoiqu’elle soit de belle et bonne qualité,
influe beaucoup sur ceux qui croient à la métamorphose des
danseurs. Un propriétaire, Cartier, du village de. Ferques,
‘homme de bon sens d’ailleurs, voyant un éclat de ce marbre
que je venais de détacher d’un des blocs, me fit remarquer
qu’il ressemblait à de la chair pétrifiée, et que .l’oh n’en
truuvait point de pareille dans les carrieres du pays.
336 | MéMoïinExs.
pays, lieu sacré, (a) Ærthum est bien le nom de la
Divinité révérée dans ce sanctuaire, que Zacite dit s’ap-
peler Herthum; ces noms ne diffèrent que par l’aspiration
forte A, qui dans le premier est atlirée par la voyelle
faible e qui la suit immédiatement ; au lieu que dans le
second , .c'est-à-dire dans le nom ancien Herthum,
l'articulation forte se prononce . véritablement.
Les Celtes s'imaginaient que la Déesse Herthum allait
_wisiter les peuples quand il lui en prenait la fantaisie,
et voici comment elle voyageait, suivant le même historien,
Tacite. | |
» Dans une des îles de l'Océan , dit-il, il y a une
» forêt vierge (b) daus laquelle on conserve un chariot
» consacré à Herthum : il est couvert d’un voile, et
» personne n'a la permission de le toucher, que le Sa-
» crificateur de la Déesse. Celui-là observe le tems où
» la Déesse se trouve dans le lieu qui lui est consacré ,
» et suit avec beaucoup de respect la voiture traînée
# par deux vaches. On fait de grandes réjouissances,
» on célèbre des fêtes dans tous les lieux où elle passe :
» pendant cette solennité on ne fait point la guerre,
» on ne porte point les armes, qui sont toutes enfer-
» mées. Ce n'est que pendant ce tems que la paix et
» Île repos sont connus et aimés. Lorsque Herthum est
» rassasiée d’habiter parmi les mortels, le même sacri-
» ficateur la ramène dans le temple. Le chariot, la
Ÿ
|
\ ;
(a) Froissart assure que ce mot Land signifiait un Monastère;
d’où est venu le nom de Landi donné à la foire acéardée au
-Monastère de St. Denis. .
(8) C'est-à-dire une forêt dont les arbres n’avaient. jamais
été taillés.
MÉMOIRES. 337
» couverture, et, si. l’on veut le croire, la Déesse elle.
» même, sont lavés dans un lac caché et inconnu. On
» emploie à cette cérémonie des esclaves qui sont noyés
» dans le lac même. De-là naît une frayeur religieuse
»# qui réprime toute curiosité profàne sur un mystère
» que l’on ne peut vouloir pénétrer sans qu'il en coûte
» la vie à l'instant. » (a)
En allant de Landerthun à Ardres , lorsqu'on a par-
couru 5 kilomètres et demi, on trouve une branche
de chemin qui traverse une partie du territoire d’un
autre village nommé aussi Landerthun , auquel on ajoute
l'épithète de lès 4rdres, pour le distinguer du premier
que l’on appelle Landerthun le Nord. La branche de ce
chemin prolongée aboutit à Terrouenne, Tarvana, an-
cienne capitale de la cité des Morins. |
\ Ce Landerthun lès Ardres, se trouvait sur le territoire
des peuples Oromansacs, contigu au canton Gesoriac ;
(1) c'était probablement un lieu de séjour pour Hertbum,
lorsque faisant sa tournée , elle visitait les peuples de
ce canton Oromnansaec.
(a) Est in insula oceani Castum nemus , dicatum in eo vehiculum
veste contectum, attingere uni sacerdoti concessum. Is adesse
penetrali deam intelligit, vectamque bubus fæminis cum veneratione
prosequitur, Læti tunc dies , festa loca, quæcunque adveniu
hospitioque dignatur. Non bella ineunt , non arma sumunt , clau-
sum omne ferrum. Paz et quies tunc tantum nofta, tunc fantum
amata, donec idem sacerdos satiatam conversatione mortalium
deam templo reddat, Mox vehiculum et pestes ; et si credere velis,
numen ipsum secreto lacu abluitur, Servi ministrant | quos statim
idem lacus haurit. Arcanus hinc terror, sancia que ignorantia,
quid sit illud quod tantum perituri vidents .
| (r) Pline : Nat, hist Lib. xvir.
r>
-
338. MÉMoIrnEzxEs.
La terre, ou le principe passif, n’était pas la seule
Divinité révérée par les peuples de cette contrée. L'esprit
universel, l'âme du monde, le principe actif, paraît avoir
eu son simulacre dans l'endroit nommé le Coderous,
distant d'un kilomètre à l'est des Danses. Ce simulacre
était un chêne, pour lequel les Druides avaient la plus
grande vénération. Cod ou God en celtique signifie bon,
excellent, Dieu: Rove (a) désigne un chêne, ainsi
Cod-Rove que l'on prononce ici, Coderous signifie le
Chène de Dieu.
Les peuples Celtes et Gaulois pensaient aussi que les
lacs, les fleuves et la mer même étaient sous la protec-
tion de certains génies qui avaient coutume d'y résider ,
et dans cette persuasion ils rendaient un culte religieux
à ces diverses parties de la nature. Nous retrouvons
encore ici des traces de cette ancienne superstition. Une
source peu éloignée du Mallus d'Herthum , vers le sud-
est, a, dit-on, la propriété de fournir, aux vraïiscroyans,
un breuvage délicieux la veille de la St. Jean d'été à
minuit très - précis. Il faut seulement être à jeun et
en état de grâce, comme de raison; alors on peut à
loisir s’abreuver d’un vin excellent qui ne coûte rien
que la peine de le puiser à la fontaine. Ce vin là est
bien naturel, sans doute (b).
2 PE)
(a) Ce mot Hove, chêne , nous a été conservé dans la vie de
St. Joave ou Jovin, qui se trouve dans les actes des Saints
de Bollandus au second de Mars. De-là, le mot français
Houvre , et le mot Robur que les latins avaient emprunté
des Gaulois. — |
| (6) Lette propriété supposée est fort acoréditée dans les
villages des environs. On m'a raconté, et je me suis fait
répéter, en différens tems et en divers endroits, l’histoire
MÉMOIRES. 359
Quelques-uns des peuples Celtes plaçaient dans leurs
‘ sanctuaires une pierre qui représentait la divinité que
des Danses et de la fontaine miraculeuse qui est auprès; on
m’a cité des personnes de Landerthun qui s’étaient rendues
sur les lieux pour attendre l'instant propice. J’ai vu une de
ces personnes âgée maintenant d’une soixantaine d’années ;
elle m’a confessé de bonne foi, qu’étant accompagnée de deux
äutres earmarades , ils s’étaient rendus auprès de la fontaine
ün soir, veille de la St. Jean, pour attendre minuit; que
malheureusement ils furent saisis d’une torreur panique quel-
ques momens avant l'heure précise, et qu’ils avaient regagné
leurs gites au plutôt.
Il n’y a rien d'étonnant dans la crédulité des habitans de
nos campagnes, gens simples de mœurs, et d’une foi très—
rigoureuse , lorsque nous apprenons de Pline, livre 4, chap.
103, de son histoire naturelle, que dans l’ile Dardros il y
a an temple dédié à Bacchus, dans lequel l’eau d’une fontaine
se change toujours en via Je 6.° jour de janvier. 7n ÆAndro
insula templo lberi patris fontem nonis januaris semper sini
sapore fluere. Et lorsque St. Epiphane nous assure que par un
prodige fort surprenant, on voyait de son tems, en divers
endroits, plusieurs fontaines et quelques rivières dont l’eau
se changeait en vin, ou en prenait le goût avec la couleur
au jour anniversaire du miraele fait par J.-C. aux nôces de
Cana; qu’il proteste même avoir goûté lui-même du vin de
lune de ces fontaines à Cibyre , dans l’Asie mineure, décla-
rant de plus que des Moines de sa connaissance avaient éprouvé
la même chose d’une autre fontaine qui était dans l’église
de la ville de Gerase, en Arabie; que quelques-uns publiaient
la même chose des eaux. du Nil, ( dans certains endroits ),
et que les Égyptiens en prenaient de J’eau le jour de l’Epir
phanie pour la conserver. ;
_ Baillet, qui rapporte ces témoignages dans la vie des Saints,
t. 1. p. 82, dit que lon ne doit pas rejetter légèrement Pautorité
dun aussi saint homme qu’EÉpiphane , suriout en ce qu’il assure
sur le iémoignago de sa propre expérience. |
340 MÉMOIRES.
l’on y adorait. Cette pierre était distinguée de celles que
l’on portait dans les lieux consacrés pour empêcher le
remuement du sol.
Il n'est pas possible de reconnaître parmi es pierres
des Danses, celle qui aurait pu représenter la Divinité
du lieu. On remarque seulement dans le groupe un
bloc qui semble attirer les regards des gens du pays
d’une manière plus particulière que les autres. La partie
supérieure de cette pierre se trouve creusée par. hazard
et d’une manière très-irrégulière : cette cavité peut avoir
de 30 à 35 centimètres de longueut sur 25 à 30 de lar-
geur: sa profondeur très-inégale est de 20 à 22 centi-
mètres. Des parties plus ou moins saillantes couvrent.
cette espèce de vase du côté méridional ,. et par ce moyen
empêchent les rayons du soleil d'y pénétrer: de plus,
l’intérieur du bloc est complètement saturé par l’eau des
pluies et les rosées qui l’humectent depuis que la pierre
est déposée en cet endroit. Il reste donc toujours quelque
peu d’eau dans ce réceptacle, et cette circonstance a pu
frapper ceux qui ont visité les Danses à plusieurs reprises
et les induire à penser que l'eau distillait de la pierre,
qu’elle était intarissable et par conséquent douée de quel-
que vertu singulière. Me trouvant sur les lieux par un
très-beau tems, et après une sécheresse de quelque durée ,
on me fit remarquer ce prétendu phénomène. Je crus
qu'il était convenable d’en faire voir l’absurdité ; je cassaï
Je bord septentrional du réservoir et fis remarquer à mon
Cicérone que l’eau ne revenait d'aucun côté, ce qui
mé parut le surprendre.
Après avoir découvert les lieux consacrés au culte des
anciens habitans de ce pays, il est à propos de faire Îa
recherche de ceux où les Ministres de leur religion
faisaient leur résidence. |
MÉMOIRES. 341
En jettant les yeux au sud du Mallus d’Herthum,
on apperçoit un petit vallon d’un aspect agréable, qui
reçoit la liqueur limpide que fournit la source miracu-
leuse dont nous avons parlé plus haut. À un kilomètre
environ de cette fontaine , et sur le penchant du côteau
du côté oriental, on trouve une habitation dont le nom
Bardes (a) ne laisse aucun lieu de douter que cet endroit
ne fut le séjour de l’ordre sacerdotal nommé les Bardes,
qui, chez les Gaulois, étaient chargés de composer des
hymnes et de: poëmes héroïques pour honorer les Dieux,
et célébrer les actions glorieuses des grands hommes de
leur Nation (1).
Les Fates , autre classe de prêtres Gaulois, fournissaient
un Sacrificateur chargé de l'interprétation des présages ,
de la prédiction des choses futures, et des réponses à
faire à tous ceux qui venaient consulter la Divinité (2).
Ce souverain poutife vivait dans la retraite, présentait
les offrandes et ne communiquait point avec le reste
des humains. Le village de Ferques paraîtrait avoir été
le lieu de la résidence de ce Sacrificateur. Selon Ducange,
Ferctum désigne une offrande que l’on présentait dans
les temples ; Genus libi dictum quod crebrius ad sacra
Ferebatur. Ferctor était le nom du Sacrificateur.
Les Druides qui composaient le troisième et le plus
nombreux des ordres sacerdotaux , s’adonnaient particu-
lièrement à l’étude de la phylosophie naturelle et de la
morale: ils occupaient les lieux retirés, les solitudes les
plus profondes. C’est dans ces retraites que l’on allait les
consulter (3). Le village de Caffiers, dans un lieu couvert
(r) (2) (3) Strabo, Lib 1v. .
(e) La carte de l’Académie nomme aussi cet endroit les Bardes.
542 MÉMOIRES.
et enfoncé, dans le voisinage de plusieurs bois, semble-
rait indiquer la résidence de ce chœur pontifical. Cofen
celtique , signifie creux, retraite , solitude. Les ruines de
l'ancienne abbaye de Beaulieu donnent encore un certain
poids à cette hypothèse.
Examinons maintenant les motifs qui ont pu faire
donner le nom de Danses au Tumulus de Landerthun.
Les peuples Celtes et Gaulois attribuaient à la lune
une grande influence sur toutes les parties du monde
sublunaire: ils pensaient que cette influence arrivait à
son maximum avec le sixième jour du croissant, c’est
pourquoi ils appellaient ce jour-là Guerit - tout (x).
Cependant le jour de la pleine lune était l’époque ordi-
naire de leurs assemblées; alors ils passaient la nuit hors
de leurs domieiles en chantant et en dansant au son des
instrumens de musique. Lorsqu'ils se rendaient aux
assemblées religieuses , ils portaient chacun un flambeau
qu’ils déposaient devant l’objet de Icur vénération.
Ces coutumes datent de la plus haute antiquité : elles
- étaient pratiquées par tous les peuples Celtes et Gaulois
qui occupaient ka majeure partie du territoire Européen.
Elles s'étaient enracinées chez ces peuples de manière à
s'y éterniser. Long-tems après l'établissement du chris-
tianisme , elles étaient encore en usage, malgré les dé-
fenses expresses des canons et la publication des édits
les plus rigoureux. |
= Charlemagne proscrivit absolument ces usages ; un de
ses capitulaires porte: » A l'égard des arbres, des pierres
» et des fontaines où quelques insensés vont allumer
» des chaudelles et pratiquer d’autres superstitions ; nous
RS RER SERIE
(x) Pline xviuxr. | ot
—
MÉMOIRES. 343
» ordonnons que cet abus si criminel soit aboli et en-
» tièrement détruit partout où il se trouve établi. »
Dans un autre capitulaire il est dit que , « s’il se trouve
» dans une paroisse des infidèles qui allument des flam-
» beaux , et qui rendent un service religieux aux arbres,
» aux fontaines et aux pierres, le curé qui négligera
» de corriger un pareil abus doit savoir qu'il est cou-
» pable d'un véritable sacrilège. »
Pour éluder, autant que possible , » des ordres si
positifs, les Gaulois restés fidèles au culte de leurs
ancêtres se rendaient furtivement aux assemblées qui se
tenaient pendant la nuit dans les campagnes les plus
désertes : là, on offrait des sacrifices accompagnés de
cérémonies que le peuple appellait magiques, parce que,
dit Pelontier , il n’y comprenait rien. Alors, les accusa-"
tions de sorcellerie furent prodiguées aux adorateurs de
la terre et de la nature, et donnèrent lieu à Ja fable
du sabbat où les sorciers tiennent pendant la nuit des
assemblées que le diable préside.
Les Danses qui terminaient ces réunions , etla blancheur
éclatante des vêtemens des Druides, firent inventer les
contes ridicules des danses des fées, et lorsque la re-
hgion chrétienne fut la seule pratiquée dans le Boulon-
nois on voulut donner à ces contes une tournure analogue
au culte nouvellement établi : alors on imagina l’histoire ,
non moins absurde , de la nôce rassemblée sur la commune
de Landerthbun pour le divertissement des danses, le
passage du curé portant le St. Sacrement , le refus de
fléchir le genou devant le Créateur, et la punition de
ce crime abominable qui suivit aussitôt. Enfin les acteurs
se trouvant encore rangés dans le lieu même de l’action
imaginaire , le nom de Danses ou de Neuches fut donné
4
344 MÉMOIRES.
au tas de pierres, et lui fut conservé jusqu’à ce jour.
= Les cérémonies et les danses druidiques finissant lors-
que l'aurore venait annoncer Île retour du soleil sur
l'horison, il ne faut pas s'étonner de voir le nom de
point du jour donné à quelques habitations où hameaux
éloignés d’un kilomètre au sud-est des Danses, c’est le
point du lever du soleil, au solstice d'hyver, époque
des nuits les plus longues.
Une masse de preuves aussi considérable , parmi les-
quelles il s’en trouve qui portent le sceau de l'évidence,
doit sufhre pour démontrer que le monument de Lan-
derthun, connu sous le nom de Danses ou Neuches , était
un Mallus ou sanctuaire consacré à Herthum ou à la terre,
à qui les Celtes rendaient un culte particulier comme
à la-mère des humains. Il serait possible encore que dans
les environs de Landerthun il y eut une forêt vierge comme
dans l’île désignée par Tacite , où le chariot de la Déesse
eut été déposè au retour de ses voyages. Au pied de la
montagne du haut Boulorinais, entre Cafiers et le Ventus,
on trouve un endroit nommé Bastret: ce hameau qui
occupe le point le plus bas de la contrée est situé au
confluent de deux vallées qui se croisent et qui par
conséquent couvrent Bastret de tous côtés. En supposant
que le sol ardu fut anciennement couvert d’arbres an-
tiques et touffus , qui l’ombrageaient dans les tems
reculés dont nous nous occupons, on aura l'idée d’un
licu inaccessible à tous regards profanes et curieux;
d’un lieu tel que Tacite dépeint le Castum nemus qui
était parvenu à sa connaissance, et qui certainement
n’était point le seul qui existât sur l'immense territoire
des Celtes et des Gaulois. | |
_ Le nom de Bastret que porte le hameau dont nous
ES um
MÉMOIRES. 345
venons de parler peut avoir de l’analogie avec celui de
Basten qui selon Bullet, dans son dictionnaire Celtique,
désigne un Char garni de tapis molleis traîné par des
animaux , et par conséquent semblable au chariot d’AHer-
thum, décrit par Tacite.
Il résulte donc de tout ce qui précède que le territoire
des villages de Landerthun , de Ferques et de Caffiers
était l'emplacement que le Clergé Druidique de la cité
des Morins avait choisi pour y faire sa résidence , et
que c'était là que les peuples de cette contrée venaient
célébrer les mystères de leur religion et consulter les
oracles.
346 MÉMOIRES.
\
AAA AAA AA AAA AAA ns à |
MÉMOIRE
SUR UN NOUVEL ALCALI
| (LA STRYCHNINE)
| | | TROUVÉ !
DANS LA FÈVE DE NE 4
LA NOIX VOMIQUE, ETC.
PAR MM. PELLETIER ET CAVENTOU ,
Membres correspondans de la Svcieté royale d'Arras.
Lx pensait que les plantes d’une même famille , et,
à plus forte raison, celles d’un même genre, étaient le
plus souvent douées de propriétés médicales analogues.
Murray et Gmelin partageaient cette opinion: c’est encore
la doctrine que professent les plus célèbres botanistes de
nos jours. |
Si, comme on n’en peut douter d’après de telles autorités,
l’action que les végétaux peuvent exercer sur l’économie
animale est en rapport avec leurs formes essentielles ,
de sorte que les plantes d'une même famille possèdent
généralement les mêmes propriétés médicales, n’est - ce
pas parce qu'elles contiennent les mêmes matériaux
immédiats , et avec ceux-ci un même principe dont l’action
sur l’économie animale, plus forte , plus énergique, semble
imprimer un caractère à toutes les parties du végétal qui
le renferment ? Et si Gleditsch , Cullen et plusieurs autres,
ont assuré qu’on ne pouvait juger des vertus des plantes
d’après leurs formes extérieures et leurs caractères bota-
niques
LES
MÉMOIRES. 347
niques, c'est qu’ils attachaient un sens trop littéral aux
expressions dont se servaient leurs adversaires. Mais en
posant ainsi la question :
Les végétaux doivent leurs propriétés rides aux
matériaux immédiats qui les constituent; les végétaux
d’une méme famille contiennent le plus souvent les mêmes
matériaux ou principes immédiats ; la propriété médicale
caractéristique , dans chaque végétal, est principalement
due à l’un de ces corps ; l'intensité de cette propriété es£
proportionnelle à la quantité du principe qui la détermine,
et si ce principe vient à manquer dans une espèce, la
propriété médicale caractéristique de la famille manque
avec lui; alors l'accord le plus parfait touchant ce sujet
régnera parmi les botanistes, C’est dans le but d’établir
ces vérités d’une manière incontestable que nous avons
entrepris des recherches chimiques sur les végétaux les
plus actifs de la matière médicale.
Parmi ceux-ci, on a signalé avec raison plusieurs
espèces du genre sérychnos , et particulièrement la noix
vomique et la fève de Saint-Ignace ( sérychnos nux vomiea
et strychnos ignatia ). Ces deux graines ont, dans ces
derniers temps, attiré toute l'attention des physiologistes ,
et la première a donné lieu à de savantes dissertations
lues dans le sein de l’Académie. Les effets de la seconde
ont été aussi observés; mais les difficultés de se procurer
cette semence ont rendu les observations moins nom-
breuses. Plusieurs travaux chimiques avaient aussi été
entrepris sur la noix vomique , et il existait deux analyses
de cette semence; l’une publiée par M. Desportes, et
l'autre , peu différente, par M. Braconnot. L'on ignorait,
au contraire, entièrement la composition de la fève de
Saint-Ignace, jusqu’à l’époque où nous étant procuré
Tome 1. 8°" Liv. 23
348 MÉMOIRES.
, une certaine quantité de cette substance, nous lavons
soumise à l'examen. C’est en nous occupant de ce travail
que nous sommes parvenus à isoler le principe actif de
cette matière et des autres sérychnos vénéneux. Nous
Pavons obtenu sous forme cristalline, parfaitement blanc,
et avec tous les caractères d’une substance pure et toute
particulière, douée des propriétés distinctives et carac-
téristiques des bases salifiables, c'est-à-dire, de la faculté
de s'unir aux acides, de les saturer en formant avec eux
de véritables sels neutres , solubles , a et
cristallisables.
. Eucouragés par ce succès nous avons repris l’analyse de
la noix vomique , et nous n'avons pas tardé à retrouver
dans cette matière le principe alcalin de la fève de Saint-
Ignace. Dans la noix vomique, il eonstitue, par sa
combinaison avec un acide et son mélange avec une
matière colorante , le principe jaune amer décrit par
MM. Desportes et Braconnot. Il existe enfin dans un
bois connu sous le nom de bois de couleuvre, et que
les naturalistes rapportent à un strychnos (srychnos
colubrina ).
L'exposé des propriétés chimiques de la matiere active
des strychnos et de son action sur l’économie animale,
fait le sujet de ce Mémoire.
La présence d’une matière active dans trois espèces
de plantes d’un même genre nous autorise à faire dériver
le nom quil est nécessaire de lui imposer comme subs-
tance nouvelle, du nom même de ce genre: en consé-
quence nous proposons d'appeler sétrychnine la substance
qui fait le sujet principal de ce Mémoire.
Nous l’avions d’abord nommée vauqueline , en l'honneur
du célèbre chimiste qui le premier a signalé un’ a/cali
MÉMOIRES. 349
orgaganique (1); mais nous nous sommes rangés à
(r) Rappelant ici une découverte sur laquelle M, Vauquelia
a trop peu insisté, on nous permettra de citer le passage où
on la consigne : « Nous étant appercus que le principe âcre
n du daphné ne sévaporait point avec l’alcohol , et qu’il
n s’évaporait, au contraire, avee l’eau, nous avons distillé
n la dissolution de ce principe dans l’alcohol, jusqu’à ce qu’il
n ne restât plus de ce dernier; et, après avoir étendu le
résidu avec de l’eau et filtré la liqueur pour en séparer la résine
verte, nous avons distillé de nouveau cette liqueur jusqu’à
ce qu’elle fût réduite en consistance sirupeuse. Cette subs-
tance n’avait plus alors de saveur êcre; mais J’eau distillée
que nous avons obtenue en avait une très-marquée , qui
ne se faisait sentir qu’une heure après l’avoir mise dans
la bouche, mais dont l’intensité croissait pendant plusieurs
heures, et ne cessait entièrement qu’au bout de vingt-quatre
à trente heures. Voici les phénomènes que cette eau a
présentés aux réactifs: 1.° elle rétablit la couleur de tour-
nesol rougi par un acide; ce qui prouve qu’elle contient un
alcali , ou une autre substance qui agit de même; cependant
elle ne verdit pas la teinture de violette ;
» 3° Elle précipite en blanc l’acétate de plomb, et ce pré-
n oipité prend, quand on l’agite, un aspect brillant satiné,
» comme une ancienne dissolution de savon de suif ;
» 3.9 L’eau de chaux ni l’eau de baryte n’en éprouvent
n aucan changement; ce qui prouve que cette liqueur ne
» contenait pas de carbonates alcalins.
n 4° Elle précipite le sulfate de cuivre en flocons bJanchâtres
n tirant un peu sur le vert, |
» 5.° Elle trouble légèrement Île nitrate d’argent; mais la
» liqueur devient rose au bout d’un certain temps. Sont-ce
» quelques traces d’ammoniaque contenues dans cette eau qui
n produisent les effets qui viennent d'être exposés, ou scrait-ce
SI III II YŸYS 3
%
n la matière âcre elle-même ? Je serais assez disposé à le croire, »
(Annales de Chimie , tom. LXXXIV.)
550 | MÉMOIRES.
Pavis de MM. les commissaires de l’Académie , qui ont
pensé qu’un nom chéri ne pouvait étre appliqué à un
principe malfaisant. Nous ne parlerons pas de tous les
essais que nous avons faits sur la fève de Saint-Ignace
ét la noix vomique, pour séparer les différens principes
immédiats que renferment ces substances. Nous croyons
cependant devoir rapporter les observations qui nous ont
conduits à la découverte de la strychnine, cet exposé
pouvant offrir quelque intérêt sous le point. de vue de
l'histoire de l'analyse végétale,
Extraction de la Strychnine.
_ La texture cornée de la fève de Saint-Ignace, et la
quantité de matière grasse qu’elle contient , n’ayant pas
permis de la réduire en poudre, nous l'avons divisée au
moyen de la râpe. Dans cet état, elle a été soumise à
l'action de l’éther sulfurique dans le digesteur à soupape.
Nous avons , par ce moyen , obtenu une sorte de beurre
. ou d'huile de consistance épaisse d’une couleur légère-
ment verdâtre , transparente lorsqu'elle est à l’état de
fusion. Cette huile, que nous regardions d’abord commie
un principe pur, avait sur l’économie animale l’action
caractéristique de la fève de Saint-Ignace, et faisait périr
les animanx dans les accès du tétanos. Nous verrons
plus bas que cette propriété n'appartient pas à l'huile ,
mais à un corps qu’elle renferme, et que nous n'y
soupçonnions pas alors.
La fève de Saint-Ignace, ne cédant rien de plus à
l'éther , fut traitée par l’alcohol bouillant. Les nombreuses
décoctions alcoholiques que nous avons été obligés de
faire pour enlever à la fève de Saint-Ignace tout ce qu’elle
contenait de soluble dans ce menstrue, ont été réunies
après avoir été filtrées deux fois: la première fois, bouil-
MÉMOIRES. S5Y
lantes, pour les séparer da corps de la semence ; la seconde
fois, après être entièrement refroidies, pour obtenir une
petite quantité de matière cireuse qui s'était séparée par
le refroidissement. Alors elles ont été soumises à l'éva-
poration , et ont laissé une matière d’un brun jaunâtre,
très-amère, soluble dans l’eau et dans l’alcohol. Cette
matière avait sur l’économie animale l’action la plus
vive el la plus énergique,
_ Jusqu'ici notre analyse marchait parallèlement aveo
l'analyse de la noix vomique , telle qu’elle avait été faité
par MM. Desportes et Braconnot. Comme ces chimistes,
nous trouvions une matière grasse très-active, et une
matière jaune -brunâtre très-amère, non moins active
que celte dernière. Cependant il nous répugnait d’ad-
mettre que deux corps si différens par leurs propriétés
chimiques , que la matière grasse et la matière jaune
amère ; eussent une action semblable sur l’économie
animale ; et regardant toujours la matière grasse comme
uve substance homogène et pure; ayant , au contraire,
de fortes rafsons pour considérer le principe amer coloré
comure un composé plus ou moins complexe, notre
attention se porta sur ce dernier, et supposant qu'il
retenait de la matière grasse en combinaison, nous
variâmes nos essais pour l’en séparer entièrement. Nous
parvimmes , il est vrai, par plusieurs moyens, à en
séparer encore une petite quantité de matière grasse ;
mais il conservait toujours son activité. Les solutions
dans l’eau et l’alcokol , l’action de l’éther, des sels , des.
| oxides métaHiques ,; furent en vain éprouvées , et nous
restions toujours dans la même incertitude. Enfin, nous
étant aperçus que la matière grasse élait susceptible
d’être saponifiée, nous tentâmes de l’attaquer dans la
592 MÉMOIRES.
matière amère colorée:, en employant les alcalis, espé-
rant trouver plus de facilité à opérer la séparation de
la matière grasse lorsqu'elle serait dans l’état de la sa-
ponification. Ayant donc mêlé une solution de potasse
caustique avec une solution assez concentrée de la matière
jaune amère obtenue de la fève de Saint-Ignace , il se
fit sur-le-champ un précipité abondant. Ce précipité , lavé
à l’eau froide , dans laquelle il était insoluble , a offert une
matière blanche, cristalline , d’une excessive amertume ;
la jiqueur alcaline retenait toute la matière colorante,
‘et un acide sur lequel nous reviendrons par la suite.
: Après avoir ainsi obtenu la matière blanche, nous
nous hatâmes d’examiner ses propriétés. Nous aperçûmes
bientôt qu’elle possédait celle de ramener au bleu les
couleurs végétales rougies par les acides , quoiqu'il fût
impossible de reconnaître les moindres traces de potasse
dans les derniers lavages de la matière blanche. Cepen-
dant , pour lever jusqu’au moindre doute, nous prépa-
râmes de nouvelles quantités de matière cristalline, en
traitant quelques grammes de matière jaurfé amère par
de la magnésie bien pure , à l’aide de l’ébullition prolongée
quelques minutes. Le tout refroidi et jeté sur un filtre
qui retenait la magnésie et la matière cristalline à l'état
de mélange , la matière colorante fut entièrement enlevée
par des lavages à l’eau froide, qui n’a que peu d'action
sur le principe amer cristallin: celui-ci étant, au contriire ,
très-soluble dans l’alcohol , fut séparé, par ce moyen, de
la magnésie, et obtenu dans un grand état de pureté.
Dans cet état, il jouissait d’une manière très-marquée
des propriétés alcalines. |
‘L'action épouvantablement énergique que cette matière
exercait sur l’écenomie animale , action constatée par un
MÉMOIRES. 353
grand nombre d'expériences rapportées à la fin de ce Mé-
moire, ne pouvait plus nous faire balancer à regarder
cette substance comme le principe actif de la fève de Saint-
Ignace ; maïs alors il devait se retrouver dans la matière
grasse, et celle-ci , en:s’en dépouillant , devait perdre ses
propriétés vénéneuses. L'expérience a confirmé notre idée.
En dissolvant à froid fa matière grasse ‘dans de l’éther,
nous avons obtenu une certaine quantité de matière
cristalline, et nous sommes enfin parvenus à dépouiller
la matière grasse de toute action sur l’économie animale,
en la faisant bouillir long-temps dans de leau acidulée
avec l'acide hydrochlorique , qui s’emparait des dernières
portions de matière alcaline. |
©" La matière amère cristallisée alcaline de la fève de Saint-
Ignace, ou, pour ne*plus se servir de périphrase, la
strychnine, devait se trouver dans la noix vomique :
l'expérience confirma bientôt nos soupçons ; mais obtenue
par le même procédé, elle n’était ni blanche ni cristalline
comme celle fournie par la fève de Saint-Ignace , et ik
était assez difficile de la reconnaître. Si nous n’avions pas
été prévenus en faveur de son existence par nos expé-
riences sur la fève de Saint-Ignace, elle aurait pu échapper
à nos recherches comme à celles des chimistes qui nous
ont précédés dans l'analyse de la noix vomique. Elle
était colorée, poisseuse, se pelotonnait et se prenait en
masse. Nous reconnûmes qu’elle était souillée d’une
grande quantité de matière grasse dont il faHait la dé-
barrasser. Le procédé le plus prompt et ke plus économique,
poar obtenir pure la strychnine de la noix vomique,
consiste à en faire un extrait alcoholique qu’on dissout
dans l’eau; alors on ajoute dans la liqueur de la solution
de sous-acétate de plomb jusqu’à cessation de précipité.
554 MÉMOIRES.
Par l’acétate de plomb, on précipite À la fois l’acide
combiné à la strychnine, la matière grasse, ainsi que
la plus grande partie de la matière colorante et de la
gomme qui constituent l'extrait alcoholique de noix
vomique.
La sirychnine reste en dissolution, unie à de l’acide
acétique. La liqueur contient de plus une portion de
matière coloraute non précipitée par l’acétate de plomb,
et quelquefois un excès d’acétate de plomb. On sépare
le plomb par l'hydrogène sulfuré, on filtre et on fait
bouillir la liqueur avec de la magnésie qui s'empare de
l'acide acétique, et précipite la strychnine; on la lave
avec de l’eau froide , on la redissout. dans l’alcohol pour
la séparer de la magnésie ajoutée en excès, et par l’é-
vaporation de l’alcohol on l’obtient à l’état de pureté.
$ielle n’était pas encore parfaitement blanche, il faudrait
Ja redissoudre dans l'acide acétique ou l’acide hydrochlo-
rique, et la précipiter de nouveau par la magnésie. C’est
en employant ce procédé que nous avons retiré de la
strychnine du bois de couleuvre ( sérychnos colubrira).
De la Strychnine et de ses propriétés.
La strychnine obtenue par cristalisation , dans une
solution alcoholique étendue d’une petite quantité d'eau ,
et abandonnée à elle-même, se présente sous forme de
_ cristaux presque microscopiques, que nous avons reconnus
être des prismes à quatre pans, terminés par des pyrami-
des à quatre faces surbaissées. Lorsqu'elle a cristallisé
rapidement , elle est blanche et grenue ; sa saveur est d’une
amertume insurpportable, son arriere-goût fait éprouver
une sensation qu’on peut comparer à celle que produisent
certains sels métalliqnes; son odeur est nulle ; son action
sur l’économie animale est des plus énergiques ; nous la
MÉMOIRES. 355
décrirons en détail dans la seconde partie de ce Mémoire.
Exposée au contact de l'air , elle n’éprouve aucune altéra-
tion. Elle n’est ni fusible ni volatile; car, soumise à l’action
du calorique, elle ne se fond qu’au moment où elle se dé-
compose et se charbonne. Le degré de chaleur auquel
sa décomposition a lieu est même inférieur à celui
auquel se détruisent la plupart des matières végétales :
en effet, ayant cherché à dessécher entièrement de la
strychnine pour des expériences subséquentes, en l’expo-
sant, renfermée dans des tubes de verre, à la chaleur
de l’huile bouillante , nous avons toujours observé qu’elle
se charbonnait au moment où l’huile allait entrer en
ébullition (3:12° à 315°). Chauffée à feu nu, elle se
boursouïfie , neircit, donne de l'huile empyreumatique,
un peu d’eau et d’acide acétique, des gaz acide carbo-
nique et hydrogène carboné: il reste un charbon très-
volumineux. Distillée avec le deutoxide de. cuivre , .elle
fournit beaucoup d'acide carbonique, et ne donne que des
traces d'azote que nous croyons devoir attribuer à quel-
ques parcelles d'air atmosphérique, Elle est donc composée
d'oxigène, d'hydrogène et de carbone, et lazote ne
paraît pas faire partie de ses élémens (1).
Malgré sa saveur des plus -fortes, la strychnine est
presque insoluble dans l’eau, 100 grammes d’eau à la
température de 10° n'en dissolvent que of,oi5 ; elle
G) M. Gay-Lussac, s’occupanf dans ce moment de la déter=
mination des principes constituans de Îa morphine et du
Tapport de leurs proportions, x bien voulu sé charger de
faire le même travail sur la strÿchnine. On doit penser avec
quel exnpsessement nous avons répondu à une proposition
aussi flatteuse. |
356 MÉMOIRES,
demande donc 6667 parties d’eau pour se dissoudre à
cette température. L'eau bouillante en dissout un pew
plus du double ; 100 grammes d’eau bouillante en ont
dissout 08,04 : elle est donc soluble dans 2500 parties
d’eau bouillante. Nous noterons, comme digne de re-
marque, qu’une solution de strychnine faite à froid , et
par conséquent n'en conteaant pas ,,., (€ son poids,
peut être étendue de 100 fois son volume d’eau, et
conserver encore une saveur très-marquée.
Le caractère principal de la strychnine, consistant
dans la propriété qu’elle a de s'unir aux acides en formant
des sels neutres, nous engage à traiter d’abord cette classe
de combinaison ; car , après avoir développé leurs pro-
priétés , il nous restera peu de choses à exposer pour
terminer l'histoire de cette substance singulière.
Du Sulfate de 'strychnine.
L’acide sulfurique s’unit à la strychnine, et forme avec
cette base un sel neutre , soluble dans moins de dix parties
d’eau froide, plus soluble à chaud, cristallisable par le
refroidissement, et mieux encore par évaporation spon-
tanée. Ces cristaux, si le sel est bien neutre , se présentent
sous forme de petits cubes transparens. Un excès d’acide
détermine une cristallisation en aiguilles déliées. Le sul-
fate de strychnine , ainsi que tous les sels de cette base,
sont d’une excessive amertume ; ils sont tous décomposés
par toutes les bases salifiables solubles qui en précipitent
sur-le-champ la strychnine. Lorsque l’on verse sur le
sulfate de strychnine un peu d’acide nitrique concentré,
il prend sur-le-champ une couleur rouge de sang: un
excès d'acide nitrique fait ensuite passer la couleur au
jaune. Nous reviendrons: sur cet effet, qui, d’ailleurs,
est commun à tous les sels de strychnine ; lorsque nous
-MÉMOIRES, 357
traiterons de l’action de l'acide nitrique sur cette base.
Le sulfate de strychnine exposé à l’air n’éprouve d’autre
altération que de perdre un peu de sa transparence.
Chauffé au bain-marie , il devient légèrement opaque,
mais ne perd pas sensiblement de son poids. Exposé à
une chaleur un peu plus élevée, il se fond d’abord dans
la petite quantite d’eau qu'il paraît contenir, mais bientôt
il se prend en masse ; par cette opération , il perd ;>; de
. Son poids. À une chaleur plus be il se Jeompese
et se charbonue.
Désireux de connaitre les cons d'acide et de
base qui constituent ce set, nous avons pris une mesure
d'acide sulfurique étendue d’eau, contenant 08,1 138 d’acide
sulfurique réel déterminé par l'analyse : pour en opérer
la saturation > 18,1400 de strychnine ont été nécessaires.
Le sulfate obtenu et desséché jusqu’au point de fusion
pesait 18,200. Le poids de la strychnine, ajouté à celui
de l'acide, aurait dû donner 1,2538. Il y avait donc une
perte de 0,0538 provenant d’un peu d’eau contenue dans
la strychnine employée, et qui s'en est séparée lors
de sa combinaison avec l’acide sulfurique , ou D cuis: au
moment de la fusion du sulfate, |
Les 58,200 de sulfate de strychnine desséché contenant
01138 d'acide réel sont donc formés de :
| Acide sulfurique, o0,1138;
Strychnine , 1,0862.
Cherchant par le calcul la composition de 100 parties
de sulfate ; on a, d'après ces données :
Base, 90,501 90,500 :
Acide , 9:499 9900.
398 MÉMorrss.
De l'Hydrochlorate da strychnine.
L’acide hydrochlorique s’unit fort bien à là strychnine,
et forme avec cette base un sel neutre. L’hydrochlorate
de strychnine, encore plus soluble que le sulfate, cris-
tallise en aiguilles ou prismes très-déliés , qui se groupent
entre eux sous la forme de mamelons : ces prismes,
regardés à la loupe, paraissent être quadrangulaires ;
exposés à Fair sec, ils deviennent légèrement opaques.
E’hydrochlorate de strychnine , chauffé au point de dé-
composer sa base , laisse dégager de l’acide hydrochlorique.
. Ce sel jouit d'ailleurs des propriétés qui sont communes
aux sels de strychnine ; propriétés que nous avons rap-
me dans le paragraphe précédent. |
Du Phosphate de strychnine.
L'acide phosphorique forme avec la strychnine un sel
soluble ; parfaitement cristallisable, Ce sont des prismes
quadrangulaires très-prononcés On ne peut obtenir le
phosphate de strychnine parfaitement neutre que par dou
ble décomposition ; car ; lorsqu'on fait bouillir de l’acide
phosphorique étendu d’eau sur un excès de strychnine ,
la Hiqueur surnageante reste toujours sensiblerhent acide :
c'est même dans cet étzt que le sel cristallise plus fa-
clement. Cette propriété est d'ailleurs commune à plu-
sieurs autres bases salifiables,
Du Nitrate de strychnine, et de. Paction nn ene de
l'acide nitrique sur cette base. -
” L’acide nitrique a deux modes d'action sur la strychnine.
Quand l'acide nitrique est très-étendu d’eau , il s’unit à
la strychnine et forme avec elle un sef neutre: Lorsqu'il
est très-concentré, une réaction a lieu entre ses élémens
et ceux de la strychnine, et produit des phénomènes
remarquables. Nous allons nous occuper de ces deux
modes d'action,
MÉMOIRES. 559
-_ Pour préparer le nitrate de strychnine, il faut prendre
de l'acide nitrique très-étendu d’eau , y ajouter une quan-
tité de strychnine plus que suffisante pour sa saturation,
chauffer la liqueur et la filtrer, afin de séparer l'excès
de base non dissoute. On obtient, par ce moyen, une
liqueur limpide, incolore, qui , évaporée convenablement,
cristallise en une multitude d’aiguilles nacrées qui se grou-
pent entre elles sous forme de faisceaux , de gerbes on
d'étoiles. Ce sel, beaucoup plus soluble dans l’eau bouil-
lante que dans l’eau froide, est d’une excessive amertume,
son action sur l’éeonomie animale est encore plus violente
que celle de la strychnine pure. Il est susceptible de s'unir
à une plus grande quantité d'acide: en effet , si l’on prend
une solution de nitrate neutre, non assez rapprochée
pour cristalliser, mais cependant peu éloignée du point
de cristallisation , et si on y ajoute quelques gouttes d'acide
nitrique affaibli, ce sel acide cristallise en aiguilles infini-
ment plus déliées que celles produites par le nitrate neutre.
Mais ce sel acide est altéré par la dessication ; il prend une
couleur rose due à la réaction de lexcès d'acide sur la
base ; réaction dont nous nous occuperons dans un instant.
Le nitrate de strychnine, exposé à une chaleur peu
supérieure à celle de l’eau bouillante, jaunit et ne tarde
pas à se décomposer. Si on augmente la chaleur, il se
boursoufle, se charbonne, et fait entendre un bruit
semblable à celui que produit le nitre lorsqu'il fuse avec
le charbon. I n'y a cependant pas de lumière produite
si le sel est parfaitement neutre; mais s’il est avec excès
d'acide , il y a déflagration véritable et lumière produite :
H reste cependant encore un charbon assez volumineux.
* Le nitrate de strychnine est légèrement soluble dans
-Falcohel ; it est insoluble dans l’éther.
+ /
360 MÉMOIRES.
Lorsque l’on verse de l’acide nitrique concentré ou peu
affaibli sur la strychnine, celle-ei prend sur-le-champ
une couleur amaranthe qui passe instantanément au rouge
de sang : à cette couleur succède une teinte jaune qui
devient de plus en plus prononcée , et passe au verdâtre,
suivant inversement la marche des anneaux colorés du
troisième ordre. L’acide nitrique se colore également en
dissolvant la matière. Pendant cette action, l’odeur du
gaz acide nitreux se répand d’une manière très-marquée
lorsqu'on agit sur une masse assez forte.
L’acide nitrique concentré fait également prendre ces
diverses couleurs aux sels de strychnine ; maïs, dans ce
cas, la couleur rouge est Leaucoup plus vive, plus per-
manente , et il faut beaucoup plus d'acide nitrique pour
la détruire et la remplacer par la couleur jaune. If paraît
que la strychnine, combinée aux acides , est défendue
par eux contre l’action trop énergique de l'acide nitrique.
La chaleur augmente beaucoup l’action de l'acide ni-
trique , de sorte que cet acide, déjà trop étendu pour
rougir la strychnine à froid , peut souvent produire cet
effet à l’aide de la chaleur.
. L’acide sulfurique et l’acide hydrochlorique concentrés ,
versés sur du nitrate de strychnine, déterminent sur-
le-champ la couleur rouge. Dans ce cas, c’est à la réaction
de l'acide nitrique mis à nu qu'est dû le phénomène.
Les autres acides ne produisent pas le même effet, parce
qu'ils ne peuvent mettre à nu l'acide nitrique.
. Cette propriété que possède la strychaine et surtout
ses sels, de rougir par l’acide nitrique, donne un moyen
de reconnaître cet acide mélé à d'autres acides. Les sels
de strychnine sont même des réactifs précieux pour recon-
naître la présence d’un nitrate mélangé à d’autres sels.
MÉMOIRES. 361
U suffit d'ajouter au sel dans lequel on soupçonne un
nitrate un peu de strychnine, et d’y verser de l’acide
sulfurique concentré. La présence du nitrate est rendue
sensible par la couleur rouge qui se produit.
Lorsqu’après avoir fait passer au rouge un sel de
: strychnine par l'addition d’une certaine quantité d’acide
nitrique, on ajoute de la potasse ; il se fait, si les
liqueurs sont assez concentrées , un précipité orangé qui
se dissout par une plus grande quantité d’eau. Si, au
lieu de potasse, on emploie de la magnésie, on obtient
également, par la filt.ation, une liqueur orangée ; la
magnésie est colorée par la même matière, qu'on peut
enlever entièrement par le lavage. Les liqueurs , évaporées
convenablement , donnent un liquide sirupeux qui, par
le refroidissement, se prend en masse grenue, formée
de nitrate de magnésie et de l’alcali modifié par Pacide
nitrique. Dans cet état, la strychnine est encore alca-
line; mais son énergie, comme base salifiable, est déjà
affaiblie : elle peut cependant encore saturer toutes les
liqueurs acides, et former des sels d’une couleur rouge,
même avec les acides végétaux les plus faibles,
Les sels jaunes provenant de l’action plus prolongée
de l’acide nitrique sur la strychnine et ses combinaisons,
traités par la magnésie, donnent aussi une substance
alcaline très-soluble ; mais, dans cette nouvelle modifi-
cation, elle a encore une vertu alcaline beaucoup plus
faible. Les sels que la strychnine ainsi modifiée est
susceptible de former sont jaunes. Si l’on augmente la
proportion d’acide nitrique, la teinte jaune devient plus
foncée , et prend une nuance verdâtre qu’on ne peut faire
disparaître que par une énorme quantité d'acide nitrique.
En évaporant la liqueur au moment où la masse devient
362 MÉMOIRES.
solide, elle s’enflamme; et si l’on sature la liqueur acide
après une ébullition long-temps prolongée, on y découvre
la présence d’un acide que nous regardons comme de
l'acide oxalique. L’acide nitrique, dans sa réaction sur la
strychnine, paraît donc affaiblir de plus en plus sa force
alcaline. Il est probable qu'avec des précautions, il serait
possible de lui faire subir une suite de moditications
tendant à produire des substances progressivement moins
alcalines ; puis neutres, et enfin acides; mais cet objet
nous entraînerait loin de notre sujet. Il pourra d’ailleurs
donner lieu à un travail subséquent sur ces ælcalis
artificiels. Nous ne terminerons pas toutefois sans faire
cette observation remarquable, que, par l’action de
l'acide nitrique, l’alcalinité, l’amertume et la propriété
délétère (1) de la strychnine diminuent graduellement et
finissent par disparaître totalement.
Mais comment agit l'acide nitrique ? Est-ce en portant
une certaine quantité d’oxigène sur la strychnine sans
distraire aucun de ses élémens , ou bien est-ce en enlevant
une certaine quantité d'hydrogène, ce qui, pour les
résultats, reviendrait à peu près au même? Avant de
chercher, non à donner la solution du problème ,
mais du moins à l’aborder, rapportons quelques autres
phénomènes qui se rattachent à la question.
Lorsque l'on fait passer ‘de l'hydrogène sulfuré dans
une combinaison rouge de strychnine, sur- le - champ
elle se décolore et redevient parfaitement blanche, ou
du moins ne retient qu'une teinte jaunâtre provenant
quelquefois d’une certaine quantité de sel jaune mélangé ;
car l'hydrogène sulfuré ne rétablit pas la couleur primitive
(1) Woyes la partie physiologique de ce Mémoire,
ans
MÉMOIRES. 363
dans lés séls jaunes. Si le sel rouge provient de Paction
immédiate de l'acide nitrique sur la strychnine ou sur.
un de ces sels, on peut rétablir la couleur rouge de la
dissolution en {a faisant chauffer, parce que, d’une.
part, on chasse l'hydrogène sulfuré en excès qui s’op-
poserait à l’action de l'acide nitrique libre contenu dans
la liqueur, et que, de l'autre, on détermine cette action,
‘elle-même en augmentant la force de l'agent qui la
produit.. Mais si on prend de l’al:ali séparé d’une solution
rouge au moyen de la magnésie, si on le sature par un
acide. non capable de mettre à nu l'acide nitrique du
nitrate de magnésie qu’il peut retenir; si on décolore
la liqueur par l'hydrogène sulfuré, alors on peut chauffer
sans rétablir la couleur rouge. : ._
Comment agit ici l'hydrogène sulfuré? Est-ce en
enlevant à la strychnine une certaine quantité d’oxigène
que l'acide nitrique lui aurait cédé, ou bien serait-ce
en restituant une portion d'hydrogène ? Passons à d’autres
faits ; ils nous fourniront encore quelques lumières.
Lorsque, dans un sel rouge de strychnine, on verse
une certaine. quantité de proto-bydrochlorate d’étain , la
couleur rouge disparaît ; une nouvelle quantité d’acide
nitrique la fait reparaître; on la détruit encore par
lhydrechlorate d’étain protoxidé ; et cet effet se renou-
velle jusqu’au point où toute la matière est passée au
jaune par les additions successives d’acide nitrique; ear
l'hydrochlorate de protoxide d’étain ne peut entièrement
faire disparaître la couleur des sels jaunes de strychnine.
Le proto-sulfate de fer produit un effet analogue, ainsi
que le gaz acide sulfureux ; mais il est moins marqué
à l'égard du premier, à cause de la couleur particulière
des sels de fer. L
Tome I, 8.°"° Liv. | | 24
364 Mémoires.
, Dans ces deux cas, on ne peut supposer l'hydrogèné
ajouté à la strychnine, à moins d'admettre qu'à la faveur
de cette base, l’eau soït décomposée par le proto-hydro-
chlorate d’étain , le proto-sulfate et l'acide sulfureux.
- Nous croyons donc pouvoir considérer la strychnine,
dans ses sels rouges, comme à l’état de protoxide formé
par l’anion de l'oxigène avec cette base. Dans les sels
jaunes , est-elle à l’état de déssoside ? Nous n'avons pas
autant de probabilités sur ce point, et nous ne pouvons
Vadmettre que par analogie {1 } Sans nous arrêter plus
longtemps sar ces objets qui pourront donner lieu à de
hoavelles recherches, nous nous hâtons de revenir à
lexamen de la strychnine non vxidée.
Du Carbonate de Strychnine.
L'acide carbonique s'unit à la strychnine, et forme
avec cette base un sous-sel qu’on peut obtenir par double
décomposition. Il se dépose sous forme de magma fo
conneux..H est peu soluble dans l’eau, mais il se dissout
très-bien dans l'acide. carbonique. On peut obtenir cette
combinaison en faisant passer de l'acide carbonique dans
la strychnine délayée au moyen de l’eau, Le carbonate
acide exposé à l'air laisse dégager son excès d’aciée car-
bonique : et le sous-carbonate se dépose èn cristanx grenus.
: Des Sels formés par la strychnine ot les acides végétaux.
Les acides acétique , oxalique , tartrique , forment avec
}a strychnine des sels neutres très-solubles et plus où moins
susceptibles de cristalliser régulièrement. Ces mêmes sels
_ (r) Nousavons observé des phénomènes analogues ayec la mor-
phine; mais comme il n’entrait pas dans notre but d’examiner
vtette matière, dont un de nos amis s’occupe spécialement ,
nous n'avons pas poussé plus loin cette observation.
MÉMOIRES. 363
cristallisent plus facilement quand ils sont avec excès
d'acide. L'acétate neutre est très-soluble, et cristallise
difficilement. |
Les acétates, tartrates et oxalates A ne déterminent
pas de précipité dans les sels de strychnine formés par
les acides minéraux,
De P M dorinaté de he
L'acide hydrocyanique dissout parfaitemect la Fer
nine, et forme avec celte base un sel que nous avons
obtenu cristallisé, mais dont nous n'avons pu déterminer
Ha forme. L’hydrocyanate de strychnine peut être évaporé
à siccité sans se décomposer ; car il se redissout daus
l'eau, et versé dans une dissolution de sulfate de fer,
Ü y produit un précipité bleu très-foncé, |
| L'action de l’hydrocyanate de strychuine sur l’économie
animale est consignée plus bas. lei se terminent nos
ebservations sur Îes sels de strychnine ; mais l’action de
cette base sur lés éorps simples, sur les oxides et les
sels métalliques mérite également d’être étudiée. Nous
allons rapporter les observations que nous avons faites
sür cet objet,
De l'Action de la strychnine sur hi corps at
mt ep, ét. sur des oxides.
: Le ce ne peut se combiner à la strychnine Lie
J'on fait bouillir ces deux corps ensemble dans l’eau distil-
Jée : il ne s'exerce aucune action entre eux , et après avoir
filtré-la Squeur, le soufre reste sur le filtre, et la strych-
mive passe. dissoute si l'on a employé une assez grande
masse d’eau.
Lorsqu'on ‘expose à la chaleur un ibn de soufre
æt de strychnine, on n’observe pas d'action jusqu’au
smoment où le soufre entre en fusion; mais alors la
566 MÉMOIRES.
Strychnine se décompose, et il se dégage une grande -
quantité d'hydrogène sulfuré.
Le carbone ne s’unit point à la strychnine. L'iode a
sur la strychnine une action très-marquée. Si l’on fait
bouillir de l’eau dans laquelle on ajoute de la strychnine
et de l’iode, la couleur de celui - ci disparaît, -et la
strychnine se dissout en grande partie : par la filtration,
on obtient une liqueur très- limpide qui fournit -par
Pévaporation un sel blanc cristallisé en aiguilles. La
strychnine agit donc sur l'iode à la manière des alcalis.
fl est facile d’ailleurs de reconnaitre, dans la liqueur, la
présence d'un hydriodate, en ajoutant du As de
acide sulfurique concentré, etc. nr à
Pour convertir l’iode en acides iodique et hydriodique,
_ faut employer une quantité de strychnine plus que
* suffisante à la saturation de la dose d'acide qui se forme:
Cela provient probablemient du peu de solubilité de la
strychnine, et par conséquent de la difficulté d'établir
les points de contact. L'’excès de la strychnine reste sur
le filtre légèrement coloré en jaane. Dans cet état , elle .
paraît être à l’état d'hydriodate ioduré avec excès : de
base. ne.
Lorsque l’on fait agir liode sur la strychnine en em-
ployant une très-petite quantité d’eau , on ‘apperçoit des
zones amarantes et rouges semblables à celles qui résultent |
de lation de l'acide . nitrique sur la strychnine. Le sel
obtenu ‘est’ aussi légèrement rosé. L’acide iodique : qui
se forme dans ce cas paraît réagir:sur la ra à
la manière de l'acide nitrique. TE
Le ‘chlore agit sur la strychnine ‘d'une Satile ana-
logue à celle de l'iode, Lorsque lon fait passer’ un
eourant de chlore gazeux dans de la strychnine délayée
MÉMOIRES 357"
avec de l’eau ; ‘elle se dissout parfaitement , et par une
évaporation spontanée, on obtient une cristallisation.
d’'hydrochlorate qui, dans ce cas. est parfaitement blanc.
Si, au lieu d'employer l’évaporatiou spontanée ,: on.
concentre la liqueur par le calorique, alors elle se
éolore et brunit. Il paraît, dans ce cas, que le chlorate de
strychnine qui s’est formé en même temps que l’hydro-
chlorate ;, se décompose par la concentration de la liqueur
et l'élévation de la températnre. Nous nons proposons
de préparer du chlorate de strychnine par l’union directe
de cette base avec l'acide chlorique ; nous pourrons alors
déterniner d’une manière plus précise le genre d'action,
du calorique sur ce sel. |
Action de la Strychnine sur les Sels métalliques.
. La strychnine considérée comme base salifiable, doit:
avoir un rang sous le rapport de son affinité pour les
acides. Nous avons déjà vu que la potasse , la soude,
la baryte, la strontiane , la magnésie, la chaux, l’am-
moniaque , lui enlevaient les acides auxquels elle pouvait |
être combinée. Nous isnorons si l’alumine, l’yttria et la
glucine produiraient les mêmes effets. Quant aux oxides
métalliques des autres sections , ils peuvent, pour la
plupart, être séparés de leur dissolvant par la strychnine.
Pour opérer ces précipitations , il faut prendre une solu-
tion de strychnine dans de l’alcohol faible: l’eau ne
dissout pas assez de strychnine pour produire des précipités
sensibles dans les dissolutions métalliques. On peut aussi
faire bouillir la strychnine dans une solution métallique :
__ on la verra s’y dissoudre et l'oxide se précipiter.
_-Il.est cependant des cas où tout l’oxide métallique
n’est pas séparé : il se forme alors un sel triple. Si, par
exemple, on fait bonillir de la strychnine dans du sulfate.
568 MÉMOIRES.
de cuivre, on voit aussitôt, à la couleur bleue, saccéñer
une teinte verte: il se précipite alors une certaine quantité
d'oxide de cuivre. La liqueur, filtrée, a une légère teinte
verdâtre, et. par l'évaporation . elle donne un sel en
très - longues aïguilles : c'est un sulfate triple “ stry—
chnine et de cuivre.
” Nous avons encore entrevu d’autres sels triples ; mais
Je temps ne nous a pas permis de les examiner.
De l'action de ‘la Strychnine sur quelques produits des
végétaux.
| Les acides exceptés, on ne remarque pas d’actiori
sensible entre la strychnine et les autres produits des
végétaux , tels que le sucre, la gomme, l’amidon , etc.
Les huiles fixes ni les graisses ne la dissolvent pas d’une
ranière sensible , et la très-légère amertume qu'elle leur
éommunique est une preuve de son peu de dissolubilité
dans ces corps. Elle se dissout , au contraire, avec fa-
cilité dans les huiles volatiles, et peut cristalliser par ke
refroïdissement lorsque ces liquides en sont satnrés à chaud.
Nous avons déjà signalé alcohol comme un dissolvant
de la strychnine. Les éthers, au contraire, ne la dissol-
vent pas sensiblement quand ils sont bien dépouillés de
tout acide libre.
” Ici se termine l’histoire ne. de la strychniné :
nous croyons cependant devoir dire un mot des substances
auxquelles elle est associée dans la fève de Saint-Ignace et
ja noix vomique, et terminer ainsi l'analyse de ces graines,
Suita de l'analyse de la fève de’ Saint - Ignace;
‘expériences sur la noix vomique , etc.
© On se tappelle sans doute le procédé analytique au
oyen duquel nous sommes parvenus à séparer la strych<
nine de l'extrait alcohotique de la fève de Saint-Jgnace ;
\
À
MÉMOIRES 369
en se rappelle que, par le lavage de la magnésie, on
obtient une eau colorée. Cette eau retient la matière
colorante , plus ane petite quantité de strychnine , et un
peu de l'acide qui y était combiné dans la fève de Saint-
Ignace, uni à la magnésie en petite portion, mais dont
la plus grande partie reste sur le filtre, Soppne à un
excès de magnésie. :
Quoiqu'il soit peut-être impossible de déponiller en-
tièrement la matière colorante des dernières portions de
strychnine et du sel magnésien qu’elle contient, on
peut cependant, en évaporant les liqueurs presqu'à siccité,
et en reprenant cette matière par de l’alcohol faible,
l'obtenir assez pure pour en examiner les propriétés:
comme elles offrent peu d'intérêt, nous nous conten-
terons de dire qu’elle est soluble dans l’eau et dans lalcohol,
que les acides affaiblissent «a teinte, que les alcalis l’a-
vivent, qu’elle est précipitée par l’acétate de plomb,
qu'elle a peu d’aflinité pour l’alumine; d’où l’on vait
qu’elle différe peu de la matière colorante jaune qu'on
trouve dans la plupart des végétaux.
Quant à l'acide qui sature la strychnine dans la fève
de Saint-Jgnace , il est plus important de connaître ses
propriétés. Malheureusement il existe en si Fous quantité
dans cette semence, qu’il est fort difficile de s’en pracurer
des quantités notables. Il faut si peu d'acide, quelle que
soit sa nature, pour saturer la strychnine, qu’on ne doit
pas être étonné d’en retrouver également si peu dans
les substances dont il est question, malgré que la stryc-
nine y soit à l’état de sel acide.
Quoiqu'il en soit, pour obtenir l’acide, il faut prendre
Ja magnésie qui a servi a obtenir la strychnine , et après
-Vavoir dépouillée, par leau froide, de toute matière
370 _MéMmorRes. |
colorante, la faire bouillir dans une grande masse d’eau
distillée qui dissout le sel magnésien. On évapore la
liqueur, et lorsqu'elle est assez concentrée, on y ajoute
de l’acétate de plomb ; il se fait un échange de base,
et l’acide de la fève de Saint-Ignace est précipité, uni
à l’oxide de plomb. On sépare le plomb par le gaz hydro-
sulfurique, et on évapore la liqueur jusqu’à consistance
de sirop. On obtient un acide d'autant moins coloré,
que la magnésie a été plus lavée à l’eau froide : cepen-
dant il l’est toujours, ce qui dépend peut-être de sa nature,
ou plutôt de ce qu'il est difficile d'isoler totalement la
matière colorante jaune de la magnésie à laquelle il était
combiné. Cet acide a quelque analogie avec l’acide malique;
cependant il en diffère sous plusieurs rapports. Voici les
propriétés qu'il nous a paru posséder: évaporé à consis-
tance de sirop et abandonné à lui-même, il cristallise
en petits cristaux durs et grenus. H est très-soluble dans
l’eau et l’alcohol. Sa saveur est acide et très-styptique.
Il s’unit aux bases alcalines et terreuses, et forme des
sels solubles dans l’eau et dans l’alcobol. Sa combinaison
‘avec la baryte est très-soluble et cristallise difficilement
‘et en champignons. Sa combinaison avec l’'ammoniaque
parfaitement neutre ne forme pas de précipité dans les
sels d'argent, de mercure et de fer; mais elle se com-
porte avec les sels de cuivre d’une maniere particulière,
et qui semble caractériser l'acide des strychnos (car ce
‘même acide se rencontre dans la noix vomique et le
‘bois de couleuvre ): cet effet consiste dans la décom-
position par sa combinaison ammoniacale des sels de
“cuivre; ceux-ci passent de suite au vert, et il se dépose
"peu à peu un sel d’un blanc verditre, très-peu soluble
‘ dans l’eau, L'acide des strychnos semble par là se rap-
MÉMOIRES, RL
procher de l'acide méconique , mais il en diffère essen-
tiellement par son action sur les sels de ‘fer. Ceux-ci
prennent sur-le-champ une couleur rouge très - foncée
avec l'acide méconique; effet que ne produit pas l'acide
des strychnos. Nous croyons donc devoir regarder jus-
qu’à nouvel ordre, mais sans oser l’affirmer , l’acide en
question comme particulier, et le désigner sous le nom
d'acide igasurique, du nom malais par lequel les indigènes
désignent, aux Grandes-lndes la fève de Saint -Ignace.
. Là strychnine serait alors, dans la fève de Saint-Ignace
et la noix vomique, à l’état d'igasurate.
__ Après avoir enlevé à la fève de Saint-Ignace tout ce
qu’elle contient de soluble dans l’éther et l'alcohol, si
on la met en macération dans l’eau froide, elle aban-
* donne au liquide une assez grande quantité de gomme.
Du moment où l’eau agit sur le tissu de la fève, la
masse se gonfle et occupe un volume très-considérable.
Après en avoir séparé la gomme par plusieurs lavages,
et un peu d’amidon par l’ébullition , il rèste une matière
insoluble, dans l’eau bouillante, comme gélatineuse ,
soluble dans l’acide hydrochlorique; et ayant enfin tous
les caractères de la bassorine. Celle-ci enlevée, il ne
reste plus que quelques fibres ligneuses. |
La fève de Saint-Ignace, incinérée, laisse quelques
atomes de cendre dont le poids ne s'élève pas an millième
. de celui de la matière employée: on peut donc négliger
. ce résidu , qui, du reste, ne contient qu'un peu de
carbonate de chaux et de chlorure de potassium.
La fève de Saint-Ignace est donc composée :
1. D'igasurate de strychnine ;
2.° D'un peu de cire ;
3.° D’une huile concrète ; :
374 -MÉMOIRES.
4.°-D'une matière colorante jaune ; .
5° De gomme ;
+ 6° D’amidon;
7. De bassorine ;
. 8.° De fibre végétale.
La. noix vomique, analysée par le même Dieidé
fournit les mêmes produits, mais en proportions diffé-
rentes (1). Elle contient moins de sel de strychnine A
mais une plus grande quantité d'huile concrète et de
matière colorante. Le bois de couleuvre encore plus chargé
de matière grasse, contient moins de sel de strychnine ; la
malière colorante jaune y est, au contraire, en plus
grande quantité, et la fibre ligneuse remplace entièrement
la bassorine et l’amidon. | |
DEUXIÈME PARTIE.
Espériences physivlogiques.
L'action qu'exerce la noix vomique sur l'économie
animale a été étudiée avec soin par MM. Delille, Ma-
pute et Desportes, et, sous ce point de vue , nous
n’aurions rien À ajouter aux travaux de ces physiologistes.
Mais, à l’époque où ils ont publié leurs expériences ,
Panalyse de ces semences n'avait pas été faite; les prin-
cipes immédiats qu'elles renferment n'avaient pas été
isolés, et l’on ignorait absolument à quelle substance
‘ces semences devaient leurs propriétés actives. Ce pro-
2 ot GE
_ (4). Un kilogramme de fève de Saint - Ignace a donné douze
grammes de strychnine parfaitement pure. La même quantité de
noix vomique n'en a fourni que quatre grammes. [l est probable
qu’il en existe une plus grande quantité, mais que l'on perd pr
les manipulations nombreuses qu’exigent sou erteton et sa
purification.
MÉMOIRES. 373
blème intéressait également le physiologiste et'le chimiste.
Les expériences analytiques que nous avons rapportées
dans la première partie de ce Mémoire , nous ont permis
de le résoudre. Les différentes substances que l'analyse
des strychnos nous a fournies, après avoir été portées
au plus ‘haut degré de pureté, ont été administrées, à
différentes doses , à divers animaux. Les résultats géné-
faux de ces expériences ont été que, dans fa noix vomique,
ha fève de Saint-Ignace et le bois de couleuvre, le seul
principe actif est la strychnine, c’est-à-dire, la base
salifiable que nous y avons découverte; que les autres
principes contenus dans les mêmes végétaux , lorsqu'ils
sont à l’état de pureté, n’ont aucune action sur l’économie
animale ; que les sels de strychnine ont une action plus
énergique que la base elle-même, et cela en raison de
leur grande solubilité par la présence d’une petite quan-
tité d'acide ; qu'il n'existe aucune substance capable de
former avec la strychnine des combinaisons non véné-
neuses; et par conséquent que les seuls moyens de
remédier aux effets de la strychnine et des. substances
qui la contiennent, sont ceux qui, agissant directement
sur les animaux, et indépendamment de leur action chi-
mique sur le poison, tendent, soit à l'expulser comme
les émétiques, soit à affaiblir les mouvemens spasmodi-
ques, cause de l’asphyxie à laquelle succombent les ani-
maux, comme l’opium , la morphine ; soit à prévenir
cette asphyxie par des opérations chirurgicales et les
moyens mécaniques indiqués par les physiologistes que
nous avons déjà cités.
LEE et observations sur La strychnine pure.
* Un demi-grain de strychnine retirée de la fève de
obie fut insoufilé dans la gueule d’un lapin. Après
374 MÉMOIRES.
deux minutes,’ les convulsions se manifestèrent, et-
l'animal périt, au bout de cinq minutes, dans une
attaque de tétanos ;
2° Un demi-grain de strychnine fut introduit dans
une ihcision faite au dos d’un lapin. Le tétanos se
manifesta au bout de soixante secondes , et l’animal
expira en trois minutes et demie ;
. 3. Ces expériences, répétées avec la strychnine relirée
de la noix vomique, présentèrent les mêmes résultats ;
4° La strychnine administrée , à la dose d’un quaït
de grain , à des lapins, des cochons d'Inde et des chats,
les fit toujours périr dans. l’espace de vingt à soixante
minutes.
* Expériences sur les 'sels de Strychnine.
1.” Un quart de grain de nitrate de strychnine fut
donné à un lapin: à la deuxième minute, accès de
‘ tétanos, et mort dans Îles trois minutes suivantes ;
2. L'expérience répétée avec l'hydrochlocrate offrit le
même résultat ; |
3° De la strychnine fut dissoute dans l'acide hydra-
cyanique; le sel, évaporé à siccité pour chasser l'excès
d'acide non combiné, fut redissous dans l’eau et admi-
nistré à un lapin, à la dose d’un quart de grain. L'animal
succomba aux attaques tétaniques dans l'espace de vingt
minutes. |
Expériences de la Strychnine oxigénée.
__s.° Un grain de strychnine oxidée , précipitée du sulfate
rouge, fut donné à un lapin : il eut une forte attaque
à laquelle il succomba ; |
Le nitrate rouge lui-même, administré à ds lapins |
les fit promptement périr ; :
2.” Après avoir long-temps fait bouillir de la ur
#
{
»
v
MÉMOIRES: 375
dans de l'acide nitrique, afin de faire entièrement passer
_ cette base à l’état d’oxide jaune, on a évaporé l'acide
et traité la liqueur. par de Ja magnésie. La matière jaune
obtenue, et dont nous avons parlé plus haut, administrée
à deux lapins, à la dose d’un demi-grain et d’un grain, ,
n’a produit aucun effet.
Ces deux expériences démontrent que l'action prolongée
de l’acide nitrique sur la strychnine détruit ses propriétés
vénéneuses, ou, en d’autres termes, que la strychnine
suroxidée n’a plus cette action énergique sur l’économie
soma qui la caractérise lorsqu'elle est intacte.
_ Æxpériences sur la Matière grasse.
1.” Un grain de matière grasse, retirée de la fêve de
Saint-Ignace par l'action de l'éther bouillant, a été
administré à un chat. IL est mort, au bout de deux
minutes, dans un accès de tétanos.
2. Un demi-grain a sufñ. pour tuer un | nine
3° La matière grasse redissoute dans l’éther à froid
et traitée par l’eau acidulée. pour enlever entièrement la:
_strychnine, a été administrée, à la dose d’un grain, à
un lapin : il n’a éprouvé aucun effet. FA a été
répétée deux fois. ;
C’est donc à la présence de la strychnine que .la matière
grasse non purifiée devait ses. propriétés vénéneuses. Ces
expériences .ont.élé répétées par M. Magendie, sur des
chiens ; et il a de plus obrèrvé que la strychnine employée
médicalement chez un vieillard de soixante-sept ans, à
Ja dose d’un quart de-grain, avait produit des effets
non équivoques .de secgusses tétaniques. ( P oyez La note
. Ja. fin de ce Méinoire )..
; | Expériences diverses.
- en de connaître ce qui arriverait en | administrant
376 MÉMOIRES.
la strychnine conjointement avec l’opiam ou Ia niorphine,
pour constater si lear effet narcotique et stupéfiant ne
contrebalancerait pas les effets de. la strychnine, nous
avons fait les expériences suivantes ;
‘ x. Un quart de grain de strychnine, quantité sante
pour tuer un lapin, fut mêlé à deux graias de morphine;
le tout, dissous dans l’acide acétique (la morphine non
dissoute n’a presque pas d’action sur l’économie animale };
fut donné à un lapin: l'animal ne manifesta d’attaqne
de tétanos qu’au bout d’une heure. Cette attaque fut
suivie d’un calme qu'interrompit une seconde ssconsse
tétanique. Le soir, l'animal mangeait bien : cépendant
ñ succomba pendant la nuit; :
2 Un quart de grain fut de nouveau administré à
ün lapin, avec six grains de morphirie dissoute dans l’acitle
acétique. 72 ne s’est pas manifesté d'attaques tétaniques ;
et l'animal bien portant, au bout de trois jours, a servi
k d’autres expériences ; |
3.e Un quart de grain d'acétate de A aite, æt dix
grains d’acétate de morphine ont été introdaits dans une
plaié faite au dos d’un lapin. L'animal eut, au: bout de
trois minutes, une attaque de tétanos assez faible ‘dans
ses. symptômes ; maïs qui s’est prolongée trois quarts
d'heure : l'animal a succombé. Le tétanos n'a ee lien
que dans a poitrine et es pates de devant.. Les extré-
mités inférieures et le train de derrière Oo 1m+
mobiles et comme paralysés :
4° ‘Un quart de grain: de or fut administré ;
avec douze grains d'extrait - gommeux d'opimn., à un
lapin. Au bout d’un quart d'heure, &ccès tétariique assez
violent: lanimal ÿ résista. Plus tard, accès moins fort.
L'animal mañgea, sembla ensuite s’essoupir :. le. lende-
main il était mort,
MÉMOIRES. S7T
: Un physiologiste exercé, qui aurait suivi la marche
des symptômes dans ces expériences , pourrait peut-être
en tirer des inductions pour la thérapeutique. Nous avons
éru devoir nous borner à rapporter les faits: ils serviront
du moins à prouver, comme ceux qui précèdent , que
ha strychnine , nouvelle substance alcaline et base salfiable,
dont nous avons rapporté les propriétés chimiques dans
Ja première partie de ce Mémoire , est la sabstance active
et vénéneuse des strychnos, et particulièrement de la
fève de Saint-Ignace et de la noix vomique; que, dans
toutes ses combinaisons , elle conserve ses propriétés sur
l'économie animale ; qu’on peut peut-être, par des moyens
thérapeutiques , remédier aux ravages qu’elle exerce ; mais
que ce serait en vain qu’on chercherait à lui opposer
une substance comme antidote capable de prévenir ses
effets en la neutralisant.
. à eu
PANNE Me
NOTE SUR LA STRYCHNINE;
Par M. MAGENDIE.
CES
Jai examiné les effets de la strychnine sur les animaux,
et j'y ai reconnu tous ceux que M. Delille et moi avons
décrits , il y a environ dix ans, comme propres à l’upas-
tieuté de Java, à la noix vomique et à la fève de Saint-
Jgaace. Comme ces substances , la strychnine exerce une
action stimulante spéciale sur la moelle épinière, et
produit un vrai tétanos (1); mais son activité m'a paru
A SN
. {r) A raison de cette propriété, j'aurais préféré qu'on nommât
ee nouvel alcali tétanine. Ce nom aurait été ainm en harmonie
378: MÉMOIRES.
plus forte que celle de l'extrait alcoholique du strychnes,
Un quart de grain du nouvel alcali suffit pour produire.
des effets prononcés sur un chien de forte taille. Je l'ai
employé à cette dose sur un malade âgé de soixante-
sept ans, atteint d’une débilité musculaire, suite d'une
maladie cérébrale, et pour laquelle je me proposais
d'employer l'extrait alcoholique de noix vomique, J'ai
obtenu sur ce malade des effets non équivoques de
secousses tétaniques , et au bout de huit. jours de ce
traitement , il avait éprouvé une amélioration remarquable
dans ses forces musculaires.
Jai essayé aussi sur ‘des chiens plusieurs sels de stry-
chnine, tels que le sulfate, le nitrate et les prussiate
( Aydrocyanate ), ils m'ont paru agir comme la stry-
chnine elle-même, peut-être même avec plus d'énergie.
Si ce fait est exact, il en serait de ces sels comme
de ceux de la morphine qui ont, en général, beaucoup
plus d'activité que la clÉmete co
« =
avec celui de la morpäine et de l’émétine, qui rappellent les
caractères physiologiques de ces substances (1).
(x). M. Magendie ne savait pas alors qu’il existait, dans Îa
fausse apgusture, un autre alcali différent de la strychnine,
et-qui, par son action sur l’économie animale, mérite aussi
le nom de tétaline; c’est ce ae m'a déterminé à ne pa
employer ce mat. . TE _ + à
MÉMOIRES. _ 379
AAA AAA AAA RAIN
D
PROCÈS-VERBAL DES OPÉRATIONS
L | FAITES
DANS LA MANUFACTURE
DE M. CRESPEL-DELLISSE A ARRAS,
| | POUR RAFINER
LES SUCRES EXTRAITS DE LA BETTERAVE (1).
/
L:, N mil huit cent dix-neuf, Île dix-huit Janvier
et jours suivans :
Nous soussignés, SIGAUD , Ingénieur en chef au corps
royal des Ponts et Chaussées; TzERNINCK, Membre
du Conseil municipal de la ville d'Arras; GARNIER,
Ingénieur au Corps royal des Mines; LETOMBE ,
Architecte du Département; et MARTIN, Ingénieur
ordinaire au Corps royal des Ponts et. Chaussées.
Appellés par M. le Baron S1MÉON, Préfet du
Département du Pas-de-Calais, selon sa lettre du 28
décembre 1818, pour constater que le suc de betteraves
est la seule des matières sucrées ou susceptibles de
devenir telles qui soit employée par M. Crespel de cette
ville , pour fabriquer le sucre dont les échantillons doivent
être présentés à S. À. R. Mgr. le Duc d'ANGOULÈME,
et à S. Exc. le Ministre de l’intérieur.
Nous avons assisté dans la fabrique de M. Crespel
aux opérations suivantes, qu'il a faites pour produire
ces échantillons ci-joints, au nombre de sept.
® Les betteraves réduites en pâte par le moulin à raper;
{1} C* Procès-verbal est celui annoncé dans la note page
x42 de ces Mémoires.
Tome I. 9.* Liv, LL 25
580 MÉMOIRES.
leur suc séparé de la partie fibreuse au moyen des
pressoirs, mis dans des évaporatoires et successivement
dans une chaudière, où il est rapproché au point
convenable pour cristalliser , a été porté à l’étuve. La
cristallisation y étant avancée autant qu’elle peut l'être
dans le liquide où elle se forme, et que l’oi nomme
mélasse , on a fait écouler ce liquide, et au moyen
de fa ptesse, on en a débarassé les cristaux autant que
cela est possible, par un moyen mécanique. Ce premier
produit cristallisé est la moscouade, son échantillon est
n.° 1.
C'est sur 52 kilogrammes £ de cette moscouade que
l'on a opéré pour continuer l'examen de la fabrication.
Cette quantité mise dans une chaudière avec 40 litres
d'eau pure, on a procédé à à sa clarification. Elle a été
faite par lintérmède du charbon animal et des blancs
d'œuf, Elle ‘a duré 63 minutes. | |
Le sirop résultant ayant été filtré, remis à bouillir
et concentré par une chaleur portée à oo degrès du
thermomètre de Réaumur , il a été retiré. Dès qu'il a
été refroidi au point de grainer et de devenir trouble, on
en a empli 16 formes, dont une a été déposée chez l’un
de nous, pour servir à constater au besoin l'identité
des à autres. Une onzième forme a été remplie avec
le produit retiré des écumes. |
24 heures après, les formes ont été débouchées pour
donner issue à la mélasse libre. 6. jours après, Îles pains
ont été lochés, c'est-à-dire, désunis d'avec la forme
à laquelle ils adhéraient, et on | leur a donné le premier
tèrrage LA
seu - = es — | Ba 7 12 - EE
# Le terrage est une coûche d’argile détrempée, que. Fos
place au-dessus du pain et en contact Avec lui.
MÉMOIRES. 381
7 jours ensuite, il a ‘été fait un second terrage qu’on
# maintenu durant 8 jours, après lesquels les pains
xetirés des formes sont demeurés 7 ia a l’étuve. Au
sorts Jeur poids a été de 25 kilogr. 3 L’échantiHon
n.°.2 est l'un de ces pains.
La mélasse ou sirop écoulé des 1r formes a a
glarifié et terré comme l’a été la moscouade. IL a produit
7 kilog. > de sucre mélisse. n° 3.
Le 1." sirop écoulé, par suite de cette nouvelle
@pération, a produit 5 kilogr, de vergeoise, n.° 4, et
5 kilogr. de sirop qu'employent les fabricans de pain-
d'épice, tandis que le dernier sirop, provenant de la même
epération ; à la fin des terrages, a produit 2 hilogr. +;
qu'on n’a pu concentrer, vu la trop petite quantité
de matière, mais qui aurait produit environ : .kilogr.
de sucre mélisse, 1° qualité, et zx kilogr. de sirop
propre à la fabrication du pain-d'épice.
Ainsi les 52 kilogr, : de moscouade, sur lesquels on
a opéré, ont produit 44 kilogr. +, dont 38 + de sucre
de diverses qualités, et G kilogr. de és La diffé-
rence de 8 kilogr. + serait moindre en proportion, si
Ton eut opéré sur de grandes quantités avec lesquelles ot
atilise le lavage des vaisseaux et des fortes étoffes de
laine qui servent à filtrer.
Le sucre de première qualité dit rafinade, ou sucre
royal , est celui a.° 5. Il provient d’une opération faite
sur 14 Kilogr. du sucre n.° 2, fondu, clarifié et mis
dans trois formes, en procédant comme sur la moscouade,
Mais, sans l’intermède du charbon animal ; 9 jours après,
eu a loché les pains, et on leur a donné un premier
terrage; 10 jours ensuite, on ‘a fait un second terrage
qui a été maintenu pendant 10 jours, à la fin desquels
382 MÉMOIRES.
on a loché les pains , et après trois jours, ils ont été
tenus à l’étuve pendant so jours. À la sortie , ils pesaient
6 kilogr. +. Nous avons négligé les résidus, parce que ce
raffinage n’avait pour objet que de faire la coniparaison
du sucre royal de betteraves au sucre royal de la
canne à sucre. '
Le candi est une sorte de sucre plus en usage qu'aucun
autre parmi les artisans des villes, et les gens de cam-
pagne des Départemens septentrionaux. L’échantillon n.°
#, est celui de cette sorte, provenant d’une opération
faite sur 55 kilogr. de moscouade n.° 1. Traité comme
pour les autres qualités ci-dessus désignées, sauf que
la cuite n’a été portée qu’à 88° de chaleur , le sirop
résultant , tenu 10 jours à l’étuve, a douné 20 kilogr.
» de candi première qualité , en très-beaux cristaux , dont
l'échantillon porte le n.° 7. Le sirop restant, recuit au
même point et remis à l’étuve, a donné 6 kilogr. + de
seconde qualité; le résidu a fourni moitié de son poids
en sucre vergeoise, plus beau que le n.° 4, et moitié
en sirop pour fabrication de pain-d’épice.
Les opérations terminées, nous avons reconnu que
le pain de sucre déposé chez l’un de nous, était iden-
tique avec ceux de même qualité qui ont fourni aux
fabrications subséquentes.
En foi de tout ce qui est détaillé ci-dessus, nous
avons fait ce procès-verbal, en quadruple expédition, pour
être joint aux sept échantillons qu’il désigne, et rémis;
avec eux , à M. le B.°" SIMÉON, Préfet du Pas-de-Calais
. Après lecture faite, M. Crespel a signé avec nous.
Arras , le samedi dix-sept avril mil hüit cent dix-neuf.
+ Signés : SIGAUD, TERNINCK, GAANIER dE
MARTIN et CRESPEL.
MÉMOIRES | 383 :
| | NOTICE
SUR L'EAU DE BOULEAU;
EXTRAITE
DES ANNALES DE L'AGRICULTURE FRANÇAISE,
Du 30 Avril 1819.
V, ICE le temps où, dans le nord de l'Europe, on
se met à l’usage d’une boisson que la nature a pris soin
de préparer elle-même, et qu'etle a douée de propriétés
également utiles. à l'entretien et au rétablissement de la
santé. Dès le commencement d'avril, les marchés publics
de ces contrées sont couverts de vases pleins de cette
bienfaisante boisson , que les gens de la campagne vendent
à très-bas. prix aux habitans des villes, et que ceux-ci
vident le matin à jeun , en société et en se promenant,
comme font les buveurs aux sources d'eaux minérales.
Il s’agit de l’eau de Bouleau, si renommée en Alsace,
en Allemagne ,'en Pologne , en Russie. Cette Eau, cette
sève, cette liqueur végétale est à peine connue parmi nous;
elle est extrémement limpide, elle a le goût du petit
lait des laiteries , et il faut être prévenu pour ne pas
s'y tromper. Elle a une saveur un peu sucrée , elle paraît
douce et mucilagineuse en la buvant, et quand on l’a
bue, elle laisse une légère acreté au fond de la gorge.
Il faut la boire avant qu’elle ait pu s’altérer, ce qui
lui arrive en cinq ou six jours ; alors elle toarne à
l'accessence, prend le piquant des liqueurs fermentées
et devient énivrante. C’est en cet état que les septen-
364 MÉnaornts.
trionaax aiment à s'en régaler, quand üls n’ont pas besoin
- d'en boire pour leur santé.
Il faut, pour qu’elle soit bonne et agréable, qu’elle
ail deàx jours: plus récente, elle est insipide; plus.
vieille elle est prêle à se décomposer.
Pour se procurer cette Eau , il suffit, dans Ja saison où
nous Sommes, de mettre en perce un Bouleau; tar la
prévoyante nature semble alors avoir accumulé dans le-
tronc de cet arbre, comme dans un tonneau, le liquide-
Je plus ami de l’homme. On en choisit un qui soit
vigoureux ; et de moyenne grosseur; on y fait, à quel-
ques mètres du 60ol, avec une vrille un peu forte, un
trou qui pénètre à un décimètre, et dans ce trou, on:
insinue deux ou trois brins de paille coupés entre-deux:
nœuds, pour servir de. condactear à la liqueur qui va:
couter et qui souvent n'attend pas PA PAARÇRES que:
là vrille soit retirée:
On met à terre, à le endroit ee la chûte des
prémières gouttes, une terrine ou tout autre récipient
de terre, de faïencé on de porcelaine bien. propfe, et
recouvert d'un linge blanc de lessive préalablement
mouillé ét ensuite- tordu. L'eau coule incessamment et
bientôt le récipient est rempli L'arbre en fourmrait
jusqu’à quinze et vingt bonteilles dans les vingt-quatre
heures ; #i où voulait le sacrifier; mais les premières.
seules éeraient bonnes , les autres seraient simplement
aqueuses, êt auraient àh goût de bois désagréable. 4
convient de s'adresser successivement ou à la fois, à
plusieurs bouleaux , afin qu'aucun ne souffre de l'opé-
ration à laquelle il aura été soumis. Où pense bien,
qü’après chaque saïgnée À faut boucher le trou avec une
chevilte ou ‘an fosset,
MÉMOIRRS: 385
L'Fau de Bouleau est singulièrement diurétique ; elle
convient beaucoup dans les affections des reins et dans
quelques-unes de la vessie ; elle passe presqu’avec la
même rapidité que les eaux minérales acidnlées ; elle
fait uriner pour le moins aussi abondamment ; les gout-
teux se trouvent, en général , assez bien de son usage ;
mais c’est surtout dans les maladies de la peau, dans
les gales chroniques, Îles dartres, la goutte rose que
Yon peut le plus compter sur ses salutaires effets. Elle
réussit aussi dans les embarras du foie et de la rate.
On a vu un jeune officier phtisique au deuxième degré,
guérir de cette maladie réputée incurable, après avoir
bu en quarante-quatre jours,”et pris pour toute nour-
riture cent soixante et seize bouteilles, ou bien. quatre
bouteilles par jour d'Eau de Bouleau qu'il coupait avec
un quart de lait.
Ce médicament est si simple, si naturel et si efficace,
qu'on regarde comme très-utile d’éveiller l'attention du
public, et sur-tout. de le faire eonnaître dans les cam-
pagnes, dont les habitans sont loin de 6e douter que:
la nature leur ait fait un don aussi PHÉAETE et qu’elle
Vait placé si. près d'eux.
Il n’est qu’un temps pour lusage de l'Eau de Bouleau; .
et ce temps, qui commence avec les premiers mouve-
mens de la sève , c’est-à-dire du 10 mars au 1‘ avril,
selon que lhyver a plus ou moins duré, et a été rude
ou tempéré, ne va guire au-delà du 15 mai
386 MÉMOIRES,
AA RAARARRARA
AAAARAARARRAA
Le :
NOUVELLE MÉTHODE
D'ENSEMENCEMENT,
Mise en usage par Monsieur DEVRED, Cultivateur &.
| Flines, Département du Nord,
Et communiquée par Monsieur De SomBrin, Chevalier
de St. Louis, demeurant à Arras...
Êe Méthode consiste en un semis à la main dans
des sillons parallèles et convenablement espacés.
Quelque soit l’assolement adopté , la préparation des
terres ne subit aucun changement; ce n’est qu’au moment
d’ensemencer que la nouvelle méthode commence ; ce-
pendant on observera, avant le dernier labour, de passer
la herse et ensuite le rouloir pour égaliser le terrein et
briser les mottes autant que possible.
Pour procéder à l’ensemencement, on ouvre un premier
sillon avee une charrue à versoir. Une femme, ou un
enfant suit la charrue, et répand le grain à la main
dans ce premier sillon à mesure qu’il est ouvert. IF
faut observer de ne pas semer trop dru. Le semeur
arrive ainsi au bout du sillon presqu’en même temps
que le laboureur, qui se retourne et trace un second
sillon parallèle au premier, et le plus rapproché possible ,
de manière que la terre rejettée par le versoir recouvre
entièrement la semence jettée dans le premier sillon ;
mais ce second sillon ne doit recevoir aucune semence :
On ouvre ensuite le troisième sillon dans lequel on
sème comme au premier, et la semence est recouverte
par la terre du quatrième qui ne reçoit rien; ainsi de
pu
MÉMOIRES. 387
suite; de manière que le grain n’est jetlé que dans les
sillons de nombre impair, et il est recouvert par la terre
des sillons du nombre pair. L'opération est Ja même pour
les fourrières en sens: opposé.
Ce procédé si simple exigé seulement l'emploi de deux
chevaux; le labour ne doit étre foncé que de deux à
trois pouces au plus. On sème une hectolitre de bled
par bonnier , ( environ 140 ares ) et en trois jours.
Si la terre est douce, l'opération est terminée par le
recouvrement des sillons:; au cas contraire, on passe la
herse sur la longueur des sillons et en reculant.
Le bled semé de cette manière, couche difficilement,
résiste mieux aux hivers rigoureux ; il n’y a pas un
grain de perdu , et les oiseaux ne peuvent faire le moindre
tort. Les épis sont plus longs, ils s'élèvent même d’un
pied au-dessus de la méthode ordinaire. La récolte est
d'un tiers plus productive. On retire en effet ordinaire-
ment par ce procédé, de 6o à 70 hectolitres par bonnier ;
{140.ares ). Le sarclage est plus avantageux, car il se
fait à la petite houe, ce qui détruit plus facilement les
mauvaises herbes et donne un nouveau labour à la terre.
1l est plus expéditif que le sarclage à la main, et peut
se faire également par des enfans. On sème de la même
manière toutes sortes de grains, excepté le seigle qui
n'aime pas d'être recouvert. |
Déjà la plus grande partie des caltivateurs de Flines
et des environs , témoins des succès obtenus par Monsieur
DzvrED, ont adopté ce procédé si simple etsi économique.
3588 MÉMOIRES.
ARR ARR IR PR RS RSR ARS RAVERAENRS
ÉLECTRICITÉ ATMOSPHÉRIQUE
ET
VARIATIONS DU BAROMÈTRE;
PAR A. VÈNE,
CAPITAINE AU CORPS ROYAL DV GÉNIE,
MEMBRE RÉSIDENTe
Nos ne reconnaissons la présence de l'électricité
que par les mouvemens qu’elte communique à nos élec-
tromètres ; car, lorsque les deux boules de cet instrament
‘ne prennent aucun mouvement, nous disons que les
corps sont à l’état naturel ; cependant on peut augmenter
ou diminuer lelectricité des deux boules sans troubler
l'équilibre ; il suffit d'augmenter ou de diminuer propor-
tionnellement le fluide des corps environnans.
C'est pour cette raison que l’électromètre ordinaire
placé dans l'atmosphère ne donne aucun indice des
changemens électriques qui surviennent dans l'air où il
est placé, MS |
MÉMOIRES. 589
Maïs la faculté qu’on reconnaît au fluide électrique de se
distribuer inégalement sur la surface des corps conducteurs
et de se condenser vers les extrémités des corps aigus,
nous donne le moyen de le rendre sensible aux électros-
copes.
Une tige conductrice ou un fil de métal, tendu entre
deux points isolés dans l’atmosphère, attirent vers leurs
extrémités un fluide assez dense pour donner des étincelles
et procurer des mouvemens électriques qu’on peut mesurer
avee l’électromètre.
{
Saussure se sert d’un moyen ingénieux pour mesurer
l’état électrique de l'atmosphère; il prend une boule à
laquelle il attache un fil de métal qui communique avec un
électromètre, et en jettant la boule dans l'air, le fil se
dévide, se détache de l’appareil et laisse l’électromètre
isolé, après lui avoir communiqué l’état électrique des
couches supérieures.
Par ce moyen, il s’est assuré que, dans l’état habituel
de l'atmosphère, les feuilles de son électromètre sont mues
par une électricité positive,
_. Mais il est intéressant de savoir si cet état vient d’une
augmentation de fluide enlevé aux différentes couches
atmosphériques par le fil métallique, ou si cet état est
produit seulement par le fluide naturel du fil refoulé par
électricité de l’atmosphère dans l'appareil élecitroscopique.
Les expériences de MM. Biot et Gai - Lussac nous
3g0 MÉMOIRES.
mettent À même de résoudre cette question. Ces physiciens
ayant suspendu au-dessous de leur ballon, lors de leur
ascension aérostatique, un fil métallique de 50 mètres de
‘ longueur , remarquèrent qu'il communiquait une électri-
cité négative à l’électromètre qu'ils avaient dans le ballon,
quoique le temps fut serein, et que par conséquent , l’état
de l'atmosphère dut être positif.
Pour accorder cette expérience avec celles de Saussure,
il faut admettre mne augmentation progressive d'électricité
dans les couches supérieures de l'atmosphère.
D’après cette supposition , le flaide naturel du fil métal-
lique doit être refoulé vers son extrémité inférieure par
l'effet de la répulsion électrique des couches supérieures de
l'atmosphère ; de sorte que cette extrémité devient positive,
tandis que l’autre prend un état négatif : c’est pour cette
raison que l'observateur placé à la surface de la terre trouve
toujours, comme Saussure, un état positif, tandis que
MM. Biot et Gai-Lussac ont trouvé constamment un état
négatif dans leur ballon. :
Ces considérations doivent nous faire voir que l’état
habituel ‘d'électricité positive qu’on a reconnu à l’atmos-
phère, n’exprime autre chose qu’une augmentation
progressive d'électricité à mesure qu’on s’avance dans des
régions plus élevées.
Quoique dans ces expériences l'électricité da fil fat
produite par l’accumulation de son fluide naturel vers la
partie inférieure, il est des circonstances où ce fil peut
| ! |
MÉMOIRES. Zot
s’électriser par communication , et ce cas a.lieu lorsque le
. \ :
fil est long-tems en contact avec l'air. r
Beccaria ayant tendu horizontalement un fil métallique.
entre deux points isolés, apperçut à ses extrémités des
signes électriques, quoique le fl traversât une couche
d'air également électrisée..
” S'il se trouvait une partie de l’atmosphère où l'électricité
fut décroissante à partir de la terre, une tige verticale ow
l’'appa eil de Saussure indiqueraient une électricité négative,
et il est à croire que c'est à une cause semblable qu'est dû.
l’état négatif que l’on remarque dans les mouvemens violens
qui agitent l'atmosphère. Mais, comme l'airélectrisé devient
plus léger , il s’éleve dans les régions supérieures et reprend-
bientôt son état ordinaire et permanent , qui est une-élec—
tricité croissante et positive.
Supposons que AB soit un fil métallique isolé et dont
l'extrémité B soit mise en communication avec un électro-
mètre, ce fil se mettra en équilibre avec l'atmosphère, et
comme celle-ci est positive, AB prendra un état semblable,
de sorte qu'aux extrémités À et B, le fluide sera plus dense.
que dans toute autre partie, et les balles de l’électromètre
indiqueront uni écartement positif.
;
Si l’on double la densité de l'air en même tems que le
_ fluide électrique du fil, l'équilibre ne sera pas troublé, mais
l’écartement des balles sera augmenté : d’après cela, on voit
qu’une condensation dans l'atmosphère doit produire une
| augmentation dans l'état électrique de Pair. |
392 MÉMOIRES.
Supposons maintenant que la température venant à
augmenter, l'air se charge d’une certaine quantité de
vapeurs, le volume d'air augmentera, mais sa densité
diminuera, et cet effet produira une diminution dans
la tension électrique du fil; et comme les vapeurs
absorbent , au moment de leur formation, l'électricité des
corps terrestres, cette seconde cause produira un effet
contraire à la premiere; l'expérience prouve néanmoins
qu’elle ne fait que la modifier sans pouvoir la détruire.
__‘ C'est ce qui explique la nation électrique vers le.
milieu de la journée.
Lorsque les chaleurs de la journée sont épuisées , les
. vapeurs se rapprochent, se changent en rosée et se déposent.
sur les corps terrestres, et, par cette nouvelle transfor-
_ mation, elles rendent au réservoir commun l'électricité
_ qu’elles lui avaient enlevé au moment de leur vaporisation.
. Une autre cause qui n’a pas moins d'influence que celle:
ci, tend encore à produire les mêmes effets ; les vapeurs :
. condensées forment un espèce de réseau qui s'étend dans:
les couches inférieures de l'atmosphère, et qui met l’air en.
contact avec le réservoir commun, et cette communication
fait perdre à l'air tout l'excès de fluide dont il s'était
chargé auparavant.
On peut conclure delà que l’électricilé est plus faible la
nuit que pendant le jour , parce que l'excès de densité que
l'air acquiert pendant la nuit, ne peut pas compenser la
perte électrique qu'il éprouve pendant le même tems, par
MÉMOIRES 398
la condentibilité des: vapeurs qui se déposent pendant
la puit. | |
Au lever du soleil , ces vapéüuré commencent à s'élever
. par l’effet d’une augmeñtation de température , et la roséé
_se réduisant en vapeurs, donne naïssancé à une nouvelle
quantité d’électrieité ; ces deux causes réunies produisent
l'augmentation électrique que l'on remarque au cemmen-
eement de la journée. 5
_ La même canse qui fait décroître à midi l'électricité
atmosphérique du matin, explique pourquoi Pélectrieité
est plus faible l’èté que pendant l'hiver.
Lorsqu’après avoir suivi pas à pas la marche lente de
Pexpérienee , on veut s’écarter un moment de cette route .
pour s'élever dans les régions qu’elle ne peut atteindre ;
une des premières. considérations qui doivent fixer notre
attention est de suivre, dans toute son étendue, cetté
marche progressive d'augmentation électrique dans lPat-
mosphère; alors on ne peut manquer de se demander
qu'elle est la source de ce fluide et qu'elle est sa limite
d’élévation..
Nous assignons une limite à latmosphère aérienne,
parce que sa densité est décroissante ; mais, comment
donner une limite à une quantité qui a une marche pro
gressive d'augmentation.
| On ne voit pas de raison pour la terminer à la hauteur
” de l'atmosphère, et quoique ce fluide soit soumis aux lois
394 MÉMOIRES.
de la gravité, il est impossible d’assigner un terme où s2
force répulsive soit en équilibre avec sa’ pesanteur ; car,
la pesanteur diminue et la force répulsive augmente en
raison de l’élévalion : |
Ce fluide doit done s'étendre dans l’immensité des
espaces , et la terre ne peut être son origine, quoiqu’nn
lui ait donné le nom de réservoir commun.
Supposons, pour développer notre idée, que le
cylindre AB soit rempli de fluide électrique, on sait
que sa densité sera plus grande aux extrémités que
vers le milieu, mais la différence de densité entre deux
couches voisines sera d'autant plus petite que le cylindre
sera plus long. Par conséquent, si le cylindre devient
iutiui, les deux couches seront également denses.
On peut donc supposer que l’univers a été primiti-
vemetut rempli par un fluide électrique d’une densité :
uniforme.
Supposons maintenant que lon place Ka terre au
milieu de ce fluide : le fluide électrique pénétrera dans
son intérieur, et les molécules aériennes de son atmos-
phère s’envelopperont d’une légère couche de fluide
électrique, et cette accumulation continuera jusqu’à
ce que la dilatation atmosphérique puisse faire équilibre
à la pression extérieure ‘exercée par le fluide contre la
linnte de l’atmosphère.
Lorsque cet équilibre sera étabhi, l'électricité atmos-
phérique sera décroissante à partir de sa limite supérieure.
MÉMOIRES. L 395
Quoique la terre ne soit point la source primitive de
l'électricité, elle n’en est pas moins une mine féconde
qui fournit ‘aux différentes variations que ce fluide
éprouve dans l’atmosphère.
Les vapeurs qui se forment dans son sein, pendant
les chaleurs de l’été, lui dérobent ce fluide pour allet
grossir celui de l'atmosphère.
La rosée, la pluie et les différens météores ramènent
à la terre le fluide qu’elle avait perdu.
Considérons deux sphères A et B enveloppées chacune
d’une couche de fluide électrique. Aux points les plus
rapprochés, sera la moindre densité, et si l’on les
rapproche jusqu’au contact, la densité des points oppo-
sés deviendra si grande, par l'effet de la répulsion, que le
fluide sera forcé d'abandonner ces corps et de s'échapper
par rayonnement , de sorte que ces deux sphères auront
beaucoup moins de fluide lorsqu'elles seront en contact,
que lorsqu'elles seront éloignées. |
Mais , lorsque les sphères seront réunies , elles peuvent
être considérées comme deux molécules d’eau. à l'état.
liquide, et lorsqu'elles sont éloignées, elles peuvent
représenter les deux mêmes molécules à l’état de vapeurs.
On doit donc conclure qu’en général les vapeurs
absorbent l'électricité au moment de leur formation, et:
que leur retour à l'état liquide ramène le fluide électrique
à l'état latent.
VARIATIONS DU BAROMÈTA E.
; Les mouvemens du baromètre ont excité pendant
396 MÉMOIRES.
Fong-tems la sagacité des physiciens. On supposa d’abord
que la pluie, en diminuant le poids de l'atmosphère,
devait produire un abaissement dans le baromètre, mais.
on ne fit pas attention que eet abaissement précédait
kR pluie, et qu'il était suivi le plus souvent d’un mouve-
ment rétrograde, alors même que l'air se trouvait purgé
& vapeurs; de sorte que. cette explication supposait
dans. le baromètre. un mouvement contraire à celui qui
existait réellement.
Leibnitz perfectionna cette théorie, il pensa, avec
gaison , que lorsque Îles vapeurs sont suspendues, ow
combinées avec l'air, elles tendent à charger l'atmosphère
et, par conséquent, à produire une élévation dans la
eolonne barométrique, mais il pensa aussi que, lorsque
ces vapeurs s’agglomèrent dans les régions supérieures,
et qu'elles filtrent lentement à travers les différentes
couches d'air, elles déchar gent l'atmosphère d’une partie
de leur poids, avant même qu'elles soient tombées et
réduites en pluie.
C'est ainsi qu'une pierre jettée dans l'atmosphére ne
peut augmenter par sa chüte le poids dé Fair; mais,
l n’en ‘serait pas de même, si cette pierre était réduite
en poudre, assez fine et assez étendue, pour rester
suspendue dans les régions supérieures de ‘atmosphère;
elle produirait alors Peffet de l’eau à l'état de vapeurs.
C'est de cette manière que Bossut explique, d’après
Leïbnitz, l’abaissement du baromètre avant læ chûte de
Ja pluie; mais cette théorie est impuissante pour se
Mémornrs _ 097
rendre raison de la haute élévation du baromètre pen
dant les tems secs; car, d'après ces principes, l'air
devrait être plus lourd pendant l'été que pendant l'hiver,
et l'expérience prouve le contraire. à
Quelques physiciens ont cru expliquer ce phénomène
à l’aide de l'expérience suivante : :
On prend une ballon rempli d'air, on y introduit
quelques gouttes d’eau pour les faire vaporiser, et aussi-
tôt, on remarque une élévation dans la colonne de
l’éprouvette qu'on a eu soin d'introduire dans le ballon,
et cette élévation augmente tant que dure la vapori-
sation, de sorte que l’élasticité de lair se trouve
augmentée, et si on laisse étendre cet air jusqu’à ce
que sa force élastique soit égale à celle qu'il avait
primitivement, le poids de cet air hamide sera moindre
que le poids d’un égal volume d'air primitif. C’est d’après
ce résultat que l'on a cru devoir conclure qu'une
atmosphère humide devait de plus légère qu’une atmos-
phère sèche.
Cependant l'expérience citée ne peut pas fournir cette
conclusion, elle dit seulement qu'à égalité de hautèur
atmosphérique la plus humide est la plus légère; mais
pendant l'été l'atmosphère est plus élevée que pendant
l'hiver à cause de la grande élasticité qu elle acquiert
par le mélange des vapeurs, de sorte que l’on ne peut
savoir si son défaut de densité peut étre compensé par
excès d’élévation. Il est même probable que l'été l’atmos-
Phère est plus pesante que l'hiver, car il faut admettre
398 MÉMOIRES.
qu’nne colonne d'air contient à peu-près ke même nombre
de molécules aëriennes dans son état de sécheresse que
dans son état d'humidité ; il est vrai que dans ce dernier
cas la gravité doit agir moins. fortement sur les molécules,
parce qu'elles sont placées à une plus grande distance
de la terre. |
Mais rien ne prouve que cette cause puisse compenser
. Vaugmentation qu’elle acquiert par le poids des vapeurs.
‘ Il est singulier que dans ces phénomènes, l’on n'ait
point songé à l'influence du fluide électrique, et que
cependant on ait reconnu celle du calorique.
On concevra facilement que ces deux fluides doivent.
produire des effets opposés sur l'air de l'atmosphère ;
en effet, le calorique dilate lair, mais l'expérience
prouvant que la température diminue dans les régions
supérieures, le calorique doit être plus grand vers la
terre, et c’est pour cette raison qu'il élève la hauteur
de l'atmosphère et la soustrait en partie à l’action de
la gravité, de sorte que le calorique, considéré sous ce
rapport, tend à diminuer le poids de l'air.
Mais le fluide électrique étant plus fort dans les régions
supérieures , l'air doit être poussé vers la terre, de sorte
qu’une augmentation de fluide doit produire une élévation
dans la colonne barométrique. Ces principes donnent
l'explication de tous les mouvemens du baromètre.
Dans un tems sec, l'électricité étant plus forte doit
L
MÉMOIRES __ 399
produire une augmentation de pression et une élévation
dans la celonue du haromètre. |
C'est pour cette raison que pendant l'hiver cet
instrument se tient à une plas haute élévation que
pendant l'été. :
On peut aussi expliquer les variations diurnes du
‘baromètre et les changemens brusques que cet instrument
éprouve pendant les grandes tempètes.
IL résulte de ces considérations que le baromètre ne
donne point le poids de l'air, il ne donne que son
poids joint à la force élastique du fluidé électrique.
am QC CHEN OMS) mm
400 MÉMOIRES.
| DESCRIPTION
DE L'’'ISLÉE DE TINO,
SITUÉE
À L'ENTRÉE DU GOLFE DE LA SPEZZIN ,
DANS L'ÉTAT DE GÈNES;
AAR
Par M. À BURDET, Membre honoraire.
memes
17 Peuples profitent du moment de tranquillité qui
succède à un quart de siècle d’agitation pour recueillir
les matériaux avec lesquels la postérité fera l’histoire de
notre temps. Au soin et à l’activité qu’on met dans les
- recherches, il n’est pas probable qu'aucun fait, quelque
peu intéressant qu'il soit, puisse tomber dans l'oubli;
les arts et les découvertes ont leurs historiens aussi
bien que les batailles et les empires. Et cette masse
décrits, qui sont maintenant les voix de la renommée,
transmettra à nos descendans la longue histoire de nos
fautes et de nos erreurs. Elle leur indiquera les écueils
politique contre lesquels le vaisseau de l’État s’est brisé
tant de fois. Mais notre expérience sera nulle pour eux
comme celle de nos pères l’a été pour nous; car les
siècles passés nous avaient aussi offert le funeste spec-
tacle de villes embrâsées , d’armées détruites par les climats
et par le fer, et de trônes renversés. L'histoire nous
avait tracé en caractères de sang Îles déplorables effets
des guerres civiles.
Je viens présenter un spectacle plus doux; je vais
parler d’un Roi qui chérit ses peuples comme ses enfans,
MÉMOIRES. 40%
et d'un peuple qui sait être heureux sous un sceptre
paternel; aucun fait éclatant ne se rattache à son histoire, |
et c’est pour cela, sans doute, qu'il a échappé à la
plume infatigable de nos écrivains. Je veux réparer un
oubli injuste. Assez d’autres célébreront ces exploits qui
éblouissent le vulgaire. La sagesse et la vertu sont digues
d'un plus pur hommage ; elles seutes mettent l’homme
dans la voie da vrai bonheur, et elles sont le plus digne
encens qu’on puisse apporter à l'autel des Dieux.
Pendant les commotions violentes qui, dans ces derniers
temps, ont agité l'Europe , il n’est aucun des peuples
qui habitent celte partie du monde, qui n'ait pris une
part plus ou moins active à la lutte épouvantable qui
s'était engagée. Tous ont été tour-à-tour les alliés et
les ennemis de la France; mais, quand la fortune trom-
peuse l’eut précipitée en un instant de la puissance
suprême, tous s’unirent pour la combattre et pour en
partager les dépouilles.
Mais au raug de ces souverains avides et encore
tremblans de leurs victoires, il ne faut point mettre
celui dont je vais parler ; car il n’a point répété contre
la France d’onéreuses réclamations , il ue s’en est pas pris
à elle seule des désastres inséparables de la guerre; il n’a
poiut oublié que quand elle plantait ses glorieux étendarts
sur toutes les rives, elle fut souvent appellée par les
peuples eux-ruèmes pour venger leurs injures.
Quand la victoire eut mis les états de ce Roi en notre
pouvoir, il se soumit avec résignation ; quand elle eut
momentanément déserté nos raugs, il oublia un orage
passager et reprit paisihlement les rênes du pouvoir. :
Ce Royaume, peu éloigné du continent, est entouié
par les mers; ii est heureux en cela, puisqu'il est à
402 MÉMOIRES.
l'abri des empiétemens toujours plus cruels d’une inva-
sion totale, parce qu'ils paraissent être d’une moins grande-
injustice.
Les lois de la nature y règlent seules les rapports des.
citoyens ; ils n’ont ni constitutions pour les enfreindre,
ni garanties écrites de leurs droits ; moyen précieux pour-
en pallier les violations.
Là, le Roi consulte également les grands et les petits ..
et va ainsi au-devant de l'opinion publique ; car il est
loin d'ignorer qu’elle ne se trompe jamais ni sur l'intérêt
. des gouvernés, ni dans le jugement qu’elle porte sur les.
gouvernans. Il n'attend pas qu’on le force de faire.
ce qu'on eut aimé ne devoir qu’à sa volonté ;. il tient:
trop à l’amour de ses. sujets pour perdre aïnsi à leurs.
yeux le mérite d’une bonne idée, d’un Lienfait ,. ou d’une.
heureuse amélioration.
Si quelqu'un se trompe, il est repris avec toute la
douceur d’uue autorité paternelle; on ne confond pas les.
erremens de l'esprit humain avec les crimes de fait. Car
l’auteur de ceux-ci doit être sequestré de la société, afin
qu’il ne puisse plus faire le mal ; mais la pensée sort avec
_biea plus de force par les soupiraux. des cachots; et la
voix d'un opprimé est répétée avec un. éclat effrayant par
les voùtes luguhres des prisons.
Mais dans cet heureux état, l’âge et l'expérience gou-
vernent et savent consulter les besoins de Îa génération
qui s'élève et ne la régissent pas d’après les mesures de
la génération qui n’est plus.
Le bien public est le but où tendent également le
Peuple et le Roi; mais celui-ci, chez qui une haute
sagesse est unie à une gtande connaissance des hommes
et des choses, ne sépare jamais ses intérêts de ceux
MÉNMoïIRxs. 403
de ses sujets; car il sait bien qu’en travaillant à leur
bonheur et à leur bien-être, il ne travaille que pour
lui-même, et se prépare de longues années de paix et
de félicité. |
Aussi la parole du Roi y est l’oracle de Thémis. C'est
lui qui juge les différens, qui appaise les querelles, ses
jugemens, toujours pleins d'équité, sont vénérés et de
celui qui gagne sa cause et de celui qui la perd. Jamais
les dissentions civiles n’y ont séparé le même peuple en
deux peuples différens ; jamais de vaines disputes ; jamais
le funeste esprit de parti n’a porté le deuil et la désu-
nion dans les familles; jamais le sang national n'a
coulé pour une cause étrangère à celle de la patrie.
Mais si, plus heureux en cela qu'aucun Roi, il n’a.
point à craindre les divisions intestines, il doit être
continuellement en garde contre des invasions soudaines.
Hélas! l'esprit de paix et de justice sont de faibles
gardes contre les violences et les spoliations des conqué-
rans !
D'avides étrangers , attirés par l’appat d’un butin facile,
se présentent tout-à-coup, la menace à la bouche et le
fer à la main. Entouré de ses sujets fideles, il oppose
d'abord la force à la force; mais dans le trouble de la
surprise, que peut la défense la plus courageuse contre
une attaque préparée de longue main?
Bientôt il se voit forcé d'abandonner son palais. Il
se retire, avec tout ce qui lui est cher, au centre de ses
États, dans un lieu élevé que sa prévoyance a forlifié,
et où il opposera la terrible résistance du désespoir;
car il aime mieux mourir qu'être esclave.
Assis tristement sur un créneau -antique, il voit au
loin les ravages des vainqueurs insolens. Mais ceux-ci
404 MÉMOIRES.
craignant un retour de la fortune, se hâtent d'embarquer
leur butin, et délivrent enfin de leur présence des lieux
qu’ils ont rempli de désolation.
Le Roi revient alors avec une curiosité inquiète; le
chemin. qu’il suit est semé de. débris ; les portes de son
palais sont brisées; ce qu'il contenait de précieux est
enlevé; les objets de peu de prix, dédaignés par le
vainqueur, sont mis en pièces ; tant la soif de l’or qui
n'est pas a souvie, porte l’homme à de coupables excès.
Le Roi aidé de ses sujets, s'occupe alors à réparer
ses pertes. Il appelle à son secours les arts et l’industrie;
on redouble de travail; on établit une économie sévère;
une activité nouvelle multiplie les ressources; mais
combien ne faut-il pas d'années de paix et de prospérité
pour effacer les dévastations d’un instant ? Aïnsi il faut
plus d’une nuit pour rétablir les forces de l’athlète qui
a succombé à la lutte. |
IL a des vaisseaux, mais leurs flancs sont dénués
d'armes ; il ne s’en sert que pour maintenir des relations
de paix et de commerce avec Îles peuples voisins ; il
croit que la mer dévore assez de victimes, sans que la
fureur de l’homme er fasse encore un vaste champ de
bataille.
Cruel embléme ! Jamais l'État n’est plus en sûreté
que quand la tempête règne au-dehors.
Souvent les vents soulèvent la mer et la poussent
avec violence contre les bords; l'air retentit au loin
d'un mugissement sourd; la terre est ébranlée par les
coups multipliés des flots qui frappent les rivages, comme
le bélier antique sapait les murs élevés; une ceinture
blanche enveloppe l'ile; des tourbillons d’écume salée,
‘emportés par les vents, s'élèvent le long des pans de:
| MÉMOIRES. _ 405
rochers escarpés et menacent de dévorer la végétation
toute entière; car tout ce qui est touché par cette eau
brûlante, languit et meurt bientôt.
Mais la nature est inépuisable dans ses bienfaits;
elle a couronné les bords de myrthes et de pins, dont
les rameaux stériles arrétent la bruine amère, et en
reçoivent seuls les atteintes funestes.
Sous la feuille qui meurt pousse une feuille qui mourra
à son tour après un second orage ; ainsi, cette succession
de vie et de mort, forme un rempart vivant qui défend
le produit des sueurs de l’homme , et même, après des
siècles d'existence, quand les ans ont desséché ses racines,
il offre encore son squelette brülé aux flots qu’il a bravé
si long-temps.
Tel, le jeune guerrier succède à son aîné qui succombe
-et se place sans pâlir à l'endroit où un autre lui succédera
à son tour. Tels, quand la mort promène dans les rangs
sa faux tranchante , les vieux soldats, se serrant , offrent
à l'ennemi les fronts cicatrisés et leurs phalanges hérissés
de bayonnettes, jusqu'à ce que le dernier des braves
ait mesuré la terre déjà teinte de son sang.
Dans cet état, il n'a pas fallu la main dévastatrice
des révolutions pour renverser ces établissemens fondés
par la piété sincère, environnés de la vénération des
grands et du peuple, tant qu'ils ne sortirent pas de l’es-
prit de leur institution, si méprisés , quand des richesses ,
d'abord légitimement acquises, ne servirent plus qu’à
nourrir loisiveté et à encourager là paresse.
De pieux Cénobites allèrent au désert chercher le
repos que ne pouvait leur offiir le monde. Par des
travaux de longues années, ils couvrirent lîle toute
entière de plantes marines, et de débris jettés par les
406 MÉMOIRES.
flots sur les rivages, et firent naître la terre même sur
d'arides rochers. C'est à eux qu’on doit les fruits qui à
présent y naissent presque spontanément.
Mais le temps a détruit ces asiles des amours chré-
tiennes; il ne reste plus que des murs renversés, des
voûtes qui s’affaissent chaque jour, et des sépulchres
ouverts où les saints ossemens ne sont pas même enve-
loppés de la terre des tombeaux.
Cette île est située dans un climat où le ciel est
toujours pur; les zéphirs y tempèrent constamment
J'ardeur du soleil; jamais de météores funestes n’y dé-
truisent les moissons; jamais les frimats et leur Jugubre
appareil n’y flétrissent les plantes, n’y ferment le calice
toujours ouvert des fleurs, et ne suspendent la récolte
continuelle des fraits. |
Les myrthes, les lauriers, les grenadiers, y forment
de frais ombrages. Le romarin, le serpolet, mille plantes
aromatiques, y parfument les airs; l’arboisier et J'oranger
y portent en même-temps des fleurs odorantes et des
fruits brillans de couleur. Le figuier tortueux, au vaste
feuillage, joint toujours une larme sucrée à sa baie en-
trouverte. Le palmier y élève dans les airs ses dattes
rafraichissantes , et des ceps immenses, suspendus aux
branches des arbres, abritent les céréales sous leurs
voûtes de pampres. Co
Je l'ai vu ce bon Roi: c'était un jour de repos. Il
était assis sur un rocher au haut de son île. Sa garde
fidèle était auprès de lui; il jettait sur ses états un
regard de satisfation, et semblait jouir de a prospérité
et du calme qu'il leur avait donné.
Un air de sérénité et de bonheur était répandu sur
sa personne et sur son visage vénérable. Sa barbe était
MÉMOIRES . 407
blanche et ses cheveux flottaient sur ses épaules. Soixante
et dix hivers ne lui avaient presque rien Ôté de sa vivacité:
ils avaient donné à ses traits ce caractère auguste qui
inspire tant de respect pour la vieillesse. C'était une de
ces belles images sous lesquelles on se plaît à nous
représenter l'Éternel. |
Non, jamais le spectacle qui, dans cet instant, se
présenta à moi, ne sortira de ma mémoire.
Je découvrais toute la pleine mer; Vile d'Elbe, la
Gorgone et la Corse paraïssaient comme de légères va-
peurs à la limite du ciel et des eaux. Les riches plaines
de la Toscane, les Apennins bleuâtres, les superbes
rochers de la Ligurie, et l’horizon lointain des côtes
de France, formaient Île cadre d'un tableau magnifique ;
dont l'épisode était sur le sommet de Pile.
Le soleil se couchant dans la mer, dorait le sommet
des vagues et répandait des torrens de feu sur l’ancien
de l’île, sur le rocher où il se reposait, sur le Pin
antique qui s'élevait au-dessus de sa tête, et sur les
créneaux de la tour voisine. Le vent du soir agitait le
feuillage et rafraïchissait l'air embrâsé par les feux du
lion. Les flots caressaient les rivages ; l'air était parfumé ;
la nature semblait attentive et en silence. On eut dit
qu’uu concert mystérieux d’hommages s'élevait des plantes
et des flots et était apporté au vieillard par les zéphirs.
‘Il n’est pas besoin de gouverner des états d’une grande
étendue , ni d’avoir de puissantes armées pour être chéri
et respecté; et surtout pour être heureux. Ce Patriarche,
| qui avec ses enfans et ses petits enfans , habite et cultive
la petite île Tino, située à l'entrée du golfe de la
Spezzia, aux confins dé la Ligurie et de la {Toscane ,
ne changerait peut être pas la liberté et la paix, dont
408 MÉMOIRES.
il jouit dans sa propriété, avec l'esclavage et les soucis
. dun trône.
Son palais est une chaumière, son sceptre une
houlette, et sa garde fidèle est son chien. Quand les
pirates qui infectent la Méditerranée viennent l’attaquer,
il a pour refuge une forte tour bâtie au sommet de l'ile.
Vivant du produit de sa culture et de sa pêche,
vêtu des dépouilles de ses moutons, isolé au milieu
des mers, hors de la portée des lois, plus par sa probité
que par sa position, indifférent aux constitutions, car
sa volonté paternelle est toujours chérie et respectée,
ce cultivateur, appellé Roi de Tino, est dans la situation
la plus heureuse qu'on puisse desirer sur la ierre ; car
il jouit à la fois de l'indépendance du sauvage et de
tous les bienfaits de la civilisation.
MÉMOIRES 409
LE POUVOIR DE LA MUSIQUE.
O D E.
La seusibilité fait tout notre génie.
PrRON. Métromanie.
J AMAIS d’une injuste puissance
Je n'ai célébré les exploits ;
Jamais l’orgueilleuse opulence
Ne m'a vu ramper sous ses lois ;
Exempt de toute inquiétude,
Je me plais au sein de l'étude,
J'honore l’homme vertueux,
J'aime les arts et la sagesse ;
Voilà mes titres de noblesse,
Ma philosophie et mes jeux. |
Ah ! si l’inconstante fortune
M'avait accordé ses faveurs,
J'aurais fui la gloire importune
Et le vain éclat des honneurs;
Berceau du goût et du génie,
Cité de l'antique Ausonie,
J'aurais vu vos sacrés remparts,
Ou des champs, citoyen tranquille,
_ J'aurais, dans un modeste asile,
Du monde évité les regards.
Mais, puisque le destin contraire .
Me défend des plaisirs si doux,
Cherchons du moins à satisfaire
D'autres desirs et d’autres goûts;
410 MÉMOIRES.
Pour les rivaux de Terpsichore,
Ma faible voix essaye encore
Un chant digne des Immortels ;
Je veux célébrer la Musique,
Je veux d'un Tribut poétique
Honorer ses divins Autels.
Nymphes de la double Colline,
Chastes compagnes d'Apollon,
Doctes filles de Mnémosine
Quittez le brillant Hélicon,
Prenez le Théorbe et la Lyre,
Venez..... un sublime délire
_ S'empare déjà de mes sens; |
Et toi, Maître imprudent d’Alcide,
O Linus ! à ma voix timide,
Unis tes accords ravissans.
L'homme envers tous les Dieux injuste,
Était déchu de sa grandeur,
1 n'avait plus cet air auguste,
Ce front couronné de candeur ;
Au léopard, au tigre horribles
Sa main, de la brebis paisible,
Disputait souvent un tambeau;
Toujours farouche et solitaire
Expirait -it? un fils, un frère
Ne le mettait pas au tombeau.
Du haut de la voûte étoilée,
‘ Le Père et le Maître des Dieux,
Sur la nature désolée, |
Un jour daigne jetter les yeux;
Pour calmer ses maux, il appelle
Une Divinité nouvelle ;
| Polymnie
MÉMOIRES. 4
Polymnie accourt à sa voix;
Tout change !... Cybèle éclaikée
Sourit au siècle heureux d’Astrée,
Et l’homme quitte enfin les bois.
Sans toi, noble et sainte harmonie,
Jouirions-nous d’un seul beau jour?
Ta parais, la haine bannie |
Cède notre cœur à l'amour,
Hélas ! quand sur nous la tristesse .
Vient étendre son ombre épaisse,
Qui nous ranime ? c’est le chant:
L'oiseau que l’on a mis en cage
Sait adoucir son esclavage |
Par un air plaintif et touchant.
Ma Déesse , de l’homme sage;
Embellit les doctes loisirs ;. .
Toujours on la voit au village .
Donner le signal des plaisirs ;
Courez, volez, essaims folâtres !
Jeunes Bergères, jeunes Pâtres,
Pressez l'herbe d’un pied léger ;
De guirlandes ornez vos têtes!
Et montrez qu'il n’est pas de fêtes
Sans le flageolet du Berger.
Aux champs de Mars et de Bellone,
Quand nous teiguons nos bras de sang,
Lorsque le bouclier raisonne
Sous les coups du fer menaçant ;
Si, pleine d’une horrible joie,
La mort vient réclamer sa proie,
Nous pälissons, nous fuyons tous ;
Le Barde chante la victoire, |
IL chante! ... et l'Amour de la gloire
Reprend son empire sur nous. |
Tome XL, 9." Liv. | 21].
La
MÉMOrR£és.
Oui, dans les camps toujours admise;
La Muse des brillans accords,
À nos guerriers qu’elle maîtrise,
Fait partager tous ses ‘transports ;
En vain le démon de la guerre
Nous écrase de son tonnerre ;
Polymnie et le Dieu des arts,
Chargés de clairons, de cymbales,
Guident les ‘eohortes rivales
Et soutiennent leurs étendarts,
Sur l’âme la plus indomptée
La musique étend son pouvoir ;
Les doux concerts de Timothée
Jadis savaient tout émouvoir ;
Admis près du héros d’Arbelles
ll ne chantait point les rebelles
Attaqués ; tremblans et vaincus;
Mais, prenant uh mode plus tendre,
Il fesait gémir Alexandre |
‘ Surcles malheurs de Darius.
Voyez Achille qu’on outragé;
Achille, hors de lui, rugissant,
Pour captiver enfin sa rage,
Toucher un luth obéissant ;
Il redit aux plaines liquides , :
Et l’insolence des Atrides ,
Et Driseis et sa beauté:
I s'irrite, il s'appaise , il pleure,
La corde que sa main effleure
Le rend à la tranquillité.
‘ Ainsi, lorsqu’une voix lésère
Cadence un chânt mélodieux,
‘Il croit, bien loin de notre Sphère
Assister aux banquets des Dieux;
MÉMOIRES 413
Veut-elle exprimer l’épouvante? |
Aussitôt mon âme tremblante
Frémit de crainte et de plaisir ;
Peint-elle une amoureuse ivresse ?
Mon cœur, ouvert à la tendresse ,
Laisse échapper un doux soupir,
Suivez-moi tous au Sanctuaire,
J'y veux brûler un pur encens,
L'asile où l’infortune espère,
Redira mes vœux innocens ;
Ah ! quelle pompe le décore ! j
‘Mais, qu'entends-je ! l’orgue sonore
Anime ses tuyaux d’airain;
Il s’échauffe, redouble, tonne,
L'immense édifice en résonne,
Et s’unit au concert divin.
Peuples, courbez-vous dans la poudre,
Voici le moment redouté
Où celui qui lance la foudre
Va dévoiler Sa Majesté ;
Un Prêtre parle, et Dieu se lève;
Ce Dieu quitte à l'instant le glaive
Dont il arme son bras vengeur,
Mon œil l’entrevoit, le contemple,
11 approche ! il est dans le temple ....:
Ou plutôt, il est dans mon cœur,
Loin de moi l'esprit fanatique
Dont les disciples turbulens
Voudraient du culte catholique
Chasser les arts et les talens,
Pourquoi ? leur auguste magie
Donne au faible de l'énergie ;
Et lorsque, sous un doigt savant,
La harpe de Sion répète
_ +
414 MÉMOIRES.
Ua air chéri du Roi Prophète;
L’adorateur est plus fervent. ‘:
J'ouvre les pages de l’histoire j
J'y lis cent miracles fameux ;.
Jason, Orphée et la victoire,
Franchissent l'empire écumeux ;
Arme-toi, superbe Colchide !
Un espoir séduisant les guide ;
Ârme-toi , songe à ton salut ;
Thétis vainement te protège ,
Crains leur audace sacrilèse,
Crains tout... Otphée a pris son luth,
Je vois ces enfans de la Grèce
S’en éloigner en souriant , |
Dans leur cœur règne lallégresse ;
Et sur leur tête un jour brillant ;
«__ Thétis contre eux anime Eole,
» Ïl faut les submerger, cours, vole,
» Vole, point de grace ; » elle dit :
J'entends mugir l’eau blanchissante;
Orphée alors prélude, chante;
Thétis s’appaise, Eole fuit.
Martyr de la foi conjugale,
Bientôt ce généreux époux
: Traverse la nuit infernale
En bravant les destins jaloux ;
Sous ses doigts se plaint une iyre,
Il commence. Ixion respire; |
Tantale mord le fruit trompeur ;
Mégère quitte ses victimes,
Et le Roi des profonds abîmes
Couronne son heureux vainqueur.
Tout se police dans la Thrace,
Tout rit dans Les vallons d'Hémus ;
MÉMOIRES. 415
Le Strymon sent son eau de glace oo?
Bouillonner aux champs de Linus:
Des coups d'une horde perfide, |
Un Dauphin, sur son dos humide,
Sauve le sublime Arion ;
Thèbes, lève sa tête altière ,
Ses murs sortent de la poussière
Aux divins accens d'Amphion.
Sur le Liban, du cèdre antique
S'incline le vaste sommet ;
David entonne un beau cantique ;
L'ange applaudit , l’homme se tait ;
Hier , sa harpe victorieuse ,
D'une âme impie et furieuse,
Adoucissait les maux cruels ;
Aujourd'hui, sa voix noble et sainte,
Porte dans la céleste enceinte
L'hommage et les vœux des mortels.
» © toi dont la toute-puissance
# Créa d'un mot cet univers,
#» Donne l'essor à ta clémence
» Et prends pitié de mes revers ;
» Vois le sentiment qui m’anime,
” Mes pleurs ont expié mon crime,
» Suspends, suspends enfin tes coups,
» Dieu! souviens-toi d’un misérable !
— Ainsi chante David coupable,
Et Dieu jette un regard plus doux.
Il n’est point, parmi nous de bouche
Qui n’aime à fredonner des sons;
Le Nègre indolent et farouche
À sa musique, a ses chansons ;
Souvent , d’une sombre harmonie ;
Les monts de la Scandinavie
sw
48 MÉéMoirgs.
Ont redit les pompeux accords :
Souvent , dans ces forêts sauvages ;
Du bruyant séjour des orages,
Elle à fait descendre les morts.
Le visage baigrié de larmes,
Le fronf orné de cheveux blanes
Ossian frouve encor des charmes
Dans son luth ef dans ses accens;
De Malvina là main tremblante
Conduit sa marche défaillante
Aù bord d'un fleuve impétueux ;
Ga voix se mêle au bruit de l'onde :
Le vent mugit, la foudre gronde ,
Et Fingal paraît dans les cieux.
Où suis-je! uñ torrent de lumière
, * Vient m'inonder et m’éblouir ,
Je frémis.… la naturé entière
Semble tout-à-coup tressaillir ;
Un Dieu s'annonce. il va paraître...
Ab! c'est Apollon , c’est mon maïtre ;
Du Cynthe il quitte les forêts;
Mais, hélas ! Je deuil l’environné,
Son auguste front se couronne
De crêpes noirs et de cyprès.
_» Qu’as-tu brillant fils de Latoné ;
» Pourquoi vois-je tes pleurs couler ?
» Du Ciel où ton disque raÿotiné
» Veut-ori de nouvéau t'exiler ? 5
Il me répond : — » brise ta lyre,
» La mort m’atteint et nie déchite.
» O soins! 6 regrèts superflus !
» Aujourd'hui , , ce monñstré im’enlève
» Mon fils, mon soutien, mon élève...
» Je succombe..… Grétry n'est plus.
LS
MÉMOIRE=s. ‘417
1 dit, un groupe de nuages
L'enveloppe au milieu des airs:
Aûieu donc, immortels ombrages,
Forêts du Pinde , heureux déserts ;
Adieu, souree de Castalie !
Beaux lieux où je passais ma vie
Loin d'an monde en proie aux méchans.
Grétry n'est plus !.... à Polymnie!
Cesse d'inspirer mon gémie,
Je dois mettre fin à mes chants.
Par Armand FROMENTINE, de Boulogne.
418 MÉMOIRES.
AAA ANRAANAAIAIV AAA
FRAGMENT
D'UNE TRAGÉDIE INÉDITE,
INTITULÉE
CONSTANTI N;
PAR M.PELLET-D'ÉPINAL,
MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ,
VNAANNAANAAIANANV AAA
Acte 3° — Scène I"
ANARAA RAAARARARAAAAR RAAARARAR
CONSTANTIN, MAXIMIEN. suiTr.
CONSESAEER
Sr lorsqu’en ce jour auguste et solennel,
Je cours me mes pieds de l'Éternel,
Et que, las d’encenser d’impuissantes images,
Aux autels du Très-Haut je porte mes hommages,
Verrai-je, à mon exemple, un jour Maximien
Rejeter ses faux Dieux pour adorer le mien ?
Lui seul, n’en doutez point, est le Dieu qu’il faut croire ;
Du séjour des élus qu’il invite à sa gloire , l
I! dispose à son gré des Peuples et des Rois,
Et la nature entière obéit à sa voix.
| MAXIMIEN.
| Je m'en faisais , Seigneur , une toute autre idée,
Un obscur novateur sorti de la Judée,
Expiant sur k Croix sa folle mission ,
N’avait rien d'imposant aux yeux de ma raison.
Pour des êtres si fiers , quelle triste origine !
Le dernier des chrétiens cependant s'imagine,
Qu’établi pour juger tous les cultes divers ’
J doit à sa folie asservir l'univers.
lis traitent d’insensés nos dieux et nos oracles.
Î
/
M£Mmorrgs. 419
Je n’approfondis point de prétendus miracles,
Trop fabuleux récits qui n’ont d'autre garant
Que la crédulité d’un vulgaire ignorant :
Des cultes, vrais ou faux, c’est la ruse ordinaire.
Qu’à la voix de nos Dieux , qu’au bruit de leur tonnerre,
L'univers effrayé courbe un front suppliant , |
Un tel culte du moins n’a rien d’humiliant.
Mais quel est donc ce Dieu qu’ils veulent qu’on révère.
CONSTANTIN.
Demandez-le, Seigneur , aux rochers du Calvaire !
Demandez au trépas, par quel secret nouveau,
Transfuge du cercueil , et vainqueur du tombeau,
Il reprit dans la mort sa majesté première,
Et monta vers les Cieux tout brillant de lumière.
Que dis-je ? Démentez ces prodiges nombreux ,
Accomplissant les jours prédits chez les Hébreux ?
Le Sauveur est mourant ! quelles pompes funèbres !
Il meurt, et le soleil s’éteint dans les ténèbres ;
Des astres consternés la marche s’interrompt,
Et la foudre partout à la foudre répond.
Sont-ce là des témoins vendus à limposture ?
Est-ce ainsi qu’un mortel commande à la nature ?
| MAXIMIEN.
Je vous l’ai dit, Seigneur : soit amour de mes Dieux,
Soit raison, les chrétiens me sont tous odieux,
Leurs mœurs que l’on nous vante et que j’ai démasquées..
| CONSTANTIN.
Nommez donc des vertus qu’ils n’aient point pratiquées ?
Simples, mais résignés, ils meurent en héros.
Leur secte qui s'accroît sous le fer des bourreaux,
Triomphante et joyeuse au milieu des supplices,
Semble de la torture emprunter ses délices.
Quel genre de tourmens n'a-t-on point inventé ?
Souvent le bourreau même en fut épouvanté,
42 MÉMOIRES.
Et pâle , et comme atteint d’une foudre imprévue
Désertait} la victime, ou tremblait à sa vue.
Bientôt chaque pays luttant d'impiété,
Rivalisa contre eux d’ardeur, de cruauté,
De ce feu destructeur vous. vites les ravages ,
Quand des rives du Tibre aux plus lointains rivages,
De Dioclétien l’épouvantable Édit,
Sur cent mille chrétiens tout-à-coup s’étendit;
Que n'’ont-ils point souffert ! Là, le bücher s'allume,
_ Aux champs de Babylone, un feu lent les consume,
L’Arabe les égorge ; et là, le plomb fondu,
Dans leurs flancs embrâsés lentement répandu ,
De leur dernier soupir prolonge la torture;
Rafinemens cruels dont frémit la nature.
O Spectacle sanglant ! que n’a-t-on point tenté.
Pour fléchir leur courage ou leur fidélité !
Dans leur sein palpitant j'entends crier la scie;
Tandis que sur les monts de l’âpre Béotie,
Deux arbres avec force, un instant rapprochés,
Emporterit dans les airs leurs membres, arrachés.
A Rome, rassemblés dans un amphithéâtre,
( Rome de ses faux Dieux toujours plus idolâtre }
Par l’ordre de Maxence, on les voit aujourd’hui
Déchirer par des Ours moins féroces que lui;
Cependant, quel que soit le supplice ou l’injure,
Un seul se permet-il une plainte, un murmure ?
Ont-ils, pour résister à tant d’oppression ,
Éveillé parmi nous quelque sédition ;
Au meurtre, à la révolte excité nos provinces,
Et refusé leur sang, même aux plus mauvais Princes ?
Loin de là ; de leur maux ils plaignent les auteurs,
Et meurent en priant pour leurs perséculeurs.
MAXIMIEN.
Que ne peut, quelquefois, l’aveugle fanatisme ?
MÉMOIRES. 421
CONSTANTIN.
Le mensonge, Seigneur, n’a point cet héroisme,
L'erreur est moins superbe à l'aspect du danger,
Et j'en crois des témoins qui se font égorger.
MAXIMIEN.
Il est de ces efforts que l’orgueil nous suggère ;
Malgré quelques vertus qu’en eux l’on exagère,
Plus d’an crime à leur secte ici fut imputé :
Sur Dioclétien que n’ont-ils point tenté ?
Vantait-il teur douceur , lorsqu’à Nicomédie
La torche en son palais promenait l'incendie ?
is l’osèrent deux fois: c’est assez pour juger
De leurs desseins, Seigneur, s'ils pouvaient se venger,
| CONSTANTIN.
Ïl est aisé, Seigneur, de confondre l'envie,
Sur un fait dont la haine a cru noircir leur vie,
- D'un complot si cruel, qui ne doute en effet?
Galère les accuse, et lui seul a tout fait,
De Dioclétien connaissant la faiblesse,
IL voulut par ce crime effrayer sa vieillesse ;
“Lui montrer les Chrétiens terribles, dangereux,
Et changer en’ fureur l'amour qu’il eut pour eux,
C’est ainsi qu'il obtint cet Édit sanguinaire,
Triste fruit des erreurs d'un Prince octogénaire ;
Rome, ou plutôt l’Empire est d’accord sur ce point,
Et vous-même, Seigneur, vous ne l'ignorez point.
MAXIMIEN ( avec ironie). |
Un jour les nations les prendront pour modèles.
| CONSTANTIN.
Où donc trouverez-vous des vertus plus fidèles ?
Sujets non moins soumis qu'intrépides soldats,
À la voix de leur Prince ils volent aux combats ;
Îls ne recherchent point les honneurs, ni la gloire, ,
Æt sans briguer la palme ils donnent la victoire.
422 ‘ MÉMOIRES. -
Je la leur dus souvent ; et contre les Gaulois,
Ils eurent quelque part, Seigneur , à vos exploits.
MAXIMIEN.
Ils n’ont fait en cela que ce qu'ils devaient faire.
Mais doit-on s'étonner qu’en mon cœur je préfère
À des guerriers jaloux, détracteurs de ma foi,
Le soldat qui mourut pour mes Dieux et pour moi?
Que ma haine, après tout, cède ou reste inflexible,
Quel pacte, entre eux et moi, désormais est possible ?
Pourraient-ils, si j'allais dans leur temple m'offrir,
Oublier tous les maux que je leur fis souffrir?
Ma main qui, dans leur sang, tant de fois s’est plongée;
La Lésion Thébaine, à ma voix, égorgée ;
Son Chef même, envoyé par mon ordre au trépas :
Ce sont là de ces traits qu’on ne pardonne pas;
Je ne serais pour eux qu’un objet de scandale.
| CONSTANTIN
Que vous connaiïssez peu leur sublime morale !
Leur Dieu , qui sur la croix souriait à la mort,
Pardonne à la faiblesse et fait grâce aux remords ;
Et loin de vous hair, chacun d’eux au contraire,
. Éprouverait pour vous les sentimens d’un frère.
| MAXIMIEN
Non, non, de leur pitié j'aùrais trop à rougir;
Ma haine .est inflexible , et la leur peut agir,
.GONSTANTIN.
Puisque mon amitié, dans ses vœux repoussée,
_ N'obtient pas le on dont elle s’est bercée,
Et que perdant, Seigneur , l’espoir de réussir,
Elle voit le bandeau sur vos yeux s’épaissir ,..
Souffrez que, sans vouloir insister davantage ,
Je déplore une erreur que Faustine partage ;
Veuille le Dieu des dieux, Li jour vous changer.
. Nous: marchons à l'autel. .... :
EEE LL à
=
MÉMOIRES. 423
SINAANAR AI AR AAA NAN AAA AAA AAA RAIAAIAAS
MÉMOIRE
SUR
3
LE DÉPLACEMENT ET LE Pr ALTERNATIF
D E S M ER 8 ;
EXTRAIT DE L'INTRODUCTION A L'HISTOIRE ;
PAR E G. LENGLET;
PRÉSIDENT'A LA TOUR ROYALE DE DOUAI,
| MEMBRE HONORAIRE DE LA SOCIÉTÉ ROYALE D'ARRAS.
A —
Ex observant T'état actuel de la À terre , les naturalistes
ont trouvé des vestiges très-multipliés d'un ou ee plusieurs:
états antérieurs. qu D
Quelques - uns des anciens changemens pin par
les observations, ne paraissent pas très-différens de ceux
dont nous sommes tous les jours les témoins. Mais
beaucoup d’autres faits semblent’ annoncer aussi des
révolutions ‘plus importantes et qu'il ne paraît pas
possible d'attribuer aux mêmes causes. |
Il faut partir des faits les plus connus.
. Ce qui nous frappe le plus à la première inspection
du globe, ce sont ses inégalités,
Des mers plus ou moins profondes couvrent les deux
tiers de sa surface. La partie qui s'élève au-dessus des
eaux est divisée en continens, sillonnés par d'immenses
chaînes de montagnes, de hauteurs très - ‘différentes et
diversément ramifiées. Là masse entire est enveloppée
” Tome À, LOT Liv, . 26
424 MÉMOIRES.
d’une atmosphère, dont la hauteur n’a pu étre deter-
minée encore. :
Les mouvemens continus ou temporaires, accidentels
ou périodiques, concourans ou opposés fde ces deux
fluides , ceux du. calorique ou du feu qui pénètre égale-
ment, et ces mêmes fluides et la masse totale du globe
contribuent sans éesse à varier l'aspect des corps soumis
à. leur action immédiate.
Pour toutes les parties de la terre, Je jour, la nuit,
l'hiver et l'été se-saccèdent, produisent de perpétuelles
variations dans la température de chaque zone et de
chaque hémisphère, augmentent et diminuent tour-à-
tour les glaces amoncelées aux deux pôles et au sommet
des montagnes. | |
Les phénomènes des marées se répètent. deux fois chaque
jour, et varient du plus au moins deux fois chaque
mois ,et deux fois chaque année. |
. Une partie des eaux de l'océan vaporisées, aspirées
sans cesse, transportées par les vents dans toutes les
régions de l'atmosphère , arrêtées autour des points les
plus élevés des continens , se précipitent, pénètrent daus
les cavités intérieures, coulent en ruisseaux ou en tor-
rens à la surface, fertilisent les vallées et les plaines,
et retourneat enfin au vaste réservoir d'où elles doivent
sortir encore. Ainsi , les montagnes recevant par les nuages
les eaux de locéan, les rendent sans cesse à Focéan
par les fleuves. |
De ces intarissables courans , les plus considérables
grossis dans certaines saisons , se débordent, entraînent
les débris des rochers qui resserrent. les vallées , Les arbres
qui les ombragent, forment à leur embouchure des
atterrissemens set semblent forcer la mer à réculer devant
eux.
1
à
MÉMOIRES. _ 425
Ces différentes causes, tres-peu régulières, mais sans
cesse actives, semblent conspirer à abaisser les montagnes,
à combler le bassin des mers, à rapprocher du niveau
toute la surface du globe.
Mais une autre cause plus irrégulière encore, et dont
l'action échappe à tous les calculs, tend à produire des
résultats opposés. Le feu des volcans agite et soulève
les couches supérieures ; des cavernes s’écroulent, des
montagnes s’affaissent, des îles do d’ autres s’abt-
ment sous les eaux. :
Ainsi, mouvemens généraux réguhèrement pétiodiques ,
mouvemens partiels variant sans cesse, forces opposées
dont l'action, au moins en partie, se compense ; tel
paraît être le premier résultat des lois auxquelles la
surface du globe est soumise. |
Si, pénétrant sa première enveloppe; on obeurré Ja
différence, la distribution ou la position relative des
matériaux qui la composent ; on remarque d’abord trois
ordres de montagnes , les montagnes granitiques , calcaires
et volcaniques. Chacun de ces trois ordres se subdivise.
On distingue entre les montagnes granitiques , celles .
qui sont et celles qui ne sont pas asératifiées, c'est-à-
dire disposées par couches.
Toutes les montagnes calcaires sont ainsi postes
mais les unes contiennent des débris des matières orga-
niques, d’autres n’en contiennent pas.
Enfin , on connait des volcans Frs et des volcans
éteints. : eo
Dans les masses qni composent les montagnes du
premier ordre , la terre siliceuse domine ; dans les autres,
c'est la terre calcaire. our
Sur' les hauteurs, comme sur les lines, dans Pinté-
426 MÉMOIRES.
rieur comme à la surface, la silice et la claux sont
mélangées, quelquefois entr'elles, plus souvent avet
l'alumine ou l'argile. Fnfin, la terre calcaire, l'argile et
la silice, leurs combinaisons, leurs agsrégäts ou leurs
mélanges semblent composer les neuf dixièmes des ma-
tières placées à la surface du globe. |
De ces premiers faits, observés sur tant de points,
déjà quelques-uns conduisent à soupçonner qu’une partie
de ce qui existe a pu avoir antérieurement une autre
position, d’autres rapports et d’autres formes.
Mais deux faits, plus généraux, rapprochés des pre-
miers ,, semblent augmenter la curiosité , en promettant
plus de lumières. .
La figure de la terre, c'est-à-dire l'élévation de l’équa-
teur et l’applatissement des pôles semblent prouver que
ce globe; ou au moins une couche extérieure plus ou
moins ‘profonde , a été primitivement dans un état de
liquidité ou de dissolution plus ou moins complette.
- D’après la disposition des matières qui sont accessibles
. à nos recherches, d’après la multitude et le parallélism2
des couches, la correspondance des angles, le nombre
et l’immensité des bancs de coquilles, ou de pierres
coquillières , trouvés à des hauteurs et à des profondeurs
très - inégales ; il paraît que depuis la consolidation du
globe , les parties de sa surface qui dominent aujourd’huï
sur les mers, ont été long-temps et peut-être plusieurs
fois submergées et puissamment modifiées par les eaux.
Sur ces deux faits.et sur leurs conséquences immédiates;
tous fes naturalistes paraissent d'accord,
. Mais la dissolution primitive a-t-elle eu pour cause;
le calorique , l’eau ou les acides, ou plusieurs de ces
fluides réunis ? ce | :
av
MÉMOIRES 427.
‘ La submersion secondaire a-t-elle été totale et simul-
tanée, ou partielle ‘et successive? La masse des eaux
diminue - t-elle, ow a-t-elle été seulement déplacée ?
Doit-elle diminuer ou se déplacer encore ? Quelles causes
ont produit et peuvent reproduire ces grands effets? A:
quelles époques et de quelle manière ? Sur ces points,
beaucoup plus obscurs , les opinions se partagent. Il faut,
en peu de mots , rappeller et classer les faits qui peuvent
appuyer, contrarier où modifier chacune d'elles.
I De la Dissolution primitive du Globe.
L'état de dissolution auquel on attribue l'élévation
de l’équateur et même celle de quelques montagnes,
ayant dû être antérieur à toutes les révolutions dont
nous retrouvons les vestiges , il n’est pas étonnant que
la cause de cette HUE soit un Hessainene
à saisir.
, Les premiers physiciens qui l’ont cherchée, ont supposé
l'incaudescence ou la fusion générale de nos minéraux,
en d’autres mots, leur dissolution dans le calorique.
Descartes et Leibnitz, par exemple, imaginent que
notre globe a été d’abord un astre lumineux ; et que
cet astre s’est éteint. |
J/iston fait de la terre une comète, gelée et solide
à l'aphélie , embrâsée au périhélie. Peu après son passage
près du soleil, une force quelconque change son orbite
et la rapproche du cercle. À mesure que la comète,
devenue planète, se refroidit, une partie des matières
qui composaient son atmosphère se condense , se préci-
pite..... Le premier: point accordé, tout s'explique
assez lement
Buffon conjecture que la terre, toutes les . planètes et
leurs satellites ont été détachés du soleil par le choc
428 MÉMOIRES.
d’une comète. Il calcule le tems nécessaire pour leur
refroidissement , en raison de chaque masse , et les effets
différens que chaque degré de chaleur peut produire.
Mais, depuis les rapides progrès de la minéralogie
et de la chimie, on a paru accorder moins à l’action
du feu, un peu plus à l’action de l’eau et des acides.
Saussure et M. Lametherie disent, mais avec plus de
circonspection, que Îles parties aujourd'hui solides de
Ja terre, dissoutes autrefois dans un fluide d’une
température approchant celle de l’eau bouillante , se sont
cristalisées en se refroidissant , et que cette cristallisation,
très-confuse , a formé nos montagnes, au moins celles
que l’on nomme primordiales ou primitives.
Il faut comparer chacune de ces opinions avec les.
faits. |
Des trois substances minérales qui dominent dans la
composition du globe , l’alumine se trouve quelquefois,
la chaux presque toujours combinée avec un acide; la
silice jamais. t
Les pierres argileuses et calcaires paraissent devoir à.
ces acides leur consistance on l'adhésion de leur. molé-
cules ; la pierre siliceuse doit la sienne à quelqu'autre
cause. | |
: Quels effets a pu produire sur ces différentes matières ,.
l'action plus ou moins développée du calorique ?
D'abord, entre les substances acidifères, les plus
connues et les plus communes sont les carbonates, les.
sulfates et les phosphates calcaires; ou en d’autres
mots les combinaisons de la chaux avec les acides.
carbonique, sulfurique et phosphorique. (1) Or, un
(1) Les marbres et pierres de taille, les plâtres et la pierre.
d’'Estramadure.
MÉMOIRES, 429
degré de chaleur un peu élevé suflit pour séparer ces
acides de leurs bases. L'incendie général n’a donc pu
les combiner. | |
_ Cette combinaison s’est-elle opérée pendant le refroi-
dissement ?
En supposant aujourd'hui la température du globe
élevée progressivement à un degré tel qu’il pût d’abord
vaporiser ou évaporer la masse de l’océan , ensuite priver
de leur acide et réduire en chaux vive toutes les pierres
calcaires; en supposant aussi que la masse de l’atmos-
phère , augmentée par les premiers gaz ou Îles premières
vapeurs ne s’opposät pas invinciblement au dégagement
des dernières, on conçoit que telles matières fondues
et volatilisées À tel degré des pyromètres, reprendraient
tour-à-tour, à chaque degré de refroidissement , et leur
liquidité et leur solidité premières. On conçoit aussi,
que telles combinaisons détruites par les divers accrois-
semens de chaleur, pourraient se former de nouveau
pendant sa diminution. |
_ Par exemple, à mesure que les eaux suspendues
dans l'atmosphère commenceraient à se précipiter, la
chaux vive, mise en effervescence , ensuite pulvérisée,
puis dissoute, se combinerait avec ce liquide ; la com-
binaison pourrait continuer jusqu’au point de saturation,
c'est-à-dire, jusqu’à ce que la quantité de chaux en
dissolution fut à la masse entière de l'océan, à peu-
près comme 1 est à 500.
Bientôt le gaz acide carbonique , le Li pesant des
. gaz de l’atmosphère , se trouvant en contact avec Îa
surface de l'eau, serait progressivement absorbé par elle,
et se combinant avec la chaux en dissolution, la préci-
piterait. Tout cela se conçoit et delà, peut-être, où
430 MÉMOIRES.
pourrait conelure que la fusion primitive du globe n’est
pas démontrée impossible,
Quelques autres indices pourraient même donner à à cette
supposition quelque probabilité, mais d’autres observations
semblent la repousser. L |
Il est très-vrai que la plupart des matières incaudes-
ceutes, en se refroidissant, se boursoufflent, Au-dessus.
de leur suifare, on voit des éininences, on voit au-
dessous des cavités, C’est ce qu’on peut en petit, observer
par-tout ; c’est ce que l’on remarque en grand dans les
laves. L'hypothèse de la fusion ou de la dissolution du
globe par le calorique, en expliquant l’aplatissement des.
pôles, expliquerait donc assez bien aussi la formation
_de quelques montagnes; par exemple , de celles qu'on
appelle primitives.
Mais, parmi Les pierres qui ont certainement suli
l’action du feu , celles qui sont assez peu altérées pour
laisser reconnaître leur foïme ou leur composition ori-
giuaire, ne paraissent pas avoir été mises en fusion,
Celles qdi ont été fondues , comme les Basaltes, et sur-
tout les scories et Îles laves vilreuses, quoiqu'elles con-
tiennent beaucoup de silice, ressemblent trës-peu au
granit, aux quartz et aux autres pierres où la même
terre domine. Le quartz et le granit des montagnes
primitives ue paraissent donc pas avoir été fondus comme
Jes basaltes,
En général, la terre silicéuse ne se fond que quand
elle est mélée avec les alcalis, et alors elte donne du
verre. Elle se fond encore avec les acides phosphorique
et boracique ; elle se dissout dans l'acide fluorique. Enfin,
l’alumine infusille au feu , n’est soluble que dans =
, potasse ou la soude,
MÉMOIRES | 451
Mais si l’acide ou Falcali, nécessaires autrefois pour
dissoudre l’alumine, pour fondre ou pour dissoudre la
silice existante, ne se trouvent pas combinés avee elle,
ou ne le sont qu’en partie; il faut ou renoncer à la
dissolution par tes alcalis ou les acides, ou il faut in-
diquer ce que ces fondans ou dissolvans ont pu devenir;
ou bien enfin, il faut prouver qu'ils ont pu être suppléés
par une chaleur supérieure à celle que l’on peut obtenir .
par tous les moyens qui sont à la disposition des chimis-
tes, supérieure même à la chaleur des volcans. Ensuite,
‘à cette intensité supposée, il faut assigner ou supposer
une cause. Jusqu'à ce que tout cela soit vérifié, on ne
peut donc assurer. que tel des agens indiqués, ni le
calorique lui-même à aucun degré connu, ait opéré
la dissolution des matières qui os SH LE la plus grande
partie du globe. |
S’il arrrivait qu’an jour, cette dissolution généralement
admise fut expliquée, et l’une des causes hypothétiques
qu'on lui assigne mieux établie, l'explication des autres
faits deviendrait plus facile,
Si, en effet , les montagnes granitiques, c'est-à-dire les
plus hautes montagnes ont été formées peu : après la disso-
lution , et pendant le refroidissement , par la cristalisation
du globe, il ne restera à expliquer par le mouvement
des eaux , que la formation des montagnes moins élevées.
Il aura fallu pour les couvrir tour-à-tour, un moindre
déplacement ; pour opérer ce déplacement , une moindre
force. |
Ceci nous conduit aux questions relatives à des révo-
lutions moins anciennes. |
IL De l’ancien niveau de l'Océan.
Les savans qui attribuent au calorique ou aux acides,
452 MÉMOIRES.
la dissolution primilive du globe ; reconnaissent comme
Jes autres et reconnaissent par-tout , le travail secondaire
des eaux,
Pour suivre avee moins d'incertitude, les traces diffé-
rentes de leur séjour ,. il faut remonter des plus modernes
aux plus anciennes.
1.° On sait que tous les volcans aujourd’hui en érup-
ton, sont situés dans les îles, ou près des côtes. Or,
<n parcourant les continens, on reconnaît des volcans
éteints dans présque toutes les chaînes de montagnes
autres que les montagnes granitiques. Les continens
ont donc été autrefois beaucoup moins étendus qu’au-
jourd’bui, la mer a été plus élevée;
2.° Dans beaucoup d'autres montagnes, à des hauteurs
‘supérieures aux bases des volcans, aujourd’hui les plus
éloignés des mers, on trouve des terres et des pierres
mélangées de corps organiques et sur-tout de coquilles ;
Ces coquilles, soit dans les pierres , soit dans les terres,
sont ftrès-souvent remplies des mêmes matières qui les
‘enveloppent. Elles paraissent donc avoir été supendues,
Jes autres matières dissoutes ou tenues seulement en
solution dans nn où plusieurs fluides , et le niveau de
cefluidé paraît avoir été très-élevé. | |
3. De ces corps organiques fossiles, la plupart ont
appartenu à des mollusques marins : donc le fluide où
se sont formées les couches et les montagnes coquillières ;
est autre chose que l’eau de l'océan ; |
. 4° Ces dépouilles des anciens habitans de la mer sont
infiniment plus nombreuses, et en général se trouvent
plus haut et à des profondeur plus considérables que
les dépouilles des plantes et des animaux terrestres. La
nature vivante paraît donc avoir commencé sous les
eaux ; 2
MÉMOIRES 433
5.° Au-dessus du niveau où se remontrent les dernières.
ct probablement les plus anciennes coquilles, on voit
encore des matières qui n’en contiennent pas et dont
plusieurs, néanmoins, sont disposées par couches ( par
exemple Les roches calcaires primitives ). Ces hauteurs
ont-elles toujours dominé sur l'océan? Ou seulement
leur submersion est-elle antérieure à l'organisation de
la nature vivante ? la seconde supposition paraît la plus
probable ; | |
6. De ces montagnes sans coquilles, les unes sont
granitiques, les autres calcaires ; et par-tout on trouve
les roches ou autres matières calcaires appuyées sur les
roches granitiques. Les montagnes granitiques. paraissent
donc plus anciennes.
Ainsi, depuis la fusion ou la dissolution du globe,
depuis le refroidissement et la précipitation de ses ma-
tières les moins solubles, le plus ancien , le plus grand
événement qu'on apperçoive à travers les siècles , et don
les monumens nous restent encore, celui qui semble
former pour nous, la première époque de la nature; .
est l’organisation des êtres vivans.
Quel était à cette époque le véritable niveau des mers ?
Ce niveau paraîtrait indiqué assez clairement par la ligne
des coquilles les plus élevées ; mais plusieurs. abserva-
tions semblent inviter à réduire à cet égard les premières
conjectures. |
Dans les continens, sur-tout au milieu ds groupes
de montagnes, et beaucoup au-dessus du niveau général
des eaux, il existe beaucoup de lacs. Ceux de ces lacs.
qui, comme la mer Caspienne, le lac Aral et quelques
autres, n’ont aucune communication avec l'océan, ont
une salure plus ou moins sensible, et elle s'explique.
434 MÉMOIRES
comme eelle des mers plus étendues. Les sels dont certaines.
terres sont imprégnées, étant dissous par Îles eaux plu-
viales ,. sont entraînées avec elles sur les terreins les plus.
bas. Quand, de nouveaw, une partie de ces eaux s’évapore,
les sels resterit, À ceux-là ; de nouvelles pluies , de nou-
veaux torrens ajoutent d’autres sels. La salure de ces
Jacs, comme celle des autres mers, doit donc augmenter
autant que celle des terres environnantes diminue. Or,
plusieurs observations annoncent que ces lacs ont été.
autrefois plus étendus et plus nombreux. |
: Dans les montagnes noires et sur plusieurs autres points
de la chaîne qui dessine, au nord, le bassin du Danube,
on trouve , en effet, des vallons presque circulaires, qui
n’ont qu’une seule ouverture assez étroite , et qui paraïis-
sent avoir été totalement fermés. Selon Sulzer, ces bassins
ont été probablement des lacs , et leur ancien écoulement
semble attesté encore. par le grand nombre de cailloux
roulés qui couvrent les terreins inférieurs.
‘ Lors donc qu’à des hauteurs considérables, par exem-
ple , à. 1500 toises dans les Pyrénées , à 2000 toises dans
les Cordilières, on trouve des coquilles pareilles à celles.
des mers, il faut certainement conclure , que ces terreins
ont été couverts par des eaux semblables aux eaux de
l'océan, c’est-à-dire composées de même, donnant ou
contenant Jes mêmes produits. Maïs ces hautes vallées,
au moins celles du Pérou, étant dominées encore par-
des sommets ‘de 1200 .toises et. au-delà, auraient pu,
en recevant à la fois les eaux et les sels des terreins.
supérieurs, former. anciennement, des lacs salés, sans
que la masse entière de l'océan soit jamais parvenue aw
même niveau. Il se peut donc que l'océan n'ait jamais
été aussi élevé que semblent l'indiquer les coquilles des
Cordilières ou celles des Pyrénées.
| MÉMOIRES. _ 435
Cette observation, tendant à diminuer l'intervalle de
l’ancien niveau au niveau actuel, peut rendre, par
conséquent, moins difficile à expliquer, ou la diminu-
tion des mers ou leur’ abaissement.
III. Toutes les parties du globe ont-elles été submergées
à la fois? Hypothèses imaginées pour éxpliquer
|. l’abaissement total des mers.
_ Pour concevoir que l’ancien océan a pu s'élever par-
tout à la fois jusqu’au sommet des plus hautes monta-
gnes, au moins jusqu'à la ligne des derniers bancs de
coquilles , il faut supposer de trois choses, l’une:
Ou que fa masse des eaux était double ou triple de
ce qu’elle est aujourd’hui ; et c’est ajouter en quelque
sorte à l’océan qui nous reste, deux ou trois océans
éganx: que sont-ils devenus? DE
Ou la masse des mers étant supposéé. la mèêime, il
faut imaginer que leur fonds fut’ autrefois UE
plus élevé. . 5 |
de que les montagnes l'étient moins.
® Si l'océan a été autrefois doùble ou triple de celui
que nous voyons, comment a-t-il pu diminuer ?
La masse des eaux que l’on suppose perdues, a été
supposée, tour-à-tour enlevée ou trarisformée, ou Aou
difiée ou: combinée. : |
: Selon. tel ‘physicien ;’ une comète, au retour du
périhélie , où ‘elle s’est considérablement échauffée, pas-
‘sant assez près de la terre pour évaporer une partie de
ses eaux, les emporte dans l’espace, sans éause
extraordinaire; l’évaporation habituelle de l’océan élève,
selon AMaillet ; atmosphère “au point que ses dernières
couches sortant des limites de l’attraction terrestre, lui
échappent et passent à d’autres globes.
436 MÉMOIRES,
Newton pensait que l’eau se change en terre, que
par conséquent, la partie solide du globe augmente 2
mesure que l'océan diminue. On ignore si, par cette
transformation, Newton entendait quelques combinaisons
semblables À celles qui sont constatées et qui paraissent
| expliquées par la chymie moderne ; mais rien n’annonce
encore que ce grand homme ait été, à cet égard, aussi
heureus qu’il a été en devinant, par la refraction, la
eombustibilité du diamant, la composition de l'eau , et
la eombustibilité de l’un de ses principes
Dans l’ordre actuel de la nature, deux causes connues ,
peuvent jusqu’à certain point, diminuer la masse des
mers. Une partie des eaux se concentre et se combine
dans la cristallisation , se décompose et se combine dans
les végétaux; une autre s'élève en vapeurs dans l'at-
mosphère, et de ces vapeurs une partie se fixe en neige,
en glace aux deux pôles, ou au sommet des montagnes,
Il est vrai encore que ces énormes glaciers, paraissent
chaque jour s’avancer et s'étendre. Mais la quantité d’eau,
combinée daris les cristaux ou les végélaux, ou habi-
tuellement dissoute dans l'air, ou suspendue en nuages,
ou fixée aux extrémités du globe, peut-elle être supposée
égale à la masse de l’océan qui nous reste ? Il est dif-
ficile de trouver des données pour de semblables caleuls.
Sans trop s'assurer des bases de ces calculs, quelques
savans en ont poussé très-loin Îes résultats.
Selon Morel-Findé , par exemple , lorsque les couches
extérieures deg terre sont cristallisées sons l'océan ,
une partie des eaux s’est combinée avec les terres dis-
soutes, une autre partre à été plûtard et très-lentement
décomposée par les végétaux et les animaux, Si on l'en
croit, cette décomposition, comnieneée depuis fong-
Ca
MÉMOIRES. 437
tems, s'avance sans cesse. Quand elle sera totale , le
globe desséché s’embrâsera ; l’hydrogène et Foxigène
totalement séparés se combineront de nouveau ; la terre
sera de nouveau submergée. Les mêmes phénomènes
dont nous trouvons tant d'indices, et dont nous eher-
chons les causes, se reproduiront; de nouvelles cris-.
tallisations, de nouveaux sdimens, formeront de nouvelles
couches; la masse des eaux, quelque tems entière,
bientôt recommencera à diminuer en se décomposant
encore. Ainsi, se succéderont sur la terre , les com-
positions ; fes décompositions , les incendies et les déluges
universels, jusqu'à ce que quelqu’événement dissolve le
globe lui-même, ou qu’une fermentation intérieure
arène son explosion , ou qu’une autre cause change
son orbite , pout l'emporter loin du soleit ou l'y précipiter.
La composition et la décomposition alternative de Peau
sont des faits, et ils se répètent sans cesse. Mais rien
n’annonce que les résultats de lune de ces opérations
surpassent journellement ou annuellement les résultats
de l’autre ; que les dépôts d'hydrogène et d'oxigène sé-
parés s’accroissent , que la masse des eaux, c'est-à-dire
de l'hydrogène et de l'oxigène combinés diminue, rien
ne prouve d’ailleurs, que par l’absence totale des eaux,
la terre puisse s’embrâser plus que les\ sables de Libie
ne s'embrâsent , et tout annonce Île contraire.
Il est donc clair, au total, qu'aucun fait n’a pu
prouver ‘encoré l'existence primitive d'une masse d’eau
double: ou triple de l'océan actuel, ni expliquer sa ré-
duction progréésive. Aussi d'autres physiciens * ont-ils
supposé un simple abaïésement , éans diminution.
2. Si lon i imagine la surface de la terre plus régulière ;
cu bien l'intérieur divisé eri immehses cavernes absolu
458 MÉMOIRES.
ment vides, ou seulement remplies de quelques fluides
élastiques ; enfin , l’océan appuyé sur les voûtes de ces
cavernes ; on conçoit que le niveau des mers sera plus
élevé, sans que leur masse soit plus considérable, et
que ce niveau peut facilement baisser sans que cette
masse diminue. Il suffit pour cela que plusieurs voûtes
s’écroulent. Les cavernes alors se remplissant , l’océan
qui, d’abord , couvrait toute la surface du globe, n’en
couvrira plus qu'une partie. Ces suppositions sont ad-
mises également par Burnet, Huston », HWoodwart ,
Saussure, Deluc, etc. Mais à ces hypothèses : chacun
d'eux en ajoute quelques autres, et sur celles que
plusieurs admettent , ils raisonnent diversement.
Les trois géologues anglais, par exemple, supposent
les cavernes d’abord remplies d’eau, et leurs voûtes
rompues , ou par leurs propres poids, ou par un trem-
blement de terre, ou selon Whiston, par approche
d'une comète, Les débris de ces voûtes , enfoncées d’un
côté, s'élèvent de l’autre , par un mouvement de bascule ;
et voilà les montagnes et les, vallées, les continens et
les mers.
Deluc, pour expliquer l'existence Da cavernes , ; suppose |
la terre primitivement gelée, le soleil opaque. Tout-à-
coup cet astre s'allume, la glace de notre globe se
fond, dissout ou détrempe les parties solides ; ‘à deux
Jieues -ou ‘un myriamètre de profondeur. Une partie. de
cette eau s’évapore; la couche détrempée se desséchant,
occupe un moindre espace. De-là les fentes, perpendi-
culaires et les cavernes où la moitié des eaux s 'engloutit.
Selon lui, la surface du globe était à peu- près aussi
inégale à cette époque, que nous la voyons. Mais les
parties qui dominaient alors, étaient appuyées. sur. des
| cavités
MÉMOIRES. | 439
“cavités imimenéeés : les voûtes éboulées, les terreins les
plus élevés sont devenus les plus bas. Les mêmes terres
qui, primitivement submergées, s'étaient couvertes de
‘coquillages ou de poissons, se découvrant à leur tour,
par l’abaïissement des terres voisines, ont nourri des
‘arbres, des quadrupèdes , ‘etc. , “etc.
Ce qui est commun à ces derniers systèmes , l'hypo-
thèse des ‘cavernes, peat, jusqu’à certain point, être
regardé comme un fait. Sans ces cavernes et leurs come
‘munications à de grandes distances, il serait difficile,
en effet, de concevoir comment des tremblemens de
terre semblent parconrir le quart ou le tiers d’un grand
cercle du globe; comment celui de 1755, par exemple,
‘s'est fait sentir presqu’en même-tems aux îles Canaries,
à Lisbonne, sur les deux côtes de la Méditerranée, au
‘centre et au nord de l’Europe.
Que des cavernes aient été d'abord formées aprés
Tincandescence ou l'immersion du globe, par le refroi-
dissement ou le dessèchement inégal des couches différentes;
qu'après celles-là, l’éruption des volcans en ait produit
‘beaucoup d’autres, les anciennes comme les nouvelles
ont pu en grande partie s’écrouler. Maïs supposer ces
cavernes assez grandes, ou en assez grand nombre,
_ pour recevoir une masse d’eau égale ou supérieure à la
masse actuelle des mers , c’est une supposition purement
gratuite; c’est une exagération qui excède de beaucoup
ce que. les faits connus pourraient justifier. |
3.° Enfin, une troisième classe de savans , supposant
la surface du globe primitivement sphérique, et dans”
tous ses points également éloignée du centre , attribuent
ses inégalités actuelles, non à l’affaissement des vallées,
mais au soulèvement des montagnes ; ils attribuent ces
Tome X. 10."*° Liv, 29
44 MÉMOIRES.
soulèvemens à plusieurs causes, et d’abord à Péruption
des volcans. | |
L'Etna, dont la hauteur perpendiculaire est de 8300
mètres, et la circonférence de 30 myriamètres et au-
delà , paraît devoir une grande partie de sa masse aux
matières lancées dès cratères par la force du feu et
par celle de l’eau que le feu évapore ou décompose.
fl est incontestable que les éruptions volcaniques ont
des elfets prodigieux , et l’on connaît beaucoup plus de
volcans éteints que de volcans en éruption. Mais d'abord,
très-peu de montagnes primitives sont volcaniques. Le
nombre de volcans brülans ou éteints ne paraît pas être
à celui des montagnes secondaires ou autres non volca-
nisées, comme un à dix. Ou ne pourrait donc attribuer
aux feux souterreins que la formation du dixième au
plus de nos montagnes. Ceux qui les attribuent toutes,
à cette seule cause, exagèrent donc à peu-près des neuf
dixièmes. Si d’ailleurs on considére quelle différence existe
entre la régularité des couches secondaires et le désordre
des matières entassées ou bouleversées par les éruptions
volcaniques, ou par les tremblemens de terre , on apperce-
vra combien peu cette hypothèse est vraisemblable. La
suivante l’est encore moins.
Les pirites ou sulphures de fer tombant en efflores-
cence se dilatent , et peuvent , dit-on, se dilater au point
de soulever de très-grandes masses. Mais quel immense
amas de pirites il faudrait dans l’intérieur du globe pour
soulever ou la totalité ou seulement la dixième partie
des montagnes existantes.
Saussure védnisant de beaucoup ces séulivemiens, les
attribue à une autre cause, à l'explosion ou à la dilatation
des fluides acrifurmes eoutenus dans les cavités inté-
rieures.
MÉMOIRES. _ 44r
Dans l'opinion de ce sage et savant naturaliste, quelques
‘montagnes auraient été élevées par cristallisation , d’autres
par soulèvement; des vallées se seraient formées par
Yéboulement des cavernes, etc. Ainsi , par la combinaiso
de plusieurs hypothèses, chacune d'elles étant en quelque
sorte moins étendue, devient plus vraisemblable. Ën
admettant Île concours de plusieurs forces, il exige ;
pour ainsi dire, moins de chacune, mais au total, ik
exige ou ïl suppose à pèu-près également.
En résultat, la difhiculté d'expliquer par les faits
l'immersion totale da globe , et la diminution on l’abaisse-
ment des mérs, ne serait pas une raïson suffisante pour
_rejetter cette immersion totale, si elle était prouvée
d'ailleurs. . Maïs certainement , elle n’est pas prouvée ;
et des faits assez nombreux, semblent établir, 1.° que
notre globe n'a jamais été que partiellement submergt ;
2. que dans chaque contrée, la hauteur des eaux a
varié plüsieurs fois da plus au moins, et. plusieurs fois
‘du moins au plus. |
AV. Faits qui semblent prouver le deplacement et le
mouvement alternatif des mers. |
1. En observant les matériaux qui composent Îles
premières couches de la terre, les minéralogistes ont
remarqué bientôt que ia position relative de ces couches
ne suit pas constamment l'ordre des pesanteurs spéci-
fiques. Souvent on trouve des pierres ou des terres plus
pesantes appuyées sur des matières plus légères, Ces
matieres différentes n’ont été ni dissoutes, ni suspendues
toutes à la fois. En d’autres mots , il y a eu plusieurs
dissolutions ou solutions, et probablement plusieurs
immersions successives ; |
2° Dans les Cordilières, dans les Pyrénées et les Alpes;
442 MÉMOIRES.
à trois et quatre mille mètres au-dessus du niveau actuel
de locéan, on trouve des productions marines ; en
Hollande, près de Bruges, en Angleterre et ailleurs,
on trouve à diverses profondeurs, au-dessous du même
niveau , des dépowilles de végétaux et d'animaux terrestres,
des charbons, des forêts entières.
La mer a done été au-dessus des premiers terreins
et au-dessous des seconds, au-dessus et au-dessous de
son niveau actuel, Ces divers niveaux n’ont pu exister
en même-tems. Ils ont donc eu lieu tour-à-tour ;
32 Sur certains points , par exemple, près de Soissons ,
on rencontre successivement au-dessous du sol, des
coquillages terrestres et des coquillages marins. On trouve
aux environs de Paris, entre-deux couches contenant
des productions marines, une ou plusieurs couches
contenant des débris de quadrupèdes ou des plantes
terrestres , ou des matières volcaniques ;
4. Il est reconnu que l'océan est plus agité dans les
détroits, qu’il ne l’est loin des continens ou des îles,
et qu’en pleine mer, le mouvement des eaux diminue
en raison de leur. distance à la surface. Dans la région U
des côtes, les fragmens détachés du fond ou des bords,
remués et roulés en plusieurs sens par les flots, sont
enfin déposés et abandonnés à des hauteurs différentes,
en raison de leur pesanteur , et de Vinclinaison des
plans qui les soutiennent. Les sables ou les terres plus
divisées, long-tems suspendues dans les eaux en mou-
vement, ne se précipitent que dans une eau plus
tranquille, et par conséquent dans la haute mer.
D'un autre côlé, non-seulement les coquilles Auviatiles
ou terrestres ne ressemblent point à celles de l’océan ,
mais entre celles-ci, on distingue les espèces qui vivent
MÉMOIRES. 443
près des rivages ou dans les mers profondes. Rouelle
et Lavoisier nomment les unes storales, les autres
pélagiennes. |
Or, en parcourant la surface, ou en creusant
masse des continens, on trouve alternativement des
dépôts de caillonx et des matières plus attenuées, des
bancs de coquilles pélagiennes et de coquilles Kttorales.
Fous ces faits, inexplicables et en quelque sorte
eontradictoires dans la supposition d'une immersion unique
et totale, on peut les concilier en admettant plusieurs
inmersions partielles et successives, en attribuant à fx
thasse des mers un mouvement d'oscillation. Mais les
savans qui admettent ce grand phénomène, s'accordent
très-peu sur la manière de lexpliquer..
V. Opinions publiées jusqu'à ce jour , sur l'étendue ;
là direction et les causes. du déplacement des mers.
D'abord, en quels sens. et par quels forces ce dé-
placement s’opère-t-il ?
Les mers ont trois mouvemens connus.
D'orient en occident , | |
Des pôles vers l'équateur,
‘Flux et reflux en tout sens.
E.° La terre tournant autour d'elle-même, d’occident
en ortent , entraîne en effet les eaux de l’océrn dans
_ la même direction. Mais le mouvement de ce liquide,
étant plus lent, paraît rétrograde, Et il l’est, non rela-
tivement aux divers points du ciel, mais relativement
à chaque partie de la terre. Cette rétrogradation , peu ou
point sensible vers le fond des mers , l’est beaucoup plus
à la surface, et doit l’être plus encore pour Patmosphère.
L'air étant et plus fluide et moins pesant, et moins
adhérent à la terre, doit rétrograder davantage, et cette
À .
444 MÉMOIRES:
rétrogradation; augmentée par la dilatation. progressive.
qu’occasionne dans ce fluide la chaleur du soleil, produit
le vent alisé ou le vent d’est presque continuel: entre.
les tropiques. Ce mouvement doit augmenter celui: des.
mers dans le même sens;
2. Deux causes également connues concourent à porter-
l'océan des pôles. vers l'équateur.
La première est la raréfaction de l'air et asston
des eaux sous la zone torride. L'air dilaté, l’eau éva-
porée à chaque instant entre les tropiques , sont remplacés.
sans cesse par l'air et les eaux des zones tempérées,
ceux-ci par l'air et les eaux des zones glaciales. Ce. sécond:
mouvement étant perpendiculaire au premier, doit prendre.
une direction moyenne , diversement modifiée par celle.
des. côtes, |
La seconde cause qui contribue au même effet est la:
fonte des glaces pôlaires. L’alternative d’aocroissement
et de diminution, peu sensible du jour à la nuit, l’est:
beaucoup plus de l'été à l'hyver. Ce fait très-constant ,
auquel un écrivain très-estimable semble. attribuer ex-
clusivement les phénomènes des marées, peut seulement
les modifier; et peut-être il est bon d'en tenir compte,
si l'on veut expliquer pour chaque mer, la différence
des hauteurs réelles avec celles qui sont indiquées par.
les calculs de Newton.
3.° Tout le monde connaît, et tous les physiciens
admettent l'explication Newtoniène des marées, comme.
une conséquence nécessaire du grand principe auquel se.
rattache tout le systéme du monde. Les eaux de notre
globe , qui se trouvent plus voisines de la lune, sont
plus attirées que le centre, par cette planète; les eaux
opposées le sont moins. Les premiers doivent dance
MÉMOIRES. 44
séloigner du centre de la terre. Le centre doit s'éloigner
des autres. De là, élévation simultanée et en sens.
contraire aux deux extrémités d'une même ligne ou d’un
ellipsoïde , dont un sommet tonjours dirigé vers la lune,,
tourne avec elle, avance comme elle d’orient en occident,
et par une raison. semblable. Les eaux élevées par la lune
sont remplacées et soutenues par d’autres eaux qui arri-
vent non-seulement. de l’est et de l’ouest, mais de tous.
les points. Cette affluence continuelle des eaux autour
d'un point mobile, le mouvement de ce point, modifié
sans cesse par les positions relatives et toujours chan-
geantes du soleil et de notre ro doivent occasionner
des effets très-irréguliers.
_ Ainsi, . combinaison de trois mouvemens, dont l’un
dans le sens de l'équateur, le second dans le sens des.
méridiens ,. le troisième mixte; rotation, diurne du globe
terrestre, raréfaction de l'air , évaporation des eaux, fonte
des glaces, flux et reflux occasionné surtout par l'attrac-
tion inégale de la lune sur les différens points de la.
terre ; voilà les faits et leurs canses, Tout cela suffit-il
pour expliquer les inégalités du globe et le déplacement
des mers? Plusieurs géologues l'ont pensé, et cette
opinion a été particulièrement développée par M. Lamarck.
_ Les alternatives de chaud et de froid, de sécheresse et
d'humidité décomposent, dit-il, ou divisent la superficie
des corps les plus durs. Les parties aïnsi divisées sont
détachées par les pluies et entraïînées par les courans
jusqu'au bassin des mers. Pourquoi ce bassin , recevant
sans cesse les débris des continens, ne se comble-t-il
pas? Parce que Je balancement imprimé par le soleil et
la lune, à la masse de l'océan, repousse sur les bords,
non-seulement les matières apportées par les fleuves,
446 MÉMOIRES
mais celles que cette masse, toujours agilée,. détache.
sans cesse du fond. qui la porte,
Ainsi, l’action des pluies sur les continens,. celle de:
la lune sur les mers se compensent. Mais cette com-
pensation admise , tout n’est pas expliqué. Aussi ce savant:
attribue encore d’autres efféts aux mêmes causes.
Les pluies et les courans qu’elles produisent , sillonant-
la surface des terres découvertes, creusent et le lit des.
fleuves et les vallées où il serpentent , escarpent leurs.
bords , taillent selon l'expression de l’auteur, les mon-.
tagnes dans les plaines et broduisent les inégalités des.
continens.
D'un autre côté, si plusieurs mouvemens ont contribué
à former et concourent à conserver le bassin des mers ;
l’un de ces mouvemens tend à déplacer ce bassin; c’est:
le mouvement de l’est à. l’ouest. L'océan atlantique,
toujours avançant dans cette direction, a. séparé les.
Antilles, et tend à couper l’isthme de Paname, comme.
la mer du sud, aprés avoir battu long-temps les côtes
orientales de l’Asie , a formé enfin l’Archipel des PAi=
lippines , de la Sonde, et des Moluques, En attendant que.
l'isthme de Panama soit coupé, et les deux Amériques.
séparées, l'immense courant qui les attaque sans cesse,
se divise en deux courans, dont lun avance au sud-ouest,
Vautre au nord-ouest. Le premier de ces courans est
beaucoup plus considérable ; et par cette inépalité, l’au-
teur explique l’accroissement, plus probable que prouvé,
_des mers australes et la diminution peut - être. plus.
directement constatée des mers du nord.
Sur cette explication PE observations : se pré-
sentent.
1.° Le mouvement des mers de l'est à l’ouest est,
MÉMOIRES. 447
comme Île reconnaît ce savant naturaliste, de trois lieues
par jour, ou d’un huitième de lieue par heure. Comment
attribuer d'aussi grands effets à une telle cause?
2.% Si, par son mouvement de l’est à l’ouest, la mer
du sud a brisé sa barrière, si l’océan atlantique attaque
sans cesse la. sienne, il est évident que ce mouvement,
qui a détruit l’une et tend à détruire l’autre, ne les
_ a pas élevées ; qu’il a même dù empécber leur formation ;
quelle force a donc , avant ou malgré cette translation
continue des eaux de l’est à l’ouest , élevé ces grandes émi-
nences du nord au sud? L'auteur ne. l'explique pas.
3% On. ne peut nier que de mémoire d'homme,
certaines mers n’abandonnent leurs rivages, que d’autres
mers ne couvrent progressivement leurs côtes. Maïs ce
mouvement se fait-il dans le sens indiqué? Est-il vrai
que les côtes occidentales des continens soient abandon-
nées, les côtes orientales submergées ?
Les physiciens qui paraissent avoir le mieux observé
les monvemens des mers, ont reconnu qu’elles s’é-
loignent des rives très-inclinées à l’horison , et creusent
sana cesse Îles rives plus escarpées ; et ce fait se conçoit
assez facilement. Lorsqu’en effet le flux apporte sur tel.
rivage Îles matières détachées à quelque distance, ces
matières doivent s’avancer d'autant plus, et le reflux
doit en emporter d'autant moins , que le rivage approche
plus de plan horisontal. Les côtes très-applaties doivent
donc, recevant et conservant plus, s'élever et s'étendre.
Or, on sait que PAmérique a une pente très-douce
à lorient, et vers Voecident, une pente très-rapide,
Tous les grands fleuves coulent à l’est; la chaîne des
Cordilières qui partage les eaux a sur plusieurs points,
son sommet vingt fois plus éloigné des mers orientales ;
418 MÉMOIRES.
c’est-à-dire de la mer atlantique que de la mer du sud.
D'après l’observation rappelée plus haut, la rive orien-
tale du nouveau continent, comme plus rapprochée de
l’horison , doit dunc s'élever , et la mer atlantique s'éloigner.
Or, le systéme que j'examine suppose précisément Île
contraire. Le système et l'observation, la supposition et
_le fait ne sont donc pas d’accord.. |
4° Quand on admettrait les: suppositions de l'auteur,
elles n’expliqueraient pas:les inégalités dont on, cherche
Vorigine. Qué sur un. globe primitivement régulier ,
Fattraction de la lune ait d’abord creusé le hassin de
Vocéan , et séparé ainsi les continens et les mers ; que
les vents et les marées aient, sur une partie des côtes,
élevé des collines pareïlles aux dunes que nous connais-
sons, cela pourrait se supposer. Mais quel rapport entre
ces dunes et les Cordilières, ou le Caucase et les Alpes ?
La formation de semblables montagnes exigerait des marées
cent fois, mille fois plus hautes. Aussi, un, naturaliste
très-recommandable , Dolomieu , suppose des marées da
huit cents toises, et il attribue ces marées au passage
d’une comète dans le. voisinage de la terre. Ainsi, pour
expliquer le balancement comme l’abaissement total des
mers, nous revenons aux hypothèses; mais d’autres ont,
avant et depuis Dolomieu, imaginé des hypothèses plus
hardies encore, c’est-à-dire moins faciles à prouver.
1.” Quelques géologues modernes, d’après. les anciens
Caldéens, ont pensé que l’angle formé par l'équateur,
de la terre avec son orbite, diminué de vingt minutes
ou environ depuis Hypparque , a été. autrefois beaucoup.
plus grand ; qu’à une certaine, époque, les deux plans
étaient perpendiculaires Jun à lautre; qu’un jour ils
se confondront pour se séparer et s'éloigner encore.
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MÉMOIRES. 443
Dans cette supposition, on conçoit que Îles régions po
laires d'aujourd'hui se trouveront un jour sous l'équateur;
que les mers aujourd’hui glacées se fondront et s’éleveront,
et qu'après la révolution achevée, tous les points du
globe, à toules les latitudes, auront été tour-à-tour
submergés et découverts.
2.° D'autres, au lieu de supposer une révolution de
l'axe dans le sens des méridiens, ont pensé que la terre
tourne successivement autour de différens diamètres;
Dans cette hypothèse, chacun des grands cercles per-
pendiculaires à ces diamètres différens, devenant équateur
à son tour, les eaux s’éleveront sous chacun d'eux ;
c'est, selon ces géologues , ce qui est arrivé plusieurs
fois, et ce: qui doit arriver encore.
3.° D’autres admettent un changement, tantôt en plus ;
tantôt en moins, dans la vitesse du mouvement diurne ;
et il est clair que par une rotation plus rapide , la force
centrifuge étant augmentée sous l'équateur, les eaux
s’y. éleveront davantage , et qu'avec des alternatives
_ d’âccélératioh.et de ralentissement ,.les eaux se porteront
tour-à-tour des zones glaciales à la zone torride ; et de [a
zone. torride aux. zones glaciales. A
Enfin, M. Lametherie suppose à la fois le changement
de vitesse et le changement d’obliquité; par le premier,
il explique le mouvement alternatif des mers, des pôles
à l'équateur; par le second, la. différence des tempé-
ratures en différens tems, sous les mêmes latitudes.
Pour juger ces hypotheses, il est sans doute bon de les
eomparer aux observations et aux calculs des astronomes.
Or, dans l'exposition du systéme du monde, M. Laplace
déclare (1). |
(1) Exp. du $, du M. éd, 1n-4.°, p. 197.
_ MÉMOIRES.
* Que l’inclinaison de Paxe de la terre ne peut varier
que cu trois dégrès,, et ee oscälle- ES
entre ces. limites >
‘2. Que le déplacement des pôles de rotation, s'il peut
exister, est insensible.
Les deux premières suppositions peuvent done être
regardées comme détruites.
: Quant à la troisième, la rotation tantôt plus, tantôt
moins rapide de la terre, rien ne pouvant ni lappuyer,
ni expliquer, àl est trés-inutile. de la combattre,
‘ Enfin, une autre supposition, sans être mieux cons-
tatée que les précédentes, s'éloigne peut-être un peu
moins des faits, | | |
D'après les observations déjà réunies ,. if y à plus d’un
siècle, sur la déclinaison de lPaiguille aimantée, Æalky
avait soupçonné qu'il existe dans l'intérieur da globe;
an noyau magnétique. Il supposait ce noyau mobile,
€t il attribuait à ses mouvemens les variations que l’aï-
guille éprouve d'un lieu à l’autre, et dans le même lieù
en des tems différens. L'hypothèse de ce noyau mobile
a. été reprise, il y a quelques années, par M. Bertrand
de Genève, et, avec elle, il explique assez clairement le
déplacement des mers. Si Fon suppose, en effet, une.
immense cavité autour du cetitre du globe, et cette cavité
à demi occupée par un globule d'ane clensité quelconque,
on cotiçoit que quand ce globule se trouvera plus près du
pôle austral, le centre de gravité s’en rapprochant avec
lui, une partie des eaux éloignées de cet hémisphère s’y
portera, etque le mouvement du glohule vers le pôle
_ opposé produira dans l’océan an mouvement contraire.
Mais les variations de l'aiguille aimantée, étant assez
écusibles dans des tems très-rapprochés , supposeraient
MÉMOIRES 45x
dans le noyau magnétique , un mouvement assez rapide;
au lieu que le déplacement des mers est a lent, que
sa vitesse et sa direction sont également imperceptibles.
Comment attribuer à la même cause des mouvemens
si inégaux ? | |
Je terminerai cette analyse des systèmes géologiques ,
par le plus ancien de tous les systèmes. Les Caldéens
disaient que la terre doit être tour-à-tour inondée et
mbrâsée ; inondée quand toutes les planètes se réunissent
dans le signe du Capricorne , embrâsée quand elles sont
au signe du Cancer. Cette double conjonction doit incon-
testablement se répéter mais à d'immenses intervalles. Les
Indiens , sans parler d'incendie, attribuaient aux conjonc-
tions générales leurs déluges périodiques. Supposé qu’une
| telle position des planètes puisse produire quelques chan-
gemens dans la forme du fluide qui couvre une partie de la
terre, l'opinion des Brames , à cet ézard, serait au moins
très-exagérée; celle des Caldéens sar l'embrâsement , qu'ils
supposent est absolument inexplicable.’
En résultat, rien ne prouve donc ni lincandescence
du globe, ni une grande diminution, ni même un
abaïssement total dans la masse des mers ; mais tout
semble prouver leur déplacement.
De ce changement , assez bien constaté, , et de ceux
qui le sont moins, les explications publiées jusqu'ici
se composent comme on la vu de faits et d’hypothèses. .
Les uns-et les autres sont physiques, chimiques ou
astronomiques.
La formation des cavernes intérieures par le refroi-
dissement ou le dessèchement du globe, la formation
des vallées, par l’éboulement de ces cavernes, celle des
montagnes par des cristallisations, par des éruptions ou
452 Mémoires.
d’autres soulëévemens ; la décomposition et la composition
alternative de l’eau, la concentration ou solidification.
‘de l'hydrogène par les substances végétales ; tout cela
tient à des ne physiques ou chimiques, et à proprement
parler, il n’y” a là d’hypothétique que l’exagération.
Mais les hypothèses astronomiques appartiennent ex:
_ clusivement à l'imagination de leurs auteurs.
er
Les uns, comme on l’a vu, font de la terre un corps.
lumineux ; d’autres font du soleil un corps opaque ;.
d’autres déplacent l’axe de notre globe ou son centre.
de gravité; lui donnent une orbite plus allongée, ou.
une rotation plus rapide ; d’autres enfin , augmentent.
ou diminuent son atmosphère, ou soulèvent ses eaux
par l'action des comètées.
De tous les faits constatés , sur lesquels on a raisonné :
jusqu'ici, aucun isolement, ni leur réunion même, ne.
peut résoudre toutes les questions, ne peut expliquer tous
les changemens antérieurs. Plusieurs des hypothèses qu’on
y. ajoute, expliqueraiïent tout assez bien; mais aucune
n'est prouvée ni même probable. |
Voyons si d'autres faits jusqu'ici négligés où méconnus ;
ne nous dispeuseront pas de recourir aux hypothèses.
VI. Le déplacement des mers peut-il être expliqué par
le mouvement du globe?
Ceux qui se sont occupés de géographie mathématique .
ou pliysique , connaissent les observations réunies depuis
_ quelques siècles, sur la courbure générale et les irré-
gularités de notre globe ; sur l'étendue relative, la forme .
et la température des continens et des mers. Des mesures
exécutées, et des faits les mieux constatés jusqu’à ce.
jour , résulte une vérité générale , à laquelle les géologues
ont donné peut-être trop peu d'attention; c’est que les .
MÉMOIRES. 453
variétés qui distinguent les différens points de la surface
e la terre, sout beaucoup plus sensibles d’un hémisphère
à l’autre , que les différences de deux points quelconques
pris à égale distance dans le même hémisphère.
: Les deux tiers du globe sont sous les eaux. Une partie
de ces eaux , cristallisée aux deux extrémités de l’axe,
y forme : deux masses solides, croissant et diminuant
tour -4-tour. :
Mais, tandis que la moitié de l'hémisphère boréal
domine sur l’océan, les neuf dixièmes de lhémisphère
austral sont submergés.
Les glaces boréales commencent à se fixer au 80.° degré
de latitude ; les glaces australes au 70.° degré ; la limite
des unes est à dix degrés, celles des autres à vingt
degrés des pôles correspondans. La coupole australe a
done -un rayon double, par conséquent une surface
quadruple. Ainsi la mer la plus étendue est aussi la plus
froide,
Quant aux continens, les différences sont beaucoup
plus nombreuses, et elles sont de deux ordres.
I. Les mêmes minéraux semblent composer par-tout
Ja croûte extérieure du globe. Mais la proportion ou
la position des pierres ou des terres semblables varie
beaucoup du nord au sud. |
» On a soupçonné, dit Dolomieu, que les montagnes
composées de couches horisontales et calcaires dimi-
4
L
» nuent de hauteur, à mesure que l’on s'approche de
l'équateur , et que dans cette partie du monde, Îles
Ÿ
» montagnes qui ont cette même structure par couches
» horisontales ne s'élèvent presque point au-dessus du
» niveau de la mer ». |
Le savant naturaliste Z'orster qui, avec le capitaine
454 MÉMOIRES. :
Cook, parcourut toutes les latitudes australes, jusques
vers le 70° degré, remarqua dans toutes les îles et sur
toutes les côtes où ils abordèrent , beaucoup de roches
* granitiques et très-peu de roches calcaires.
‘Un autre naturaliste, non moins recommandable ;
le professeur Palid&., assure que de toutes les montagnes
calcaires qu'il a été à portée d'observer ( sur-tout du
Bo. au 60.° degré de latitude septentrionale ) , aucune
ne s'élève au-delà de cent toises. Celles dont la hauteur
passe ce terme , lui paraissent avoir été élevées par des
feux souterreins. |
II. La forme des continens est si irrégulière et si variée
qu'il paraît difficile d'y remarquer aucune sorte d’har-
monie ; aucune loi. Néanmoins, depuis l’époque des lon-
gues navigations et des grandes découvertes géographiques ,
c'est-à-dire depuis la fin du 15.° siècle, on sait que tous
Jes continens et un grand nombre d’iles ou de presqu’iles
se terminent en pointe vers le sud
Dans l’un comme dans l’autre hémisphère les degrés
de latitude vont croissant, en raison de leur distance
.à l'équateur. | |
Mais les travaux de Zacaille, au Cap de Bonne-Espé-
rance , nous ont appris que les degrés de l'hémisphère
austral sont plus allongés que les degrés correspondans
de l’hémisphère boréal, et au point que le 37.° degré
sud , par exemple, est aussi grand que l'est en France,
le 50.° degré nord. De sorte que le même arc semble
appartenir à un plus grand eercle,
Enfin, non seulement les degrés mesurés des deux
côtés de l'équateur, sous des latitudes correspondantes,
sont différens entr'eux ; mais quelques degrés mesurés à
peu-près sous la même latit le, dans le même hémis-
phère ;
MÉMOIRES 455
phère, et sous des méridiens plus ou moins éloignés, par
exemple, en France, en Italie , en Pensilvanie, diffèrent
eneore; cependant ces différences sont moins sensibles.
Ces variétés,’ trop peu remarquées ou mal évaluées
jusqu'ici , m'ont paru conduire à la solution d’un grand
problème, et cette solution, j'ai cru la voir dans le
rapprochement des mêmes faits, avec quelques circons-
tances ou quelques lois astronomiques très-connues,
Ces faits sont : |
® Les divers niveaux de l’océan aux différens points
_ globe, Êt les variations de ces différences aux différens
points de lorbite;
2. Les changemens des vitesses relatives de la terre et
des mers aux différentes époques de la révolution annuelle.
I. L'océan soumis à la seule attraction de la terre,
prendrait et conserverait Ja forme sphérique.
Entre les causes qui, À chaque instant, altèrent plus
ou moins cette forme, n'en considérons qu’une seule.
Les molécules d’eau les plus voisines du soleil étant
plus attirées par lui que le centre du globe, et les plus
éloignées étant moins attirées, les unes et les autres
s’éloignent du centre, et de chaque côté se forme une
éminence qui sort de la surface de la sphère.
Ces deux éminences , ou en d’autres mots, la marée
inférieure et la marée supérieure seraient égales, si du
premier point au centre, et du centre au point le plus.
éloigné , les différences d’attraction du soleil étaient les
mêmes. Mais avec un peu d'attention, l’on peut voir 4
et par le calcul l’on peut prouver ;
1. Que l'excédent de la plus grande attraction sur Ja
moyenne, surpasse l’excédent de la moyenne sur la plus
petite ;
Tome 1, 10.%° Zi. 30
456 MÉMOIRES.
_ 2.°.Que.la différence de ces excédens est plus grande
quand la terre est plus voisine du soleil.
Ceci est indépendant de l'attraction de la terre , et
serait également vrai pour trois points matériels placés
aux mêmes distances.et s’attirant infiniment peu; mais
ces résultats doivent être augmentés par l’action diffé-
: rente ou différemment combinée de la terre et du soleil
sur les mêmes points. | |
Il est clair , en effet, que sur les eaux les plus éloignées
du soleil , l’action de cet astre et celle du centre de la
terre sont concourantes , et,que sur les eaux inférieures,
‘les deux actions sont opposées. L'attraction de la terre
sur les premières est augmentée, et sur les autres dimi-
nuée par l'attraction du soleil. La tendance des premières
vers le centre de la terre égale la somme ,.la tendance
des eaux inférieures égale la différence des deux attractions.
Entre deux molécules opposées , la différence des pesan-
teurs ou celle des distances au centre égalerait donc deux
fois l’espace que l'une ou l'autre parcourrait par l’action
du soleil, ou deux fois la marée solaire. Mais le centre
de notre globe, cédant lui-même à cette -action ; la
différence des niveaux doit être moins sensible. Quelle
que soit sa valeur précise, il est clair encore qu’elle
doit augmenter quand l'attraction du soleil augmente,
c’est-à-dire quand la distance de la terre diminue.
À l’apbélie, la marée solaire égale à peu 6 décimètres,
moins 3 centimètres : au périhélie, un dixième de plus,
ou 6 décimètres plus 3 centimètres. Le double .de la
première est r1 décimètres plus 4 centimètres. Le double
de la seconde est 12 décimètres plus 6 -centimètres. La
différence de ces deux valeurs égale 12 centimètres, et
telle serait la quantité dont l'excédent de la marée in-
pe on
MÉMOIRES. 457
férienre au périhélie, surpasserait le même excédent à
Vaphélie, si la partie solide du globe résistait invinci-
blement à l’action du soleil.
Au lieu des points de la surface de la mer, les plus
voisins et les plus éloignés du soleil, si nous considérons
les points intermédiaires, c’est-à-dire la circonférence
d'un grand cercle perpendiculaire à la ligne des centres
du soleil et de la terre, nous verrons les mêmes forces
concourir d’une autre manière aa même résultat.
Les molécules d'eau placées aux différens points de
cette circonférence, étant attirées à la fois par le soleil
‘et par le centre de la.terre, tendent à prendre üne
direction moyenne, tendent à s'approcher du rayon
solaire, et par conséquent s’approchent de l'hémisphère
le plus voisin du soleil. Lorsque l'attraction de cet astre
est plus grande, c’est-à-dire en hiver, la déviation des
“eaux doit être aussi plus sensible. Ce, qui est vrai des
eaux placées à la circonférence du ne, intermédiaire ,
est aussi des eaux peu éloignées de cette circonférence.
Le calcul peut fixer la zone où cette action doit s'étendre
et la ligne où elle doit cesser.
Ces différentes causes concourent à augmenter, vers
le périhélie , la supériorité des marées dans l’hémisphère
qui est alors plus voisin du soleil, c 'est-à-dire dans
l'hémisphère austral.
Chaque année, cet hémisphère recoit donc plus en
hiver, qu'il ne rend en été. D’année en année, les eaux
doivent donc s’y accumuler,
Enfin, comme il est incontestable que les marées
sont plus hautes dans les mers plus étendues. (1) On
| (1) h Plus une mer est vaste, plus les phénomènes des
ae nr être sensibles. » Exp. du syst. da monde.
e . C
458 MÉMOIRES.
voit que depuis le moment où l'océan austral a passé
l'égalité, son accroissement a dù suivre uné progression
plus rapide.
Si, maintenant nous suivons le mouvement de l’ellip-
soïde des marées, nous verrons qu’à l’équinoxe, l'axe
de cet ellipsoïde est dans Îe plan de l'équateur : avant
et après ilest coupé par ce même plan. Au solstice d'été,
la partie la plus longue est dans l’hémisphère boréal,
au solstice d'hiver dans l'hémisphère austral ; mais alors,
cette partie la plus élevée l’est plus qu’à la premiére
époque. Cet excédent se horne-t-il au produit d’une seule
marée ou d’un seul jour? Mais s’il était vrai que la densité
de l’eau fut égale à la densité moyennne de la terre, il
s’ensuivrait que la partie fluide du globe s’allongeant et
s'avançant d'un côté,.le centre de gravité s’avancerait
également , et dans cette supposition, chaque jour ajou-
terait pendant six mois à l'accroissement de la veille.
La différence des. marées pourrait donc servir de cette
manière à déterminer la densité moyenne du globe.
IT. Depuis longiems on a observé et calculé laccélé-
ration et le ralentissement alternatifs du mouvement de
la terre dans son orbite. Le résultat des inégalités de ce
mouvement sur la position des mers, me paraît indiqué
par l'expérience suivante : | |
Qu'un vase contenant un fluide quelconque se meuve
horisoutalement on obliquement , avec une vitesse accé-
lérée, la surface de ce flaide s'incline , la partie antérieure
s’abaisse, l'autre s'élève.
Le contraire arrive, et l’eau se porte en avant, quand
la vitesse du vase se rallentit. |
Enfu, si cétle vitesse est uniforme, la surface de l’eau
reste ou devieut horisontale.
â /
À MÉMOIRES, | 459
Ne peut-on aux mouvemens de ce vase et de la
liqueur contenue, comparer les mouvemens de la ne
solide et de la partie. fluide du globe ?
Comme l'attraction. du soleil agit sur l'océan et sur
la terre, lattraction de. la terre agit en méme-tems,
et devrait agir également sur l’eau et sur lé vase; et
cependant, selon que ce: vase est rallenti ou accéléré,
l'eau qu'il contient avance plus ou moins vite que lui.
Pourquoi n’en serait-il pas. de même des mers ?
La chüûte du vase est retardée par le plan qui le portes
comme la chüte de la terre sur le. soleil est empéchée
par la force tangentielle. Cette vitesse tangentielle , attri=
buée jusqu'ici à l'impulsion, change la direction qu'aurait
la terre, si elle cédait à l'attraction seule. De même, la
direction du vase est modifiée par la résistance du plan\
incliné. Donnez à ce plan une étendue et un degré
d'inclinaison convenables , le vase , avec la vitesse acquise
à l'extrémité du même plan , tournera autour de la terre ,
comme la terre autour du soleil. Son orbite sera plus ou
moins allongée, et sa vitesse plus ou moins variable ,
selon sa direction primitive.
Enfin, en raison des accroissemens et décroissemens
qui se succéderont, les vitesses. relatives du vase et de
l’eau différeront plus ou moins. y
- Entre les circonstances du fait constaté et celles du
fait que je soupçonne , je ne vois, je l'avoue , aucune
différence essentielle: les causes étant, sinon égales,
au moins semblables, les effets paraissent devoir être
analogues , et cette analogie admise , on verra s'expliquer
une grande partie des faits géologiques regardés jusqu à
présent comme le moins explicable.
Si l'expérience citée , si les calculs précédens ne'me
460 MÉMOIRES. .
trompent , l'océan doit, en effet, pendant l’accélérati
de notre planète, rétrograder et s'élever vers l’extrémité
du globe qui est en arrière, c’est-à-dire vers l’hémisphère
austral, Pendant le rallentissement, c’est-à-dite dans le:
passage du péribélie à l’aphélie, l’eau doit se porter sur-
l'hémisphère qui est en avant, c’est-à-dire encore vers:
le sud.
De l’aphélie au périhélie, la vitesse augmente; mais.
les accroissemens qui, jusqu’à l'extrémité du petit axe-
ou jusqu'à l’équinoxe d’automne, forment une série
croissante, diminuent progressivement de l'équinoxe au
solstice d'hiver. Par cette raison, la surface de l'océan:
pourrait , quand la terre a passé l’équinoxe , se rapprocher
de sa position initiale, Mais si, avec la portion d’eau trans-.
posée, le centre de figure et par conséquent le centre
de gravité du globe se déplacent, le ‘retour des eaux
versées d’un hémisphère sur l’autre, sera empêché ou au
moins rallenti ; delà il résulte que l’effet, produit durant:
le premier trimestre, n’est pas du tout ou n’est que.
partiellement détruit à fa fin du second. Dans le semestre
qui suit, l'effet du rallentissement s'ajoute à l'effet de.
l’accélération précédente. Ainsi de six moïs en six mois,
d'année en année, Îles eaux s'accumulent sur le même
hémisphère ; et voilà une nouvelle cause ajoutée à celles.
qui avaient été supposées jusqu'ici, pour expliquer l'iné-
galité des deux océans.
. Les mémes causes expliquent et peuvent. seules expli=
_quer la différence des températures.
Alternativement, le soleil fond une partie des glaces
qui “entoureñt chaque pôle. Du côté où s'opère cette
fusion, la masse des eaux augmentant, leur niveau s'élève.
L’excédent est emporté vers l'équateur, eù l'éraporation
MéMorres. 46r
est plus abondante, où les pluies sont plus rares, où,
par conséquent, le: niveau tend à baisser sans cesse.
Ainsi, l’on voit durant notre été d'immenses blocs, ou :
des îles de glaces flottantes s’avancer du cercle polaire
vers le tropique, et quelquefois n’achever de se dissoudre
que dans le voisinage dé cette ligne. |
. La fonte des glaces de l’autre pôle produit, six mois
après, dans l’autre hémisphère, un effet analogue et qui
devrait être égal. Pourquoi est-il inférieur ? Pourquoi les
navigateurs , parcourant l’océân austral pendant l'été de
ces régions, se trouvent-ils, vers le 70.° degré séxagé-
simal , arrêtés par des glaces immobiles et permanentes,
tandis que les glaces semblables ne se rencontrent , pen-
dant notre été, qu’au 80.° degré-nord? Ea réponse paraît
facile. | |
Si en effet, pendant l'accélération du mouvement ce
la terre, une partie de l’océan rétrograde vers le sud,
et s’il s’avance du même côté pendant le rallèntissement,
il est clair que ce mouvement, constamment dirigé au.
midi, facilite, durant notre été, le transport des glaces :
boréales vers l’équateur; et que, durant l'été de notre
hémisphère , il repousse les glaces australes vers le pôle
sud, Autant donc la masse s'accroît d’un côté, autant
de l’autre elle doit diminuer. |
Or, cette masse ne s’accroit pas seulement des eaux
qui lui sont apportées par le mouvement général de
l'océan, mais encore de celles qui lui sont apportées
par les nuages. Du moment où , par la réunion des causes
indiquées, ou bien par une seule, l'océan austral est .
devenu plus grand et sa coupole de glaces plus grande
que l'océan et la coupole opposés, la température y
devient progressivement plus froïde. Chaque année, des
neiges plus abondantes , des brouillards plus épais,
s'attachent au noyau primitif ; la masse solide augmente
en hauteur comme en surface ; tandis que cette surface
s'étend, une seconde coupole s'élève, pour ainsi dire,
sur la premitre, et d'année en année, sort un peu plus
du sphéroïde. En raison de cet accroissement en hauteur ,
le. centre de gravité change et se rapproche du pôle sud ;
et ée rapprochement augmente encore du même côté læ
transfusion et l’affluence des eaux. En résultat, lac
croissement total de cet océan, semble donc devoir être
la somme de plusieurs séries, très-difficiles sans doute
à calculer. |
Mais la direction de ce mouvement n’est pas constante,
Elle change et doit changer avec la position de l'axe de
la terre, |
, L’hémisphère austral qui, dirigé depuis quelques mille
ans vers l’aphélie, est en arrière, lorsque le mouvement
de ke terre est accéléré , avait antérieurement une position
contraire, et, par conséquent, devait alors verser-sur
J'hémisphère boréal , les eaux qu’il en reçoit aujourd'hui.
Ainsi, chaque hémisphère est tour-à-tour découvert et
submergé; et de cette oscillation périodique , paraissent
résulter en très-grande partie la composition actuelle
des continens, les immenses dépôts, les couches: alter-
natives de coquilles fluviatiles et de coquilles de mer,
de végétaux empreints ou pétrifiés , de POHONS $ de
quadrupèdes, etc. , etc.
Si l’orbe annuel de la terre, ou Île grand : axe de
l'écliptique était immobile , le déplacement et le retour
des mers s’acheveraient en même-tems que la révolution
des nœuds ou des équinoxes, c’est-à-dire en 25,867 ans.
Mais, tandis que les nœuds rétrogradent relativement à un
Lé
MÉMOIRES. . 46%
point fixe ou. à telle étoile, les apsides où Îles extrémités
du grand axe s'avancent relativement au même point,
_ et font en 112 mille ans ou à peu-près , une révolution
dans l’ordre des signes. Quand donc le solstice d'hiver
rétrogradant , s'éloigne du périhélie, le périhélie qui
s'avance en sens contraire, s'éloigne aussi du solstice.
Ïls se rencontrent donc plutôt qu'ils ne se rencontre
raient, si l’un des deux était fixe ; et comme le mouvement
du périhélie est à l’autre mouvement un peu moins que
un à quatre, quand ces deux points coincideront de
nouveau, le chemin du second sera quadruple de l’espace
parcouru par le premier. L'un aura décrit un cin-
quième, l’autre les quatre cinquièmes de lintervalle
qui, en ce sens, les séparait. La révolution totale
des nœuds qui est d'environ 26 mille ans, relativement
aux étoiles, est donc moindre d’un cinquième, ou peu
au-delà de 20 mille ans, relativement aux apsides. Cet
intervalle parait être celui du déplacement et du retour
d'une partie des mers du même côté de l'équateur.
. On sait que Fan 1350 de notre ère , le solstice d'hiver
çoincidait avec le périhélie; (1) si donc la submersion
et l’émersion, totale de chaque hémisphère répondaient
exactement à cette position et à la position inverse ; et sk,
comme il arrive relativement aux marées et à la tem-
pérature de. chaque saison ; les grands effets n’étaiend
pas toujours plus ou moins din de leurs causés ,
pous pourrions dire :
. À l’an 1250 répond: l'émersion ne de l'hémisphère
boréal. ou la moindre élévation de ses mers. Dix mille
ans auparavant, cet hémisphère était autant ni
que l’est aujourd’hui l'hémisphère austral.
( 1) Astronomie hysique de Biot ( re DE
464 MÉMOIRES."
. Il l'était encore il y a 30, 5o, et 70 mille ans.
En rapprochant d'autres faits, on pourrait aussi être-
tenté de penser que: sous. la dernière immersion sesont
_ formées nos montagnes. coguillières.
. L'immersion précédente , celle qui date à peu-près de-
30 mille ans, a pu.élever nos montagnes calcaires sans:
coquilles. | |
La. formation des montagnes: granitiques, pourrait:
remonter à l'immersion antérieure, c'est-à-dire. à 5o-..
mille ans. |
, Enfin la dissolution totale, ou presque totale: qui
élevé l'équateur, est probablement plus ancienne.
- Quelle qu’ait été l’époque précise de-chaque immersion ,.
on conçoit que la masse d'eau rétrograde doit former,
sur le globe, une espèce de ménisque mobile plus épais
vers le milieu et décroissant de chaque côté. Or, deux-
. des observations précédentes. semblent indiquer la position-
actuelle de ce ménisque
Si, en effet, il est vrai que, sous l'équateur, les:
montagnes calcaires et autres montagnes à. couches
borisontales , s'élèvent, suivant l'observation de Dolomieu ,
très-peu au - dessus du niveau de l'océan; si + au-delà
de cette méme ligne, il existe, comme Forster l'a re-
marqué, très-peu de roches calcaires, ces. faits semblent
annoncer que d'ici à l'équateur, ou même au-delà , la
surface des eaux s'éloigne du centre, et par conséquent
s'approche du sommet des montagnes. Cette indication,
. si bien confirmée par l'élévation du golphe arabique ,
au-dessus du niveau de la Méditerranée, conduit, ce
semble, à soupçonner que le sommet du ménisque où
de la proéminence agneuse, est placé aujourd’hui vers
le- tropique austral, et sa partie la moins élevée, ow
sa moindre épaisseur, en de-çà de notre tropique. ”
MÉMOIRES 465
Il est facile de concevoir aussi que la ménisque mobile,
qui passe en dix mille ans d’un tropique à l’autre, ne
stjourne en 20 mille ans qu'une fois sous chacun d’eux ;
tandis que dans le même intervalle, il passe deux fois
sous l’équateur , et dépose à chaque passage de nouveaux
sédimens. De-là , il suit que, dans la zone torride, les
couches minérales doivent être , à la fois, moins épaisses
et plus nombreuses. La différence d'épaisseur paraît cons-
tatée par l'observation. Le nombre est à vérifier.
Mais si les montagnes calcaires diminuent de hauteur
sous la zone torride, Pallas les trouve très-peu élevées
vers le cercle polaire boréal. Ce fait opposé en apparence,
au précédent, et qui, dans toutes les hypothèses connues,
. serait également inexplicable, paraît encore le résultat
non moins nécessaire des mêmes mouyemens.
Nous ne pouvons connaître des montagnes que la
distance de leur sommet au niveau des mers voisines :
nous n’en mèsurons que la partie qui domine sur l’o-
céan. Les montagnes calcaires et autres montagnes à
couches ; passant généralement pour avoir été formées .
sous les eaux, les sominets de cés montagnes semblent
indiquer, sur notre hémisphere, la ligne où s'élevait
autrefois l’océan boréal. Or, on sait que les montagnes
les plus élevées de cet ordre, font partie des Pyrénées
et des Alpes, et s'étendent à peu-près du 43° au 47
parallèle. Au-delà de cette latitude, Îa hauteur des eaux
ayant diminué à peu-près jusqu’au cercle polaire , les
montagnes intermédiaires doivent jusques-là diminuer
aussi de hauteur.
Restent maintenant à expliquer, , les irrégularités ob-
servées dans la forme des continens, et la courbure du
globe, IL faut d’abord se rappeller un ancien fait, qui.
466 MÉMOIRES. |
paraît à tous Îles savans démontré par le renflement des
régions équatoréales, je veux dire la fusion aqueuse ou
ignée de la terre où de: sa couche. extérieure. On conçoit
qu'a l’époque de cette dissolution , les résultats de Ja
rotation de notre planèle autour de son axe, ont dù
être modifiés par son mouvement inégal de translation,
ou sa révolution autour du soleil,
En conséquence de la rotation ou du mouvement
diarne , les matières les plus voisines de l'équateur ayant
une-force centrifuge plus grande , et par conséquent une
pesanteur moindre que les matières voisines des pôles, les.
premières, supposées fluides, ont dü s'élever ou s'éloigner
du ceütre , les autres s’en rapprocher pour faire équilibre.
_ Maïs, tandis que les parties fluides de la terre, tournant
autour de l’axe , tendaient à s’en éloigner ; selon la tan-
gente de l’équateur et des parallèles, de l’autre côté, le-
globe s'avançaut en même tems, et beaucoup plus.
rapidement et avec une vitesse accélérée autour du soleil ,
lés parties fluides tendaïent encore à s'éloigner du centre
de la terre, mais selon la tangente de l'orbite.
Si cette orbite et l'équateur avaient été dans le même
plan , la seconde cause aurait seulement augmenté et
n'aurait pas autrement modifié les effets de la première.
Mais les deux plans étant inclinés, les matières fluides,
pour obéir à la fois aux deux forces résultant de la
rotation ‘uniforme et de la translation accélérée , devaient
prendre une direction moyenne, mais plus rapprochée
de celle qui appartient à la plus grande force,
Si je ne craignais d’avoir déjà trop hazardé, j'ajou-
terais aux effets des causes précédentes ceux du mouvement
reconnu depuis peu d'années dans le systême solaire ( x :
Fr 1) Exp, du syst. du monde, pages 143 ct 195.
re
œ
ar
(@®)
Digitized
MÉMoOIR&eSs. 467
On peut soupçonner, en effet, que le concours ou
. Vopposition de deux mouvemens, sont des causes nou-
velles d'accélération ou de ralentissement de la ‘vitesse
de la terre dans l’espace, que ces modifications peuvent,
en variant le déplacement des mers, produire des inégalités
dans les immersions différentes. Enfin, ce mouvement
commun étant dirigé vers la constellation. d'Hercule ,
et par conséquent plus loin du plan de l'équateur, que
le mouvement annuel de la terre, on conçoit aussi que
la direction moyenne des matières fondues a pu encore
se rapprocher du pôle.
En résultat, il est incontestable que la figure de ét
planète, supposée sphérique à l'époque de sa fluidité ,
serait devenue, par le seul effet de la rotation, un ellip-
soïde élevé sous l'équateur, applati sous les pôles. Il
est certain que la surface de la terre s'éloigne sensible-
-ment de cette forme. Eu supposant applicable à la terre
et à l’océan , l'expérience que j'ai citée plus haut, on
n'est plus étonné de l’irrégularité apparente qui a conduit
les savans à penser que la terre n’est pas un solide
régulier de révolution. On voit pourquoi les degrés cor-
respondarrs de deux hémisphères sont inégaux, pourquoi
à certaines latitades, les degrés de l'hémisphère austral
sout plus allongés, pourquoï tels degrès pris dans le
“même hémisphère et sous la même latitude, ne sont pas
les mêmes; et ajoutez à cela d’autres causes accessoires
ou secondaires, par exemple : la fluidité, la sensibilité
différentés dés matières, plus ou moins compactes , plus
où moirs rapidement desséchées, cristallisées ou refroëies,
et vous expliquerez d’autres irrégularités. |
Enfin Faction des mêmes causes, aux mêmes épo-
ques } paraît plus clairement indiquée par un fait beoucoup
)
ed
468 = MÉMOIRES.
plus facile à observer, par l’allongement presqu’uniforme
de toutes les terres .de même étendue, par celui des
extrémités méridionales de la Grèce, de lItalie, de
: l'Espagne , de l’Afrique, de l'Arabie, des deux presqu’iles
. de l'Inde , par les pointes de là nouvelles Hollande, ou
. de Van-Diémen, de la Corée, du Kamschatka, de la
. Californie, de la Floride et de l'Amérique méridionale,
qui toutes sont dirigées dans le même sens, c’est-à-dire
vers le sud.
Cette direction si constante semble prouver qu’à une
époque quelconque , les couches extérieures de la terre,
alors fluides, mais l’étant inégalement , ont été portées
, vers l'hémisphère austral par la même force ou la combi- :
- maison des mêmes mouvemens qui pousse, aujourd'hui
du même côté une partie des mers boréales,
En résumé, les différences qui distinguent les deux
‘ hémisphères paraissent expliquer le mieux, le plus
grand nombre des phénomènes.
L’étendue et la température différentes des deux océans,
: Ja forme des continens, l'excédent des degrés méridionaux,
“sur les degrés correspondans de notre hémisphére, les
inégalités des divers méridiens aux mêmes distances du
. même pôle , l’abaissement des montagnes calcaires vers le
_nord et vers l'équateur, la rareté des mêmes matières dans
: l'hémisphère austral , etc. Toutes ces irrégularités semblent
dériver des mêmes causes, c’est-à-dire, 1.° de la différence
des marées inférieures et supérieures ; 2.° de l’accélération
. et du rallentissement alternatif de notre planète, et de
4
«
la longue révolution des pôles de l’é équateur autour des
pôles de l’écliptique,
Cette éxplication générale, appliquée aux phénomènes
qui paraissent les elfets d’une force ou d’une action lente
| MÉMOIRES. 69
æt régulière , laisse à expliquer les boubeversentèns plus
brusques et plus rapides.
Elle ne repousse, par conséquent , aucune des expli-
cations partielles développées ou indiquées jusqu'ici par
plusieurs naturalistes. Seulement, elle peut restreindre
les conséquences trop étendues qui ont été tirées de
plusieurs faits incontestables.
Des causes locales, l’action des eaux ou celle du feu
ont dù produire , en différens tems, quelques révolutions
particulières ; out dà , par exemple, enfoncer et combler
des cavernes, soulever des montagnes ou des îles, incliner,
bouleverser, entraîner des couches , creuser, ouvrir ou
fermer des lacs ; élever ou détruire des digues , favoriser
ou arrêter l'écoulement des eaux, changer en plus ou
en moins le niveau des Méditerranées. D'autres causes
plus générales, par exemple, l’évaporation ou la décom-
position , la combinaison ou la congélation progressive
des eaux, ont pu même, jusqu’à un certain point,
en diminuer ou en déplacer la masse. |
Mais l’oscillation d’une partie de l'océan, de lun à
Tautre hémisphère, paraît seule expliquer les neuf dixièmes
des faits connus.
Sans doute, il reste encore au-delà beaucoup d'espace
à parcourir , et déjà l'imagination impatiente s’est élancée
au-devant des vérités que le tems seul peut dévoiler.
Plusieurs savans ont voulu deviner quel était l’état de
Ja terre avant les divers changemens dont nous retrouvons
les vestiges , avant les submersions alternatives qui ont
formé les divers ordres de montagnes , avant la dissolu-
tion qui a élevé l'équateur. C’est à ce point que Îles
faits nous conduisent , et c’est la que j'ai voulu et dû
m'arrêter.
470 Mémoirks.
| Si, de tous lés faits analysés , il résulte véritablement
que chaque hémisphère doive , à certains intervalles , par
exemple, de vingt en vingt mille ans, être à peu-près
complètement submergé, à mesure que ñous approche-
rons du terme marqué pour la submersion du nôtre;
on verra nos continens diminuer el disparaître, on verra
s'étendre et s'élever les terres australes. Je ne sais, &
quelques découvertes importantes doivent, long - tems
avant la dernière époque, rendre les apperçus précédens :
plus ou moins probables , ou si le fait seul pourra dans
quelques mille ans , donner à ces soupçons quelque crédit.
Mais la seule possibilité peut conduire aux moyens d’assu-
rer désormais les communications entre les générations
les plus éloignées , ou séparées par les plus grandes catas-
trosphes. Qui sait si, averti par ces indications , le genre
bumain ne parviendra pas à soustraire le dépôt des
sciences et des arts, les productions de la nature, les
créations du génie, et la mémoire des grands hommes, à
l'une de ces révolutions qui, plusieurs fois peut-être , ont
anéanti plusieurs espèces vivantes, et qui, sans anéantir
l'espèce humaine , ou presqu’effacé les premières connais-
sances et les premiers souvenirs ! |
MÉMOIRES. 471
VAARAARARRARRANI AN A NARRAN AAA
RAPPORT
SUR L'ÉTABLISSEMENT
DE FILATURE
pE Mxssixuns CATTÉ, déc
FAIT
À LA SOCIÉTÉ ROYALE DE LA VILLE. D'ARRAS,
Î
POUR L’ENCOURAGEMENT
DES SCIENCES , DES LETTRES ET DES ARTS. ‘
Par la Commission nommée à cet effet dans la Séance .
du 3 Mars 1819. : PP À
AAA AAA AA MARAN
MEMBRES MESSIEURS;
de. la Commission.
CS
MM. TenninNcx, Membre Cr depuis environ trente
du Conseil municipal. F ans, que l'Industrie française
SaAuvAGE, Professeur 2 commencé à rivaliser avec
de Rhétorique au Col- | celle de l'Angleterre, en impor-
Rge d'Arras. ) tant en France les machines
Vin, Capitaine au | jt les Anglais se servaient
Corps royal dugénie. | ... | : | :
Ch, DE Donop, Pro- déjà depuis plusieurs années,
fesseur de mathéma- | pour cardér, laminer, beu-
tiques à l’école régi- | diner et filer les cotons bruts ;
__ mentaire du génie, depuis cette époque et pen-
Rapporteur de la Commission. dant la durée de la guerre et
du blocus continental , on a vu s’augmenter considéra-:
blement le nombre des filatures françaises, et le plus.
grand nombre d’entr’elles perfectionner de plus en plus
Tome I. 11% Lig, nes
472 Mémoires.
le filage des colons , et par suite, la finesse et la
beauté des tissus qu’on en fabriquait, malgré la difficulté
de se procurer les cotons d'Amérique et le désavantage
d'employer, avec Îles anciennes machines, les cotons
d'Italie et ceux du. levant, dont la laine est moins
longue : aussi, dans ‘ces dernières années, est-on enfin
parvenu à fabriquer des tissus de cotons, dont la
beauté rivalise avantageusement avec celle des plus beaux
tissus anglais. Cependant , quelle que soit la perfection
actuelle des machines à filer, employées dans les grands
établissemens qui existent mainteuant en France, * et:
qui ont nécessité une avance considérahle de capitaux,
pour la construction des bâtimens, des machines à filer
et des usines qui leur servent de moteur, on ne peut
cependant se dissimuler, qu'il ne soit, plus que jamais,
nécessaire d'encourager, par des récompenses nationales,
les Négociants qui méritent. si bien de la France, en co-
opérant à l'agrandissement de snn commerce et à l’aug-
mentation de sa richesse , afin que ne rallentissant point
leur marche investigatrice, les Fabricans Francais ne
se laissent plus surpasser ** par les étrangers, et conti-
nuent à mériter la préférence dans les foires les. plus
célèbres du continent Européen. | |
EE
_* Tels sont. ceux de MM Oberkampf, (à Jouy près Ver-
salles 3: Ferret, (à Essonnes ) ; 3 Scipien Mourgue ( à Rouval,
près Doulens. )
#* L'exposition des produits de l'Industrie Française ordonnée.
par le Gouvéeitnement, et les prix accordés annuellement par la
Société d’Encouragement de Paris, font espérer qu’une hono-
rable émulation s'établira entre tous les manufacturiers. et les:
fabricans Français , pour contribuer à maintenir la supérigrité :
des produits en tout genre de l'Industrie nationale, ,
RS
MÉNOIRES. 475
Quelques justes éloges que méritent d’ailleurs les
propriétaires des grands établissemens de filature , on n'en
doit pas de moindres sans doute à ceux qui ayant de
plus faibles capitaux , mais beaucoup d'intelligence et de
talent en mécanique-pratique, sont parvenus à former de
petits établissemens où en employant, proportion gardée,
un plus grand nombre d'ouvriers, ils fabriquent, non
toute la série de grosseurs de fils de coton, mais sea-
lement certains numéros, dont le débit est assuré,
parce qu'ils sont préférés dans certaines fabriques de tissus,
soit à cause de leur qualité, soit à cause du moindre
‘prix auquel ils sont livrés au commerce.
. C'est d’un petit établissement de ce genre, commencé
il y a trois ans, à Arras, par MM." Catté, frères, et
situé dans la rue des Capucins, que nous allons avoir
J'honneur de vous entretenir.
| | Observations.
Cet Établissement de filature se compose actuellement:
1. D'une double carde en gros, mûe par engrenage ;
: 2.9 De quatre cardes en fin, Idem;
3.° De quatre laminoirs ;
4 De quatre boudinoirs ;
5° D'un belly à 96 broches ;
6° De huit mull-jenny ensemble 1416, Idem.
Savoir :
Trois métiers à 192 broches ci. ..... 576 Zdem.
Cinq: idem à168 idem ci...... 840 id.
Total pareil. . . 1416
nan nest
MM." Catté ayant commencé leur filature avec les
anciens métiers employés en France dès 1805 et 1806, et.
n’en ayant pas obtenu des résultats aussi avantageux qu'ils
474 MÉMOIRES.
les désiraient, tant à cause du déchet considérable sur
les cotons en laine, que de la médiocre qualité des fils
de coton qu’ils en obtenaient , se décidèrent, pour parer
‘à ces deux inconvéniens majeurs, à reconstruire leurs
différerens méliers, en y. faisant les changemens qu'ils
‘erûrent les plus propres à diminuer le déchet et à
‘augmenter ainsi ‘les produits en fils, sans nuire à leur
qualité, qu'ils parvinrent à bonifier après beaucoup d'essais.
‘’ Les changemens qu'ils ont faits aux cardes, aux
laminoirs et aux boudinoirs , leur ont procuré un avan-
tage réel, tant par l’augmentation sur le produit net
des cotons préparés pour le filage, que par la perfection
du travail de ce même produit: peut-être que pour leur
propre intérêt, on pourrait desirer que MM. Catté,
fissent de nouveaux chAEmens aux LonBnars et aux
laminoirs.
_ Les changemens faits par eux, au belly et aux huit
métiers, dif mull-jenny, consistent principalement dans
‘la marche uniforme, régulière et douce, qu'ils sont
parvenus à donner aux chariots, ce qui empêche les
fils de se casser aussi fréquemment que dans les anciens
métiers, diminue par conséquent beaucoup le renouage
des fils, et contribue aïnsi à leur bonne qualité, à la
beauté et À la régularité des tissus.
Enfin par la juste combinaison des changemens opérés
par MM. Catté, dans les métiers # dont ils se servent,
_et par les soins qu’ils apportent dans la préparation de
#* Ces MM. ur monté eux-mêmes une plate - forme,
faillent et arrondissent par ce moÿen , d’une façon très-régulière,
les dents de leurs engrenages » etils y ont joint un tour pour le
fer, un tour pour le bois, un tour en Pair ; ils ont auesi établi
MÉMOIRRSS. 475
leurs cotons filés, dont ils ont réduit enfin le déchet de
4 pour cent, (il était de 12 pour ©, au commencement
de leur établissement, il n'est plus maintenant que de 8
pour cent ), ils se sont procuré l'avantage certain découler
. avec facilité les produits de leur filature ; ils les expédient
à Amiens sur-tout, leu” fil y étant trés-recherché et
employé de préférence par les fabricans, à celui de
quelques autres filatures. :
La différence de prix des n.” 40 à 45, pour la con-
fection desquels MM." Catté n’employent que des cotons
Caroline, est sensible , puisque les autres fabricans
n’employant que des cotons Louisianne, ne peuvent
soutenir la concurrence avec MM. Catté, qui les donnent
avec diminution de 80 centimes par kilogramme de fil.
Autrefois le produit d’une semaine de travail ne s'élevait
avec les anciens métiers que de 125 à 150 kilogranmes
de cotons filés , le produit actuel de chaque semaine est
de 250 kilogrammes.
Enfin cet établissement de filature a de plus l'avantage
réel de faire vivre 55 personnes qui dépensent leur salaire
dans la ville d'Arras.
Conclusions.
Considérant que par leut propre industrie, leurs
connaissances et leurs talens en mécanique, MM. Catté
sont parvenus à créer dans le chef-lieu du Département
une nouvelle filiture qui peut fournir chaque année à
la fabrication des tissus de coton, environ treize mille
on
Rue "
chez sux, un atelier de serrurerie et un ‘atelier de menuiserie ;
au moyen de quoi, ils construisent et fabriquent een
toutes les parties do leurs mécaniques.
476 MÉMOIRES.
kilogrammes de coton filé ( environ la 2000.°"° partie #
de ce qui s’en fabrique en France dans une année ),
dont la vente procure la rent:ée d’une somme considé-
rable, et tend à accroître ainsi la ri-hesse nationale,
par l'augmentation des produitsge l’industrie ; les Membres
de la Commission soussignés, pensent que l'établissement
de MM. Catté, mérite d’être encouragé par la Société
Royale de la ville d'Arras, et mentionné honorablement
dans le Recueil de ses Mémoires.
A Arras, le y7 mai 1819. |
Signés TERNINCK, VÈNE, Donor.
La Soviété approuve la conclusion du Rapport.
Signé P. MARTIN, Secrétaire perpétuel,
* M, le Comte Chaptal évalue, dans son ouvrage, à 25 millions
de kilogrammes , fa totalité des eotons filés en France chaque
ännée.
MÉMOIRES 477
VW
RAPPORT
SUR LE SEMOIR
. DE
M". Scirion MO URGUE,
EzT
SON MAGNIFIQUE DOMAINE DE ROUVAL $
PRÈS DOULENS,
MESSIEURS,
L Commission que vous avez chargée de vous rendre
compte de l’état des Semis opérés dans. le domaine de
Rouval-les-Doulens , département de la Somme, au moyen
du Semoir écossais amélioré par M. Scipion Mourgue,
notre collègue, s’empresse de s'acquitter envers vous
du devoir que lui impose la confiance dont vous l'avez
bonorée. |
Le premier apperçu des établissemens industriels qui
classe celui de notre collègue au premier rang des
manufactures de France , est d’une telle séduction pour
tout ce qui professe les arts, ou honore l'industrie,
que le sentiment que nous avons d’abord éprouvé au
milieu de ces vastes mines a été de nous mettre en
garde contre le prestige de tout ce qui. se coordonnait
pour nous entraîner à la surprise, et par elle à l’appro-
bation. Se |
Mais nous devons à la vérité, qui sera toujours un
devoir pour vos délégués, de dire qu'il est diificile
478 MÉMOIRES.
d'être mieux prémuni contre cette déception involontaire,
que par les procédés du créâteur des belles usines que
nous avons vues. HN
Il a jugé notre position: et, si elle nous imposait
l'obligation d’être justes, il n’a cherché, dans aucun
instant, à nous ôter la faculté d’être sévères.
Le domaine de Rouval se compose de terreins qui
sont une véritable conquête de la persévérance nouvelle,
sur la plus ancienne incurie.. +. à
Ce sol, où nous avons vu la végétation la plus abon-
dante , les jardins les plus délicieux, était, il y a 11 ans,
recouvert de marais si dégodtants, si fétides , que leur
dénomination de temps immémorial était les marais
morveux ; ils servaient à cette époque de voiries publi
‘ques... ls semblent aujourd'hui le rendez-vous des
arts imis en pratique sous l'égide de l’industrie.
! Mais nous nous écarterions de notre but, Messieurs, si
nous vous entretenions d'autre chose que des semis que
vous nous avez chargé d'examiner , et du semoir par
lequel ils se sont opérés. |
M. Mourgue, doit la première idée de son semoir à
Texcellent ouvrage du chevalier John Sinclair , président
du bureau d'agriculture des Royaumes-unis de la Grande
Bretagne, intitulé : General Rapporis of the scoteh
‘agriculture. a
Ce semoir , ou brouette à -semer,. présente deux bras ;
‘servant à pousser, | comme dans une brouette, une roue
destinée à mettre en action le plus simple de tous les
mécanismes. De droite et de gauche, sur le moyeu de
cette roue, sont disposées deux poulies fixes, mues si-
multanément par l'impression que donne un homme aux
deux bras de la brouette ;: ces deux poulies servent à
| MÉMOIRES 479
faire agir, au moyen de cordes croisées, et dès -lors
en sens inverse de leur rotation, deux petits barils de
trente à quarante centimètres de long, tournés par des
poulies correspondantes aux premières, et placés chacun
sur des supports ingénieusement disposés pour les rendre
d'une extrême mobilité. |
Le premier de ces petits barils contenait, quand nous
avons vu le semoir en action, de la graine de navets de
Suède. (Rutabaga),
Le second était de poudrelte, tous deux étaient mus
par les cordes croisées, mentionnées ci-dessus, et avec
une vitesse proportionnée au 1 diamètre des unes et des
‘autres poulies.
Le pourtour du premier baril est percé de trous assez
nombreux pour permettre, dans sa rotation, la libre
sortie de la graine qu'il renferme.
Cétté graine tombe dans un entonnoir, en fer blanc;
disposé au centre d’un tübe de bois armé dans sa partie
inférieure d’un coutre acéré, qui, dans l’action cursive
du semoir, ouvre un sillon, dont la profondeur se règle
à volonté par un procédé ingénieux , et dans lequel la
graine qui traverse le tube est reçue.
Par des moyens semblablés , la matière fécandante dite
Poudrette » si facile à remplacer dans nos contrées par
‘des tourleaux de graines oléagineuses pulvérisés » se
mêle la graine sortie du premier tonneau , et à l'instant
même, ün rouleau disposé en arrière du second tube,
recouvre et la semence et l’engrais, tandis qu’ un dé-
crottoir fixe facilite sa rotation, en le nettoyant sans
cesse. de la terre que l'humidité pourrait y “agtbmérer,
Au reste, Messieurs, l'intention de M. Mourgue
‘étant d'envoyer à la Société un modèle de ce semoir,
480 MÉMOIRES.
vous serez bientôt à même d'en juger et d'apprécier
les avantages qu'il prépare à l’industrie de notre culture
des plantes oléagineuses, potagères ou herbacées.
Nous avons vu chez M. Mourgue, un hectare cinquante
ares de terre » Semés.en œillettes.
Une même surface semée en fèves et pois, pour Îa
nourriture des. chevaux.
Et un hectare semé en navets de Suède (rutabage )
Nous confessons, Messieurs , que notre premier senti
ment, à l'inspection du semis d’œilleites, a été celui
d'une extrême Pnpee
Jamais nous n’avons vu des œillettes aussi parfaitement
disposées, et recouvrant aussi bien le sol qu’elles enri-
chissent ; on eut dit que la main de l’homme les avait
transplantées comme elle transplante ou nos tabacs,
ou nos colzats. _—
Cependant , Messieurs, d’après. l’expérience faite devant
nous et par l'un de nous, M. Leroux-Duchatelet, rien
n'est aussi facile que l’action du semoir , qui produit
ce résultat.
Notre collègue nous assure que dans un jour un homme
peut aisément semer cinquante ares de terre bien disposée,
et quand on compare la rare exactitude avec laquelle
TA
on peut ainsi profiter de toute la. surface productive du
sol, à ce même sol si souvent chauve de produits,
dis nos champs, l’on conçoit et l’on partage les espé-
rances que M. Mourgue ést autorisé à entretenir de
l'usage de son semoir.
Le sol sur lequel ces œillettes ont été send: avait
été éggwmv, l'année dernière, par une abondante récolte
de navets de Suède ( rutabaga). M. Mourgue l’a econdé
de nouveau; en faisant recouvrir sa graine d'œilette par
MÉMOIRES. 481
de la poudrette, et les plantes de son semis ne laissent
rien desirer en vigueur et en espérance. |
Nous insistons sur ce résultat, Messieurs , parce que,
pour notre pays, les conséquences peuvent en étre
incalculables,
En effet, quelle économie dans la main — d'œuvre et
quelle facilité dans le travail de binage, ne résulte-t-il
pas de ces semis en sillons, dans lesquels la main de
Pouvrier le moins expérimenté, ne peut jamais s’égarer ?.
Quelle profondeur dans le labour qui porte la fécondité
à la plante, et quelle aisance pour la récolte en maturité.
Nous ne craignons pas de le dire, Messieurs, si vous
entourez ce nouveau procédé de votre suffrage, et sur-
tout de votre exemple dans nos campagnes, il est permis
d'en espérer une révolution réelle dans le systéme de
Pimportante culture dé nos plantes oléagineuses par ce
procédé, dont l’idée appartient toute entière à M. Mourgue.
Les fèves que nous avons vues sont remarquables par
une circonstance particulière ; le sol sur lequel elles ont
été semées, était, il y a deux mois, une prairie maré-
cageuse que M. Mourgue a habilement desséché. À peine
en avait-il fait défricher la surface au louchet , qu'il
conçut l’idée d’essayer d'en rompre les mottes par une
herse à dents de fer, et de les diviser assez pour y
introduire son .semoir. Le
Ce sok était si compacte, l'agrégation des racines des
plantes aquatiques qui avaient été retournées , présen-
tait de telles difficultés à vaincre, que la herse à dents
de fer ramenait les gazons à la superficie; et tout
autre que M. Mourgue se fut rebuté,
Mais. da constance semble être le type du caractère
de notre collègue ; il voulut fortement, et réussit à
PT
482 MÉMOIRES.
|_ensemencer son Champ avec son semoir, et an moyen
de ses deux barils , il sema des fèves par l’un et des
pois par l’autre, de maniere à lui faire espérer la récolte
la plus abondante,
Malheureusement, ses semis n’ont pà être enterrés
assez profondément par suite des difficultés qu'il avait
éprouvées dans la préparation de la terre , et’ les pigeons,
ces nobles parasites de nos campagnes, ont dévoré une
grande partie de ses semences, Cependant ce champ offre
encore une belle apparence, et les obstacles vaincus font
mieux apprécier les avantages du procédé, qui a rendu
si facile de binage à la houe + dans les sillons formés
par le semoir.
Mais ce qui est le plus digne de votre attention,
Messieurs , et ce qui nous eût paru invraisemblable , si
le fait ne nous avait été attesté par notre collègue , et
que nous n'en eussions vu la preuve , c’est la prodigieuse
économie qui résulte de cette méthode.
Vingt boisseaux de fèves, sont ordinairement employés
dans les semis à la volée, par cinquante ares de terre ;
M. Mourgue en avait donc fait acheter soixante pour en-
_ semencer 1 hectare 5o ares, et sa surprise fut égale à
la notre. quand’ Pensemencement & finr, il trouva
éncore dans $es sacs quarante boisseaux ‘de fèves: ainsi
Messieurs , il s'est opéré, par ce procédé, uneéconomie
des deux tiers de la semence; et ceux d’entré vous qui
aiment ou professent l'agriculture, apprécieront l'aven ntage
immense que nous venons de signaler.
_ En deux champs , contenant ensemble 75 ares, nous
avons vu des semis récents de navets de Suède (rutabaga),
Pan avait subi un labour à ‘la houe l'autre Per
sur son semis primitif. -
MÉMOIRES 483
Nous ne pouvons pas vous rendre compte des pro-
duits de cette culture, nouvelle dans nos contrées,
mais que depuis cinq ans M. Mourgue nous a dit pratiquer |
avec de grands avantages.
. Éa partie de ces semis qui n’a point été binée , pré
sente des lignes très-régulières de jeunes plantes ; ces
dignes sont espacées entr’elles d'environ 40 centimètres
{15 pouces ).
. La partie qui a été binée a reçu deux façons successivem
D'abord, l’ouvrier, armé de sa houe, s’est placé à angle
.droit sur laligne semée , et, de 30 en 30 cehtimètres,, en
fort peu d’instants, il a détruit l'excédent du jeune plant,
ne laissant ainsi et à égale distance, que de très-petites
touffes de navets, contenant chacune 4 à 5 plantes.
Le lendemain', le travail a été repris en sens inverse
et dans la direetion des lignes de plantes ,.afin de nétoyer
parfaitement tous ces intervalles de mauvaises herbes,
<t nous pouvons attester qu de cine ce semis présente
la plus belle espérance.
M. Mourgue n’attendait qu’une pluie pour faire passer
des femmes dans les lignes ou routes de ces navets, et elles
n'auront à faire que le travail rapide, d'enlever l'excédent
des. plantes à chaque touffe, pour n’en laisser qu’une
au besoin, ou en repiquer là où les pucerons ont pu
les détruire ; car dans les tems secs le puceron est un
. ennemi redoutable pour la plante succulente du rutabaga.
Si nous ne pouvons vous entretenir en ce moment,
Messieurs, que: des lointaines. espérances que donne
cette calture, nous ne pensons pas que ce soit une
digression étrangère à l’objet de notre mission, que de
yous. parler des: résultats remarquahles que M. Mourgue
est à la veille d'obtenir. des essais, qu'il. multiplie sur
cette plante,
484 MÉMOIRES.
Le rutahaga paraît être la nourriture Ja plus recherchée
des bestiaux ; celle qui donne le plus de lait aux vaches ,
et enfin celle qui a le prodigieux avantage de résister
aux plus rigoureuses épreuves des frimats.
La graine se sème dans des terreins bien fumés, dans
les derniers jours de mai, et bien que M. Mourgue
espace les plantes d'environ 40 centimètres (15 pouces
passés ), il nous affirme qu’à peine il reste entre ces
bulbes un espace suffisant à la végétation de leur large
feuillage et à leur binage, et que leurs feuilles couvrent
entièrement la distance des sillons; la feuille du rutabaga
a la même forme , mais beaucoup plus d’étendue que
celle de nos navets. nu
Comme le colzat, le rutabaga appartient à la famille
des choux ( brassica), et sa faculté de résister aux plus
fortes gelées, a fait concevoir à M. Mourgue la pensée
de le cultiver comme plante oléagineuse , en rempla-
cement des colzats qui, si souvent , souffrent des hivers
rigoureux de nos contrées septentrionales.
C'est dans cette vue que l’année passée il sema, en
septembre , quelques centaines de ces graines , et nous
_osons vous affirmer que nous ne vimes jamais des tiges
de colzats comparables pour la rnasse de graines qu'elles
portent à celle de ces navets de Suède.
Cependant les gousses qui contiennent la graine sont
moins longues dans le rutahaga que dans le colzat,
mais elles nous ont paru plus grosses.
M. Movrgue se propose, non-seulement de comparer
Ja quantité de graine que donnera ee semis avec celle
provenant d’une égale surface en colzat dans ses environs,
mais aussi d'apprécier comparativement la quantité”
d'huile provenant de ces deux récoltes,
MÉMOIRES. 485
Certes, Messieurs, lors même qu’il n’y aurait que
parité, le rutabaga offrirait toujours un grand avantage,
puisque cette plante n’est accessible à aucun mal par
des plus fortes gelées, qu’elle n’a plus besoin d’être dé-
plantée après avoir été semée au semoir , el que les labours
qu’elle exige sont bien moindres que les travaux pénibles
auxquels sont soumis les cultivateurs pour la culture
des colzats.
M. Mourgue se dispose à des essais plus en grand cette
année ; plusieurs cullivateurs de ses environs , excités par
son zèle et par son exemple, feront aussi des expériences
contradictoires aux siennes, et nous avouons, Messieurs,
que l'espoir du bien à faire est tellement une sorte
de contagion, quand on en observe les actions, que
nous avons nous-mêmes emporté de Rouval des graines,
pour nous livrer à des essais semblables.
Ce que nous avons vu, la manière simple et claire
dont M. Mourgue le démontre, nous. fait vivement
desirer que plus tard cet honorable collègue. vous fasse,
connaître les résultats qu’il aura obtenus.
_ Nous ne terminerons pas ce rapport, Messieurs, sans rendre
hommage à l'accueil cordial qu’ont reçu vos commissairess
sans doute, c’est à votre considération qu'ils le doivent,
mais ils n’en garderont pas moins un touchant souvenir.
Les usages et les arts de tous les pays semblent s'être’
réunis à Rouval; fout ce qui est bon chez les autres
m’appartient , nous dit M. Mourgue, et en vérité, nous
pourrions ajouter tout .ce qui est beau.
Les membres de la Commission : À. HALLETTE,
Ch. LEROUX-DUCHASTELET, CRESPAL-DELLISSE, -
Auguste COT.
SE EL
486 MÉMOIRES.
ANA AAA
OBSERVATION SUR UNE OPÉRATION
| D'E LA
LARYNGO-TRACHEOTOMIE;
PRATIQUÉE AVEC SUCCÈS,
Par D. R. P. DUCHATEAU,CHIRVRGIEx,
Æide-major des Salles militaires de l’H6pital civil ”
d'Arras, ete.
MEMBRE RÉSIDENT.
î
L, : novembre 1815, Iphigénie Ansart, d’Arras,
âgée de: six ans et demi, d’une constitution éminem-
ment lymphatique, avala, vers le soir, un noyau de
prune en jouant avec ses compagnes; elle en fut très-
effrayée et avertit sa mère, qui m’envoya chercher sur-
lé-champ. Je trouvai cet enfant dans un état d’anxiété
inexprimable; sa voix était altérée et sibilante, la toux
qui n'avait eu lieu que très-lésèrement au moment da
passage du noyau dans le larynx avait disparu ; à chaque
forte expiration, on entendait un certain bruit causé
par ‘e choc du corps étranger contre la glotte. L'enfant,
- dont la face était faiblement rouge, indiquait de tems à
autre le siège de sa douleur qui paraissait répondre à la
partie supérieure et latérale de la poitrine: cette douleur
assurément était produite par la présence du noyau
dans une des bronches. De concert avec notre collègue
M: le docteur Leviez, nous lui fimes prendre dix grains
d'Ipecacuhana qui produisirent 5 ou 6° vomissemens ;
Se Hs mais
MÉMOIRES. ‘487
#vaîs nous n’en obtînmes pas le résultat desiré ; la malade
était extrêmement fatiguée, on la coucha , et nous ne
la revimes qu’une ‘heure après 3 nous ‘la trouvâmes
“endormie ‘et couchée sur'le dos; sa face était un peu
‘plus rouge qu'à notre première visite, et elle était
tournée du ‘côte gauche; sa respiration était libre, et
‘elle dormait d’un profond sommeil ; nous ne dissimulä-
-ames ‘point aux parens le danger‘ qui menaçait leur
enfant , si on ‘ne’ donnait issie à ce ‘noyau par une
opération; car nous étions bien certains qu'aucun autre
moyen ne pouvait la débarrässer de ce fàcheux accident;
nous ‘fürhes remis au lendemain : le sommeil cessa vers
les 4 heures da matin; les agitations recommencèrent
-à son réveil, de fortes convulsions la jettèrent dans
- 4n ‘tel abattement que, lorsque nous la vimes à sept
‘heures da matin, rious ne pümies obtenir d’dle une
seule: parole : ‘elle était sans connaissance; sa face était
incolore, ses yeux fermiés son pouls" petit et sa res-
piration difhcile et lente ; à notre arfivée, lés parens
nous laissèrent maîtres de la maison et du sort de leur
enfant. Nous la couchâmes sur-une table garnie d'un
pétit matelas, -et-nous posâmes sa tête: sur un oreiller ;
‘alors jincisai la peau à la partie antérieure’ da cou,
après yÿ ‘avoir fait un pli que je tins d'un côté, et
que M. Leviez voulut. bien tenir de l’autre: cette
incision avait environ un pouce: et démi de Jongueur,
‘et avait mis à découvert la partie inférieure du larynx
et la partie supérieure de la trachée artère : je plongeai
ensuite mon bistouri, dont le tranchant était dirigé en
bas sur le ligament Cricoithyroïdien , je divisai le car-
tilage “cricoide et trois cerceaux de la trachée artère;
aussitôt qué j'eus pénétré dans le larynx, 2 une colonne
Tome I; 11° Liv. | ‘8a: ‘:
488 MÉMOIRES.
d'air en sortit, et le noyau , amené par elle, vint frapper
Ja pointe du bistouri de manière à en ressentir le choc;
aucune artère ne fut divisée; nous attendimes pendant
quelques minutes et le noyau se présenta près l’ouver-
ture, mais il ne put sortir à cause de la faiblesse de
J'expiration ; alors je cherchai à le saisir avec une pince
et je ne pus yparvenir: nous attendimes encpre quelques
jnstants, mais le noyau ne se présenta plus ; alors
J'explorai le larynx avec une sonde et je ne pus le
rencontrer ; il était: probablement retombé dans la trachée
artère : cette eirconstance augmentait le danger; la
suffocation et Ja faiblesse étaient si grandes que je cras
que celte enfant allait expirer; mais, au moment .où
l'on délibérait sur le parti qu'on prendrait, une isri=
tation que nous dirigeämes dans le nez miît en jeu le
restant des forces de da nature ; la malade fit use
grande inspiration, qui fut immédiatement ssivie
d'une expiration tellement forte et bruyante, que
les lèvres de la plaie s'écartèrent et donnèrent issue à
une écume sanguinolente #t au noyau qui s’échappa
avec une telle précipitation qu’on ne put le voir franchir
l'ouverture ; il alla frapper le plafond, retomba sur la
main d'un élève qui était aux pieds. de l'enfant, ( Ce
noyan appartient à une espèce de prune nommé Cauetshe;
il avait 9 lignes de longueur, 4 et demi de largeur, et
2 lignes et demie d'épaisseur ). À peine ce corps faut-il
sorti, que l'enfant ouvrit les yeux, et voulut artiouler
quelques paroles; mais elle ne le put: je renus la plaie
avec des emplâtres aglutinatifs et un bandage conve-
nable. 11 y eut une toux qui dura quelques jours, et
la plaie fut cicatrisée dans une. quinzaine de jonrss 88
voix , au rapport des parens, n'a éprouvé aucune aktés
ration , ;et elle jouit encore maintenant d’ane parfaite santé,
MÉMOIRES | 489
QUELQUES VUES GÉNÉRALES
$S U_R
LE CANCER:
O. a beaucoup écrit sur le Cancer, et nos connaissances
‘en cette matière sont encore très-bornées; cela tient à
ce que les auteurs se sont en général écartés de la mé-
thode sévère de l’ebservation, hors de laquelle il ne peut
y avoir de vraie médecine, et celte science, quand on
abandonne les faits, comme on la trop fait jusqu'à
présent, pour errer dans le vaste champ des conjectures,
n'offre qu'un assemblage confus de vaines théories et de
préceptes précaires, qui s’évanouissent toujours au lit
du malade. C’est, fondé sur ces principes généraux , que
j'ai l’honueur de présenter à la Société savante de la
ville d'Arras, quelques vues générales sur le Cancer ex-
terne. J'ai pour objet de fixer l'attention sur une différence
à établir entre les diverses espèces de Cancer qui peuvent
affecter les parlies externes, accessibles au bistouri $
différence qui est échappée aux auleurs qui ont traité de
cette affreuse maladie. -
Las bumeurs cancéreuses, fäsant saillie à l'extérieur da
corps ; et ne pénétrant pas dans les cavités, ( car ce
n'est que de celles-ci qu'il s’agit ici), présentent des
différences nombreuses dans leur forme, leur volume,
leur mobilité, l’état de parties environnantes , éfc., eic,
Cependant ; quelques .varide# que soient ces différences ,
on ‘peu les rappprter à deux chefs principaux : 1° ou
i90 MÉMOIRES.
là tumétif” variable pour son volume, est grumelèe,
mamelonnée, - irrégulière à sa surface, de consistance
variable , mais le plus souvent dure, sans offrir d'élas-
ticité notable ; 2.° ou bien; sa forme présente une portion
sphérique plus régulière , sa surface en est très-rarement
interrompue par des brides celluleuses ou fibreuses,
toujours petite et dure , la tumeur est notablement élas-
tique, ce qu’on peut reconnaître par une exploration
attentive. On voit que je ne parle ici que de cette variété
du cancer, que dans ces derniers tems on a appelé du
nom de corps fibreux, dénomination impropre , en ce
qu'elle écarte l'idée d’une dégénérescence terrible, et
qu’elle pourrait imprimer chez un praticien peu instruit
uñe sécurité funeste, dont le malade deviendrait infail-
libleent la victime. C’est sur-tout après l’extirpation
qu’on’ établit d’une manière précise la distinction qui
existe éntre ces tumeurs ; leur structure en effet pré-
sente üne différence notahle que nous allons faire connaître.
Quand'on en a fait la section au moyen d'un bistouri,
on voit qu’elles sont formées d’un assemblage de lames
d'apparence fibreuse , concentriques dans les secondes ,
parallèlement disposées ‘dans les autres; cès lames se
rapprochent , pour leurs propriétés physiques , des couches
superficielles’ des fibro-cartilâges vertébraux ; parmi celles-
ei on en apperçoit de plus minces, d’un‘blanc nacré;
la ténacité du tissu” fôrmé par cette réunion est telle,
que les ‘efforts les plus considérables ne peüvent k° sur-
monter 'que très-difficilement et assez rarement, encore
u’opèrent-ils que des: ruptures partielles et'peu étendues.
Les deux espèces entre lesquelles je veux’ établir une
différence importante, "sou8 le rapport: de? la: certitude
qu’elle peut apporter dans le prognoëtic , "présentent bien,
MÉMOIRES _ 4gk
it est vrai, à peu de choses près, le: même: mode de
structure ; mais la particularité qui les distingue essen-.
tiellement , est que les unes. sont chatonnées, pour ainsi
dire, dans un kiste distinct des parties, au:milfeu des=
quelles il s’est développé: tandis que l'autre étend:auw
loin ses ramifications nombreuses, et envahit ainsi ane
grande quantité de parties saines d’ailleurs. L'art peut ,
au moyen du bistouri, eulever complettement la première
espèce de ces tumeurs cancéreuses, et l’on peut affirmer:
avec certitude , que la récidive ne saurait avoir lieu:
si l’on en excepte le cas possible, et qui ne s’est jamais:
offert à l’observalion, où un nouveau kiste pourrait
croître et se développer dans le point même que le premier
occupait. De-là , l'attention la plus scrupuleuse que doit
mettre le chirurgien à enlever la totalité du kiste, puis-
que la moindre portion laissée dans les parties serait le
germe d’une dégénérescence funeste. Dans le second cas,
au contraire, les racines profondément disséminées que
la tumeur a jettées, la presqu'impossibilité dans laquelle se
trouve l'opérateur de les atteindre, sans des délabremens
considérables , et qui pourraient être suivis des accidens
les plus. graves, ne Ini permettent de rien aflirmer sur
la guérison , et encore moins de fialter le malade qu'il
sera certain désormais d’être exempt d'une récidive fà-
cheuse, sinon funeste.
Ces. considérations générales peuvent s'appliquer aux
tumeurs externes récentes, quelque soil leur siège à
l'extérieur du corps, dans le. tissu cellulaire sous cutané
et même pénétrant dans la profondeur des muscles sous
jacens : je dis des tumeurs récentes, parce qu’'arrivées à
certaine époque de_keur développement , ces tumeurs bien
diférentes dans leur origine, finissent par offrir un aspect
DS
492 MÉMOIRES.
eatitrement semblable. En: effet , la première espèce d'aber®
évidemment distincte des parties circonvoisinies, s'étend
à une époque plus ou moins. éloignée de son développe-
ment, par continuité de substance aux parties circon-=
voisines ; le kiste d’abord fibro-celluleux et quelquefois.
eartilagineux , garantissait les organes du contact de la
dégéntrescence ; mais il finit lui-même par passer à
Vétat cancéreux et éteud de nouveau ses ramifications.
dans son voisinage, la maladie acquiera à cette époque.
use marche plus ou moins rapide: alors, les considérations.
que nous avous préseniées sur la seconde espèce, devien-
nent entièremeut applicables. On voit par-là combien il
importe d'enlever , dès leur origine, ces tumeurs anomales,
sur lesquelles le praticien le plus exercé ne Esus que.
difficilement porter un. jugement fondé. |
Telles sont les vues que nous avions à présenter sur
le cancer des parties externes: Nous. eussions pu grossir
ee travail de la réfutation des nombreuses hypotèses émises
sur la nature encore inconnue de cette terrible maladie
et mieux encore des. considérations aur un moyen de
guérison radicale par l'emploi de remèdes internes, mais
nous attendons que l'observation ait justifié les grandes
espérances que nous avons sonçues de ce moyen , avant
de saumettre notre opinion à la Société savante dont
nous ambitionnons le suffrage. :
Nous espérons que la Commission chargée de l'examen
- de ce Mémoire, en jugera moins sar son étendue que
sur l'utilité des vues qu'il ‘présente et qui sont bien
propres à fixer l'attention .des praticiens.
En notre qualité de correspondant de la Société
d'Arras, nous espérons lui offrir dans quelque tems,
un travail assez étendu sur les tissus morbides, acci-
+
MÉHotnxs _ 493:
éentetement développés dans Re corps de Phiorume , et les
dégénéréscences. des orgaries ; travail auqüel nous as obe
paint encore eu le. loisir de. mettre la dernièré main,
Fait à Paris, le28 Avrila8ige :
E, CARAULYT, DM. S
Membre correspondant.
Lo
4 Monsieur MARTIN, Secrétaire perpétuel de la. Société.
royale d'Arras, pour l'eneouragement des Sciences,.
des Lettres et des Arts.
Monsieur ,
J E crois avoir-troûvé là véritable étymologie. du nom.
de Landrethun, et je m’emypresse de vous adresser cette.
étymologie , en vous briant de voalorr bien la PARLE
à la sanction de Fa Société royale. d'Arras.
J'ai l'honneur d’êtré avec une parfaite considération ;
"Monsieur,
Votre très-humble ét iriéobéiesant serviteur,
| B. H. |
ÉTYMOLOGIE DU NOM DE DDR
Le viHage dé Landretun, Te de Rnbece
département da Pas-de-Calais, tire son rrom du flamand
Landryckingetuyn ; et signifie. la haie, le jardin de
Laridrÿck où Landri, ZLanderici sepes. En ds ») °n
écrivait Landringhetan , Landribgetun. LE
494 _ MÉMOIRES.
_H ne faut pas s'étonner que le nomide ce villagesoit tiré
de la langue flamande , puisque cette langue, au 10. siècle, .
était encore en usage dans le Boulonnais et la Picardie, ;
Landrick, nom personnel, se compose de Land,
pays, terre, et de ryck, riche: riche en terre, grand
terrein. Plusieurs communes de France portent le nom.
de Landri et en tire probablement leur origine : Landri-
champ, ( Landerici eampus ), Landricourt, Landrecourt,,
( Landerici curtis ), Landre ville, ( Landerici villa), ..
Landremont , Ç Landerici mons ), etc.
Tuyn , prononcé tun, signifie haïe, jardin ; les Alle-
mands disent zaun, haie, fes Anglais disent town,
ville, et dans le vieux langage français on disait
thum , maïson. Ce mot qu’on a écrit tu, thun, tum,,
thum ,.ton thon, etc., entre aussi dans la composition
de plusieurs noms de lieux ; l'arrondissement de Boulogne :
seul en renferme plus de vingt: Æ#änctun , (haïe de Ale -
ou Alexis ), Hardingtun , ( haïe de Harde ou Hardouin.), -
Werlingtun, ( haie de Verle ou Pharaïlde ), ete.
Dans ces sortes de composés géographiques, tirés de
la langue flamande, la désinence inghe ou ing qui suit
le nom personnel , marque le génitif. On la retranche
souvent, c'est ainsi qu'on dit Landretun, au lieu de :
Londryckinghetuyn ; Landringtun , (haie de Landri };
Guiptun, au lieu de : Maé dé Si de Eubbe ou
Jacob }), etc.
Habitans de Landretun, que la mémoire de Landri
vous soit chère; conservez religieusement le souvenir.
de ce.Patriarche: qui a bâti vos premières habitations, :
de cet'ancien chef de famille dont vous êtes les descen--
dans. Les: villes Grecques déféraient, les honneurs divins.
à leurs fondateurs, et leur consacraient | des: FAP
des statues et des fêtes.
| MÉMOIRES. 495
MÉMOIRE
SUR
LES MOYENS D’EMPÊCHER L'EAU |
DE SX CORROMPRE |
A BORD DES VAISSEAUX,
| | DANS |
ÎLES NAVIGATIONS DE LONGS COURS;
ET PRINCIPALEMENT
sous LA CHALEUR DES TROPIQUES;
‘Pan JL I PÉRINET,
Æx-Professeur de lH6pital militaire d'instruction de Paris ;
| Pharmacien, |
MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ D’ARRAS,
O. sait que rien n'est plus rebutant et même plus
pernicieux à la santé des Marins que l'usage des Eaux
corrompues dans les futailles, et qu’on est obligé de
boire, dans le cours des longs voyages, surtout en haute-
mer. L’eau en apparence la plus pure, embarquée dans
les barriques les mieux nettoyées, acquiert en fort peu
de tems, à fond de cale, une odeur fétide d’eau croupie,
et ne tarde pas à se remplir d’animalcules dégoutans,
outre l’affreux déboire que lui communiquent les gaz
hydrogène carbonné et sulfuré (le gaz des Marins),
qui se développent dans le sein de ce liquide. I n’est
pas douteux que cette boisson insalübre devienne la source
d'une foule de maladiés, comme l'ont reconnu Eind,
496. MÉMOIRES.
Poissormiiér , Desperrières et plusieurs autres. Médecins.
des Armées navales, en France et en. Angleterre.
L'on a cherché depuis long-fems à rendre. potables les
eaux embarquées, parce qü’on h’a pas la facilité de faire
l'aigrade , ou de prendré de mouvelles eaux à volonté ..
surtout sous la ligne, où l’eau embarquée se corrompt.
en très-peu de jours à cause de-la chaleur. |
Les moyens proposé pour attendre. ce But sont,
d’abord , l’agitation, à l’aïr libre ; de l’eau dans de grands
baquets pour faire dissiper ; à l’aide de cette manipu-
Jation, les gaz fétides et l’odeur d’eau croupie que l’eau
a contractés. Mais , outre que ce moyen n'est pas tou-
jours praticable , par exemple dans les gros tems et le
roulis du vaisseau, à cause des. versemens fréquens, il
est peu utile, en ce qu’il trouble l’eau, y mélange ses.
Œpôts terreux, la rend ainsi fort désagréable à boire, et
de plus, les animalcules contenus dans cette eau ne
sont point détraits ow emipêchés par cette agifalion.
Le second moyen, proposé dès 1745, par M. Lamy,
et pratiqué depuis avec une sorte d'atilité, est la Rtration
à travers la poudre de charbon : méthode usitée ensuite
avec succés par Îles sieurs Smitlr,, Cuchet, Ducommus,
etc., pour l’épuration des eaux de la Seine. Mais ee:
procédé a de grands inconvénients en mer ; d'abord la lon-
gneur du tems de la filtration ne permet pas d’abreuver
tout l'équipage d’un vaisseau de haut-bord, composé
de 4 à 5oo hommes et même plus. Dans de moindres.
bâtimens , il y a pareillement de l'inconvénient; Les filtres:
se renversent ou sont dérangés, brisés à chaque instant ;:
par l’asgilation du vaisseau. Enfin les eaux filtrées, quoi-
que pures, ne contiennent pas l'air qui les rend vivess
légères, potables:; elles. sont pesantes , fades, à moin
MÉMOIRES. 497
qu'on ne les agile à l'air, ce = redouble fes manipu-
lations et Pembarras.
La distillation dés eaux de la mer, à bord des bâtimens ,
conseillée par M. Poissonnier , a offert beaucoup de dif=
ficultés ; ce procédé, joint à ce qu’il ne fournit que de
mauvaise eau, nécessite an approvisionnement trop
- considérable de combustibles pour que lon puisse l'adopter.
Quant à ceux qui prôposaient de verser une certaine
quantité d’acide sulfurique dans Îles eaux corrompues ,
- afin de tuer les animalcules et de dissiper, en agitant
ensuite, les gaz fétides, ce moyen serait tout au plus
convenable pour faire une limonade, en ajoutant du
sucre ; mais quand il s’agit de faire cuire des chairs où
des légumes avec cette eau acidulée, on obtient des
résultats foxt incompatibles avec une bonne nourriture ’
telle que doit l'avoir le Marin.
L’ébullition de Peau serait assez avantageuse pour tnér
les animalcules ét dissiper les gaz fétides ; aussi l'usage
du thé pour boisson ; sur les bâtimens Anglais, se répand,
et l’on a cru en remarquer lutilité. Cependant , it paraît
fort désagréable dans les climats chauds, comme sous
la Égne, d’être obligé de boïre ane eau chauffée ét qui
toujours fade par elle-même, débilite encore l’estomae.
La carbonisation intérreure des futaïlles ; destinées à
conserver l’eau embarquée pour les trajets de longs cours,
a été très-recommandée par un savant Chimiste, M. le
Comte Bertholet ; et le Capitaine russe Krusenstern ,
annonça en avoir fait une lieureuse épreuve dans sa na-
vigation autour du Monde. Il faut pourtant que ce moyen
n'ait pas présenté tous les avantages que l’on desire,
puisqu'on n’en a point généralement adopté l’usage ; en
effet, la portion de l’eau qui touche ou avoisine les parois
498 MÉMOIRES.
des futailles earbonisées pourra bien se conserver assez
pure ; mais le milieu de ce liquide, dans les. barriques
pleines, ne sera pas à Pabri de se corrompre, comme:
semblent l'indiquer les. expériences tentées à ce sujet.
Ayant donc réfléchi sur ces difficultés , j'ai pensé qu’une
substance qui serait admise dans l’eau , et qui . sans altérer
celle-ci, aurait la propriété d’empécher la naissance des
animalcules et le développement des gaz fétides, remplirait
parfaitement le but de conserver les eaux saines , potables,
dans les vaisseaux et les longues navigations, même sous
les tropiques.
Diverses proportions de charbon en “pondre, de quel-
ques oxides métalliques, ayant été tentées. à plusieurs
reprises, ne m'ont offert d’abord aucun résultat avanta-
geux, sur onze essais; ces eaux, après quelque tems,
développaient, même dans les futailles les plus conve-
nablement préparées , divers gaz fétides, tels que l'hy-
drogène carbonné et sulfuré; en outre, elles étaient
troubles, et, ni le tems, ni la variété des mélanges,
ne les a pu rendre potables.
Mais enfin, le procédé qui m’a complètement réussi
est le suivant, que j'ai l'honneur de présenter, comme
intéressant essentiellement les gens de mer, et pouvant
s'appliquer à beaucoup d’autres circonstances aussi , pour
la salubrité des eaux qui servent à la boisson des troupes
de terre en divérs cantonnemens.
Le 1.‘ août 1807, j'ai fait placer des pièces vides,
de Bourgogne, de la capacité d'environ 250 litres, sur
des chantiers, Îles unes à la cave , les autres dans un
local plus exposé à la température chaude de l'été. Ayant
fait remplir de l’eau d’an puits’ les diverses barriques,
bien nettes en dedans, j'ai introduit par la bonde, dans
MÉMOIRES. : 499
‘chacune, un kilogramme et demi d’oxide noir de Mau-
ganèse en poudre. J'ai bien agité le tout, à l’aide d’un
bâton, afin de ‘diviser ke plus qu'il était possible dans
l'eau, cet oxide qui est fort pesant: j'ai recouvert la
bonde d’un fort bouchon de papier.
Tous les quinze jours, j'avais la précaution de bien
faire agiter et troubler de nouveau cette eau , pendant
quelques minutes, et j'examinais chaque fois, par le
goût, l’odorat, la vue, quel était son état.
Ayant conservé, jusqu’en janvier 1814, cette même
eau , dans les diverses futailles , sans avoir jamais re-
marqué de changement; mais l'ayant, au contraire,
constamment trouvée claire , inodore , incolore, limpide et
de bonne qualité, comme celle du puits d’où elle pro-
venait, je me suis assuré que ce moyen était frès-propre
à prévenir toute corruption de l'eau à bord des vaisseaux.
Ce procédé est très-facile et très-peu dispendieux ; il
ne présente aucun inconvénient, et il est très-aisé d'en
vérifier les résultats. |
500 MÉMOIRES,
RUN Rue
| ÉPITRE |
A M. LORGNIER , AD5OINT À LA MAIRIE DE BOULOGNE,
sUuR
LE BREV£T L'INVENTION
. | RV’I1L A OBTENY
POUR FAIRE DES TUILES A COULISSE.
Enote de Rumford, toi qui pour la patrie
Prodigaes les trésors d’une heureuse industrie:
Savant, doux et modeste, ami eher à mon cœur,
Combien me réjouit un succès si flatteur! |
À tes nobles travaux la carrière est ouverte ç
La loi sows son égide a mis ta découverte :
Tenant gun Moniteur, la Déesse aux cent voix
Prend déjà son essor et plane sur les toits ;
Elle apprend la façon dont tu pétis l'argile.
Oh! si j'avais ce don que possédait Delille
Quand sa Muse, propice aux travaux des moissons ,
Dictait en vers pompeux de modestes lecons,
Je dirais par quel art sur la simple charpente,
Se rattache et se joint la tuile obéissante,
Et par quelle échancrure unie étroitement,
Elle offre un mur d’airain sans cloux et sans ciment:
Je préfère la tuile À l’ardoise azurée :
Elle résiste mieux au souffle de Borée ;
Et quand gronde l'orage, aux vœux du voyageur
Elle promet la paix, l’aisance et le bonheur.
Si l’orgueilleux Palais veut l’ardoise fragile ,
Si du pauvre le chaume abrite l’humble azile ;
MÉMOIRES. 501
Vous qu’un sort fortané place également loin
Au-dessous de Tenvie., au-dessus du besoin, .
- Dont les toits sont en but aux coups de la tepapête ;
La tuile est destinée à couvrir votre tête,
À protéger vos bœufs, vas chevaux, vos brebis
Et vos riches greniers pleins de l'or des épis.
Cher Lorgnier, sur les monts, séjour des noirs orages,
Au bord de l'océan et dans les lieux sauvages ;.
Où l’aguilon fougueux ébrante les maisens,
On bénira les fraits de tes combinaisons.
Ton brevet à la gloire est un titre durable ; .
Quelque jour on dira : ce fut un sage aimable,
Né sur les bords de Liane, aimé de son pays,
Qui, d'abord pour lui même et pour quelques amis,
Inventa cette tuile aujourd’hui si commune,
Et lui donna son npm, ses soins et sa fortune.
Le B. D'ORDRE,
Inspecteur des Forêts ; Membre ide tte
de la Société d’ Arras.
AAA AAA AAA VAR IP AARRAARAARAIN AR RAARAAANS
VIEILLE CHRONIQUE.
er damoisel du plas noble lignage,
Aimait Jseult, et laimait sans espoir;
Le vieax Raymond, au cœur sombre et ripiaEe,
La retenait dans son triste manoir.
Raymond perdit une épouse fidèle,
Bien jeune encor, par un trépas affreux,
Et depuis lors chaque instant lui rappelle,
Le souvenir de ce jour malheureux. |
5o2 MÉMorReés.
Dans son domaine il vivait solitaire:
_ Comme autrefois plus n’y tenait de cour. |
Et se livrant à 6a douleur amère, |
Point ‘ne voyait les Seigneurs d’alentour.
Advint qu'un soir errant à l'aventure,
Raymond peñsif promenait son ennui ;
Lorsqu’au détour de la forêt obscure,
Soldats felons se jettèrent: sur’ lui. à
En vain Raymond rappelle sa vaillance :
Il cède au nombre et tombe en combattant ;
Quand tout-à-coup un Chevalier s’élance,
Et pres de lui se place au même instant.
Des ennemis qu'étonne son audace,
Le cœur soudain est saisi de terreur.
Et lâchement abandonnant la place,
Ïls ont laissé le Chevalier vainqueur.
Noble guerriér qui, par tant de courage,
M'avez sauvé de ce pressant danger,
Je suis Raymond, Seigneur de haut parage,
Dans mon Château daignez venir loger.
J'accepte l'offre avec reconnaissance,
Dit l'inconnu , marchons sans différer ;
Vous le voyez, déjà la nuit s’avance,
. De par ces bois je pourrais m’égarer.
Or, ce guerrier si courtois et si brave,
C'était Ulric, le gentil damoisel,
Qui de l'amour étant toujours esclave,
Errait le soir à l’entour du Castel.
En arrivant au séjour de sa mie,
Son cœur battit : le conçois aisément !
Et par ne sais quelle aimable magie,
Le cœur d’Iseult tressaillit mêémement.
MÉMOIRES. 503
Elle accourut au-devant de son père, .
Dans la grand'salle où l’on se. rassemblait,
Jà lPon dressait la table hospitalière,
Et le foyer en brûlant pétillait. .
Là, se voyaient suspendus aux murailles ;
Portraits d’ayeux par le tems effacés ; |
Et granls tableaux de tournois et batailles,
Qui rappellaient hauts faits des, jours passés.
De ces débris, vieux titres de noblesse,
Le damoisel cependant ne voit rien;
Un autre objet l’occupe et dl'intéresse ;
IL voit Iseult , et cela les vaut bien. |
Alors Raymond au chevalier s'adresse :
Déjà je sais quelle est votre valeur;
Pourrai-je encore, sans que cela vous blesse,
Savoir le nom de mon libérateur?
— Je suis Ulric, Seigneur du voisinage,
Et des combats récemment revenu.
— C'en est assez, je sais votre lignage,
Et votre nom dès long-tems m'est connu:
C'est votre bras qui m'a sauvé la vie;
D'un tel service : il convient s'acquitter.
N'ai qu’un seul bien qui puisse faire envie,
Me sera doux de le voir accepter.
Iseult est jeune, elle est belle, elle est sage;
C'est le seul prix qui soit digne de vous.
Si votre cœur n’est pas en doux servage,
Seigneur Ulric, devenez son époux.
‘Du preux alors figurez - vous l'ivresse!
En se livrant à ses transports joyeux,
Il tombe aux pieds de sa belle maîtresse ;
Et son amour brille tout dans ses yeux.
Tome I, 11, Liv. 33
M£morïrnrezs. ;
Iseutt rougit, et répand quelques Tarmes
Que font couler la pudeur et l'amour.
Son embarras relève encor ses charmes,
Jamais ne fut tant belle qu’en ce jour.
Le vieux Raymond en voyant leur tendresse ;
De ses chagrins perdit le souvenir ;
Contre son sein, doucement il les presse...,
Ul'entrevoit un riant avenir,
Le lendemain, quand vient l’aube no .
Les deux amans au comble de leurs vœux,
Par l’Aumônier , dans l'antique chapelle,
Furent unis; que ce jour fut heureux!
Auguste COT, Membre résident.
| MÉMOIRES. 503
NOTICE (à)
SUR LES MALADIES
QUI PEUVENT SE DÉVELOPPER
PARMI LES BESTIAUX,
Soit durant les chaleurs et la sécheresse, soit dans le cours
des automnes pluvieux et froids.
Par M. HURTREL D'ARBOVAL, Membre correspondant.
a
Nov touchons à l’époque où, l’année dernière , les
chaleurs et la sécheresse, qui ont trop longtems duré,
ont fait naître dans plusieurs départemens, parmi les
bestiaux , des maladies dont les intérêts des propriétaires
ont plus ou moins souffert selon les localités, et dont
il n'importe pas moins cette année que la précédente,
de prévenir le développement ou les suites.
Ce sont sur-tout les chevaux que ces maladies ont
frappés. Les plus maltraités ont été, tant ceux nourris
eu grain et assujettis avec trop de continuité à des
courses fréquentes et fort rapides, comme aux relais
des postes et des messageries, que ceux des exploitations
rurales qui ont manqué d’eau et de nourriture verte,
et qui, durant leur continuel travail dans les champs,
ont constamment été exposésaux rayons d’un soleil brûlant.
(r) Cette notice se trouve en brochure , chez Mad. HuzARD,
Imprimeur-Libraire , rue de V’Éperon 5 0° 75 à Paris, et chez
M. Lznoï-BrRGER , à Boulogne-sur-mer ; prix 75 centimes,
506 MÉMOIRES,
. Les excès ou les vicissitudes de la température atmos
phérique sont de tous les tems. Depuis un certain nombre
d'années , le comméncement du prinptems est encore
l'hiver, l'été se projefte inidéfiniment dans l’automne, et
l'automne pénètre encore plus avant dans l'hiver: un
même jour offre quelquefois de la glace, une chaleur
intense et de la pluie. L'année 1818 sera toujouvs remar-
quable par la longue sécheresse .et la haute température
de son été, par l'abondance de ses récoltes, et par son
automne, qui fut d’une douceur peu commune. Dès le
26 mai, le thermomètre de Réaumur marquait 17 degrés
et quelques digièmes au-dessus de zéro, par un vent
. d'est. Cette température s’est accrue en juin et juillet:
le thermomètre est monté au-dessus de 25 degrés le 12
_ juin, et au-dessus de 27.le 24 juillet. Cette chaleur
s’est soutenue, sans eau pour ainsi dire, de 16 à ‘26
degrés et plus en août; elle ne s’est que peu calmée
en septembre, et le mois d'octobre a été si doux qu’on
y à encore remarqué une température de 17 degrés
( le 13 octobre. ) Du 18 mai au 24 septembre, ïül
n'a pas fait de pluie à tremper; il n’y a eu que trois
orages, qui n’ont donné que peu d'eau: les vents Îes
plus secs, ceux qui tournent du. nord - ouest à l’est,
ont presque constamment soufflé, et souvent avec force.
. Aussi la sécheresse devint - elle bientôt excessive et
générale. Les sources se tarirent de toutes parts : le lit
même des grands fleuves s’abaissa, des étangs salés se
cristallisèrent spontanément; les feuilles d'arbres se fé
trirent, les plantes perdirent leur éclat, les prairies et
les vergers se desséchèrent, les jardins demeurèrent sans
verdure. | nn |
Les animaux vivent d'une manière trop intime avec
MÉMorREs. So
Pair qu'il respirent pour ne pas se ressentir du mode
atmosphérique qu’on: vient de signaler. C’est à la suite
des étés très-chauds de 1793, de 1800 et de 1807, que
se sont maniféstées des épizooties fort désastreuses dans
presque toute l’Europe méridionale, mais- plus particü-
lièrement en France. L’épizootie contagieuse que j'ai été
chargé de combattre en 28:16 est devenue plus meurtrière-
à mesure que la saison. est devenue plus chaude. Les
maladies, qui sont l’objet dé cet.écrit, ne sont pas-
heureusement de nature épizootique, ni même conta-
gieuse ; elles n’en ont pas moins, l’année dernière, exercé
assez de ravages là où elles se. sont déclarées, pour
appeller l'attention de S.-Exc. le Ministre de l’intérieur.
Son Excellence avait d'abord pensé à faire rédiger et
publier une instruction sur ce qui les concerne, ainsi
que cela a eu lieu à la suite de l'humidité qui a régné
en 18:16 et 1817 ; mais elle a craint que cette instruction
ne contint pas l'indication de tous les moyens préservatifs
appropriés aux différentes localités, et elle s’est bornée:
à inviter MM. les Préfets À faire rédiger eb répandre,
dans leurs départemens respectifs, une. notice sur Îles
moyens à employer par les cultivateurs et propriétaires
pour préserver leurs animaux domestiques des accidens
que pourraient leur occasionner la constitution .sèche.
et brülante de lPatmosphère, la disette d’eau salubre.
la qualité ou le défaut de fourrages, etc.
Jci je réitère mes remercimens à M. le Préfet du
département du Pas-de-Calais, de n’avoir pas trop présumé
de mon zèle pour le bien public, en me chargeant de la
rédaction de cette notice. Jaloux plus que personne de
remplir cette tâche aussi convenablement que mes forces
me le permettent, j'ai lespérance d’avoir à cet égard
508 MÉMOIRES.
rempli les intentions du premier magistrat de ce dépar:=
lement, et répondu autant qu’il est en moi aux vues:
d'utilité générale de son Exc. le Ministre de l’intérieur.
Trois éditions de cet éerit en moins de trois mois, l’em-
pressement que les journaux les plus justement estimés.
en agriculture (1) ont mis à l’insérer dans leurs recueils,
me donnent la couñance d’avoir élé assez heureux en
celte occasion pour rendre quelque service à l'économie
rurale ; c’est la plus douce récompense 1e je puisse
ambitionner.
Je croyais bien ne plus devoir m'occuper de cette-
production du moment, qui devait, selon ce que j'en.
pensais, paraître et s’oublier avec la circonstance qui.
l'avait fait naître ; mais la constitution atmosphérique de
l'année 1819 (2) se présentant avec les probabilités d’une.
certaine analogie avec celle de l’année précédente, si j'ai
EE
« (1) Bibliothèque phisyco-économique , instructive et amusante,
16° année de souscr'ption,. 2° de la nouvelle rédaction, n«
de novembre 18.8.
_#nnales de P Agriculture. française, 2 SE toms 3.
Mémoires de la Société Royale d’Arras, pour Pencouragement
des sciences, des lettres et des. arts., tome 1.%, 2.° livraison.
Le cours d’Agriculiure pratique, ou Pagronome français ,
dirigé par M. le baron Rougier da la Bergerie, n’avoit pas
encore paru. alors,
La Société Royale et centrale d'Agriculture a fait une
mention particulière de cette notice dans le rapport sur ses.
travaux pendant l’année 1818, lu à ka séance publique du 18.
avril 18r9, imprimé ensuite, et inséré dans le 21e volume
de Ja collection de ses mémoires,
: (23) Le printems ‘s'est annoricé dès le mois de février, qui
stest passé avec des elterpaiives de pluie et de beau tems;
lé vent d’ouest a dominé; Le mois de mars a offert de beaux
—
MÉMOIRES. 6og
pu faire quelque-bien la première fois , pourquoi n’essaie-
rais-je pas d’en produire un plus ne aujourd’hui ? Je
dis un plus grand, car ce n’est qu’au mois de septembre
que M. le Préfet de ce. département m'a demandé une
instruction, et, quoiqu’elle eût été écrite et imprimée
de suite, elle n’en a pas moins paru que lorsqu’une
grande partie du mal qu’elle était destinée à prévenir ou
à arrêter était déjà faite. Il n’en sera pas de même cette
fois ; j'espère pouvoir offrir le remède avant le mal.
Mais ce travail serait incomplet s’il se. réduisait à des.
conseils uniquement salutaires, lorsque la chaleur est
grande et la sécheresse très-longue. À la fin de l'été, aux
approches de l’automne, la températuré octine
est exposée à changer et à devenir opposée peut-être à
celle qui a précédé : c’est ce que dès le premier moment
. il ma paru important de prévoir. En conséquence, j'ai
pensé que, sans me renfermer strictement dans les
jours alternés avec de petites pluies; le commencement d’avril
a présagé un printems sec et chaud; dès le 8, le thermomètre
de Réäumur marquait 16 degrés au-dessus de #2éro, par un
Yent de nord-nord-est; du "7 au 10, on a remarqué une
chaleur du mois de juin; le 3 mai la chaleur était de r9
degrés 6 dixièmes , vent d’est-sud-est : elle s’est sautenue de
13 à 18 degrés, le vent variant du nord-ouest au sud-est,
en possant par le nord. Depuis le 25 avril jusqu’au petit
orage du 19 mai, il n’a pas plu; et depuis les petites pluies
de mars jusqu’au 25 avril, l’eau a été fort rare. L’hygromètre
‘est descendu, en avril et en maï, à l'extrême degré de
‘sécheresse. Les quelques jours froids quil ont} succédé aux
orages et qui ont terminé les mois d’avril et de mai, ne se
sont-pas soutenus; dès le deux ÿuin, présent mois, la chaleur
est déjà de 18 degrés 5 dixièmes , et parait disposée à angmenter«
510 ‘MÉMOIRES.
documéns qui m'étaïent alors demandés, je devais voi
plus loin ,'et m'occuper 'en outre des nouvelles indications.
qu’il pourrait y avoir à remplir à l’époque du changement
prévu de la témpé:ature. Je dois aujourd’hui étendre encore.
- ma prévoyance. Lors de la première impression , il était
sans doute trop tard, comme je l'ai dit, de vouloir pré-
venir des maladies qui existaient déjà. Il n’en est pas de
même cette fois : à l’époque actuelle de la saison, aucune
de ces maladies ne s'étant mauifestée, il devient utile eb
nécessaire d'indiquer les moyens préservatifs propres à.
en empêcher le développement. Ayant eu plus de tems,
écrivant avec moins de précipitation , fort d'ailleurs de
l'expérience de l'année dernière, j’ai pu soigner davantage
l’ensemble et laisser moins à désirer, Je m'estimerais
très-heureux que mon travail püt faire quelque bien de
plus; il n’en produira jamais autant que je le désire,
J'aurais pu augmenter cette notice de l’histoire de
plusieurs faits el de d'vcloppemens qui eussent pu ne pas
être sans intérêt pour la science vétérinaire; mais, pour
ne pas trop sortir du cadre. qui m’a d'abord été tracé et
ne pas effrayer les cultivateurs par une trop longue lec-
ture, j'ai (âché de me resserrer dans les plus étroites
Jimites possibles : d’ailleurs, on ne. perd. pas toujours à
présenter les choses d’une manière succinte; elles n’en
sont souvent que davantage à la portée du plus grand
nombre. L’on peut compter que tes moyens. dont j'offre
l'exposition sont simples, et tels que fes habitans des
campagnes puissent facilement les employer s’ils le veulent
bien, excepté dans quelques cas particuliers où les [u-
mières et les connaissances d’un vétérinaire deviennent
indispensables. À la tête de ces moyens, je place les
acides, et j'en recommande spécialement l’emploi: il
MÉMOIRES 5rx
serait à désirer que le vinaigre fût moins cher; il est dans
les mains et à la portée de tout le monde ; mais on peut
y suppléer par les acides minéraux, dont le prix est bien
moins élevé. Cependant , ces derniers acides ne doivent
pas être mis indistinctement dans les mains de tous:
c'est une excellente ressource dans les circonstances qui
occupent en ce moment notre attention ; mais la pré-
paration et l'emploi doivent en être dirigés par les hommes
de l’art, ou par les propriétaires instruits. Au surplus, je
reviendrai sur cet article dans le cours de cette notice,
Les probabilités déduites des : observations météorolo=
giques étant que, cette année, la sécheresse sera constante
et la température très-élevée,. ne perdons .pas le fruit
dont l’année dernière. nous a donné l'expérience : puis-
que les mêmes causes amènent naturellement les mêmes
effets, tenons-nous prudemment en garde.contre les
maladies que nous avons eu à combattre l’été dernier.
La sécheresse opiniâtre, les longues et fortes chaleurs
de 1818, ont déterminé, chez les animaux comme chez
l'homme, d’abord un état d’excitation , puis une dimi-
-nution de forces et des sueurs abondantes. La période
d’affaiblissement a été si prononcée sur plusieurs, de nos
animaux ruminäns, dont la fibre est en général plus
: molle et les tissus moins serrés, qu’ils sont tombés dans
“un état de langueur et de prostration tel, qu’insensibles
à la voix, à la main, et même au fouet, ils refusaient
de se relever ou de se mettre en mouvement, faute de
forces pour. se remuer. Quelques-uns d’entr'eux ont été
dégoûtés de manger ; tous ont eu le pouls plus ou moins
-mou , proportionnellement à leur état d’épuisement. L'on
n'a remarqué cet accident que sur les hauteurs sèches
et arides, et par-tout où les herbages et les eaux ont
S12 _. MÉmorrexs
été dévorés par la chaleur et la sécheresse, L’on a encore
eu lieu de remarquer d’autres accidents sous la consti-
tution atmosphérique qui nous occupe, comme des
ophthalmies et des accès de fluxion périodiques évidemment
dus à l'éclat d’nne ardente lumière et. à l’action dessé-
chante de l'air trop constamment sec sur la cenjonctive ,
et en outre quelques coups de sang, une sorte de fièvre
bilieuse accompagnée de catarrhe et de vertiges sympto-
matiques, et quelques maladies aiguës dont la marche.
a été fort rapide, et qui ont offert, au moment de leur
invasion, un appareil menaçant de symptômes graves,
:: L'on ne peut attribuer ces affections maladives à la
disette ni à la mauvaise qualité des. alimens secs; à
quelques faibles exceptions près, les fourrages et les
grains ont été en 18:18. fort abondants, sains et bien
récoltés : seulement on les a employés trop nouveaux;
on les a fait consommer avant qu'ils aient ce qu’on
appelle vulgairement jeté leur feu. Lorsque l'on à fait
usage des substances soit herbacées , soit céréales, immé-
diatement après teur récolte, ce n’est pas la première
fois qu’elles .ont produit des effets dangereux sur l’éco-
nomie animale : ïl en est très-souvent résulté des maladies
fort fâcheuses. Au moment de mettre au vert, les nour-
ritures composées de grains ont manqué; bientôt les
herbages se sont trouvés desséchés par l’ardeur du soleil ;
les besliaux n’y ont plus trouvé de quoi s’alimenter
convenablement. En outre, les sources ont été fort basses .
et les eaux très-rares: celles des mares et toutes celles
stagnantes se sont trouvées ou épuisées ou corrompues,
et dans tous les cas n’ont pu offrir aux animaux qu’une
boisson malsaine, répugnante et insuffisante pour les
désaltérer ; leurs déperditions ont été grandes et n’ont
pu être réparées. |
MÉMOIRES. 919
‘Une autre cause au-dessus du pouvoir de l’homme,
et qui seule peut sufhire pour développer des maladies ‘
dans les tems chauds, c’est l’avidité que l'air sec et chaud
a pour l’eau, circonstance qui tend à dépouiller les sur-
faces vivantes de leur humidité, et à causer sur elles
une sorte d'irritation qui se propage par sympathie à tous
les appareils organiques du. corps. De là la marche rapide
des maladies, et le caractère inflammatoire qu'elles
affectent dans leur commencement.
La débilité observée sur les bestiaux , et particulière
ment sur les bêtes à cornes et à laine, tenait à l'état
des propriétés vitales , lesquelles , exaltées en premier lieu
par l'effet d’une température très-haute et très-sèche, se
sont ensuite trouvées diminuées, sans que la santé en
soit compromise autrement que par les suites nécessaires
d'un affaiblissement général. L’indication à remplir en
pareil'cas est de ramener l’économie au degré de ton
nécessaire au libre accomplissement des fonctions -de la
vie, et c'est par un régime convenable qu'il faut cher-
cher à réparer les forces. Si, pendant le sommeil de
celles-ci , l’on se trouve dans la position de recourir à
quelques moyens thérapeutiques , l’on préférera les amera
et les préparations ferrugineuses, avec le soin d'éviter
toute excitation vive, et de ne produire qu’une action
lente, graduée et soutenue. Plus la débilité sera portée
loin , -plus il faudra agir d’abord avec lenteur , sauf à
s'élever à mesure que les forces elles-mêmes se relèveront.
L'ophthalmie , ou l’inflammation de la conjonctive, se
. termine ordinairement dans un certain délai par résolution,
à moins qu’on ne néglige, et sur-tout dans le principe,
le traitement indiqué. La saignée , lorsque la maladie
débute avec violence ou que le sujet est pléthorique ;,
514 MÉMOTRES.
les fomentations émollientes et calmantes sur la partie
malade , au besoin les. cataplasmes de même nature , et,
au moment où l’inflammation commence à s’appaiser ,
les collyres avec l’eau de rose et l’acétate de plomb liquide
ou cristallisé ( extrait ou sel de saturne }-ou autre.analo-
gue, voilà en somme en quoi consiste le traitement. Il
convient aussi de tenir l'animal à la diète, et.de garantir
l'œil malade du contact de la lumière et de l'air.
I doit en être de même à l'égard du traitement des
accès de la fluxion périodique.
Les coups de sang frappent les animaux comme d’un
coup de foudre, soit à l'écurie, soit aux herbages, aux
champs, ou au travail ; ils tombent tout à coup.sans
sentiment, sans autre mouvement que le battement des
flancs, et meurent promptement , souvent même sans
qu’on ait le tems de leur porter secours. .Il est néanmoins
quelques signes précurseurs de. cette. maladie . funeste ,
mais presque toujours ils sont négligés ou méconnus. Au
surplus, Îles limites. qui me sont ici tracées ne .me per-
mettent aucun autre détail à ce sujet. |
= Lorsque l’on peut arriver à tems, la première chose
à faire dans le cas de coup de sang, c’est de pratiquer
la saignée, et, si l’on ne peut la faire soi-même, de se
hâter de tirer du sang de la langue. ou du lampas , en
attendant qu’on puisse avoir Je maréchal : si l'animal
en revient , l’on aura recours à la diète , aux boissons
abondantes et délayantes d’eau blanche légèrement aci-
dulée, et ensuite, selon l'exigence des cas, aux sétons ,
aux vésicatoires et aux purgatifs.
Quant à l'affection bilieuse compliquée, dontil a été
parlé plus haut , elle se caractérise par divers symptômes,
dont voici les principaux.
MÉMOIRES. 515
Dà premier au quatrième jour: pouls d’abord vif, puis
petit, accéléré ; assoupissement , tête pesante, tombante,
ou appuyée dans la mangeoire; yeux éteints, vue altérée,
obscurcie , quelqnefo. nulle; bouche pâteuse, pleine de
bave visqueuse, membrane buccale jaune, langue chargée
et d'un rouge vif sur le bout; pituitaire et eonjonctive:
jaunètres ; dégoût , tristesse, abattement, roideur, mou-
vemens lents, marche difficile et chancelante ; urines
rares, jaunes, huileuses, fétides; constipation, . peau:
sèche , insensibilite. :
Quatrième jour: pouls moins vif, toujours. accéléré
et petit;- enduit jaunâtre sur la langue, engorgement
des amygdales, respiration laborieuse et bruyante, flux
jaunâtre, épais et fétides par les naseaux. |
- Cinquième jour: continuation de l’écoulement nasal,
augmentation des symptômes, grincement de dents,
remuement de la mâchoire, mouvemens : convulsifs des
muscles de la face, yeux Hixes, troubles : l’animal saisit
avidement les.alimens ou la litiére, les retient plus ou
moins de tems-entre les dents et ne les mange point ;
H saisit quelquefois la mangeoire comme s’il Le LÀ
il a de fortes palpitations.
Du sixième ‘au neuvième jour: état stationnaire de
la maladie ; pouls -lent , faible, profond, quelquefois rare;
diminution de la constipation, continuation du flux nasal,
toux, engorgement des extrémités. | |
Du neuvième au douzième jour : crasse .écailleuse sur
la peau, urines abondantes, transpiration fétide , liberté
du ventre, retour de l'appétit, guérison.
Si la maladie prend une marche fâcheuse, la progres-
sion des symptômes va toujours croissant ; et, à dater
du cinquième jour, elle présage un terminaison fatale,
516 MÉMOTRES.
Le flux nasal se supprime, l’action de se mouvoir et
de marcher devient presque impossible ; l'animal tombe
au lieu de sé coucher et ne se relève: plus,
Voici le traitement applicable à cet affection compliquée,
La première chose à faire, c’est de se bâter d'abaisser
la témpérature du local , si c'est sa trop forte élévation
qui a causé la maladie. Pour cela, l’on placera le malade
dans une écurie convenablement aérée, fraîche sans être
froïde, évitant celles dans lesquelles ïl faut descendre
pour y entrer, dont l'atmosphère ressemble à l’atmos-
phère d’une cave. Si l’on n’a qu’une écurie chaude, et
que l’on ne puisse pas absolument s’en procurer d'autre,
il faut prendre le soin d'en arroser fréquemment le
sol et les murs avec de l’eau froide.
Lorsqu'au début de la maladie il y a diathèse
inflammatoire, une légère saignée , des bains de vapeurs
émollientes sous le nez et sous le ventre , conviennent
dans le principe. Cependant, la saignée n'étant réellement
indiquée que dans un petit nombre de cas difficiles à
reconnaître par Îles personnes qui ne sont pas versées
dans l’art vétérinaire, j'engage les ‘cultivateurs à ne
point la pratiquer sans lavis d’un honime de l'art.
Da reste, les lavemens émolliens doivent être prodigués,
de même que les tisanes apéritives et diurétiques,
telles que celles de chardon-roland ( panicant des
champs, LINN. ), par exemple, auxquelles on ajoute
un peu de sel de nitre, et, si l’irritation est prononcée,
des feuilles de laitue ou autre adoucissant ; quelquefois
même, selon l’occurrence, des feuilles ou des têtes de
pavots; toutefois, il faut être fort circonspect sur l'emploi
des narcotiques. L'on fera marcher de front les sétons
au poitrail et aux fesses, et on les animera avec un
MÉMOIRES. Sir
peu d’ellébore en poudre s'ils tardent à donner, ou si
Rur action est languïssante. H est fort à regretter que
dans cette circonstance les malades se refusent à boire
d'eux - mêmes; beaucoup d’eau blanche acidulée leur
ferait grand bien ; néanmoins, il faut autant que possible
éviter de Les tourmenter en leur administrant des breu=
vages ; et même pour les individus qui se débattent
trop en les prenant, et sur-tout pour les bêtes à laine
qu'il est si facile de suffoquer, il vaut mieux se cou
tenter des préparations en open
Mais le médicament qui m'a paru produire le meilleur
effet dans le cas dont il s’agit, e’est l’émétique, et
l'on sera étonné des doses où lon peut le porter sans
danger. Dans les cas ordinaires, lPémétique passe pour
irriter après la dose de 15 à 18 grains; ici, l’on peut
en administrer jusqu'à une demi-once; néanmoins, ik
est toujours prudent de commencer pat une dose ; plus
faible, sauf à la réitérer. Ainsi, l’on peut en. donner
d'abord 20 à 54 grains dans une bonteille d'infusion de
camomille ou de mélilot, et répéter ce breuvage selon
les circonstances, la force et Ja stature des animaux.
‘ Ce médicament produit à la fois plusieurs indications
importantes ; il secoue l’estomac, le débarrasse des matières
alimentaires qui le surchagent, provoque l’expulsion de
la bile, et ressuscite le ton des organes. Maïs cette
dernière médication , la plus essentielle peut-être , procurée
par l’émétique, n'étant que momentanée, il convient,
pour k rendre durable, d'amener à sa suite les toniques
et les amers, comme des infusions de menthe, d’absinthe,
de sariette, de petite centaurée, ou plus simplement
des infusions de fleurs de camomille ou de mélilot, ou
encore le poudre de gentiane, Dès que les mklades pour-
518 MÉMOIRES.
ront manger, on jeur donnera des alimens riches en
principes nutritifs, mais en petite quantité, sur-tout. .
dans les commencemens , afin de ne Dos fatiguer les
organes digestifs.
C'est avec ces moyens et des boissons acidulées , dès
que les malades ont commencé à boire d'eux-mêmes,
que plus de la moitié des animaux traités méthodique.
ment ont été guéris : il est même à présumer qu'on.
en eût sauvé un bien plus grand nombre, si l'ont eût
toujours été appelé à tems; car, quand la médécine
peut, ce n’est jamais que dans le commencement. des
maladies. La plupart des individus traités autrement,
soit empyriquement, soit par des saignées copieuses ,
des purgatifs drastiques de la classe des résineux, des
breuvages incendiaires , etc., ont pee tous succombé
en peu de jours.
Il nous reste à nous occuper des moyens de sente
Jes maladies que nous venons de signaler et celles qui
pourront naître pendant l'automne , sur-tout si l'automne.
est froid et pluvieux. FE
__ Les alimens sont destinés à réparer les Des que
Jexercice de la vie occasionne dans le sang et dans Îles
humeurs: s'ils sont en quantité insuffisante pendant une
durée assez longue, toutes les parties vivantes éprouvent
une détérioration d'autant plus prompte et profonde que
Ja diète est plus sévère et plus continuée, s’ils sont d’une
mauvaise qualité , trop anciens , altérés, ou dans un état
de fermentation susceptible de développer des principes
malfaisans , de dénaturer les élémens nourriciers qu'ils
renferment ;. comme les grains et les fourrages. récoltés
et engrangés avant leur maturité et leur dessication
complète, le dépérissement de tout le système peut de-
yenir
MÉMOIRES. 519,
venir la suite de l'usage de tels. alimens ; les humeurs
et les organes peuvent prendre, sous un tel régime,
wne complexion vicieuse qui expose les animaux à
différentes maladies.
est donc très-important de surveiller _— le
régime habituel des bestiaux; de donner toujours à pew
près aux mêmes heures les mêmes rations d’alimens : de
s'attacher à la qualité de ceux-ci plutôt qu’à la quantité ;
d'éviter sur toule chose de donner ceux trop nouveaux,
ceux altérés ou mal récoltés. Il est au surplus très-dificile.
daus un aussi coart exposé, de déterminer d’une manière
rigoureuse la mesure des alimens de plusieurs espèces ,
mesure qui doit être proportionnée à l'espèce, à la stature,
à l’âge, à la force et à l’état de santé ou dé maladie des
animaux. En principe général, la quantité doit encore
en être modifiée par les circonstances, et être d'autant
moins considérable qu'ils seront plus substantiéls, Une
bonne maxime en outre sur ce point, c'est de donner
peu à la fois et souvent.
Comme nous avons à prévenir les influences qu’un
âir sec et chaud peut avoir sur l’économie vivante ; qu'il
s’agit en premier lieu de modérer l’activité des mouvemens
organiques; le régime vert, à cause de sa propriété
tempérante , est indiqué dès le courant ou la fin de mai;
non pas en le donnant tout à coup exclusivement, en
le faisant succéder brusquement au régime sec, malgré
la coutume et les idées opposées, maïs en y arrivant avec
les précautions convenables, Cette transition brusque et
souvent intempestive du sec au vert, occasionne des
diarrhées quelquefois colliquatives dont on s’applaudit
mal à propos: on s’imagine qu'elles purgent l'animal
qui, lestrois-quarts du tems, n’a nullement besoin d’être
520 _MÉMorRes.
purgé ; mais c'est égal. Ces diarrhées ne sont au fait
que le résultat du trouble des digestions ; elles ne sont
propres qu’à amener le relâchement général et le dépé-
rissement: de sorte que d'un moyen très-innocent et
très-salutaire en lui-mêmé, on -en fait ainsi un mauvais
moyen. Pour éviler ce fâächeux abus, il est bien plus
simple d’habituer, peu à peu et comme insensiblement,
l'estomac à bien digérer la nourriture nouvelle, L'on ne
peut se flatter d'obtenir ce résultat avantageux qu’en ne
mettant les bestiaux au vert que petit à petit, en entre-
mélant pendant un certain tems le vert avec du sec,
dont, de jour en jour, on diminue graduellement la
proportion ,.en ne retranchant pas tout à coup tout grain
sec. et en en continuant au contraire l’usage tant qu'on
puisse. en avoir de vert en fourrage à y substituer,
comme les hivernages , les pois, les houaras , les gesses,
Les dravières, etc. Il serait même bien à désirer que
Pavoine ne manquât jamais. aux chevaux, principale -
ment à ceux qui travaillent. L'on ne croira pas non
plus que le cheval mis au’ vert n’exige aucun soin de
propreté, aucun pansement de la main ; que ces soins
et ces pansemcns, quand on les pratique, contrarient
ou relardent les effets du vert : il n’est pas d'idée plus
errounée, La propreté et le soin de la peau, dont les
fonctions sont loin d’être indifférentes, sont de tous les
teims et de tous les régimes. L’on rentrera tous les
animaux dès qu’il fera mauvais, et sur-tout quand il
tombera des averses. L'été, notamment dans les grandes
chaleurs, il est bon de laisser passer la nuit dehors;
mais il n’en est pas de même dans l'automne. Engénérat,
l’humidité froide de cette dernière saison, à plus forte
raison quand elle succède à une température atmosphé-
MÉMOTRES. S PE :
rique diamétralement opposée, tend à troubler l'harmonie
dans les diverses fonctions de la vie, et à prédisposer
aux affections muqueuses, catarrhales, vermineuses,
adynatiques, etc. Les bestiaux de toute espèce s’y trou
veront d'autant plus exposés. que les chaleurs précédentes
auront été plus grandes, et, qu'énervés en quelque sorte
par l'effet de celles-ci, is offriront peu de résistance aux
affections maladives et manqueront de force pour les
supporter. Ainsi, pendant l’automne et.daus les localités
basses et aquatiques principalement , il imporile de se
méfier des nuits froides ,; des tems pluvieux ou brumeux
des herbes mouillées ou rouillées, et par conséquent de
ne laisser coucher les bestiaux dehors que lorsqu'il fait -
doux et beau : dès la fin d'octobre, quelquetois plus
tôt selon le tems qu'il fait, rarement plus tard , il devieut
sage et prudent de nourrir la nuit aux éeuries ou aux
étables.
Je ne puis quitter ces courtes observations. sur la
manière de faire prendre le vert aux grands animaux,
sans m'élever contre une méthode si générale, que je
ne sais si elle a quelques exceptions. Je veux parler de
Ja saignée, que lon se fcroit mal à propos dans l’obli-
gation de faire aux chevaux peu de jours après leur
entrée daus Îles herbages. Ces saignées annuelles et de
précaution, pratiquées dans le printems, et quelque-
fois en automne, sont inutiles et même pernicieuses, si
rien d'ailleurs n’en indique la nécessité; ellessont inutiles
parce qu'elles ne font plus rien aux chevaux qui y
sont accoutumés ; elles deviennent pernicieuses en ce
que, si on les néglige chez ces mêmes chevaux, cette
omission leur est préjudiciable, par la raison que la
nature accoutumée à une telle déperdition et au-travail
022 MEMOIRES.
siécessairé pour la réparer, la déperdition n'ayant pas
dieu à l’époque ordinaire, le travail de réparation continue
comme si elle avait lieu : or, il en résulte un accrois-
sement d'action vitale qui peut à:son tour devenir La
soprce de plusieurs maladies. I] est donc infiniment
préférable, sous tous les rapports, de ne pas accontumer
ses chevaux à être saignés tous les ans au renouvelle
sent du printems, et encore moins au renouvellement
de chaque saison. Quant aux chevaux qui en-oat actuel
dement l'habitude , il faut la leur continuer s'ils sont
Agés: s’ilssont jeunes, il faut les en déshabituer en quelques
années et non tout d’un coup, en tirant à chaque saignée
moins de sang qu'à la précédente. J'ai essayé ce moyen
avec suceès : j'ai ainsi déshabitué peu à peu de toute
| &aignée de précaution les chevaux de plusieurs fermes
que je fréqueute pour y exercer la médécine vétérinaire.
- Ces chevaux ne s'en portent pas plus mal; ils sont plus
robustes, plus durs au travail et s’usent moins vite.
C'est ce que je puis bien assurer sur la foi et k
_ témoignage des propriélaires. intéressés. :
Il est: sûrement inatile d’ajouter qu'il faut FAURE
: es précautions analogues et les mêmes degrés en faisant
‘passer les chevaux et bestiaux du vert au se.
Mais ces précautions ne sent pas les seules propres à
prévenir ke développement des maladies que nous avons
à craindre: les propriétaires «et cultivatesrs attentifs ne
parviendront à se prémunir contre elles qu’en observant
œwn outre fidètement ce qui suit :
Se méfier des effets du son qui relâche Etant,
qui nourrit peu, et même pas du tout, qumd, retiré
u blntoir, il se trouve entièrement dépourvu de farine:
dans cet état, il ne blanchit pas même J'ean où on Le
mêle ; il ressemble à de la sciure de bois.
MÉMOIRES. 5235
Lorsqu'il fait bien chaud; commencer le travail des
champs le matin de très-bonne heure, le terminer vexs
les neuf heures, et ne. le reprendre és ie
trois et quatre heures.
Ne point assuiettir les animaux à on travail qui excède
leurs forces; ne les y soumettre qu'un certain tems après
qu'iis ont mangé, afin que les digestions s'effectuent
mieux et plus librement,
Malgré la mauvaise coutume contraire, pe point faire
boire ai exposer les bestiaux dans les pâturages immt-
_diatement après le travail, la course ou l'exercice,
notamment aux approches de la nuit: ne point les
entasser en trop grand nombre dans des espaces renfermés
trop étroits; éviter pour leurs logemens une température
trop élevée, une atmosphère d’une humidité froide et
malsaine , comme celle des souterrains où l'air et la
.Jumière pénètrent à peine; y procurer au contraire de
‘bon air fréquemment renouvelé, une grande propreté,
æt ne pas épargner la litière, même pendant le tems du
vert, quoiqu'on en dise.
Pratiquer avec beaucoup d'exactitude le D neeRt d&
Ja main , pendant le vert comme pendant le sec, quoi-
que ce ne soit pas selon le préjugé du vulgaire, bouchonner
souvent, essuyer la sueur au retour du travail
Ne pas oublier que la constitution atmosphérique de
tout été chaud excite sans fortifier, sans augmenter l'é-
.nergie vitale, qu’elle peut et doit au contraire :affaiblir ;
et qu'ainsi quelque agent tanique sera toujours avanta-
.geux dans la plupart des indications préservatives ou
-curatives, sur-tout dans celles qui pourraient se Pr
au commencement de l’autemne.
Les ‘babitans des. campagnes ne sont Lu sans ayoir
524 MÉMOIRES.
toujours chez eux du sel (muriate de soude ) et quelques:
vieux morceaux de fer: le sel plaît en général aux animaux;
Pexcès seul en est à craindre. Ses bons effets ne sont
plus un problème; il provoque l'appétit et la soif, aide
la digestion, fait uriner, facilite la transpiration , soutient
Ya santé et la vigueur , prévient et diminue l'intensité de
bien des maladies, de celles sur-tout déterminées par une
privation de forces. Si l’on s’abstient d’en donner au bétail,
ce n’est pas qu’on néglige d'en recommander l’usage ;
‘tous les hommes de l’art, toutes les instructions qu’its
publient sur le régime ne cessent d’en signaler les avan-
tages : il n’y a donc que le doute de son utilité, l'in-
souciance , ou le prix de cette substance qui puisse
arrêter. À l'égard du prix, il n’est pas excessif, il ne
peut jamais s'élever bien haut, puisque le sel ne doit
être donné qu’à petite dose : il est d’ailleurs reconnu et
‘prouvé que six kilogrammes (12 livres ) de foin salé
nourrissent autant que huit kilogrammes (16 livres)
-non salé : il y a done économie sous le rapport de la
quantité de fourrage. Trouve-t-on cette denrée encore
‘trop chère? il n’est pas rigoureusement nécessaire d’em-
ployer le sel de cuisine; le se/ marin à base terreuse des
salpêtriers et le se/ de verre, peuvent le remplacer et
produire le même effet. L’on peut en faire usage, soit
dans l’avoine et les provendes, soit en fixant aux bar-
reaux des râteliers des sachets -qui en contiendraient et
que l’on aurait un peu mouillés pour que les animaux
puissent les lécher, soit en le faisant fondre dans la
boisson, ou dans l’eau destinée à en asperger les four-
‘rages. Quelle que soit, au reste, la manière que l’on
jugé À propos de choisir pour donner le sel, voici les
‘doses de cette substance déterminées pour un jour: elles
MÉMOIRES. 525
sort pour le bœuf ou la vache de 36 grammes ( 1 once };
pour un cheval 20 grammes (5 gros); et pour chaque
centaine de bêtes à laine un demi-kilogramme ( 1 livre.)
. Quant au fer, il suffit d'en mettre quelques vieux
morceaux dans les auges ou les baquets destinés à abreuver,
Lorsque l'on changera cette eau, l’on devra laisser les
morceaux de fer dans les auges ou les baquets. A défaut
de fer, l’on peut employer le mâchefer de forge, ou le
sulfate de fer (vitriol vert ): un ou deux hectogrammes
( 3 à 6 onces) de ce sulfate par seau d’eau sont la
dose convenable. Quoique cette boisson tonique et anti
putride soit réellement indiquée, particulièrement au
commencement de l'été et pendant l’automne, l'usage
n'en doit pas être continuel, à cause de la constipation
qu'elle pourrait occasionner ; d’ailleurs , elle est contraire
dans Îles affections catarrbales, et, au moindre signe;
à la moindre apparence d’augine ou d’étranguillon (ce
que mal à propos l’on appelle souvent gourme), elle
deit être abandonnée sur le champ. Hors ce cas, et pour
n'en faire qu’un emploi raisonnable en rapport avec les
besoins, il convient de donper cette eau ferrugineuse pour
boisson seulement deux jours de suite par chaque semaine.
Le reste du tems, la boisson la plus salutaire comme
la plus convenable , est de l’eau blanchie , plutôt avec
de la mouture qu'avec du son. Si l’on emploie la mou-
ture, l’on en met peu; si l’on est obligé de se contenter
du son, on ne le laisse pas dans l’eau qu’i doit D NCRE
on le fait rester dans le fond du plat-seau qu’on vide
dans un autre.
. On rendra cette boisson ordinaire tempérante, rafra!-
chissante , légèrement tonique et antiputride, en lui
donnant une acidité agréable, au moyen de l'addition
_ MÉMOIRES,
un peu d'acide sulfurique : le vinaigre remplirait le
sr objet ; mais le prix en est trop élevé. Je recommande
de n'employer que de l'acide sulfurique préalablement
effxibli avec deux parties d’eau sur une partie d'acide ;
mais je préviens que ce mélange re peut et ne doit être
fait que par un pharmacien, attendu le dégagement
éonsidérable de calorique que cette nxtion détermine ;
H est même récessaire d'interdire à tout autre d'en pré-
parer ainsi soi-même. Admettons que l’on sæ soit procuré,
dans chaque exploitation rurale, une file de cet acide
arrangé comme il convient d’être dit, l’on peut en mettre
dix-huit à vingt gouttes par chaque seau d’eau. Au
surplus , le goût est le meilleur guide à l'égard de la dose ÿ
cette eau né doit imprimer sur la langue qu’une acidité
père e? agréable, et non une saveur piquante,
. L'on ne sauraït trop recommander cetle boisson aci-
dulée, qui devient de plus en plus en usage dans la
médecine ét l'hygiène vétérinaire, et qui justifie tous
Res jours la confiance qu'on ÿ place. Au mérite de pro-
dire des effets constamment avantageux, elle réunit
éelai d’ane grande économie pour les propriétaires des
bestiaax, et sous ce rapport encore ” elle doit fixer
Pattention,
Il me reste À recommander aux cultivateurs les moyens
simples que je viens de leur proposer dans la vue de
kes éclairer sur la conservation de leurs bestiaux; je les
invite à user de ces moyens, et sartout à persévérer
dans eur emploi, sans perdre courage, sans se laisser
arrêter par la considération de quelques faibles sacrifices,
plutôt en soins qu'en dépense , et dont ils seront d'ailleurs
amplement payés par la suite.
CEE as CR
MÉMOIRR=S. 927
FRAGMENT
D'UNE TRAGÉDIE INÉDITE,
INTITULÉE PIZARRE;
Par M AucusTre COT,
MEMBRE RÉSIDENT.
€
ACTE I'—ScÈiNE 2°"
ÉRRRRAPRARRPSI RAS |
PIZARRE, ATALIBA.
ATALIB A.
P IZARRE, dans ces lieux tu m'as dit de me rendre ;
Pourquoi cet entretien ? parle, qu'en dois-je attendre ?
Ce jour mettra-t-il fin à ma captivité ?
Recevrai-je la mort , ou bien la liberté? {
Quel est donc mon destin , 6 soleil ! à mon père.
Ai-je assez enduré l’opprobre et la misère
Sans pouvoir, sans secours, après de longs revers,
Dans mon propre palais je me vois dans les fers.
PIZARRE.
Ces fers peuvent tomber; du destin qui t’opprime,
Tu peux , Ataliba, cesser d’être victime,
Ton bonheur désormais ne dépend que de toi;
Ton sort est dans tes mains : écoute et réponds moi;
Ton trône est renversé; ton superbe héritage ,
Conquis.par ma valeur, est enfin mon partage, ,
Rien n'a pu résister à l’effort de mon bras;
Mon Dieu le soutenait au milieu des combats.
Tome I. 12,% Liv, | 34
528 MÉMOIRES.
Je pourrais, abusant d’un si grand avantage,
Laisser finir tes jours dans un triste esclavage, :
Et vainqueur sans rival, profitant de mes droits,
Me placer sur un trône acquis ‘par tant d’exploits.
Mais l’abus du pouvoir n'est que le fait d’un lâche
Et le Dieu que je sers m'impose une autre tâche;
Inca, c’est dé toi-même , et par ta volonté,
Que je veux en-ee jour tenir l'autorité;
Abdique en ma faveur ta puissance suprême,
Sur mon front glorieux place le diadème,
Et que tous tes sujets daciles à ta voix,
Imitent ton exemple et reçoivent mes lois.
Mes desirs accomplis ) ta captivité cesse ;
Fidèle à mes sermens, j'en croirai ta promesse ;
Avec toi partageant le pouvoir souverain, .
Le stèptre d'Huascar passera dans ta main,
De ce fier ennemi la puissance est détruite;
Témoin de mes succès, tu le fus de sa fuite;
À mes vastes desseins rien ne peut s'opposer ;
Son trône est ma conquête, ef j'en puis disposer.
Alliés désormais, qu’une amitié durable,
Nous assure une paix à tous deux desirable ;
Et que ton peuple au sein de la tranquillité,
Retrouve le bonheur et la prospérité.
| ÂATALIBA.
Grands Dieux, qu’ai-je entendu ! quel horrible langage!
J'étais donc réservé pour ce dernier outrage !
Farouche Européen , ta folie ambition,
A fasciné tes yeux et troublé ta raison, :
Quoi, tu prétends régner et crois dans ton délire :
_ Recevoir de ma main la couronne et l'empire?
. Obscur aventurier, pour occuper mon rang,
…
MÉMOIRES, 529
Fh! que n’as-tu d’abord fait couler tout mon sang!
Crois-tu qu’Ataliba tienne encore à la vie |
Quand tu l'as abreuvé£ d’opprobre et d'infamieP
Si ma faiblesse ici pouvait te seconder,
Aux enfans du soleil tu pourrais succéder ?
Un soldat à Quito régnerait À ma place!
Réunit-on jamais tant d’orgueil et d’audace?
Au trône d'Huascar tu veux me faire asseoir:
Cruel, d’en disposer tu n’as pas le pouvoir;
Je n’entrevois que trop quelle est ton espérance ;
Va, ce honteux traité me révolte et m’offense.
Mais quand ma lächeté servant tes vains projets,
Pourrait à t'obéir engager mes sujets, ;
Crois-tu que, déliés de mon obéissance,
Ils puissent sans horreur supporter ta puissance ?
N’existerait-il plus du pur sang de leurs Rois ?
Mes fils à leur amour n’auraient-ils plus de droits?
Iraient-ils te choisir, toi, qui sur ce rivage,
Leur apportas la mort, la honte et l'esclavage ;
Qui semant en ces lieux l’épouvante et l'horreur
T'es montré leur bourreau bien plus que leur vainqueur;
Pourraient-ils oublier d'irréparables pertes ?
Leurs temples abattus, leurs campagnes désertes ?
Ton nom seul les remplit ct d’horreur et d’effroi,
Et tu veux, vil tyran, qu’ils respectent ta loi?
Va perds ce vain espoir, redoute la vengeance ;
D'un peuple malheureux armé pour sa déiense. -
Tu verras s'élever des milliers d’ennemis ;
Le terrible Huascar n’est pas encore soumis ;
Dans le fond des forêts sa vengeance s'apprête ;
Frémis du coup affreûx qui menace ta tête!
Instruit par ton exemple à ne rien ménager, :
530 MÉMOIRES,
De toutes tes fureurs il pourra se venger;
Tremble enfin que du ciel, à mes vœux plus propice,
En ce jour contre toi n'éclate la justice !
PIZARRE. |
C’est à tai de trembler! Eh quoi! quand ma bonté ,
Monarque sans pouvoir, L'offre la liberté,
Quand je parle de paix, tu m’annonces la guerre!
D'an vainqueur irrité crains enfin la colère.
Eh! quel périls encore aurais-je à redouter ?
Quels sont ces ennemis qui restent à dompter ?
Crois-tu que renonçant à lardeur qui m’enflamme,
A de lâches terreurs j'abandonne mon ame,
Æt lorëque d'un seul mot je pourrais t’accabler ,
Sera-ce devant toi que je viendrai trembler ?
Mais puisque tes refus trompent mon espérance,
Ce jour est le dernier qu’accorde ma clémence !
Eh! quel motif encor m'engage à t’épargner ?
Seul ici je suis maître; et seul j’y veux régner !
ACTE V."°, — ScÈNE I".
PIZARRE, ALCILOË »
ALCILOÉ.
Je m'attache à tes pas, je ne te quitte plus;
Grâce pour mon époux!
| PIZARRE, :
Vos pleurs sont "nperinse
ALCILOË.
Grâce pour mon époux!
PIZARRE. |
Je n’en suis plus le maitre,
ALCILOÉ. |
On a pu l’abuser;
\
[.
{
—- TU
MÉMOIRES 53L
PIZARRPF. Ce
Je n’äi trouvé qu’ün traîfre.
Qui contre son vainqueur avait armé son bras.
ALCILOÉ. ou
Oserais-tu, grands Dieux, ordonner-son trépas ?
| PIZARRE.
Mes guerriers ont appris sa lâche perfidie,
Tous en sont indignés, tous demandent sa vie,
En vain en sa faveur j'éleverais la voix,
| ‘ALCILO-É.
Des soldats peuvent-ils verser le sang des Roïs?
Quelke funeste erreur tient leur ame égarée,
Ea Majesté d'un Roi n'est-elle plus sacrée ?
Le D'eu qui l'a placé dans cet auguste rang,
Aurait seul le pouvoir de répandre son sang ;
De ce Dieu bienfaiteur n’ést-il donc pas l’image ?
En offensant le Roi, c’est le Dieu qu’on outrage, .
De quel ‘droit des Soldats osent-ils aujourd'hui : L
S'arroger un pouvoir qui n’appartient qu'à lui?
Dieu les a-t-il choisis pour servir sa vengeance ?
Leur a-t-il confié sa suprême Puissance ?
Leur a-t-il en ce jour révélé ses. desseins ,
Et contre mon époux a-t-il armé leurs mains ?
Non: cé Dieu que j'invoque Atatiba l'adore,
Et sa voix chaque jour avec respect Pimplôre ;
Il n’a point encouru le céleste courroux,
Et ce n’est que sur toi que tomberont ses coups.
Oui, redoute, cruel, les foudres vengeresses ,
Tu recevras le prix de tes scélératesses;
Ce juste châtiment tu l'as bien mérité;
Tes. crimes sont accrus par tant d’impunité.
Mais si le Ciel, trompant ma plus chère espérance;
532 . MÉMOIRES.
Laissait encore ici nos malheurs sans vengeanee .
Crains que ce faible bras, guidé par la fureur,
Ne porte le poignard dans ton perfide cœur.
Frémis du désespoir où tu livres mon âme;
Le soin de te punir est le seul qui m'enfflamme,
De ton sang répandu je voudrais me couvrir,
Affranchir mon époux, le venger.et mourir.
| PIZARRE.
Vous m'’osez menacer ?
ALCILOÉ.
Ah! Pizarre, pardonne ;
Dans le trouble où je suis la raisan m’abandoune,
La doulenr à cassé ce criminel transport;
Maitre d’Ataliba, tu peux fixer mon sort.
Tu me vois à tes pieds; rxauce ma prière,
Écoute mes accents; je suis épouse et mère.
Si ces titres sacrés ont encor du pouvoir,
Tu dois par ma douleur te laisser émouvoir;
Dissipe de mon cœur les mortelles alarmes >
Grâce pour mon époux!
PIZABRE ( à part ).
Ses prières, ses larmes,
Portent encor le trouble en mon cœur agité;
J'éprouve..…. Ah! rappellons toute ma fermeté.
( aut ).
Vainement je voudrais, sensible à votre peine,
De votre époux encor faire tomber la chaîne ;
Je vous lai dit, Madame ; et lui-même en ce jour;
Par son lâche complot s’est perdu sans retour,
Vous m'implorez en vain. |
ALÇILOÉ.
Adoucis ma misère ,
À mes tristes enfans n’arrache pas leur père!
MÉMorrezs 533
PIZAKAE.
C’est la loi désormais qui fixera son sort:
ALELLOÉ.
Eb ! quelle loi pourrait légitimer sa mort ?
Est-ce un crime, cruel, d’oser avec courage,
Ehercher à s'affranchir d’un indigne esclavage ?
Mais. ce dessein encor, l’a-t-il bien entrepris? … - - :
Un indice trompeur ne t'a-t-il pas surpris ?
Il me l’eut confié, maïs toujours son silence. :,.:
| PIZARRH.
Ja tout avoué, Madame, en ma présence,
ABGILO É.
Ainsi donc plus d'espoir! à Dieux! à Ciet vengeur ?
PIZARRE. |
Lui seul pourrait encor détourner son malheur;
cc ALCILO É. D |
Eui, Pizarre? ah! réponds, parle, que doit-il fire?
PIZARRE.
À mes desseins enfin cesser d'être contraire ;:
Il faut le décider à combler mon ‘espoir ,
Madame ; ou vous attendre à ne plus le revoir.
ALCILOÉ,
Ne plus le voir, grands Dieux! jus ’as-tu dit ? ah barbare Là
M'arracher mon époux ?
PIZARRHEX.
Qu'il accorde à Pizarre-
Ee qu’en ce jour enfin il prétend obtenir;
Qu'il cède ou qu’il périsse.
ALCILOË. -
O Ciel!
TIZARRE.
1] va venir,
Gardes ! -
534 MÉMOIRES. ;
ALGILOÉ.
O trouble affreux, je me soutiens à peine.
PIZARRE ( aux Gardes ).
‘Allez trouver l’Inca, qu’en ces lieux on l'amène;
( à la Reine }).
Vous pourrez seule ici déeider votre époux;
Qu'il cède à mes. desirs, ou craignez mon courroux.
ALCILOÉ.
Je t’implore pour lui; sensible à mes alarmes... …
PIZARRE.
Pour vaincre ses refus il faut garder ces larmes.
ALCILO É.
Eb bien ! puisque mes pleurs ne peuvent t'attendrir4
Puisqu’il te faut du sang , cruel, pour te fléchir,
Frappe, voici mon sein; que ta main criminelle.
Eteigne dans mon sang cette. rage cruelle,
Mais jure d’épargner les jours de mon époux,
A ce prix je pourrais bénir encor tes coups!
Frappe , n”hésite pas. ….! Ciel, le voici lui-même!
O Pizarre, adoucis cette rigueur extrême,
Vois mes maux, sois touché de nos malheurs affreux.
Epargne Ataliba.
| . PIZARRE, |
Qu'il souscrive à mes vœux
MÉMOIRES. 533
AAA ANR AAA AA AA AAA NAN AAA RAIN ARS AAA AAA
| NOTICE
SUR LES CLARTÉS ET LES SCINTILLATIONS
| PRODUITES PAR LA CIRCULATION
DU FLUIDE ÉLECTRIQUE,
Par M. BUISSART, père, Membre honoraire.
Ü: événement singulier, et du domaine de la physique;
arrivé il ya quelques années à l’un des postillons de la
poste aux chevaux d’un village près d'Arras, engagea
quelques personnes à me faire interroger sur ce point:
Ce postillon retournait d'Arras chez son maître ,. *
il était nuit et des nuages épais couvraient le Ciel ; le
cheval sur lequel äl était monté, laissait voir au bout de
chaque oreille, un point lumineux, que le postillon
prenait pour. deux chandelles allumées ; effrayé de cette.
apparition. subite ‘et extraordinaire , il n’osait y porter
la main dans la crainte de toùcher un feu qu’il regar-
dait comme louvrage de quelque sorcier; sa crédulité
s'affermit ‘par la durée de cette flimme; et elle venait
de s’éteindre, lorsqu'il arriva dans le cabaret le moins
éloigné , ayant sur la figure les marques les plus visibles
de la terreur et de l’épouvante. . É
Il cohta son histoire ; mais aucun des auditeurs ne
voulut y ajouter foi. Son maître, à qui il en fit part
à son retour, fut plus incrédule que tout autre; mais
* M. Tirtaine A cutratète à Tivques, village sur Jar route
d'Arras à St Pol. Fe
536 . MÉMOIRES.
celui-ci s’étant servi peu de tems après d’un autre cheval,
eut l’occasion de. remarquer, now sans étonnement, le
même phénomène, et cela pendant une nuit très-obseure :
et au moment de. la chûte d’une. pluie mélée. de grêle.
Un fermier * de son voisinage, qi te devançait d'environ
un quart de lieue, et qui allait aussi vite que lui, observa
auési deux’ points lumineux aux oreilles de son cheval.
Alors on chercha à savoir. qu’elle pouvait en être la
cause; on me fit faire plusieurs questions, et j’annonçai
que cet évènement ne pouvait avoir d’autre cause que.
l'électricité, dont les émanations. étaient devenues sen-
sibles par quelques <cireonstances. dépendantes de Pétat
momentané de l'atmosphère. Plusieurs exemples s’offrirent
pour appuyer mon opinion; je vais en rappelker la liste ;
cette série de faits curieux sera d’une instruction utile
aux: personnes qui se trouveront dans le même cas.
« Un voyageur: venant de Braskey:, le 18 ô.bre 2783.
Lt-on-dans use lettre datée de Leeds | ** fut à sx heures.
du soir, surpris tont-à-coup par.ume obseurité extrême.
entre : Sandai et .FVake field ; il tomba peu à peu une
très-grosse pluie , mêlée de gréle, au mikea de laquelle.
# lui apparut, au nord-ouest , an météore éclatant ,
dont le diamètre était de la moitié de celar de la lune,
et qui lui sembla tomber à environ un mille de distance;
dans le même instant, la tête de son eheval s’illamina
de jets de matière électrique, et ses proüpres cheveux épars
sur ses épaules, devinrent si lumineux qu'ils l’eussent
éclairé assez pour voir l'heure. à sa montre; il les toucka
© #*M.de Noyelle , fs, cultivateur au village du Tirelait, L
** Voyez lé merdure de France ( partie es da 27 x.bre
1793, page 266.
MÉMOIRES , 53%
et de ses doigts sortit une étincelle électrique ; une canne
qu'il tenait dans son bras gauche, en rendit de semblables
à ses deux extrémités. Au bout de cinq minutes ce phé-
nomène cessa. Il a été observé par plusieurs personnes
de la ville de Leeds et des environs ; le tems était très-
chaud et le baromètre à 29 pouces et demi. M. Zestu,
dans son voyage aérostatique en 1786, s’est trouvé long
tems *et pendant la nuit, dans des nuages orageux , où
le tonnerre grondait avec force. « C’est donc dans un
« mouvement continuel d’ascension et d’abaissement que
« j'ai passé, nous dit-il, les trois heures qu’a duré l'orage. »
j'ai attribué ce mouvement à une attraction et à une
répulsion électrique provenant des divers états de deux
espèces de nuages, l’un neigeux et l’autre pluvieux ;
une pointe que j'avais placée sur les bords de ma gon-
dolle me faisait voir una aigrette lumineuse, lorsque je
descendais dans le nuage de pluie; je voyais au contraire
un point Jamineux, lorsque j'étais enlevé dans le nuage .
de neige ; l'extrémité de mes doigts me montrait en partie
le même phénomène ,; mon drapeau qui portait les armes
de France en or, était habituellement scintillant de lumière.
M. De Ferris rapporte dans le journal de physique **
deux faits électriques non moins singuliers que les pré-
cédens : le premier lui a été raconté par un témoin
oculaire qui voyageait. Ce témoin. après ayoir dépassé
un bois qu'il venait de cottoyer, s'arrêta pour. voir le
ciel qui, serein partout ailleurs, commençait à se couvrir
au-dessus de sa tête, et ayant regardé derrière lui, il
* Voyez le journal d'histoire naturelle de 1787 , tome 3»
page 351 et 405.
** Voyez le journal de mars 1783, page 197.
538 .. MÉMOIRES.
vit le long du bois une bordure de fraisiers, chargés dé
fruits murs, tels qu'on en voit dans les jardins autour
des plates-bandes; ce qui l’étonna beaucoup, parce qu’it
ne s’en était pas apperçu en passant par le même endroit...
#% quelques pas plus loin il regarda encore derrière lui,
pour considérer ces belles fraises qu’il se reprochait de
m'avoir pas goûtées; mais au lieu de fraises il vit de
petites flammes qui s’élevaient en pointes inégales, à læ
hauteur commune d'environ un demi-pièd; cependant
le tems se couvrait, surtout au-déssus du bois, et notre’
voyageur s’éloignait... A la: distance de plus d'un quart
_ de lieue ; il se retourna. encore, découvrit une flamme
quis'élevait à la moitié environ de la hauteur des arbres,
et vit un nuage qui descendait fort près de leur sommet +
à quelques pas: plus loin, il entendit derrière lni des
coups multipliés de tonnerre, il redoubla sa marche et
s’applaudit de ne s’ètre pas arrêté pour cueillir des fraises.
: Je puis citer le second fait, ajoute. M. de Ferris, comme-
en ayant été moi - même témoin... Je voyageais, le
tonnerre grondait à mon côté, et un nuage. effrayant
qui. suivait la direction du chemin que je prenais, s’éten—
. dait insensiblement vers moi; j'allais à toute bride, afin
d'arriver avant qu'il ne crevât; je retonrnais cependant
souvent mes regards da côté. de l’orage, moins pour
en considérer l'aspect frappant, que pour estimer ses
progrès, lorsque la vue dune flamme qui s'élevait de
la terre à la distance d’environm une lieue, fixa mon’
attention. Comme elle me paraissait occuper un espace
en longueur d'environ cent cinquante toises, et. que je
ne pouvais pas discerner sur quai la base portait, je
crus d'abord que c'était un de ces incendies si fréquens
en Picardie, et comme le fort de l'orage était immt-
MÉMOIRES 653$:
distement au-dessus , je pensais que ce pouvait être l’effet.
d’un coup de tonnerre qui aurait embrâsé des maisons
toutes couvertes de chaume; mais je fus détrompé en
observant que le feu était bleuâtre et moins clair que
celui d’un incendie, qu'il ne se pliait pas au vent,.
‘ et surtout parce que je ne voyais pas de fumée; j'en
conclus que ce ne pouvait être qu’une électricité terrestre,
répandant la clarté d’une flamme par elle-même, ou
allumant la vapeur qui s’élève des tas de fumier répan-
dus sur un champ à labourer.
Le treize du mois de mars 1785, * on observa le
matin un phénomène très - singulier sur la rivière de.
Majuri, dans la province de Salerne; on vit monter de
la surface de cette rivière une colonne de feu‘environnée
d’un brouillard épais , et on entendit un brait semblable
à un coup de tonnerre : après quoi le phénomène dis-
parut; alors les eaux de la rivière, au lieu de suivre
Jeur ancien cours, se précipitèrent dans un gouffre profond.
qui s'était ouvert tout-à-coup.
_ Le village de Pommier, près du boue de Pas en
Artois ; ## était, le 9 avril 1790, menacé d’an orage |
très-violent ; le tonnerre grondait avec force et le ciel
était couvert de gros nuages; au-dessous de ces nuages.
très-épais, il s’en trouvait un autre tout. enflammé et
qui rayonnait de toute part; la clarté lumineuse qu'il
répandait se communiqua vivement à toutes les maisons
et aux arbres du village de Pommier, au point qu'il
paraissait entièrement électrisé ; les habitans épouvantés
imaginérent que tout allait devenir la proie des flammes;
; Voyez 1 cérene de France du 29 avril 1783, art, de
Naples. al Voyez’ le Jourual physique d’avril 1782. > Pag: 299.
54o MÉMOTRES.
mais ce spectacle diminua avec forages | et on en fut
quitte pour la feur. e
Le 22 février 1762, vers les sept ‘heures da soir, à
la suite d’un coup de tonnerre, accompagthié d’un éclair
considérable , la flêche du clocher de l'abbaye de Cy-
Joing , près de Lille, * fut enveloppée d'une atmosphère
Jumineuse ; cette lumière, semblable à celle de l’aarore
boréale , disparut peu à peu; mais elle se soutint plus
longtems vers l'extrémité de la flèche , surmontée d’ane
boule de cuivre, d’une croix de fer, et d’un coq du
même métal que la boule ; on vit successivement autour
de cette boule , des couronnes rayonnantes , des aigrettes
Jumineuses et des étincelles; le coq parut chargé de
plusieurs étoiles, quoique le ciel fut très- convert et
très-obscur. Ces phénomènes jettèrent l'alarme chez les
voisins , qui s’empressèrent. de frapper à la porte de
l'abbaye, dans la persuasion où ils étaient que le ton-
nerre avait mis le feu au clocher; on ne tarda pas à
sonner le tocsin, et à visiter la fléche:; mais on fat
agréablement surpris de ne la trouver endommagée en
aucune façon.
- Un des ouvriers, qui veilla pendant la nuit, assura
qu'il apperçut encore, autour du globe de cuivre , plus
de cinq heures après le coup de tonnerre, des aïgrettes
Jumineuses, quoique très- faibles et très-pâles ; cette
longue illumination est une preuve que la tour et k
flèche avaient été vivement: électrisées par la foudre,
M. Battelier, dans une lettre datée de Paris le 8 juin
1786, s'exprime ainsi: (voyez le journal de Paris, du ri
“* Voyez Jes afiches et annonces des Pays-bas Français de
1762, pag. 66e
Mé£éMorREs. DA
juin de la' mêraë année}. La nuit dernière, entre minuit
+t uue heure, je crus appercevoir de mon lit cette sorte
de scintillation électrique ; qu’on appelle assez impro-
prement éfoile tombante. Je courus à la fenêtre avec
d'autant plus d'empressement que je savais que le ciel
était nébuleux, et que je ne pensais pas que ce phé-
| nomène dut avoir lieu au-dessous de la région des nuagess
mon étonnement fut d'une autre nature, en reconnais-
sant que c'était un jet électrique très-délié, partant :de
la boule qui soutient la croix du clocher des Cordéliers.
Cette. scintillation vraiment isochrone, paraissant et
disparaissant à chaque seconde, traçait une courbe bori-
sontale, et venait s’épuiser sur une fleur de lys en
plomb qui surmonte la couronne du donjon ou pelit
dôme de l’école royale de dessin; ces éclairs alternatifs
durèrent environ deux minutes, au bout desquelles il
se manifesta sur le couronnement du donjon une houpe
Jumineuse qui disparut précipitamment, en faisant un
bruit semblable à celui que ferait un morceau de taffetas
que l’on déployerait subitement.
Au même inslant, je sentis une pression vers le
creux de l'estomac, un gonflement de poitrine et ‘un
battement tumultueux et précipilé des carotides qui me
firent juger que j'avais été touché par la colonne élec-
trique, et je n’en doutais plus quand, en venant à
traverser ma chambre dans l'obscurité, je distinguai
daus une glace deux points étincelans qui jaïllissaient
de mes yeux devenus phosphoriques ; j'avais belle matière
et bonne intention de réfléchir sur ces phénomènes de
plus en plus étonnans ; mais il fallut que l'esprit d'ob-
servation fit place à des idées opposées : l’état violent
de trouble et d'incertitude où je me trouvais dans un”
\
545 MÉMOIRES
appartément que j'occupe seal}; -Îe silenéé de: la nuit et
Péloignement des secours dont je pouvais avoir besoin,
commencèrent à se faire sentir vivement, quand un
saignement de nez vint heuïeusement calmer et Sid
tous ces symptômes orageux.
Lés chats, dont les yeux offrent souvent pérdait la
huit deux points lumineux, le ver luisant, le porte
Hanterne et les autres animaux noctiluques, ne doivent
eur merveilleuse propriété qu’au fluide électrique ; il.
en est de même des ondes étincelantes de la mer.
Le 30 août 1781, dit un navigateur; * étant à l'ancre
devant Copenhague, à cause des vents contraires qui
_agitaient violemment la mer depuis deux jours, j’observai
de tems en tems, la nuit étant assez claire, surtout
forsque les lames, formées par le sillage du vaisseau,
venaient se briser l’une contre l’autre, un éclat phos-
phorique superbe et partant pour la plus grande partie
de toute leur longueur, comme des ruisseaux de feu,
et je crus même plus d’une fois l'avoir vu produit par
Vécume de la mer qui se formait en abondance dans
cette occasion. ... Ce spectacle m’enchanta, et cette
continuité de matière lumineuse me fit réfléchir sur
là variété des phénomènes électriques.
Ces clartés lumineuses et rayonnantes ornent quel-
quefois, pendant l'orage, la pointe des mâts, et les
marins les voyent souvent voltiger d’un mât à l’autre.
Les pointes qui terminent les clochers de Chartres,
d'Aix et de Marseille, présentent aussi ce phénomène ;
il a été observé depuis longtems par les Légions romaines
qui l'ont apperçu au bout de leurs piques , sans en
connaître la cause.
nine st man annt sure enr dn ee ce pee ere :
* Voyez le journal de physique, janvier 1784, page 57.
Le
EE
MÉMOIRES. 543
Le 21 juin 1793, vers dix heures du soir, M. Sauvan .
vit autour de la boule des Grands-Augustins d'Avignon,
une couronne de lumière qui dura trois quarts d'heure,
‘Ce fait, rapporté dans le journal de physique , eut aussi
lieu pendant un tems orageux. *
La superbe tour de la Cathédrale de Srsboures qui
a été si souvent visitée par le tonnerre, à cause de sa
structure et de sa grande élévation , parut en 1624 et
et en 1654, enveloppée d’une colonne de feu; les sen-
tinelles sur les remparts, et Îles pêcheurs sur les eaut
qui s’apperçurent du coup de foudre, ( nous dit l’historien
de cette église, M. De Grandidier), crurent voir une
grande botte de paille brüler le long de la tour; mais
cette inflammation électrique ne causa aucun dommage,
Un orage venant au couchant de Glogau dans la
Silésie , ** s’approcha le 8 mai 1782, du magasin à
poudre n° 5, armé d’un paratonnerre ; il parut ensuite
un grand éclair, suivi d’un coup de tonnerre si violent,
que la sentinelle de ce magasin en fut étourdie ; le fac-
tionnaire du magasin n.” 4, courut à son camarade,
pour l’exhorter à se retirer au plus vite, parce que tout
V'échafaudage paraissait être en feu; mais lorsqu'il fut
près du magasin il vit qu’à s'était trompé, et que l’é-
chafaudage était intact ; ce qui fait présumer que la foudre
est descendue le long de la barre du conducteur élec-
trique , et s’est ensuite plongée dans le puits qui est
au-dessous. D’exactes recherches , que des officiers d’artil-
Jerie ont été chargés de faire, ont appris que ni la barre
ni l’échafaudage n’ont effectivement rien souffert.
pr 2
# Vogez le journal de physique de janvier 1784.
## Voyez le journal de physique de juin 1753, pag. 477.
Tome Ï. 12.°*° Liy. 36
944 _ MÉMOIRES.
Ces lweurs physiques ne se montrent le plus souvent
qu’à la pointe seule des paratonnerres, et l’on y est
familiarisé dans les pays :où ces machines sont communes.
Tous ces faits réunis malgré leur diversité apparente,
sont néanmoins parfaitement analogues à celui qui à
tant épouvanté le postillon dont j'ai parlé; ils tiennent
tous à une cause naturelle que les phyäiciens savent, à
l'aide de leurs expériences, reproduire dans le fond de
leurs cabinets... .. Une très-grande machine électrique
imaginée par M. Van-Marum, et placée dans le muséum
de Teyler à Harlem, * donne la facilité d'imiter ces
différens phénomènes. Une pointe présentée au conduc-
teur de cette machine paraît très - lumineuse, et l’est
encore très-sensiblement à 28 pieds de distance.... La
décharge d’une bouteille de Leyde, en passant sur de
la craie, laïsse sur la surface de cette pierre, une trace
posphorique , dont la lumière, qui est un peu rougeâtre,
s’appercoit souvent pendant plus d’une minute.
Ces expériences et une infinité d’autres que l’on répète
avec cette nouvelle machine , démontrent sans réplique,
que les couronnes rayonnantes, les aïgrettes et les in-
flammations phosphoriques dépendent de Pélectricité ;
que ce fluide différemment modifié, est l’auteur de ces
phénomènes, et que les points lumineux qui ont été
remarqués au bout des oreilles des chevaux de poste
précités, sont l'effet de l'électricité ; mise dans un état
de condensation , par un refroidissement subit, ou par
quelque nuage ou couche d'air, électrisés négativement.
Telle est du moins l'opinion de la plûpart des phy-
siciens sur celte lumière accidentelle et momentanée ;
Nm PP Po Em)
-
# Voyez le journal de physique d’août 1782,
4
MÉMOIRES. 543
j'aurais rendu ma compilation plus courte, et moins
accumulé les faits, si la cause qui doune lieu à de
pareils événemens, n’était pas pour bien des personnes
“un objet de craintes et de frayeurs, souvent aussi dan-
gereuses qu'inutiles.
Le remède à la durée de cette apparition lumineuse *
est quelquefois bien simple ; il sufñt de rallentir la
marche de son cheval; des gens obligés de s’en servir
tous les jours, m'ont remercié de cette indication. Mais
curieux de savoir pourquoi ce phénomène se montrait
de préférence aux oreilles du cheval, il m'a fallu les
contenter sur cet article, et leur apprendre qu'il y à
dans la nature une prérogative attachée aux corps ter-
minés en pointes. Celle d'offrir à l'électricité un accès et
une issue plus libre que tous les autres corps terminés
d’ane manière différente. É
En effet, c'est d’après cette remarque constamment
faite par les physiciens , qu’on a réglé la forme des para-
tonnerres ; et l’âne, cette douce monture que les dames
ont adoptée, étant distingué des autres animaux par la
structure de ses oreilles, les aurait souvent lumineuses
en tems d'orage, si sa marche était active et propor-
tionnée à la longueur de cette partie de sa tête, d’ailleurs
il sert rarement pendant la nuit.
Cependant le phénomène qui nous occupe a été observé
aux oreilles d'un animal de cette espèce, appartenant
à M. Muchembled, avocat à St. Omer, dont le nom
ne se peut prononcer sans rappeller un doux souveuir
|
# Voyez la graude notice de l’almanach sous verre année 1778.
Le C.en Fraoçais de l'an 10, n.° 767, 762, ‘7702 aälle
d'Angleterre. |
546 MÉMOIRES.
par l'intérêt particulier que son savoir et ses talens ont
attaché à la cause célèbre du malheureux Montbailly.
Cet âne, que son maître appellait le docteur, ( parce
du'il avait été mis accidentellement en lumière ) , retour-
nait de St. Omer dans un village où M. Muchembled a
une maison de campagne, lorsqu'on a apperçu au bout
de ses oreilles cette clarté lumineuse qui fait le sujet
de cet écrit On remarque sans peine, je le répète,
‘ que tous les phénomènes qui sont rassemblés, présen-
tent la même physionomie, ou à peu près, et qu'ils ont
pour cause le mouvement du fluide électrique dont
l'existence n’est apparente que momentanément,
MÉMoIRzs. 547
POMPE A DOUBLE EFFET,
DE L’INVENTION
vw
Dx M, ARNOLLET , INGÉNIEUR DES PONTS ET CHAUSSÉES.
DANS LE DÉPARTEMENT DE LA CÔTE D’On.
Ce 7
ÆExrTrair d'un Rapport fait à la Société Royale
d'Agriculture à Paris.
ARAAAAAAAR NY
AS d'entrer dans le détail de la construction:
et du produit de cette machine, nous devons rappeller :
ici les avahtages et les inconvéniens reconnus des ponpes ,
telles qu'on les construit jusqu’à présent,
__ Leurs avantages se réduisent à élever les eaux. À de
grandes hauteurs, et à pouvoir les transmettre à de
grandes distances, sans occuper, dans le trajet, un
grand emplacement,
Leurs inconvéniens consistent 1° dans le haut prix
de leur construction ;
2.° Dans les frais souvent considérables de leur entre-
tien annuel, qui exige présque toujours la main d’un:
fontainier, que l’on trouve rarement à sa proximité
dans les campagnes;.
3° Dans le peu d'effet qu’elles produisent relative-
ment à la force qu'il faut leur appliquer. On sait que-
la meilleure pompe utilise à peine le dixième de cette-
force, et que la machine de Marly ne donnait pas le
quarantième du produit résultant de son calcul théorique.
Une perte de force aussi considérable est due 1.” à
l'interruption qu'éprouve le mouvement de la colonne
548 MÉMOIRES.
d’eau à chaque oscillation du piston, soit dans la pompe
simplement aspirante ou foulante, soit qu'elle réunisse
les deux effets. Cette interruption oblige à rendre, à
chaque coup de piston , à la colonne d’eau , une nouvelle
force vive, et conséquemment à vaincre un nouveat
. frottement ; d'où il résulte une résistance qui est peut-
être vingt fois plus grande dans les momens de repos
que dans le mouvement continu; 2.°, au volume d'air
qui s’introduit ordinairement sous le piston, de manière
_ qu’une très-grande partie de sa course est alors employée
à comprimer cette portion d'air avant d'exercer son
action sur l’eau; 3.° à la contraction de l'eau dans le
passage des soupapes et à la décomposition de force
résultant de la disposition des moteurs.
M. Arnollet, dans un Mémoire très-clair et très-concis,
prouve qu'il connaît très-bien tous les défauts des pompes
ordinaires, et s’il n’a pu parvenir à les surmonter tous
dans Îa pompe qu'il présente au concours, nous aimons
à convenir qu’il a eu le talent d'en faire disparaître
un, très-grand nombre, autant que les ressources de
J'art et celles de son imagination ont pu le lui permettre.
= Nous allons essayer de justifier cette opinion.
Le corps de cette pompe se compose 1.° d’une piece
inférieure , ou réservoir de fond divisée en deux parties
par une cloison pleine, qui empêche ces deux parties
d’avoir entr'elles aucune communication directe.
2° D'un diaphragme inférieur qui recouvre la pièce
de fond et qui est garni de quatre soupapes, dont deux,
renversées du côté de la case droite de ce fond , la font
‘communiquer avec le cylindre dans lequel joue le piston,
et les deux placées en dedans de ce cylindre établissent
sa communication avec la ease gauche, :
“MÉMOIRES. 540
Ce diaphragme inférieur contient aussi dans le pour-
tour intérieur du cylindre extérieur dont il sera question
ci-après, des ouvertures par lesquelles les deux eases-
du fond communiquent avec les espaces vides de ce.
dernier cylindre ;
3° De deux cylindres coneentiquess dont celui du
centre contient le piston, et dont la zône cylindrique:
de. l'extérieur, doit avoir pour largeur le diamètre du
piston.
Cette zone est divisée en deux parties PES dont
chacune correspond à l’une des cases de la pièce de
fond ; |
4. D'un diaphragme iéin He lement pareil au.
‘premier et garni d’un même nombre de soupapes, avec
cette différence que. les deux soupapes renversées se:
trouvent sur la gauche du piston;
5° D’un chapeau établi sur le diaphragme supérieur ;
_ auquel est adapté. d’un côté le tuyau d’aspiration et de
V'autre le tuyau de chasse où d’ascension.,
Ce chapeau est divisé comme la pièce de-fond, em
deux cases, par une cloison qui a dans le milieu une
sur-épaisseur percée pour laisser passer la tige du piston.
Dans. le même chapeau et dans la partie supérieure de
sa cloison est une petite boëte de cuivre, surmontée
d’un petit bassin qui reste plein d'eau pour empêcher Pair
de s'introduire le long du piston, lors même que cette
tige ne serait pas serrée par les cuirs. |
Enfin les cases de ce chapeau sont plus. élevées que
les ouvertures des tuyaux d'aspiration et d’ascension ;
pour former dans cette partie supérieure deux réservoirs:
d'air; l’un d'air dilaté pour l'aspiration, et l’autre d’aic
comprimé pour le refoulement,
554 MÉMOIRES.
Dans cette’ disposition des pièces qui composent ja
pompe de M. Arnollet, on voit que son intérieur est
divisé en deux parties continues, qui , sans avoir entr'elles:
aucune communication, communiquent cependant avec:
le cylindre du piston par leurs soupapes respectives ,
et forment autour de lui deux chambres ; l'une d'aspiration
et l’autre de refoulement.
. Le jeu de cette pompe est facile à concevoir. Lorsque
Je piston descend , les soupapes renversées du diaphragme
supérieur s'ouvrent et laissent tomber sur le piston l'eau
du tuyau d'aspiration.
Pendant ce mouvement, les soupapes renversées du.
diaphragme inférieur s'ouvrent également pour laisser
passer l’eau qui était sous le piston et qui est alors forcée
de remonter par. la chambre de refoulement dans la case
correspondante du chapeau, et de s’élever dans le tuyau
d’ascension. | |
Le piston venant ensuite à remonter, les quatre sou-
papes renversées se ferment, les soupapes simples du
diaphragme supérieur s’ouvrent pour laisser sortir l’eau
qui était sur le piston et qui entre aussitôt dans le os
d’ascension.
* Pendant ce tems, les soupapes simples du dachiseus
inférieur s'ouvrent également, et l’eau contenue dans la
chambre d'aspiration est forcée de suivre le piston sous
lequel le vide est parfait, ce qui maintient le mouvement
dans le tuvau d'aspiration. L
Enfin, les deux réservoirs. d'air, ménagé dans les
parties supérieures du chapean et qui correspondent au
tuvau d'aspiration et d'ascension, paraissent devoir y
assurer la continuité du movement, °°
Celui du piston lui est imprimé par ut falancier de
. :
MÉMOIRES, PL
forme plus ou moins compliquée , suivant le diamètre
du piston , ou plutôt suivant leffet plup ou moins grand
qu'il doit produire et le nombre d'hommes qu’on est
obligé d'y employer , dans tous les cas, pour procures
au piston une vitesse de 5o à 6o centimètres par seconde
qui parait être ici la plus favorable.
Dans fes pompes de petite dimension , l’auteur emploie
des balanciers à levier courbe , ou des manivelles à cœur,
qu’il a su disposer de manière à ce qu’il n’y ait aucune
décomposition de force. : ,
Si nous avons réussi à bien expliquer la éspogtion
des différentes pièces qni constituent cette ingénieuse
machine, on pensera avec nous que son auteur a ef-
fectivement réussi à éviter les pertes de force résultant
de l’interruption du mouvement de la colonne d’eau à
chaque oscillation du piston , et de la décomposition
occasionnée par Ja mauvaise disposition des moteurs; qu'il
est également parvenu à diminuer, autant que possible,
lle due au volume d’air qui s’introduit ordinairemené
sous le piston; car, lorsque l'eau est arrivée dans le
chapeau, la plus grande portion de l’air qu’elle a amené
dans ce mouvement ascensionnel se dégage bientôt et va
remplir le réservoir d'air de cette case; la plus petite,
seule, peut arriver jusqnes sous le piston, et le peu de
vitesse qu’on lui donne ici en attenue le dégagement.
On jugera enfin, qu’il ne lui resterait plus, pour faire
de sa pompe une machine parfaite, sous ce rapport,
qu’à prévenit Îles pertes de force que l'on est encore
eblisgé d’éprouver à cause de la contraction inévitable de
J'eau à son passage dans Îles soupapes.
Il paraît encore que M. Arnollet n’a point négligé
des perfectionnemens dont les tuyaux de conduite peuvent
552 : MÉMOIRES.
être susceptibles. On sait que, lorsque l’on est obligé
de leur faire faire des coudes, il faut les fondre avec
les angles qu'ils doivent avoir, et que la réunion de ces
coudes avec les tuyaux droits joint toujours assez mal
pour y occasionner des pertes d’eau. Notre auteur pro-
pose de rémédier à cet inconvénient en terminant les
tuyaux de conduite en forme de cuiKer à pot qui se prête
Beaucoup mieux à tous les angles et à toutes Îles in-
flexions du terrein. Cette terminaison doit avoir un
diamètre double de celui de la section ordinaire du tuyau,
afin d’y éviter la contraction de l’eau.
Le diamètre du piston de. la pompe de M. Arnollet
présentée à la Société royale et centrale d'agriculture,
est de 9 pouces : , et la longueur de sa course dans son
cylindre, est de 6 pouces.
La largeur de la zone cylindrique extérieure n'avait
que 14 pouces au lieu de 19 qu’elle eut dû avoir.
- Elle a été expérimentée deux fois devant les Commis-
saires de la Société, sur les réservoirs supérieurs de la
pompe à feu de Chaillot.
. Dans la premiére expérience, Îe mouvement de va et
vient a été imprimé au piston par un balancier à deux
leviers droits, apposés et attachés à la tige du piston
par leur petit bout ; balancier disposé de manière à
éviter toute décomposition de foree des moteurs, et que
son autenr emploie pour produire les grands effets.
. Le bassin à remplir contenait 222 pieds 9 pouces cubes,
et le dégorgeoir du tuyau d’ascension était élevé à ro
pieds au-dessus du niveau de l’eau du réservoir dans
lequel le tuyau d'aspiration était plongé.
En ayant égard à quelques dérangemens dans la
pompe, et particulièrement à la rupture de la charnière
MÉMOIRES. 553
de l’une des soupapes, nous avons jugé que quatre
hommes appliqués aux leviers du balancier avaient pu
remplir le bassin en quinze minutes, ou élever à cette
hauteur de 10 pieds, 222 pieds 9 pouces cubes d’eau
pendant le même tems; en une minute, ils en ont
donc élevé 14 pieds 10 pouces cubes ou 519 kilog., ïg
décag."”** pesant , à la même hauteur, et par conséquent
1730 kil. 56 décag. en une minute à la hauteur d’un
mètre ; quantité dans laquelle chaque homme ne figure
que pour 432 kilog. 64 déc. |
Dans la deuxième expérience, le mouvement du piston
lui a été imprimé au moyen d'une manivelle à cœur
aidée d’un volant,
Le dégorgeoir du tuyau d’ascension était élevé à 10
pieds 11 pouces au-dessus du niveau de l’eau du réservoir
où était plongé le tuyau d'aspiration.
Quatre hommes appliqués à la manivelle ont mis 18
minutes à remplir le bassin, ou à élever à cette hau-
teur, 222 pieds a pouces .cubes d’eau ; d’où il résulte
définitivement que les quatre hommes auraient élevé en
une minute 1575 kil. d’eau à la hauteur d’un mètre et
que chacun d'eux y aurait contribué pour 393 Xilog-
79 déc. d’eau.
Ce produit est plus faible que dans la première expé-
rience, el cette différence paraît devoir être attribuée
à celle du moteur et à une vitesse moindre imprimée
au piston.
En admettant donc pour l'expression du produit ef-
fectif de cette pompe, 432 kil, 64 déc.; on voit qu'il
est inférieur à celui-de la Noria de Vitry qui est de
725 kilogram., mais aussi le produit de la pompe de
4. Arnollet est encore plus de quatre fois plus grand
554 M£Moires.
que le produit effectif ce la force d’un homme dans le
mouvement des machines ordinaires, et que nous avons
déjà dit être de 111 kilogrammes.
La dépense de sa construction est fixée par son auteur
aux prix ci-après.
Prix des machines à double effet, y compris le mou-
vement soit de rotation, soit de balancier courbé, en
raison de leur produit et en supposant la vitesse du
Piston de 20 centimètres par seconde.
Pour un hectolitre par minute et au-dessus. 300 ‘+
Pour deux, Boo
Pour trois, 650
Pour cinq, 850
Pour sept, : 7000
Pour dix, où un mètre cube} 1200
La dépense des tuyaux d’aspiration et d’ascension n'est
point comprise dans ees prix.
: Quant aux frais de l'entretien annuel de cette pompe;
3} paraît, d’après le certificat qui en a été donné par
MM. les admiuistrateurs de l'hôpital d’Auxonne, que
depuis deux ans que la pompe de M. Arnollet y est en
activité, elle n'a éprouvé aucuns dérangemens et même
qu’on n’a pas été obligé d’y toucher du tout,
Ces frais seraient donc infiniment moindres que pour
les pompes ordinaires, mais l'entretien des soupapes et
celui des joints des tuyaux en exigerant nécessairement
par la suite, et alors on éprouverait encore dans ls
campagne l'inconvénient d'y être éloigné d’un fontainier
pour les réparations.
Nous avons donc conclu de ees. rapprochemens: 2°
que la pompe de M. Arnollet, sous Les rapports réunis
de la dépense d'établissement, de frais d'entretien et du
MÉMOIRES 555
produit effectif, est incontestablement à préférer à teutes
les pompes connues jusqu’à présent; 2.° que sous celui
du produit elle est inférieure à la Noria de Vitry; 3.°
qu’elle est , ilest vrai, d’une construction un peu moins
dispendieuse , mais que cet avantage qui n'est que pour
le premier établissement, paraît plus que compensé par
obligation d'employer plusieurs hommes à sa manœuvre
dans les pompes d’un grand diamètre , tandis que la Noria
n’exige jamais que la force ordinaire d’un homme.
Nous avons d’ailleurs, été d'avis, que dans son état
actuel, la pompe de M. Arnollet ne pouvait pas être
employée avec autant d'avantage que la Noria de M,
Milon, pour l'élévation des puits d’une grande profon-
deur, tant à cause de la différence de leurs produits
effectifs, que par la nécessité de placer cette pompe au
fond du puits, tandis que sa manœuvre serait établie
au-dessus; cé qui peut avoir de grands inconvéniens
auxquels M. Arnollet parviendra sans doute à rémédier.
Mais si, dans ce cas, sa pompe ne peut entrer en .
concurrence avec la Noria de Vitry, elle nous a paru
mériter jasqu’à présent la préférence sur elle et sur toutes
les autres machines connues pour élever l’eau des puits
de peu de profondeur, pour les irrigations temporaires
et dans les dessèchemens, et devoir remplacer avec de
grands avantages le système actuel des pompes à incendie:
En eflet , le produit de cette machine , dans 6es petites
dimensions, est plus que suffisant pour satisfaire à tous
les besoins d’un grand établissement,
- Le certificat déjà cité de MM. les administrateurs de
Yhôpital d’Auxonne porte: qu'avec cette pompe un hom-
me fait en un quart d'heure le même travail que l’on
n'obtenait avant qu'avec cinq hommes.
556 MÉMOIRES.
Le prix de son établissement ne dépasse pas les
facultés d’un ménage un peu aisé,
Un autre avantage qui lui est particulier et qui sera
apprécié par tous les chefs de maison, est celui de
pouvoir placer cette pompe à une certaine distance du
puits dont elle doit élever l’eau, et même, avec un peu
de dépense, de pouvoir en procurer à tous les étages
d’une maison sans avoir besoin de fes réservoirs supérieurs,
dont la construction et l'entretien sont si dispendieux.
A l'hôpital d'Auxonne , le puits est dans une cour
isolé et éloigné de 20 mètres du bâtiment dans lequel
on a placé la pompe ; le tuyau d'aspiration sort de celle-ci
à travers le mur et se prolonge par la cour jusques dans
le puits où il est plongé.
D'un autre côté, elle peut être aisément transportée
. partout où son usage serait utile sans exiger autre chose
pour sa manœuvre que l'établissement d’un plancher
volant ; ce qui la rend très-propre aux irrigations tem-
poraires et aux épuisemens dans les dessèchemens.
Déjà employée à cette dernière destination, elle a
complètement rempli son but, ainsi qu'il résulte des
certificats qui en ont été délivrés à son auteur par
M. Didier, ingénieur en chef des ponts et chaussées
du département de la Côte-d'Or, et par M. Ch. Forey,
ingénieur en chef du canal de Bourgogne, dans le même
département.
Enfin, avec un seul corps de pompe, cette machine
a un jet continu comme les pompes à incendie actuelles ;
elle peut donc les remplacer avec d'autant plus d’avan-
tages que la modicité de son prix en mettrait l’acqui-
sition à la portée des facultés des communes les plus
pauvres, où elle pourrait rémédier au fléau si désastreux
des incendies. Puisse ce vœu être promptement rempli!
MÉMOIRES 55?
VICISSITUDES DES EMPIRES.
ODE..
Our foudre a renversé ce colosse de gloire ?
Que sont-ils devenus ces enfans de l’orgueil ?
_ Regarde, ils ne sont plus..., du fils de la victoire
L'étendard a flotté sur leur vaste cercueil.
De cris de mort retentissait leur route.
Comme un torrent fougueux ils marchaïent à grand bruit.
L'heure a sonné , le colosse est détruit.
Ils vont conter leur sanglante déroute
. Aux pâles habitans de l'infernale nuit.
AAAARMANIAANINVS
O des grandeurs du monde’, inconstance éternelle!
Les voilà donc tombés ces Germains si fameux !
Combien, leur fin terrible, et prompte et solennelle *
À dù frapper les Rois.... Jouets du sort comme eux!
Ils égalaient les flots de la Baltique.
Leur nom portait l’effroi de l'Atlas au Couban.
Chéris de Mars, et vainqueurs du Turban,
Ils s’élevaient, pareils au Cèdre antique,
Que l'œil mesure à peine, au sommet du Liban.
CARARARRARRANNANS
Le Soleil qui, du haut de sa marche éthérée,
Contemplait leur Empire incessamment accru;
De mon cours, disait-il, il aura la durée:
Mais un jour qu'il revint, ils avaient disparu.
Ainsi, veillant, du séjour de la foudre,
558 MÉMorREst.
Sur ce vaste Univers que son souffle acheva,
Le Dieu des Dieux, l'éternel Jéhova
Brise à son gré, fait rentrer dans la poudre
Les Peuples passagers que lui même éleva,
ARAARAAAAARARS
Vers l’un d'eux, quelquefois, inclinant sa balance,
Il dit, et tout-à-coup, sort un peuple géant ;
Et tantôt, sa colère allumée en silence,
Vient le précipiter de la gloire au néant.
» Venez me voir, accourez à mes fêtes,
» S'écriait Babylone aux ‘jours de sa splendeur.
=» Foulons aux pieds les lois de la pudeur.
» N’écoutez point ces insensés Prophêtes,
» Dont les cris importuns menaçaiént ma grandeur.
ANR AARAS
:» Eh! que me fait le Dieu qu'enfanta leur démence ?
» S'il peut m'anéantir que ne vient-il enfin?
» Mais, non : de ma grandeur, de mon empire immense,
» Le tems, quoiïqu’immortel, ne verra point la fin. »
Au noir séjour qui donc t'a fait descendre ?
Pourquoi n’entends-je plus tes profanes concerts ?
Je t'ai cherchée au fond de tes déserts.
Pas un débris, pas seulement la cendre
De ces Palais pompeux qui fatiguyaient les airs.
Attivé vers l'Euphrate où jadis tu fus Reine,
Je t'appelle, et tu dors au-dessous des illons,
Et tes inurs sont mêlés à la mouvante arêne,
Que l’ardent Africus roule en noirs tourbillons.
Ton Dieu lui-même à partagé ta tombe;
La
MÉMOIRES. 559
La terre a dévoré ces temples de Bélus;
Tes successeurs comme toi ne sont plus.
Semblable au flot qui grandit et rétombe,
Chaque État, tour-à-tour, a son flux et reflux:
AAA VAAAN PAS
Là regnait ta rivale; ici, l’herbe remplace
Les remparts que Palmyre élevait jusqu'aux cieux,
Plus loin mourut Balbec; là, j'ai foulé la place
Où Memphis, autrefois, attirait tous les yeux.
» Fendez les mers, affrontez la fortune,
» Partez, disait Sidon, à ses mille vaisseaux.
| » Que tous les Rois deviennent mes vassaux,
» Qu'à votre aspect le superbe Neptune
# Abdique le pouvoir qu'il avait sur les eaux. »
AAA MAMA WAY
Et cependant l’Oubli la couvre de son aîle!
Et cependant ; ses ports sont muets d'abandon!
Et cependant, la mort, livide sentinelle,
Est debout pour jamais sur les murs de Sidon.
Voilà, voilà, magnifiques atômes,
Conquérant trop fameux , foudroyans Potentats,
Comme lè Ciel se rit de vos États,
Et fait passer, tels que de vains fantômes,
Vos peuples souvent grands par de grands attentats.
AARAAMAAMAAAN
De pleurs, de flots de sang vous inondez la terre.
Votre char roule au bruit des malédictions.
Jusques à quand, cruels, le droit du cimeterre
Sera-t-il en vos mains le droit des Nations.
Fuyez , Pasteurs désertez vos campagnes,
ne = ae ee _ < L
5Go MÉMOIRES.
Laissez - là vos troupeaux, votre toit fortuné ;
Bellonne accourt, la trompette a sonné...
Fuyez.... bientôt, vos enfans, vos compagnes,
Vont subir la fureur du vainqueur effréné,
Non, vous ne verrez plus vos cabanes. rustiques ;
Au foyer paternel adressez vos adieux;
11 va périr l’azile où, tels qu'aux jours antiques,
Vous cultiviez en paix l'innocence et les Dieux.
Que tardez-vous? La guerre et l'incendie
‘Ont ligué leurs fureurs , réuni leurs tisons.
Entendez-vous ces lamentables sons ?
Tout est perdu..,., de la flamme agrandie ÿ
Le courroux se déploie : à travers vos moissons
Que d'horreurs ! et pourquoi dévaster ce riveges ?
Insensé Conquérant, quel peut être ton but?
Crois-tu que ton grand Peuple, après tant de ravages,
Au néant, à son tour, ne paiera point tribut?
Sors du tombeau, sors, géant politique,
Rome, viens l’effrayer du bruit detes revers; à
. Toi qui jadis insultant l'Univers, -7 |
Vôyais fléchir, sous ton joug despotiquie,
Tant de fronts couronné, tant de peuples divers.
|
Jusqu'où n'ont pes, volé tes Aigles intrépides ?
Quel moyen d’envahir n’as-tu pas inventé?
Quand, la flamme à la main, tes Légions rapides
Couraient annoncer Rome au monde épouvanté?
Des bords du Tigre aux colonnes d’Alcide,
Lançant tous les fléaux que l'Enfer déchaîna ;
MÉMOIRES. 5Gs
Tu ressemblais au turbulent Etna , |
Lorsqu’ entr'ouvrant son sommet homicide,
IL vomit la terreur danses vallons d’Enna.
En vain, dans ses déserts, en vain la Nigritie
T'opposait tous les feux de son ciel dévorant ;
En vain le fils glacé de l’âpre Sarmatie
Croyait dans ses marais échapper au torrent.
Comme à la voix du maître des tonnerres ;
Un océan vengeur dans Jes airs enfanté,
Couvrit soudain le globe dévasté;
De même on vit tes bandes sanguinaires
Inonder de leurs flots tout l'Univers dompté.
Levez-vous, accourez insulter À son ombre ,
Peuples qu'elle a plongé dans la nuit du cercueil ;
Des règnes effacés, Rome a grossi le nombre:
Elle a perdu sa gloire et courbé son orgueil.
La ronce avide a percé ses murailles ;
Ses Thermes , ses Palais dans la poussière épars,
Sont-là semés, jetés de tontes parts;
Tandis que l’If, amant des funérailles,
S’est emparé du sol où brillaient ses dus
RARARAAAARRRN
Tel, ce fleuve échappé des flancs du mont Adulle |
Le Rhin, gros de tributs, terrible , impétièux
S’avance ; imaginant , dans sa fierté crédule,
Qu'il va rouler sans fin ses flots tumultueux.
Hélas! ses flots sont des flots périscables ,
Vainement de son cours la terre a retenti ;
562 - MÉMOIRES.
_ Déjà, moins fier son cours s’est rallenti,
Décroit encore, et dans des mers de sables,
Comme un humble ruisseau disparaît englouti.
Ainsi tout passe, ainsi ma patrie elle-même,
Après avoir dompté cent peuples belliqueux,
Précipitée un jour de sa grandeur suprême
S'en ira dans l'oubli se confondre avec eux:
Et quand le tems, ce Dieu de la vitesse ;
Aura mis au tombeau notre règne expiré,
Peut-être alors, quelque Barde inspiré,
Touchant sa harpe aux lieux où fût Lutèce,
* N'entendra que le chant qu'il aura soupiré.
PELLET , D'ÉPINAL,
Membre correspondant.
Fin pu I." Vorumz.
MÉMornezss 563
AAA AAA AAA NAN AAA RARANE
TABLE
DES MATIÈRES
CONTENUES
DANSLE |“ VOLUME:
SES ne Aires ee]
L 1STz des Membres ‘composant la Société au 1.”
septembre 1818.
mn Ppagess
Discours d'ouverture de la séance publique du 24
août 1818. Par M. le B.°" D’herlincourt, Président. 1:
Rapport sur les Travaux de la Société, Iàù à la
même séance. Par M. Martin, Secrétaire perpétuel. 10.
Rapport sur l’ancienne Académie d'Arras. Par M.
Bergé de Vassenau. 39°
SCIENCES
PHYSIQUE.
Notice eur l'Électricité. Par M. Vène: 1894
Électricité atmosphérique, et variations du baromètre.
Par M. Vène. | 388,
Notice sur les Clartés et les Scintillations produites
= par la circulation du fluide électrique. Par M.
Buissart, père, 535
CHIMIE.
Mémoire sur un nouvel Alkali, appellé la Strych=
. nine, Par MM. Pelletier et Caventou, 3464
/
364 MÉMOIRES.
Mémoire sur les moyens d'empêcher l’eau de se
corrompre à bord des vaisseaux. Par M. Périnet, 495.
: MÉDECINE &T CHIRURGIE.
Essai sur les Maladies particulières au département
du Pas-de-Calais, Par M, Leviez. | 87.
Apperçu topographique et médical de la ville d'Arras.
Par M. Duchateau, 106.
Lettre au Secrétaire perpétuel, sur une guérison |
, du Croup. Par M. Mercier. 120.
Notice sur l'Eau de Bouleau. 383.
Observation sur une opération de la Laryngo-
Trachéotomie. Par M. Duchateau. 486.
Quelques vues générales sur le Cancer. Par M. Carault. 16e
GÉOGRAPHIE.
De la hauteur du niveau des Eaux sur le bassin
oriental de ta Méditerranée. Par M. Corancez. 1524
Description hydrographique des Provinces de Beniss- ‘
souef et du Fayoum en Égypte. Bar M. Martin, 2313
Description de l'Ile de Tino. Par M. Burdet. 400.
Mémoire sur le déplacement et le mouvement
alternatif des Mers. Par M. Lenglet. 4ae
nu HisToine NATURELLE
Notice sur les principaux Quadrupèdes qui se trouvent
au pord de la Syrie. Par M. Corancez. 298.
BELLES - LETTRES.
ANTIQUITÉS.
Recherches sur les Sépultures souterraines de quel-
:_ ques Peuples anciens et description d'un Cimetière
de Madrid. Par M. Willaume, ù 1913
MÉMOIRES 663
| | | Pass
Notice sur l’origine et l'antiquité de la ville d'Arras,
"Par M. Behin. 209:
Notice sur un Mallus ou Sanctuaire Druidique , au
territoire de Ferques, près Landerthun, Par
M. Henri. 33ra
Etymologie du nom de Landrethan. Par M. B. H, 493.
| POÉS1£.
Élégie sur la mort d’un ami. Par M. Cot, 35
Les Roses, l’Immortelle et le Scarabée, Fable, Par
le même, 36ÿ
Elle n'est plus. — Romance. Par M. Pellet , d'Épinal. 37:
Épitre à l’auteur d'un Ouvrage inédit sur la
‘Statistique du département du Pas-de-Calais. Par
M. le Baron d'Ordre. : y LE
Le Fleuriste et V'Epi de bled, Fable. Par M. Cot. 84:
Traduction de la 4.”° Églogue de Virgile. Par le même. 228,
Le Pouvoir de la musique. Ode, Par M. Fromentine. 40q.
Fragment d'une Tragédie inédite, intitulée Cons-
tantin. Par M. Pellet, d'Épinal 416.
Épitre à M. Lorgnier. Par M. le B.°* d'Ordre. 500.
Vieille Chronique. Par M. Cot. PL 501.
Fragment d’une Tragédie inédite , intitulée Pizarre.
Par M. Cot. S27.
Les Vicissitudes des Empires, Ode. Par M. Pellet
d'Épinal. | 557
566 | = MÉMorres.
ARTS.
“AGRICULTURE
._. pages.
Nouvelle méthode d'Ensemencement. Par M. Devred. 386.
Rapport sur le ‘Semoir de M. Scipion Mourgue.
- ‘Par M. Cot. - 477:
ft. « MANUFACTURES.
Notice sur la distillation des. grains dans le dép a ar- e
tement du Pas-de-Calais. Par M. Burdet. 115.
Rapport sur di fabrique de sucre de ‘betteraves , de
M. .Crespel : Dellisse. Parle même. 125.
| Procès-verbal des opérations faites. pour ie les
. sucres de la même fabrique. nc 379.
Rapport sur l'établissement de filature de MM. Catté,
frères, , Arras: Par M. Donop. | 47e
RE [ MÉCANIQUE. |
Robert sur les machines de M. Hallette. Par
M. Burdet. ‘7 : | _ G&.
Pompe à à double effet Per M. Arnollet, 44e
ART - VÉTÉRINAIRE, 0
+
Notice sur les malädies que les chaleurs et la sé-
” ‘cheresse ont pu développer parmi :les ‘bestiaux. ‘
Par M: Hurtrel-Darboval. . OR 0e
"Questions à traiter sur.la Cécité des chevaux. Par
le même., . . 325.
2," Notice sur les maladies des bastide. Parle même, 505.
|
A
8004170185
Lit
21